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05/09/2024

GIDEON LEVY
On pleure 6 Israéliens, et on ignore plus de 40 000 Palestiniens


Gideon Levy, Haaretz, 5/9/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

 Les Israéliens sont de tout cœur avec les victimes israéliennes, c’est humain. Mais se focaliser massivement sur  six otages, alors qu’on ne fait aucun cas des dizaines de milliers de victimes palestiniennes, c’est malsain et immoral.

Des Palestiniens se lamentent sur le corps d’un proche, tué lors d’une frappe israélienne, avant ses funérailles à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 12 août 2024. Photo AFP

 Israël pleure les six otages qui ont été tués. Le monde entier les pleure également. Leurs noms, leurs photos, leurs histoires de vie et leurs familles ont fait la une des journaux télévisés en Israël et dans le monde entier.

Hersh Goldberg-Polin et Eden Yerushalmi sont devenus des célébrités malgré eux, pendant leur captivité et leur mort. Le monde a pleuré pour eux - il est impossible de ne pas le faire : six beaux jeunes gens qui ont vécu l’enfer en captivité avant d’être brutalement exécutés.

Mais nos six otages ne sont que la partie émergée de l’histoire, une infime partie des victimes de la guerre. Il est compréhensible qu’ils soient devenus une histoire mondiale. Ce qui l’est moins, c’est le contraste incroyable entre la large couverture de leur vie et de leur mort et l’indifférence totale à l’égard du sort similaire de personnes de leur âge - aussi irréprochables, ingénues et belles qu’eux, et tout autant victimes innocentes - du côté palestinien.

Alors que le monde est choqué par le sort de Gaza, il n’a jamais rendu le même hommage aux victimes palestiniennes. Le président des USA n’appelle pas les parents des Palestiniens tombés au combat, même si, comme les Goldberg-Polin, ils avaient la nationalité américaine. Les USA n’ont jamais demandé la libération des milliers de Palestiniens enlevés par Israël et détenus sans procès. Une jeune Israélienne tuée au festival Nova suscite plus de sympathie et de compassion dans le monde qu’une adolescente réfugiée de Jabalya. L’Israélien est plus proche du « monde ».

Tout a déjà été dit sur l’oubli et l’occultation de la souffrance palestinienne dans la conversation publique israélienne, et on n’en a pas encore assez dit. Le Palestinien tué à Gaza qui avait un visage, un nom et une histoire et dont l’assassinat a choqué Israël n’est pas encore né.

Les 17 000 enfants tués dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre avaient eux aussi des espoirs, des rêves et des familles qui ont été détruits par leur mort. Ils n’intéressent pas la majorité des Israéliens ; une minorité se réjouit même de leur mort. Dans le monde au-delà d’Israël, ils sont considérés comme de terribles victimes, mais même là, ils n’ont généralement ni noms ni visages.

Les Israéliens sont de tout cœur avec les victimes israéliennes. Rien n’est plus compréhensible ni plus humain. Mais des lamentations nationales d’une telle ampleur pour six otages, au mépris total des dizaines de milliers de victimes palestiniennes, c’est malsain et immoral : une déshumanisation sans un soupçon d’humanité pour les victimes - pas même pour les enfants qui ont été tués ; pour les enfants qui sont déplacés, rendus orphelins, malades, affamés ou amputés d’un membre.


Des Israéliens  portent des cercueils factices recouverts lors d’un rassemblement demandant un accord de cessez-le-feu et la libération immédiate des otages, à Jérusalem, lundi. Photo  Leo Correa/AP

Il y a des dizaines de milliers de ces enfants à moins d’une heure de route de Tel-Aviv, et nous sommes totalement indifférents à leur sort. Israël a envoyé des missions d’aide aux Philippines. Plus Israël pleure ses otages et ses morts, plus le fossé inconcevable entre sa douleur nationale et son apathie totale à l’égard des victimes palestiniennes devient évident.

Il n’est pas difficile d’imaginer ce que ressentent les habitants de Gaza face au monde, qui a été bouleversé par la mort de six otages israéliens tout en se désintéressant à une vitesse alarmante des 40 000 morts palestiniens. De plus, lorsqu’ils parlent des personnes enlevées, ils ne parlent que des otages israéliens.

Qu’en est-il des centaines et des milliers de Palestiniens enlevés dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, des soi-disant détenus administratifs, détenus sans procès, des « combattants illégaux » et des travailleurs innocents qui ont été capturés et dont personne ne signale le nombre ? Certains d’entre eux, au minimum, sont détenus dans des conditions infernales. Eux aussi ont des familles inquiètes qui n’ont aucune idée de ce qui leur est arrivé depuis 10 mois ; eux aussi se voient refuser la visite du Comité international de la Croix-Rouge.

Cette semaine, Sheren Falah Saab a fait un travail remarquable en racontant l’histoire d’un Palestinien de Gaza, Mohammad « Medo » Halimy, un TikTokeur de 19 ans qui a été tué alors qu’il allait recharger son téléphone. L’article a été un rayon de lumière dans l’obscurité. Un Palestinien mort à Gaza a un nom et un visage, grâce à TikTok et à Falah Saab.

L’histoire de Medo provoque une boule dans la gorge, tout comme la vidéo d’Eden Yerushalmi que le Hamas a publiée cette semaine. Est-il même permis de dire cela dans l’Israël d’aujourd’hui ?

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