Naomi Klein, The Guardian,
24/4/2024
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Ci-dessous la transcription d’un
discours prononcé lors du Séder d’urgence
dans les rues de New York, organisé par les Voix juives pour la paix le 23
avril 2024, qui a vu l'arrestation de centaines de personnes
En cette Pâque, nous n’avons ni
besoin ni envie de la fausse idole qu’est le sionisme. Nous voulons être
libérés du projet qui commet un génocide en notre nom
J’ai pensé à Moïse et à sa colère
lorsqu’il est descendu de la montagne pour trouver les Israélites en train d’adorer
un veau d’or.
L’écoféministe en moi a toujours
été mal à l’aise avec cette histoire : quel genre de Dieu est jaloux des
animaux ? Quel genre de Dieu veut s’approprier tout le caractère sacré de la
Terre ?
Mais il y a une façon moins
littérale de comprendre cette histoire. Il s’agit de fausses idoles. De la
tendance humaine à adorer ce qui est profane et brillant, à se tourner vers ce
qui est petit et matériel plutôt que vers ce qui est grand et transcendant.
Ce que je veux vous dire ce soir, à
l’occasion de ce Séder révolutionnaire et historique dans les rues, c’est que
trop des nôtres adorent à nouveau une fausse idole. Ils sont enchantés par
cette idole. Ils en sont ivres. Profanés par elle.
Cette fausse idole s’appelle le
sionisme.
C’est une fausse idole qui prend
nos histoires bibliques les plus profondes de justice et d’émancipation de l’esclavage
- l’histoire de la Pâque elle-même - et les transforme en armes brutales de vol
colonial de terres, en feuilles de route pour le nettoyage ethnique et le
génocide.
C’est une fausse idole qui a pris l’idée
transcendante de la terre promise - une métaphore de la libération humaine qui
a voyagé à travers de multiples croyances jusqu’aux quatre coins du monde - et
qui a osé la transformer en un acte de vente pour un ethno-État militariste.
La version sioniste de la
libération est elle-même profane. Dès le départ, elle a exigé l’expulsion
massive des Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres ancestrales lors
de la Nakba.
Depuis le début, elle est en guerre
contre les rêves de libération. Lors d’un Séder, il est bon de se rappeler que
cela inclut les rêves de libération et d’autodétermination du peuple égyptien.
Cette fausse idole du sionisme assimile la sécurité israélienne à la dictature
égyptienne et à ses États clients.
Dès le départ, le sionisme a
engendré une liberté hideuse qui considérait les enfants palestiniens non pas
comme des êtres humains, mais comme des menaces démographiques, tout comme le
pharaon du livre de l’Exode craignait la population croissante des Israélites
et ordonnait donc la mort de leurs fils.
Le sionisme nous a amenés à ce
moment de cataclysme et il est temps que nous disions clairement qu’il nous a
toujours menés là.
C’est une fausse idole qui a
conduit beaucoup trop des nôtres sur une voie profondément immorale qui les
amène aujourd’hui à justifier le déchiquetage des commandements fondamentaux :
tu ne tueras pas. Tu ne voleras pas. Tu ne dois pas convoiter.
C’est une fausse idole qui assimile
la liberté juive aux bombes à fragmentation qui tuent et mutilent les enfants
palestiniens.
Le sionisme est une fausse idole
qui a trahi toutes les valeurs juives, y compris la valeur que nous accordons
au questionnement - une pratique ancrée dans le Séder avec ses quatre questions
posées par le plus jeune enfant.
Y compris l’amour que nous avons en
tant que peuple pour les textes et pour l’éducation.
Aujourd’hui, cette fausse idole
justifie le bombardement de toutes les universités de Gaza, la destruction d’innombrables
écoles, d’archives, de presses à imprimer, le meurtre de centaines d’universitaires,
de journalistes, de poètes - c’est ce que les Palestiniens appellent le
scholasticide*, la destruction meurtrière des moyens d’éducation.
Pendant ce temps, dans cette ville,
les universités font appel à la police de New York et se barricadent contre la
grave menace que représentent leurs propres étudiants qui osent leur poser des
questions fondamentales, telles que : comment pouvez-vous prétendre croire en
quoi que ce soit, et surtout pas en nous, alors que vous permettez ce génocide,
que vous y investissez et que vous y collaborez ?
La fausse idole qu’est le sionisme
a été autorisée à se développer sans contrôle pendant bien trop longtemps.
Alors ce soir, nous disons : ça s’arrête
ici.
Notre judaïsme ne peut être contenu
par un État ethnique, car notre judaïsme est internationaliste par nature.
Notre judaïsme ne peut être protégé
par l’armée déchaînée de cet État, car cette armée ne fait que semer le chagrin
et récolter la haine - y compris contre nous en tant que juifs.
Notre judaïsme n’est pas menacé par
les personnes qui élèvent leur voix en solidarité avec la Palestine au-delà des
frontières raciales, ethniques, physiques, de l’identité de genre et des
générations.
Notre judaïsme est l’une de ces
voix et sait que c’est dans ce chœur que résident à la fois notre sécurité et
notre libération collective.
Notre judaïsme est le judaïsme du Séder
de Pessah : le rassemblement en cérémonie pour partager la nourriture et le vin
avec des êtres chers et des étrangers, le rituel qui est intrinsèquement
portable, suffisamment léger pour être porté sur le dos, qui n’a besoin de rien
d’autre que de l’autre : pas de murs, pas de temple, pas de rabbin, un rôle
pour chacun, même - et surtout - pour le plus petit des enfants. Le Séder est
une technologie de la diaspora s’il en est, faite pour le deuil collectif, la
contemplation, le questionnement, le souvenir et la revitalisation de l’esprit
révolutionnaire.
Regardez donc autour de vous. Ceci,
ici, est notre judaïsme. Alors que les eaux montent, que les forêts brûlent et
que rien n’est certain, nous prions à l’autel de la solidarité et de l’entraide,
quel qu’en soit le prix.
Nous n’avons pas besoin de la
fausse idole qu’est le sionisme et nous n’en voulons pas. Nous voulons être
libérés du projet qui commet des génocides en notre nom. Nous voulons être
libérés d’une idéologie qui n’a aucun plan de paix, si ce n’est des accords
avec les pétro-monarchies théocratiques meurtrières voisins, tout en vendant au
monde entier les technologies d’assassinats robotisés.
Nous cherchons à libérer le
judaïsme d’un ethno-État qui veut que les juifs aient toujours peur, que nos
enfants aient peur, que nous croyions que le monde est contre nous pour que
nous courions nous réfugier dans sa forteresse et sous son dôme de fer, ou au
moins pour que les armes et les dons continuent d’affluer.
Telle est la fausse idole.
Et ce n’est pas seulement
Netanyahou, c’est le monde qu’il a créé et qui l’a créé - c’est le sionisme.
Qu’est-ce que nous sommes ? Nous,
dans ces rues depuis des mois et des mois, nous sommes l’exode. L’exode du
sionisme.
Et aux Chuck Schumers** de ce
monde, nous ne disons pas : « Laisse partir notre peuple ».
Nous disons : « Nous sommes
déjà partis. Et vos enfants ? Ils sont avec nous maintenant ».
NdT
*Selon le groupe d'action Scholars
against the War in Palestine (SAWP), le terme de scholasticide, conceptualisé
par la professeure Karma Nabulsi de l'université d'Oxford, met en lumière la
destruction systématique de l'éducation en Palestine par Israël. Initialement
utilisé pour décrire les agressions israéliennes sur Gaza en 2009, le
scholasticide remonte à la Nakba de 1948 et s'est intensifié après la guerre de
1967 sur la Palestine et l'invasion du Liban en 1982. Ce concept souligne
l'importance cruciale de l'éducation dans la tradition et la révolution
palestiniennes, face aux politiques coloniales israéliennes visant sa
destruction.
** Chef de
la majorité démocrate au Sénat usaméricain, principal artisan du vote qui a
approuvé cette semaine une aide usaméricaine supplémentaire de 26 milliards de
dollars à Israël et partisan de longue date de la politique de cet État à l’égard
des Palestiniens. Le séder avait lieu devant sa résidence.