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06/12/2022

  REINALDO SPITALETTA
La malédiction kafkaïenne
Ce que Guillermo Sánchez Trujillo a découvert


Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, El Espectador, 6/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Après avoir découvert, au terme de longues années de recherches ardues, que Le Procès de Franz Kafka est un palimpseste de Crime et châtiment de Dostoïevski, ce petit monsieur barbu et moustachu, professeur de mathématiques, lecteur et auteur de romans policiers, a vu le ciel lui tomber sur la tête et a failli se retrouver dans un exil douloureux. Cette prodigieuse découverte, fruit de recherches, d'insomnies, de lectures, d'analyses comparatives, de tableaux statistiques, de génomes dostokafkaïens, d'innombrables difficultés et de quelques joies inégalées, a placé Guillermo Sánchez Trujillo sous un regard suspicieux, tant en Colombie qu'à l'extérieur.

En 2005, après avoir incarné l'écrivain russe, comme l'écrivain pragois, ou du moins ce qu'il semble parfois : tantôt un fragment de Franz, tantôt un fragment de Fyodor, il publie, dans ce qui devait être une première mondiale, Le Procès, dans la première édition complète du roman selon l'original de l'auteur. Il a ainsi pu éclaircir l'une des “plus grandes énigmes littéraires du XXe siècle”.

La contribution n'était pas mineure. Même les grands experts, linguistes allemands et autres, les éditeurs comme Klaus Wagenbach, ou les biographes de la stature de Reiner Stach, n'ont pas pu résoudre le mystère de la disposition des chapitres du Procès, ni découvrir les “sources” des histoires du soi-disant “taciturne” de Prague (qui n'était pas si taciturne). Aucun d'entre eux n'avait même deviné que la ville du Procès n'est pas Prague, mais Saint-Pétersbourg. Encore moins que les aventures de Josef K. soient dérivées de celles de Raskolnikov et d'autres personnages de Crime et Châtiment.

Il a effectué ses premières recherches en 1983, année du centenaire de la naissance de Kafka. Il a lu la biographie de Kafka par Wagenbach. Il a scruté, creusé, appris l'existence d'une lettre que Kafka avait envoyée à un ami de jeunesse dans laquelle il confessait son admiration pour Dostoïevski et dans laquelle il écrivait la phrase « un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ». Et puis il y a eu le lien avec Raskolnikov, le grand personnage de Crime et Châtiment. Il y a eu des lectures de l'un et de l'autre, des relations, des comparaisons, des recherches, des connexions. Et il a passé presque toute une vie sur ces tâches jusqu'à sa découverte majeure.

De plus, il ne s'agissait pas seulement de la provenance du Procès. D'autres œuvres de Kafka, comme La métamorphose, par exemple, trouvent leur origine dans Crime et châtiment. « Kafka n'écrivait pas des textes, mais des palimpsestes, et il était nécessaire de révéler le texte caché, qui était ce qui nourrissait et donnait un sens à ses histoires », écrivait Sánchez dans l'introduction de sa prodigieuse édition critique du Procès en 2005.

Les recherches ont permis de découvrir la manière dont Kafka écrivait, ses structures, ses crises créatives, ses relations difficiles avec les femmes (comme, par exemple, Felice Bauer), pourquoi il cryptait ses histoires... Kafka était un être fait de littérature, qu'il considérait comme sa religion, son nombril au monde. Pour l'écrivain, la vie et la littérature étaient une seule et même chose. Kafka était la littérature en soi.

« Pour Kafka, la vie était une aventure littéraire et, comme Don Quichotte, il partait vivre les aventures qu'il avait lues pour, une fois qu'il les avait vécues, les réécrire », souligne Sánchez dans une autre section de l'introduction susmentionnée. C'est à ce chercheur de Medellín, qui vit aujourd'hui dans le village de Santa Elena, que nous devons la première édition complète, ordonnée comme son auteur l'a conçue, du Procès. Nous savons tous que Max Brod, ami et exécuteur testamentaire de l'écrivain tchèque, n'a pas brûlé les manuscrits et a désobéi aux ordres kafkaïens supposés. Il a d’abord publié Le procès, sans pouvoir déchiffrer l'ordre du roman.

Après sa découverte phénoménale, Guillermo Sánchez a connu plusieurs déboires avec les éditeurs, avec les droits d'auteur (ils l'ont “assommé” avec ceux-ci, dit-il), avec des rancœurs ici et là. En Europe, il est passé inaperçu, personne ne s’est soucié de son travail de titan, et dans ces zones torrides, il était comme « un chien dans un jeu de quilles». Après diverses péripéties, il y a trois ou quatre mois, il a publié, de sa poche, la “version complète et ordonnée” du Procès de Franz Kafka, conformément au projet initial de l'écrivain. Quelques exemplaires, presque tous “pour des amis”.

D'une certaine manière, le destin de ce chercheur obstiné a été kafkaïen. Pendant près de 100 ans, le roman n'a pas pu être publié tel que son auteur l'avait conçu et imaginé. Et ce n'est que maintenant que le mystère est éclairci. Il s'agit d'une édition de référence « qui ouvrira les portes du labyrinthe kafkaïen au présent hermétique et fera éclore sous un jour nouveau les études sur l'œuvre et la vie de l'auteur », écrit Sánchez. Cependant, selon Sánchez, d'autres portes lui ont été fermées dans ses tentatives de faire connaître ses recherches exigeantes, ainsi que ses atouts et ses connaissances.

C'est, pourrait-on spéculer, comme si Kafka, depuis d'autres sphères, avait lancé une sorte de malédiction parce qu'un Colombien agité a déchiffré ce qu'aucun Européen ou chercheur d’où que ce soit n'a pu découvrir.



 

REINALDO SPITALETTA
La maldición kafkiana
Lo que descubrió Guillermo Sánchez Trujillo

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, El Espectador, 6/12/2022

Tras descubrir, en una investigación ardua y de muchos años, que El Proceso, de Franz Kafka, es un palimpsesto de Crimen y castigo, de Dostoievski, a este señor, bajito, de barba y bigote, profesor de matemáticas, lector y autor de novelas policiales, el cielo se le vino encima y casi lo redujo a un exilio doloroso. El prodigioso hallazgo, fruto de pesquisas, desvelos, lecturas, análisis comparativos, tablas estadísticas, genomas dostokafkianos y un sinnúmero de dificultades y algunas alegrías sin par, puso a Guillermo Sánchez Trujillo bajo miradas sospechosas tanto adentro como afuera de Colombia.

En 2005, luego de haber encarnado al escritor ruso, como al de Praga, o eso parece a veces: unas, un fragmento de Franz; otras, uno de Fiódor, publicó, en la que se erigió como una primicia mundial, El Proceso, en la primera edición completa de la novela de acuerdo con el original del autor. Así pudo aclarar uno de los “mayores enigmas literarios del siglo XX”.

El aporte no era de menor cuantía. Ni siquiera los grandes expertos, lingüistas alemanes y de otras geografías, ni editores como Klaus Wagenbach, o biógrafos de la talla de Reiner Stach, pudieron resolver el misterio de la ordenación de los capítulos de El Proceso, ni tampoco advirtieron cuáles eran las “fuentes” de las historias del denominado “taciturno” de Praga (que no era tan taciturno). Ninguno de ellos ni siquiera supuso que la ciudad de El Proceso no es Praga, sino San Petersburgo. Y menos todavía que las peripecias del señor Josef K. proceden de las de Raskolnikov y otros personajes de Crimen y castigo.

Los rastreos iniciales los realizó en 1983, año del centenario del natalicio de Kafka. Leyó la biografía de Kafka, de Wagenbach. Escrutó, escarbó, supo de una carta que Kafka le había enviado a un amigo de juventud en la que confesaba su admiración por Dostoievski y en la que consignó la frase “un libro debe ser el hacha que rompa el mar helado que llevamos dentro”. Y afloraron interrogantes como “¿hacha?” Y llegó la conexión con Raskolnikov, el gran personaje de Crimen y castigo. Advinieron lecturas de uno y de otro, relaciones, comparaciones, búsquedas, conexiones. Y pasó casi toda una vida en estas tareas hasta su descubrimiento mayor.

Además, no era solo la procedencia de El Proceso. Otras obras de Kafka, como La Metamorfosis, por ejemplo, tienen sus raíces en Crimen y Castigo. “Kafka no escribía textos, sino palimpsestos, y era necesario revelar el texto oculto, que era el que nutría y daba sentido a sus historias”, escribió Sánchez en la introducción de su prodigiosa edición crítica de El Proceso, en 2005.

La investigación develó las formas en que Kafka escribía, sus estructuras, sus crisis creativas, su relación dificultosa con las mujeres (como, por ejemplo, Felice Bauer), el por qué encriptaba sus historias… Kafka era un ser hecho de literatura, a la que consideraba su religión, su ombligo con el mundo. Para el escritor, vida y literatura eran una sola cosa. Kafka era la literatura en sí mismo.

“Para Kafka la vida era una aventura literaria y, como don Quijote, salió a vivir las aventuras leídas para, una vez vividas, volverlas a escribir”, señaló Sánchez en otro apartado de la introducción mencionada. A este investigador de Medellín, que ahora vive en una vereda del corregimiento Santa Elena, se le debe la primera edición completa, ordenada como la concibió su autor, de El Proceso. Todos sabemos que Max Brod, amigo y albacea del escritor checo, no quemó los manuscritos y desobedeció las presuntas órdenes kafkianas. Publicó, primero, El Proceso, sin poder descifrar cuál era el orden de la novela.

Después de su fenomenal descubrimiento, Guillermo Sánchez tuvo diversos reveses con editores, con las regalías (lo “tumbaron” con ellas, según dice), con resquemores de aquí y de allá. En Europa pasó de agache, nadie le paró bolas a su descomunal tarea, y por estas zonas tórridas le fue como “a los perros en misa”. Después de distintos reveses, hace tres o cuatro meses, de su propio bolsillo, publicó la “versión completa y ordenada” de El Proceso, de Franz Kafka, según el plan original del escritor. Unos cuantos ejemplares, casi todos “para los amigos”.

En cierta forma, ha sido kafkiano el destino de este obstinado investigador. Durante casi 100 años la novela no pudo publicarse como la diseñó y concibió su autor. Y apenas ahora se despeja el misterio. Es una edición histórica “que abrirá las puertas del laberinto kafkiano hasta el presente hermético y hará florecer los estudios sobre la obra y la vida del autor bajo una nueva luz”, escribe Sánchez. Sin embargo, según este, son más las puertas que se le han cerrado en sus intentos por dar a conocer la exigente investigación, como sus haberes y saberes.

Es, podría aventurarse una especulación, como si Kafka, desde otras esferas, hubiera lanzado una suerte de maldición porque un inquieto colombiano descifró lo que ningún europeo ni estudioso de ninguna parte había podido descubrir.