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24/06/2025

GUILLERMO MARTINEZ
“Ça peut arriver à n’importe qui” : la peur des immigrés de Torrejón après le meurtre dAbderrahim par un policier

Guillermo Martínez, elDiario.es, 21/6/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

➤ Écouter résumé audio

La communauté africaine immigrée de Torrejón a exprimé sa crainte que ce qui s’est passé mardi dernier, lorsqu’un policier municipal de Madrid a étranglé un homme d’origine maghrébine, puisse se reproduire. Aujourd’hui, ils se sont rassemblés pour condamner ce crime

Rassemblement après la mort d’Abderrahim, étranglé par un policier mardi dernier

Les immigrés de Torrejón de Ardoz ont peur. « S’ils ont fait ça à Abderrahim, ils peuvent le faire à n’importe lequel d’entre nous à tout moment », a critiqué une femme marocaine ce matin lors du rassemblement pour dénoncer le « meurtre », comme l’ont qualifié les organisateurs [et comment auraient-ils du le qualifier ?,NdlT], de cet immigré de 35 ans par un policier mardi dernier. Elle n’était pas la seule à exprimer sa crainte que les forces de l’ordre agissent de cette manière. « S’il avait volé ou fait quoi que ce soit, la loi est là pour ça. Personne ne peut ôter la vie à quelqu’un de cette manière », a déclaré un autre jeune homme.

Il fait référence à l’étranglement qu’un policier municipal de Madrid a infligé à sa victime à l’aide d’un mataleón [étranglement arrière, rear naked choke], une technique d’immobilisation très dangereuse qui a finalement causé sa mort. C’est pourquoi la plateforme Corredor en Lucha [Corridor en lutte], formée par divers collectifs de la région et des centres sociaux de Torrejón, a organisé ce rassemblement auquel ont participé 250 personnes selon les organisateurs et la délégation du gouvernement.

« Aucune personne n’est illégale », « indigène ou étranger, même classe ouvrière » et « assez de racisme policier » sont quelques-uns des slogans qui ont été scandés pendant la manifestation, malgré une chaleur qui n’a pas empêché les proches d’Abderrahim de se rendre sur place. Quelques minutes après midi, ils sont arrivés avec des photos de son visage et se sont montrés très affectés par cette perte. Mimoun Akkouh, le père de la victime, a déclaré à elDiario.es qu’« il est impossible de vivre » après ce qui s’est passé : « Comment tu vas manger ? Comment tu vas dormir ? Ils ont tué mon fils. Ma famille vit à Torrejón depuis 32 ans et nous n’avons jamais eu de problèmes ».

Ils ne demandent que justice

Auparavant, Akkouh avait pris le micro pour partager sa douleur et sa tristesse avec les personnes présentes, mais aussi sa colère et son indignation. « S’il est vrai qu’il a volé le téléphone portable, qu’on l’arrête, qu’il paie une amende ou qu’il aille en prison, mais toujours dans le respect de la loi. C’est tout ce que nous demandons, la justice », a-t-il lancé devant les cris de la foule rassemblée.

Le policier municipal est en liberté sous contrôle judiciaire et fait l’objet d’une enquête pour homicide involontaire, ce que certaines personnes présentes à la manifestation voient d’un mauvais œil. « Si vous passez 15 minutes à étouffer une personne, vous vous rendez compte qu’elle perd peu à peu son souffle. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’imprudence », a soutenu Mouhciwe.

 

Le père de la victime pendant le rassemblement


 Originaire du Maroc, il vit depuis quatre ans à Torrejón et considère que ce qui s’est passé est « inadmissible », « d’autant plus venant d’un policier, qui est censé protéger les gens », a-t-il souligné. Il a également qualifié d’« inacceptable » le fait que certaines personnes défendent l’action du policier au motif qu’Abderrahim avait tenté de lui voler son téléphone portable auparavant. « On ne peut pas se faire justice soi-même et tuer comme ça. La peine de mort n’existe même pas dans ce pays », a-t-il ajouté.

Alors que des dizaines de personnes autour de lui scandaient des slogans tels que « vous, les racistes, vous êtes les terroristes », Mouhciwe a déclaré avoir peur. « Nous avons tous vécu des situations de racisme. Si Abderrahim avait été blanc, je suis sûr qu’ils ne l’auraient pas tué », a-t-il déclaré.

La peur face à la montée du racisme

À quelques mètres de lui, deux femmes se réfugiaient à l’ombre. Elles ont préféré ne pas donner leurs noms, mais ont affirmé qu’elles ne s’attendaient pas à ce qu’un événement de cette ampleur se produise à Torrejón. « S’il s’agit d’un délinquant, que la justice fasse son travail, mais pas qu’un policier le tue. On ne tue même pas les chiens de cette manière », a critiqué l’une d’elles.

Ces deux femmes ont affirmé qu’elles ressentaient une certaine crainte face au racisme qui ne cesse de croître, pour reprendre leurs propres termes. « On vous insulte dans la rue et certaines personnes pensent que tout ce qui va mal est la faute des moros [terme péjoratif pour désigner les Maghrébins]. Peu leur importe que vos enfants soient nés ici, rien que parce qu’ils ont la peau plus foncée, ils les agressent et leur disent de retourner dans leur pays. J’ai aussi peur pour eux », a commenté l’autre. Toutes deux vivent à Torrejón depuis deux décennies et connaissent la famille d’Abderrahim. « Si ça arrive avec un policier, cela signifie qu’on ne peut plus faire confiance à personne. Allons-nous les appeler quand nous aurons un problème ? Espérons que justice sera faite », ont-elles souligné.


Famille et connaissances d’Abderrahim à Torrejón

La mobilisation a rassemblé de nombreux jeunes. L’un d’entre eux, qui n’a pas souhaité révéler son nom, a souligné qu’ils étaient « dévastés ». Comme il l’a expliqué, « tout le monde peut se tromper, et cet homme souffrait d’une maladie mentale, car j’ai vu les rapports médicaux que possède la famille ». Il a 26 ans et est arrivé à Torrejón avant d’avoir atteint l’âge d’un an. « Maintenant, nous avons peur que quelque chose comme ça puisse nous arriver, car cela aurait déjà pu nous arriver. Cela peut arriver à n’importe qui. N’importe lequel d’entre nous aurait pu être Abderrahim cette nuit-là », a-t-il souligné.

Contre la violence policière

Le rassemblement a eu lieu sur la place d’Espagne à Torrejón, qui était à midi complètement encerclée par des fourgons de police postés à chacune de ses entrées. Carlos Buendía, porte-parole de Corredor en Lucha, a critiqué devant les personnes présentes, selon ses propres termes, le mépris de certaines personnes envers la classe ouvrière migrante qui ne peut pas se rendre en Espagne en avion. Il a également dénoncé les « brigades racistes » de policiers qui opèrent régulièrement dans la gare RENFE de la ville, la manifestation ayant eu lieu à quelques mètres de la gare. Les militants ont alors crié « Stop à la violence policière ».


L’affiche du rassemblement

L’ancien député de l’Assemblée de Madrid et membre de Podemos, Serigne Mbayé, était également présent : « Nous remplirons les rues, nous remplirons les places, et ni la chaleur, ni le froid, ni le vent ne nous empêcheront de dénoncer le racisme institutionnel », a-t-il déclaré. La mobilisation a également bénéficié du soutien de diverses organisations politiques et sociales de gauche.

Environ une heure après le début du rassemblement, Buendía a lu aux personnes présentes un communiqué signé par Corredor en Lucha : « Mardi dernier, un nouveau cas de racisme institutionnel s’est produit à quelques rues d’ici. Deux policiers hors service ont étouffé à mort un jeune homme de 35 ans devant de nombreux témoins qui exigeaient qu’ils cessent d’agresser le jeune homme d’origine maghrébine, Abderrahim », a-t-il déclaré.

Le porte-parole a ensuite énuméré d’autres cas de racisme, tels que « les centaines de personnes qui meurent en Méditerranée, notre camarade Mbaye assassiné en 2018 à Lavapiés, le meurtre de Lucrecia, le massacre du Tarajal, les milliers de morts du génocide palestinien aux mains du sionisme ».

La plateforme a donc exigé « que des responsabilités soient assumées pour le meurtre brutal d’Abderrahim » et a appelé « toute la classe ouvrière du Corredor del Henares* à s’organiser pour mettre fin à l’offensive raciste du régime ». « Parce qu’aucune vie ne vaut moins qu’une autre, parce que l’offensive du capital doit cesser, parce qu’il faut en finir avec la résignation, parce qu’il est temps de se battre », a-t-il conclu alors que la place scandait en chœur : « Vous n’êtes pas seuls, nous sommes avec vous ».

NdlT
Le Corredor del Henares (Corridor du Henares) est un axe résidentiel, industriel et commercial développé dans la plaine du fleuve Henares, autour de l'autoroute Nord-Est et de la ligne ferroviaire Madrid-Barcelone, entre les villes espagnoles de Madrid et Guadalajara.

Il englobe des villes hautement industrialisées telles que Coslada, San Fernando de Henares, Torrejón de Ardoz, Alcalá de Henares, Azuqueca de Henares et Guadalajara, qui forment une agglomération urbaine de plus de 600 000 habitants, et un continuum urbain industriel avec des zones industrielles et commerciales qui se développent autour des principaux axes de communication.

 

21/06/2025

Hammouchi (DGSN/DGST) contre Mansouri (DGED) : la guerre des barbouzes bat son plein et fait des victimes collatérales

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 19/6/2025

Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

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Listen to our podcast The Power Struggle Within Moroccan Intelligence: A Deep Dive into Hammouchi and Mansouri

Des dizaines de personnes proches de Mehdi Hijaouy, ancien « numéro 2 » de l’agence de renseignement extérieur marocaine, dont deux commissaires, ont été arrêtées et emprisonnées. La répression touche les membres des familles, ce qui n’était pas le cas pour les opposants.


Abdellatif Hammouchi, 59 ans, le super-flic du Maroc, fait la une des médias marocains tous les jours. Journaux et télévisions glorifient son succès lors des journées portes ouvertes organisées par la Sûreté Nationale en mai à El Jadida, avec 2,4 millions de visiteurs, ou son intervention à la 13e   rencontre internationale des hauts représentants chargés des questions de sécurité à Moscou, qui consolide « son rôle de figure centrale dans le domaine de la sécurité et du renseignement au niveau planétaire ».

Dans les coulisses, Hammouchi livre cependant une guerre sans merci contre la Direction Générale des Études et de la Documentation (DGED), le service secret extérieur dirigé par Yassine Mansouri. Cela a commencé par l’arrestation de dizaines de collaborateurs, amis et même  membres de la famille de Mehdi Hijaouy, 52 ans, qui fut en son temps le « numéro deux » de la DGED. Maintenant, c’est au tour de Yassine Mansouri, le directeur de la DGED. Le journal Barlamane, porte-parole fidèle de l’appareil de sécurité, a demandé samedi qu’une enquête soit ouverte sur l’acquisition de ses propriétés.


Mansouri avait déjà disparu de la salutation protocolaire au roi Mohammed VI à Tétouan à l’occasion de l’Aïd el-Adha, la plus grande fête de l’islam célébrée le samedi 7. Depuis, des rumeurs circulent sur sa disgrâce. Camarade de classe du roi Mohammed VI, Mansouri est en poste depuis 20 ans et était l’un des hommes les plus puissants du royaume.

Mehdi Hijaouy a fui le Maroc pour l’Espagne l’année dernière suite à de sérieux désaccords avec les autorités marocaines, qui ont demandé son extradition en septembre pour, entre autres motifs, avoir encouragé l’émigration illégale vers l’Espagne. Craignant d’être livré, il s’est rendu clandestinement en novembre dans un autre pays européen où il se cache.

La révélation de son séjour à Madrid a donné lieu à la publication d’une infinité d’articles injurieux dans la presse marocaine. « Mehdi Hijaouy : faux expert, vrai escroc », a titré, par exemple, Hespress, le journal numérique le plus lu, qui avait pourtant publié pendant des années des tribunes de l’ex-espion. Les journaux ont également mis en doute qu’il ait été le « numéro deux » de l’espionnage, le décrivant comme un simple pion. Claude Moniquet, un ancien agent de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure française, a cependant confirmé en mai sur les réseaux sociaux qu’il avait occupé ce poste. Il a loué au passage « son expérience et ses réflexions » consignées dans un livre. Hijaouy a même agi en tant que chef suprême de l’agence lorsque Mansouri, le directeur, était en congé maladie prolongé.

Les attaques de la presse contre Hijaouy n’ont été que la première salve. Ensuite, il y a eu de nombreuses autres offensives menées par la Brigade Nationale de la Police Judiciaire (BNPJ), un corps d’élite sous les ordres de Hammouchi. Celui-ci détient un grand pouvoir car il est non seulement à la tête de la Sûreté Nationale (police) mais aussi de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST), dédiée au contre-espionnage et à la lutte antiterroriste.

La BNPJ, qui mène habituellement de grandes enquêtes criminelles, se consacre désormais à élucider les prétendues irrégularités dans l’exploitation du centre de beauté Musky à Rabat, appartenant à l’épouse de Hijaouy, exilée à Madrid. Dans le cadre de ces enquêtes, la brigade policière a fini par convoquer la belle-sœur de Hijaouy, a fermé le centre, a également arrêté le chef de l’urbanisme et le directeur des services de la mairie de Rabat, qui avait accordé le permis d’ouverture, et a interrogé la mairesse de Rabat, Fatiha el Moudni.

Une vingtaine de victimes collatérales

Ces personnes n’ont pas été emprisonnées, mais dans le cercle d’amis de Hijaouy, plusieurs sont derrière les barreaux, purgeant, après un procès express, des peines de quelques années, mais pour des délits farfelus. Au Maroc, la justice n’est pas indépendante. Le cas le plus frappant est celui d’un commissaire de police, Khalid Bouatlaoui, 62 ans, qui a écopé de trois ans bien qu’il soitr le frère de Fouad Bouatlaoui, chef de la sécurité du prince héritier Moulay Hassan. Ce dernier a toujours montré son appréciation pour le travail du policier dédié à sa protection et a mis son veto à son transfert.

Au total, pour l’instant, une vingtaine de personnes ont été les victimes collatérales au Maroc de la fuite de Hijaouy du pays et de sa présence dans une cachette quelque part en Europe. La presse marocaine et les porte-parole officieux des autorités assurent, cependant, que Hijaouy comptait au moins deux collaborateurs connus à l’étranger. Les familles des deux hommes au Maroc sont également la cible de la redoutable brigade judiciaire. Le premier est Hicham Jerando, un youtubeur marocain basé à Montréal (Canada) d’où il lance des injures contre les autorités de Rabat, parfois émaillées d’informations sur de prétendus scandales de corruption étayées par des documents qu’il montre devant la caméra. L’une de ses sources serait Hijaouy lui-même qui se vengerait de cette manière.

Hicham Jerando a été condamné par contumace à 15 ans de prison par un tribunal de Rabat. Sept de ses proches ont été condamnés à des peines allant de deux mois à trois ans de prison pour complicité avec le prétendu diffamateur. Parmi eux figurent son neveu, qui passera trois ans en prison, et son beau-frère, condamné à deux ans. La police judiciaire a outrepassé ses droits et a même arrêté pendant quelques heures une nièce de Jerando, âgée de 14 ans, qui souffre d’une maladie rare. Comme elle ne pouvait pas la rendre à ses parents, les ayant arrêtés, elle a fini par l’interner dans un centre pour mineurs.


Mustafa Aziz dans un duo burlesque avec un autre personnage de karakouz, Farhat Mehenni, qui n'est rien moins que le “Président du 
Gouvernement Kabyle en Exil”

Le deuxième ami de Hijaouy à l’étranger est Mustafa Aziz, un homme d’affaires marocain octogénaire basé à Paris qui a travaillé pendant des années en Afrique pour le compte de Yassine Mansouri, le chef du service secret extérieur. Sa tâche consistait à recueillir un soutien à la « marocanité » du Sahara Occidental. Avec Hijaouy, il a récemment fondé « Le Maroc de demain », une association d’immigrés en Europe.

Avant que son fils Hadi ne soit condamné à deux ans, Mustafa Aziz a mis en ligne quelques vidéos dans lesquelles il exprime son incompréhension et son indignation que Rabat ait porté un coup si bas à quelqu’un comme lui qui s’est démené pour défendre discrètement les intérêts de son pays. Aziz est « un fugitif condamné pour fraude », lui a répondu la presse officielle marocaine, rappelant une escroquerie qu’il a commise il y a des années via l’une de ses entreprises.

Cyberattaques et révélations

De nombreux opposants marocains ont été emprisonnés dans des prisons officielles ou clandestines depuis que le pays a accédé à l’indépendance en 1956. Leurs familles souffrent de ces incarcérations pour de multiples raisons comme la difficulté à rendre visite aux détenus, l’isolement auquel ils sont soumis ou le manque de soins médicaux. Le système policier ne s’était cependant jamais acharné sur elles, comme c’est le cas actuellement avec les proches de Mehdi Hijaouy qui se sont retrouvés derrière les barreaux.

L’objectif de Hammouchi est d’abord de forcer Hijaouy à se taire– il détient des informations sur l’utilisation de Pegasus par le Maroc – puis à revenir et à se rendre, selon une source de renseignement européenne. Au milieu de cette série de règlements de comptes, des documents sur les actifs immobiliers de Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, et, surtout, de Yassine Mansouri ont fait surface sur les réseaux.

Les révélations sont le produit d’un piratage par Jabaroot DZ, un prétendu groupe de hackers algériens, de la base de données de l’Agence Nationale de l’Enregistrement Foncier ou peut-être de Tawtik, une plateforme du Conseil National de l’Ordre des Notaires.

Mansouri a acquis au Maroc entre 2022 et 2023 des propriétés d’une valeur de 3,266 millions d’euros, selon ces documents, jamais démentis, qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Le journaliste marocain Ali Lmrabet, exilé à Barcelone, a consacré une longue analyse sur sa chaîne YouTube pour tenter de démontrer que cet argent ne pouvait provenir de son salaire, équivalent à celui d’un ministre, et que son origine était autre.

De manière surprenante, le  journal Barlamane s’est rallié samedi aux soupçons du journaliste exilé. Il a même demandé l’ouverture d’une enquête sur l’acquisition par des fonctionnaires des propriétés figurant dans les documents piratés. Il ne donne pas de noms, mais il fait référence à Nasser Bourita et Yassine Mansouri. Dirigé par Mohamed Khabbachi, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, Barlamane est le journal de Hammouchi.

Le piratage du registre notarial a été le deuxième, en moins de deux mois, à révéler des données troublantes. Le précédent, en avril, visait la Trésorerie Nationale de la Sécurité Sociale et a mis au jour des informations sur ses deux millions d’affiliés, parmi lesquels Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi. Pour gérer Siger, le holding royal, il perçoit l’équivalent d’environ 120 000 euros par mois.

La dernière cyberattaque réussie a eu lieu le 8 juin et sa cible était le ministère de la Justice, dont des données sur 5 000 juges et 35 000 autres fonctionnaires ont été volées. Ces deux dernières attaques massives ont également été menées par les Algériens de Jabaroot DZ qui sont devenus un défi pour tous les services de sécurité du Maroc. Ils sont si efficaces pour infiltrer les bases de données que certains à Rabat soupçonnent qu’ils sont liés aux services secrets algériens.

 

 

 

10/03/2025

IGNACIO CEMBRERO
Comment le Maroc brade à des entreprises israéliennes l’exploitation des ressources en hydrocarbures dans les eaux du Sahara occidental

Rabat accorde à NewMed Energy un permis sur une zone de la taille de la Catalogne aux abords des îles Canaries. Sa décision approfondit encore les relations étroites qu’il a établies avec l’État hébreu dans de nombreux domaines, à commencer par le militaire.

Ignacio Cembrero , El Confidencial, 4/3/2025
Traduit par Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala

Le Maroc a approuvé le mois dernier une licence de prospection d’hydrocarbures pour la société israélienne NewMed Energy dans une zone de 34 000 kilomètres carrés, légèrement plus grande que la Catalogne ou la Belgique, dans les eaux du Sahara occidental et aux abords des îles Canaries.

La décision, publiée au Journal officiel du Maroc le 17 février, souligne la volonté de Rabat d’exploiter les ressources naturelles de l’ ancienne colonie espagnole et ses relations de plus en plus étroites avec Israël, qui n’ont pas été altérées par la guerre de Gaza.

« Nous avons depuis longtemps identifié un énorme potentiel au Maroc [en référence au Sahara occidental] et l’annonce d’aujourd’hui fait partie d’un vaste mouvement stratégique qui fera de NewMed Energy le principal acteur énergétique dans la région de la Méditerranée orientale et de l’Afrique du Nord », a déclaré Yossi Abu, le PDG de la société NewMed Energy, aux journalistes. Ce commentaire est exagéré, car la Sonatrach, entreprise publique algérienne, est de loin la plus grande société énergétique d’Afrique.


De g. à dr. Yossi Abu, PDG de Newmed, Amina Bekhadra, DG de l’ONHYM et Yariv Elbaz, PDG d’Adarco

Le vaste permis d’exploration offshore est partagé entre NewMed Energy, du groupe Delek, et Adarco Energy, propriété de l’homme d’affaires marocain/israélien Yariv Elbaz, qui s’est engagé depuis des années à approfondir les relations entre le Maroc et Israël. Les deux sociétés détiennent chacune 37,5 % des parts, les 25 % restants étant détenus par l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM), une entreprise publique marocaine.


Le contrat d’attribution du bloc offshore Boujdour Atlantique a été conclu en décembre 2022,
comme l’avait révélé à l’époque le journal numérique israélien Globes spécialisé dans l’information économique. Il aura fallu plus de deux ans pour qu’il soit publié au Journal officiel avec la signature de la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali.

13/02/2025

IGNACIO CEMBRERO
“Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz” : une femme au foyer condamnée à 2 ans de prison pour une blague
On ne plaisante pas sur la monarchie marocaine

Rachida Jalali, mère de quatre enfants, purge une peine de deux ans de prison pour avoir écrit sur Facebook qu’avec un billet à l’effigie des trois derniers rois alaouites, on ne pourra plus acheter de bouteille de butane

 Ignacio Cembrero, El Confidencial, 10/2/2025

Quand elle a appris que le prix d’une bouteille de gaz de 12 kilogrammes allait dépasser les 50 dirhams (4,82 euros), Rachida Jalali, une femme au foyer marocaine, a fait une petite blague sur sa page Facebook. « Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz », a-t-elle commenté. Elle a accompagné son message d’un billet de 50 dirhams illustré par l’effigie des trois rois que le Maroc a eus depuis son indépendance en 1956 : Mohamed V, Hassan II et l’actuel, Mohamed VI.

Son commentaire est devenu viral dans un pays où les manifestations contre la vie chère se multiplient et qui a connu mercredi 5 février son premier mouvement de grève générale en neuf ans, même s’il n’a pas été très suivi, sauf dans le secteur de l’éducation.


La popularité de la plaisanterie de Rachida Jalali a fini par éveiller, avant qu’elle ne la supprime, l’intérêt de la police qui s’est présentée à son domicile de Khouribga, dans le centre du pays, où vit désormais cette mère de quatre enfants. Elle a émigré en Italie il y a des années, mais avait décidé de revenir pour monter une entreprise dans sa ville natale. Les agents l’ont d’abord interrogée sur ses intentions en publiant ce message, pour savoir s’il s’agissait d’une critique des autorités. Ensuite, ils l’ont mise à la disposition de la justice.

La semaine dernière, Rachida Jalali a été condamnée par un tribunal de Khouribga à deux ans de prison pour « offense aux institutions de l’État », ce que le code pénal marocain punit, si elle est formulée en public, d’un à cinq ans de prison et d’une amende. Cela aurait été pire si les juges l’avaient condamnée, comme ils ont failli le faire, pour offense au roi.

« Ma cliente n’avait aucune intention malveillante », a expliqué l’avocat de Rachida Jalali aux quelques journalistes qui se sont intéressés au procès au Maroc. « Elle a fait une blague comme il s’en fait des centaines chaque jour sur les réseaux sociaux », a-t-il ajouté. « La condamner, c’est envoyer un message inquiétant à la société », a-t-il conclu.

Rachida Jalali a commencé à purger sa peine à la prison pour femmes d’Oukacha (Casablanca), d’où elle a réussi à faire passer un message audio le week-end, qui a également beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Elle y annonce qu’elle entame une grève de la faim pour protester contre une condamnation qu’elle juge injuste, mais finit par crier « Vive le roi » comme pour se faire pardonner.

La bouteille de gaz coûte désormais 50 dirhams au Maroc, mais après le ramadan, fin mars, elle passera à 60, selon les annonces de la presse, et à 70 l’année prochaine. Il s’agit d’« alléger les dépenses de la Caisse de compensation », selon le journal makhzénien Le 360, qui subventionne de nombreux produits de base. Aujourd’hui, près de la moitié du prix de la bouteille est à la charge de l’État.

Les tribunaux marocains continuent de prononcer des condamnations à caractère politique contre des militants, mais celle d’une femme au foyer est exceptionnelle. La plus légère des condamnations récentes a été infligée à IsmaelLghazaoui, un an de prison et une amende de 5 000 dirhams (482 euros) pour avoir manifesté devant le consulat des USA à Casablanca et contre un cargo MAERSK transportant des armes vers Israël et faisant escale à Tanger. La peine la plus sévère, cinq ans de prison, a été prononcée en avril contre Abderrahmane Zankad, coupable d’avoir dénoncé sur les réseaux sociaux les relations étroites entre le Maroc et Israël, dont il a imputé la responsabilité à Mohamed VI.

Les journalistes ne sont pas non plus épargnés, bien que trois d’entre eux aient été partiellement graciés par le roi en juillet et soient sortis de prison. Le dernier à avoir été condamné est Hamid El Mahdaoui, mais il pourrait peut-être échapper à la prison. Il a fait appel d’une décision qui l’a condamné en novembre à 18 mois de prison et à une lourde amende pour « diffusion de fausses allégations » et « diffamation », selon le Code pénal. Il aurait dû être jugé en vertu de la loi sur la presse et les publications, a souligné Reporters sans frontières dans un communiqué.

09/02/2025

Je prends Gaza, tu gardes le Sahara occidental : grandes manœuvres entre Washington et Rabat, via Tel Aviv et Abou Dhabi

L’intérêt des USA pour le Maroc passe maintenant par Gaza, au cas où celui-ci pourrait contribuer d’une manière ou d’une autre à imposer la Pax Americana dans ce territoire, pour lequel le président usaméricain a déjà esquissé un plan.

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 09/02/2025
Traduit par 
Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


Photo d’archives de Trump avec le président des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed al-Nahayan (Reuters/Jonathan Ernst).

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit actuellement à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », à savoir l’ancienne colonie espagnole.

En décembre 2020, Trump s’était engagé à ouvrir un consulat usaméricain à Dakhla, la deuxième ville du Sahara, mais son successeur, Joe Biden, a retardé l’ouverture de ce consulat. Rabat espère désormais qu’il franchira le pas, mais il s’agit d’une initiative mineure par rapport aux rêves que la diplomatie marocaine nourrit pour les terres dont elle s’est emparée il y a un demi-siècle grâce à la Marche verte.

Selon une source diplomatique au fait des intentions marocaines, le plan diplomatique du Maroc est de tenir une conférence internationale aux Émirats arabes unis (EAU), son principal allié arabe, sous l’égide des USA et des puissances européennes, à commencer par la France, qui donnerait sa bénédiction à la « marocanité » du Sahara occidental.

« Le Maroc espère maintenant obtenir le feu vert international final » sur le Sahara « lors d’une conférence qui se tiendra aux EAU en avril écrit. Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, dans un article publié par le think-tank barcelonais CIDOB [voir version française ci-dessous].  Rabat tenterait ainsi de « forcer les États européens récalcitrants [Royaume-Uni, Italie, etc.] et l’ONU elle-même à se rallier », prédit Lovatt, dans un entretien avec El Confidencial. « Il y a déjà eu des contacts diplomatiques en ce sens », affirme-t-il, tout en doutant que la date initiale d’avril soit respectée.

Le gouvernement socialiste espagnol pourrait difficilement éviter de participer à une telle conférence s’il souhaite continuer à entretenir des relations harmonieuses avec son voisin marocain. La conférence s’inscrirait également dans la lignée de la lettre que le Président Pedro Sánchez a adressée le 14 mars 2022 au roi Mohammed VI, s’alignant sur la solution d’autonomie que ce dernier préconise pour résoudre le conflit du Sahara.

Les autorités marocaines refusent de donner plus de détails sur ce plan d’autonomie de trois pages, qu’elles ont présenté en 2007, comme l’a souligné en octobre devant le Conseil de sécurité Staffan de Mistura, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Elles s’efforcent cependant de promouvoir des associations sahraouies qui, aux yeux de l’Occident, pourraient faire de l’ombre au Front Polisario, le mouvement qui représente la majorité.

Il y a d’abord eu le Mouvement sahraoui pour la paix, dirigé par Hach Ahmed Barical, qui a été discrédité après qu’un rapport du Centre national du renseignement espagnol, révélé par El País en 2022, l’a décrit comme le chef d’une  « organisation-écran » des services de renseignement extérieur marocains.. Les services marocains ont maintenant parrainé à El Ayoun Initiative sahraouie, dirigée par une femme, Gasmula Ebbi, ancienne députée à Rabat, qualifiée par la propagande de "Pasionaria du Sahara".

En échange de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara en 2020, le roi Mohamed VI a dû offrir une contrepartie à Trump : établir des relations diplomatiques avec Israël. Il s’est ainsi rallié aux « accords d’Abraham » finolés par le gendre du président, Jared Kushner, auxquels d’autres pays musulmans (EAU, Bahreïn, Soudan) avaient déjà adhéré.

Aux yeux de l’administration Trump, le Maghreb n’a que peu d’importance. Pour le mobiliser en sa faveur, le Maroc doit lui offrir quelque chose en retour, comme il l’a fait en 2020 avec Israël. Que peut-il faire maintenant ? « Jouer un rôle quelconque dans la bande de Gaza post-conflit avec le consentement des parties », a répondu Hugh Lovatt dans son article. En mai dernier, l’administration Biden a déjà sondé le Maroc, l’Égypte et les Émirats arabes unis sur leur volonté d’intégrer une force de maintien de la paix à Gaza une fois la guerre terminée, comme l’a révélé le Financial Times.

08/02/2025

Dehors les journalistes, bienvenue aux influenceurs espagnols : la stratégie du Makhzen pour blanchir l’occupation de Dakhla

Pillage, surveillance extrême et blocage de l’information... Telle est la réalité de Dakhla, l’ancienne Villa Cisneros. Le Maroc utilise des influenceurs espagnols pour blanchir son image.

Sara S. Bas et Francisco CarriónEl Independiente, 8/2/2025
Traduit par Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


 « Dakhla, jouez les Robinsons des sables », propose le site ouèbe Visit Morocco. Dakhla, l’ancienne Villa Cisneros espagnole, est un paradis de plages et de dunes vierges et de vagues qui font le bonheur des surfeurs les plus intrépides. Une destination que le régime alaouite veut faire figurer sur la carte, en essayant d’ignorer un immense détail : elle se trouve en effet au Sahara occidental, un territoire occupé « manu militari » par le Maroc depuis un demi-siècle et en attente de décolonisation, selon l’ONU. Un territoire interdit à la presse internationale où de graves violations des droits humains sont commises contre la population sahraouie et où, dans le même temps, les autorités occupantes déroulent le tapis rouge aux influenceurs et aux youtubeurs.

Ces dernières semaines, deux journalistes espagnols ont été expulsés de Dakhla. Ce mercredi, le Maroc a refusé l’entrée dans la ville à Francisco Carrión, reporter d’El Independiente. Il y a une semaine et demie, José Carmona, de Público, a été expulsé. Depuis janvier, en revanche, le régime de Mohamed VI a invité des dizaines d’influenceurs espagnols dans le but de promouvoir Dakhla comme une destination de vacances économique et proche de la péninsule, à seulement trois heures de vol. Selon nos informations, le gouvernement marocain organise des voyages pour promouvoir l’image de cette ville, située au sud du Sahara occidental. Dans le cadre du premier vol direct reliant Madrid à Dakhla, plusieurs influenceurs, se désignant eux-mêmes comme « créateurs de contenu », et des journalistes de voyage ont pu se rendre sur place et visiter la ville pendant plusieurs jours.

Une centaine de personnes - parmi lesquelles des agents de voyage, des journalistes et des influenceurs d’Espagne et du Portugal - ont été invitées à Dakhla par l’Office national marocain du tourisme (ONMT). Le « voyage de familiarisation » - « Fam Trip », comme on l’appelle dans le jargon des agents et des journalistes du tourisme - s’est déroulé du 8 au 11 janvier et avait pour objectif de « promouvoir Dakhla comme destination principale pour les marchés ibériques » en pleine offensive du régime alaouite pour obtenir un soutien international à sa revendication de marocanité de l’ancienne colonie espagnole, un territoire non autonome en attente de décolonisation, selon l’ONU.

Huîtres et dunes : un voyage royal

« Le Fam Trip offre une introduction complète au potentiel touristique de Dakhla, en mettant en avant ses atouts culturels, ses paysages naturels et ses opportunités d’investissement », expliquent les autorités touristiques marocaines. Selon le programme, les participants ont visité les principales attractions touristiques de l’enclave, ont assisté à des « sessions de réseautage » et à des « présentations conçues pour montrer l’attrait croissant de la région pour les visiteurs internationaux ». Rabat ne cache pas que son objectif est de positionner Dakhla comme « une porte d’entrée pour les touristes latino-américains via le centre d’opérations de Madrid ». Ryanair a rejoint trois autres compagnies aériennes proposant des liaisons internationales avec Dakhla : Royal Air Maroc (RAM), Binter Canarias et Transavia. Toutes opèrent sur des routes subventionnées par l’État marocain.

« Visit Morocco nous a contactés par l’intermédiaire de Bushido Talent, une agence d’influenceurs et de marketing digital basée à La Corogne, pour réunir un certain nombre de personnes et faire ce voyage », a expliqué à El Independiente l’une des personnes qui s’est rendue à Dakhla et qui préfère garder l’anonymat. Visit Morocco est la marque sous laquelle opère l’autorité touristique du pays voisin. L’objectif, détaille cette source, est de dissocier Dakhla du conflit découlant de l’occupation par le Maroc du Sahara occidental et d’en faire une destination touristique. « Je n’avais aucune idée de l’endroit où se trouvait Dakhla ni de ce à quoi elle ressemblait avant de voyager », admet-il. Depuis que le Front Polisario a rompu le cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 en novembre 2020, les hostilités ont repris le long du mur de 2 720 kilomètres de long qui sépare le territoire occupé par Rabat de celui libéré par le Polisario.

04/02/2025

HÉCTOR BUJARI SANTORUM
Soukeina Yed Ahlou Sid : « L’ONU, pour nous, c’est pire que le Maroc »

Chacun de ses mots porte le poids d’un peuple qui résiste alors que le monde continue de regarder ailleurs.

Héctor Bujari SantorumNueva Revolución,   20/1/2025
Traduit par Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala

Au bout du fil, avec l’aide d’une traductrice, j’entends la voix de Soukeina Yed Ahlou Sid. Elle est grave, directe, chargée d’une fermeté qui ne laisse aucune place à la pitié.

Au bout du fil, avec l’aide d’une traductrice, j’entends la voix de Soukeina Yed Ahlou Sid. Elle est grave, directe, chargée d’une fermeté qui ne laisse aucune place à la pitié.

Elle parle sans fioritures, comme quelqu’un qui a raconté son histoire trop de fois, mais qui n’a pas encore réussi à s’en libérer. Militante sahraouie, survivante de 12 ans de prisons secrètes. Chacun de ses mots porte le poids d’un peuple qui résiste alors que le monde continue de regarder ailleurs.


Tu as subi de nombreux abus tout au long de ta vie, de la torture aux disparitions forcées. Comment as-tu réussi à rester fidèle à ton combat pendant si longtemps, malgré toutes les souffrances que tu as endurées ?

J’ai été emprisonné pendant 12 ans. Ils m’ont attrapée à l’âge de 24 ans et j’avais quatre enfants. L’aîné avait 6 ans et le plus jeune 5 mois. La plus grande souffrance a été la séparation d’avec ma famille. Dès que la séparation a commencé, ma famille est allée dans les camps [de réfugiés en Algérie, NdlT]. Je suis restée dans les territoires occupés avec la famille de mon mari. Je n’ai pas été emmenée dans une prison, c’était plutôt une disparition, on ne savait rien de nous. Je n’étais pas enregistrée et je n’avais aucune condamnation. J’avais 24 ans. Un an plus tard, ma fille cadette est décédée.

Dans ton témoignage, tu mentionnes que tu as passé 12 ans dans des prisons marocaines secrètes. Quelle a été la partie la plus difficile de cette période et comment t’en souviens-tu maintenant que tant d’années se sont écoulées ?

Mes enfants ont souffert de la séparation. Certains sont allés chez leur père et d’autres sont restés ici. J’étais émotionnellement dévastée. J’étais une mère et j’avais laissé quatre enfants derrière moi. Je n’avais aucune sécurité, rien, aucun soutien de qui que ce soit. C’est l’incertitude que j’ai ressentie, c’était très dur. Je me consolais en me disant que ce que je faisais n’était pas vain. C’était pour le Sahara, pour voir ma terre libérée, pour la détermination. C’est la seule consolation qui m’a permis de tenir pendant cette période.

De toute façon, il n’y avait pas que moi ; dans chaque famille sahraouie, on a perdu un frère, un père, un fils, même des femmes pour cette cause...

Comment as-tu vécu le cessez-le-feu de 1991 et la trahison du processus de paix qui s’en est suivie ?

En 1991, lorsque l’accord de paix a été conclu, ils nous ont laissés partir. Je suis allée rejoindre ma famille, mes enfants. Il ne s’est même pas écoulé un an et j’ai été à nouveau emprisonnée, avec mon fils aîné, celui qui avait 6 ans la première fois qu’ils m’ont fait disparaître.

L’accord de cessez-le-feu était une trahison, une tromperie écrite sur le papier. Le peuple sahraoui y a cru, pensant que nous allions arrêter la guerre, que nous allions cesser de perdre des gens et vivre en paix. C’était une tromperie qui n’a rien changé. L’agresseur marocain a suggéré cette idée, c’était son plan. Tout ce qu’ils voulaient, c’était avoir tout le territoire du Sahara.

Je veux voir un Sahara libre. Demain, des générations vont vivre et elles ne peuvent pas trahir cette cause. C’est eux ou rien. Ils doivent la défendre.

29/01/2025

Le Révérend chanoine J Peter Pham,
le Mister Africa “réaliste” de Donald Trump II

 Ayman El Hakim, 29/1/2025

Cette fois-ci sera la bonne : en 2017, la nomination par Mike Pompeo de J Peter Pham comme Secrétaire d'État assistant aux Affaires africaines de Trump I avait été bloquée au Sénat par James Inhofe (Oklahoma), un défenseur acharné des droits du peuple sahraoui, qui avait invoqué la proximité du candidat avec le Makhzen marocain. Depuis, Inhofe a quitté le Sénat en 2023 et notre bas monde en juillet 2004. Il ne devrait donc plus y avoir d’obstacle à la nomination du Révérend chanoine Pham, 55 ans. Ci-dessous son curriculum, qui a de quoi donner le vertige.

J Peter Pham, célèbre pour les nœuds papillon qu’il arbore en toutes occasions, est arrivé à l’âge de 5 ans aux USA, où sa famille, liée au régime sud-vietnamien, avait fui après la chute de Saïgon. Il a effectué un double cursus d’études.

Après avoir obtenu une licence en économie à l'université de Chicago, Pham s'est orienté vers la prêtrise et a finalement obtenu un doctorat, rédigeant sa thèse de doctorat en théologie systématique à l'université pontificale grégorienne de Rome (université jésuite fondée en 1551 par Ignace de Loyola), sur la théologie de Hans Urs von Balthasar. Chercheur postdoctoral à l'Académie pontificale ecclésiastique, il a été diplomate au Vatican et assistant du Vicaire général de Sa Sainteté au Vatican et du président du Conseil pontifical pour la justice et la paix. Il a ensuite rejoint la faculté du Centre des sciences sociales libérales et appliquées de la JMU, l'université James Madison à Harrisburg (Virginie).

En 1995, Pham est ordonné prêtre de l’église épiscopalienne (catholiques anglicans) et exercera son ministère à l’église Saint-Paul de Washington, située dans la K Street, qui est au lobbying ce que Wall Street est à la finance, vu qu’elle est le siège de nombreuses firmes de lobbying, cabinets d’avocats et think tanks.

Nommé en août 2004 professeur associé en études de justice (sic) à la JMU, il y devient ensuite professeur de sciences politiques et d’« Africana Studies » et directeur du  Nelson Institute for International and Public Affairs, dissertant sur le Libéria, les relations entre Taiwan et la Chine et la terreur islamiste au Moyen-Orient, bien qu'il n'ait aucune qualification reconnue dans ces domaines.

Il se retrouve progressivement dans des postes de responsable dans une série d’organismes, tous liés au Parti républicain, notamment l’Acton Institute for the Study of Religion and Liberty, qui regroupe des catholiques libertariens, l’Atlantic Council, la Fondation pour la défense des démocraties et quelques autres.

En 2018, après son rejet comme secrétaire d’État assistant aux Affaires africaines, Pompeo le nomme Envoyé Spécial US pour la Région des Grands Lacs, avec rang d’ambassadeur, jusqu’en 2020, puis Envoyé Spécial pour la Région du Sahel africain jusqu’en 2021. En 2022, il a été élu membre de l’Académie diplomatique américaine.

Peter Pham a fait partie du groupe consultatif supérieur du Commandement militaire US pour l'Afrique (USAFRICOM) de 2008 à 2013 et est conseiller principal du Krach Institute for Tech Diplomacy à l'Université de Purdue. Depuis 2015, il est membre du conseil d'administration du Smithsonian National Museum of African Art à Washington, DC, dont il a été le vice-président (2016-2021) et dont il préside le comité des finances depuis 2022.

Le Révérend Pham a publié un nombre invraisemblable d’articles, d’essais et de livres sur tous les sujets possibles, de la doctrine sociale de l’Église au Liberia, la Sierra Leone, la Somalie et, last but not least, le Sahara occidental. Nous avons choisi de traduire son essai sur ce sujet [cliquer sur l'image en fin d'article], datant de 2010, qui donne une très bonne idée de ce à quoi les Sahraouis, les Marocains, les Mauritaniens et les Algériens peuvent s’attendre de la part de l’administration Trump II. Plus makhzénien que Pham, tu meurs !

Pour conclure ce portrait, nous présentons le quatrième volet du personnage, le volet business. En effet, notre bon chanoine n’est pas seulement prêtre, universitaire et diplomate. Il est aussi businessman, comme tout bon politicien usaméricain.

Business

J Peter Pham est actuellement directeur non exécutif d'Africell Global Holdings et de Rainbow Rare Earths, président non exécutif de HPX et conseiller stratégique de dClimate, bitt et de quelques autres entreprises.

Africell Global Holdings

La compagnie, fondée en 2000 et dirigée par le Libano-Américain Ziad Dalloul, est comme il se doit domiciliée sur l’île britannique de Jersey, petit paradis fiscal dans le Channel. C’est une des entreprises de téléphonie mobile à la croissance la plus rapide, avec plus de 11 millions d’abonnés en Gambie, Sierra Leone, RDC, Angola et Ouganda.

Rainbow Rare Earths

Le phosphogypse (parfois abrégé en PG) est un gypse non naturel, déchet industriel, issu du traitement industriel des minerais calciques fluorophosphatés utilisés pour la fabrication de l'acide phosphorique et des engrais phosphatés. De Salonique au Guadalquivir en passant par la Tunisie, l’Afrique de Sud et le Brésil, des centaines de millions de tonnes de ce résidu radioactif s’entassent, constituant une menace grave pour l’environnement. L’entreprise Rainbow Rare Earths, cotée à la Bourse de Londres, est engagée dans deux sites, Phalaborwa en Afrique du Sud et Uberaba au Brésil, où elle expérimente  un procédé -qu’elle présente comme « écologique » - consistant à extraire des oxydes de terres rares de ce phosphogypse. Selon Rainbow, « ce devrait permettre de produire des oxydes de terres rares séparés par le biais d'une seule usine hydrométallurgique sur le site, en se concentrant sur la récupération du néodyme, du praséodyme, du dysprosium et du terbium. Il s'agit de composants essentiels des aimants permanents à haute performance utilisés dans les véhicules électriques, les turbines éoliennes, la défense et de nouveaux marchés passionnants tels que la robotique et la mobilité aérienne avancée ».

dCLIMATE

C’est une entreprise de collecte et d’exploitation de données climatiques permettant de naviguer sur le marché des émissions de carbones et fournissant ce qui s’appelle « climate intelligence » (renseignement climatique), permettant entre autres d’évaluer les risques. dClimate se présente ainsi : « dClimate est un réseau décentralisé d'infrastructures de données climatiques qui transforme la façon dont les applications technologiques climatiques sont mises en œuvre pour favoriser un avenir résilient. » Son slogan publicitaire : « Libérer la puissance des données climatiques pour un avenir durable ». Pham siège au conseil consultatif de l’entreprise aux côtés de Mark Cuban, « investisseur, entrepreneur, star de l'émission Shark Tank sur ABC, propriétaire de l’équipe des Dallas Mavericks de la NBA (National Basketball Association) », de « SergeyNazarov, cofondateur de Chainlink » et de « D.J. Mbenga, 2 fois champion NBA de la RDC et éminent philanthrope congolais ». Du basket à la déforestation, il n’y a qu’un pas.

HPX
High Power Exploration Inc. (HPX) est une des entreprises du groupe minier dirigé par Robert Friedland, chargée de l'exploitation du gisement de minerai de fer du Mont Nimba, en Guinée.
Robert Friedland, fils d’un rescapé d’Auschwitz, a tout pour être le héros d’une série Netflix. À 19 ans – on est en 1970 – il est arrêté à Portland en possession de LSD pour une valeur de 100 000 $ qu'il avait vendu à...un agent du FBI. Il sera rapidement libéré et bénéficiera d’un non-lieu. Copain de Steve Jobs, dont il partage l’intérêt pour les philosophies orientales, il l’invite dans un verger de pommes appartenant à son oncle millionnaire en Oregon, où il créera une communauté. C’est là que Steve Jobs a trouvé le nom de son invention, Apple. Mais rapidement, Robert passe aux choses sérieuses et se lance dans les activités minières. De l'Oregon, il passe au Colorado, où il gagne le surnom de "Toxic Bob", après la catastrophe de pollution que provoque la mine qu'il a acquis à Summitville avant de se déclarer en faillite, de payer une petite amende de 20 millions de $ et de partir à la conquête de mines en Alaska, en Australie, au Myanmar, en Mongolie et en Afrique. [Lire TOXIC BOB, l’homme qui a trouvé mieux que le LSD : l’or, le cuivre et le fer. Un dossier Tlaxcala sur Robert Friedland, l’Elon Musk du sous-sol]
Frère Pham, comme président non exécutif de HPX, livre depuis quelques mois une bataille contre le monopole d’Arcelor Mittal sur les transports de minerai de fer provenant des mines du Mont Nimba sur la ligne de chemin de fer de Yekepa au port de Buchanan (360 km)  au Liberia, faisant pression sur le président Boakai pour qu’il fasse jouer la concurrence et brise le monopole du géant indien. Ce dernier a restauré et remis en route cette ligne de chemin de fer - construite par le consortium yankee/suédois LAMCO et mise en ruine par la guerre civile -, qu’il a pu refaire tourner grâce aux commandes de minerai de fer chinoises. HPX, argumente l’oncle Pham dans la presse libérienne, entend exporter 30 millions de minerai par an dans les 25 prochaines années, ce qui pourrait rapporter à l’État libérien, au tarif de 2,10 $ par tonne, la coquette somme d’ 1,6 milliard de dollars. Pourquoi laisser ce pactole entre les griffes de Tonton Lakhsmi (Narayan Mittal) ?  Bref, notre théologien sait aussi compter.

bitt

Et last but not least, en 2022, Brian Popelka, un p’tit gars du Nebraska qui vit à Salt Lake City, la capitale des Mormons (Utah),  PDG de l’entreprise bitt (Banking Innovation Through Technology) a recruté le Révérend chanoine Pham comme conseiller. Bitt propose aux banques centrales d’installer des système de monnaie numérique de banque centrale (CBDC en anglais), ce dont elle a déjà convaincu l’ Union monétaire des Caraïbes orientales et la Banque centrale des Caraïbes orientales, qui regroupent 6 États insulaires indépendants (Antigua-et-Barbuda, Dominique, Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Sainte-Lucie) et 2 territoires d’outre-mer britanniques (Anguilla et Montserrat). Pham a ainsi commenté sa nomination comme conseiller : « « Je suis ravi de rejoindre le conseil consultatif de bitt.  Je suis impatient de mettre à profit mon expérience en Afrique et ma connaissance des défis et des opportunités présents sur le continent pour renforcer la relation existante de bitt avec la Banque centrale du Nigeria, et aussi pour aider à forger des partenariats similaires avec d'autres institutions africaines ; contribuant ainsi au développement de la région en faisant progresser l'inclusion financière et en facilitant les échanges panafricains. »  Ite, missa est.