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12/10/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
12 octobre : “Génocidaires et esclavagistes” ou “héros et saints”

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 12/10/2024

Original español
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’émotion nationale médiatisée en Espagne suite à l’annonce que la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, n’a pas invité le roi bourbonien à son investiture amène à se poser la question de savoir si - comme le dit une affiche largement diffusée ces jours-ci dans les rues d’Espagne - les conquistadors étaient des « génocidaires et esclavagistes » ou « des héros et saints ». Cette question nous oblige à étudier et à apprendre les causes et les conséquences du colonialisme et à tirer des conclusions sur un pays qui célèbre comme fête nationale la date du début d’un génocide.


Campagne d’affiches de l'Association catholique des propagandistes (sic) pour ce qu’elle continue d’appeler le « Jour de l’Hispanité » (12 octobre)

Il faut savoir que rien qu’au cours du premier siècle de la colonisation, les Espagnols ont provoqué la mort de 56 millions d’habitants de l’Abya Yala, nom utilisé par les peuples originels pour désigner le territoire de Notre Amérique. Il est également important de savoir qu’au cours de la même période, la monarchie bourbonique a volé jusqu’à 9 550 tonnes d’or et d’argent dans la région, avec lesquelles elle a financé sa propre opulence et celle des autres maisons royales d’Europe.

Lorsque le 25 mars 2019, le président Andrés Manuel López Obrador a écrit au roi Felipe VI d’Espagne et au pape François pour leur demander de présenter des excuses aux peuples originels du Mexique pour les abus commis lors de la conquête du pays il y a 500 ans, c’est à cela qu’il faisait référence. Le président mexicain de l’époque leur a demandé « d’examiner les doléances et de demander pardon aux peuples originels pour les violations de ce que l’on appelle aujourd’hui les droits humains ». Il ajoutait : « Il y eut des tueries, des assujettissements. La soi-disant conquête s’est faite par l’épée et par la croix ».

Au vu de ces chiffres, il n’y a pas lieu d’être choqué par cette demande, ni de la considérer comme un affront national (bien que l’Espagne ne soit pas une nation, mais une somme de nations, sous domination castillane). La famille des Bourbons n’est pas originaire de l’Espagne actuelle, mais vient de France et a été imposée dans la péninsule par des mariages arrangés pour conquérir et conserver le pouvoir.

La Pinta, la Niña et la Santa María, les 3 caravelles de Christophe Colomb, par le dessinateur Eneko

Dans une lettre au président mexicain publiée le 26 septembre 2021 à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du Mexique, le pape François a présenté ses excuses pour les « péchés » de l’Église catholique dans ce pays. La plus haute autorité de l’Église catholique a déclaré : « Mes prédécesseurs et moi-même avons demandé pardon pour les péchés personnels et sociaux, pour toutes les actions ou omissions qui n’ont pas contribué à l’évangélisation ».

López Obrador a déclaré que tout le monde devait demander pardon à l’occasion du 500e anniversaire de la chute de Tenochtitlán, la capitale aztèque, après deux mois et demi de siège qui ont conduit à sa prise par le cruel conquistador et aventurier Hernán Cortés, originaire d’Estrémadure, ce qui a signifié l’effondrement définitif de l’empire mexicain. Ce faisant, il a voulu faire de 2021 une année de réconciliation nationale et internationale. Avec une conviction totale, il a déclaré qu’il était « temps de dire que nous allons nous réconcilier, mais demandons d’abord pardon ». Il a donné l’exemple en disant qu’il le ferait aussi « parce qu’après la colonie, il y a eu beaucoup de répression des peuples originels », faisant référence au châtiment subi par les peuples maya et yaqui pendant le gouvernement du président Porfirio Díaz (1872-1910).

Il est intéressant de noter que dans cette demande de pardon et cette recherche de réconciliation, López Obrador a inclus la communauté chinoise qui a également été réprimée pendant la révolution mexicaine, en particulier dans les États du nord du pays.

Mais le gouvernement espagnol et sa monarchie corrompue ont refusé de prendre des mesures positives en vue d’une réconciliation totale. Au contraire, ils s’étonnent aujourd’hui qu’enfin, des dirigeants dignes n’invitent pas le représentant royal à accompagner un acte démocratique émanant de la souveraineté du peuple, chose qu’ils ne connaissent pas en Espagne puisqu’ils n’ont jamais élu leur chef d’État [sauf pendant la brève Première République de 1873-1874 et la Seconde de 1931-1939, NdT].

Au contraire, le gouvernement espagnol, essayant de cacher la honte émanant des malheurs et des infortunes du processus de conquête et de colonisation, a regretté que la lettre de López Obrador ait été rendue publique. On peut donc supposer que Lopez Obrador avait raison, mais qu’il n’aurait pas dû le faire savoir ouvertement « pour ne pas salir l’honneur de la monarchie ». Se sentant offensé, le gouvernement de Madrid a couronné sa déclaration ridicule en affirmant qu’il rejetait « avec la plus grande fermeté » le contenu de la lettre de López Obrador.

Trois ans plus tard, devant l’étonnement et la lamentation de l’élite espagnole face à la non-invitation du roi bourbonique au changement de gouvernement au Mexique, en toute transparence, la présidente Claudia Sheinbaum a déclaré que l’Espagne avait bien été invitée à la cérémonie du 1er  octobre, mais pas le roi Felipe car le monarque, avec un mépris total, a refusé de répondre à la demande de López Obrador d’une réconciliation définitive entre les deux peuples, ce qui, selon un communiqué publié par Sheinbaum, « aurait correspondu à la meilleure pratique diplomatique des relations bilatérales ». Fin de l’affaire

Sur un autre plan, il convient de se demander si, comme le prétend l’ultra-droite espagnole, les conquistadors, compte tenu des 56 millions de personnes tuées et des 9 550 tonnes d’or et d’argent volées, sont bien des « héros et des saints ». En ce sens, il convient de dire que les voyages de cette époque n’ont pas toujours été considérés comme des « découvertes » et qu’ils n’ont pas toujours nécessité la « croix et l’épée » pour imposer par la force des cultures et des religions étrangères.


Carte du monde attribuée à Zheng He

En 1403, près de 90 ans avant que Christophe Colomb ne « persuade » la reine de Castille Isabelle II de financer son entreprise d’exploration vers l’ouest, l’amiral chinois Zheng He a entamé le premier de ses sept voyages à travers la mer connue sous le nom d’« océan occidental ». Jusqu’en 1433, les voyages de Zheng He étaient essentiellement limités à l’océan Indien, couvrant jusqu’à 30 pays d’Asie et d’Afrique, atteignant la côte ouest de l’Inde et s’étendant plus tard au golfe Arabo-Persique et à la côte est de l’Afrique.

Comparée aux trois caravelles de Christophe Colomb, d’une longueur de 25 à 30 mètres et d’une largeur de 6,5 à 9 mètres, qui transportaient environ 25 marins chacune en 1492, la flotte de l’amiral Zheng comptait en 1405 « plus de 240 navires et plus de 27 000 soldats et membres d’équipage [et] était équipée d’une variété de professionnels, dont des bateliers, des marins, des soldats, des médecins, des cuisiniers, des interprètes, des diseurs de bonne aventure et même des coiffeurs », selon une étude du professeur Wan Ming, chercheur à l’Institut d’histoire ancienne de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) et président de la Société chinoise pour l’histoire des relations sino-étrangères, qui estime que les voyages de Zheng He doivent être considérés comme les plus grands de son époque « en termes d’échelle, de nombre de navires et de marins, et de durée ».

Zheng He a organisé la flotte sur la base d’une conception nautique qui établissait l’existence de navires différenciés par leur mission. Ainsi, il existait des navires de commandement, des navires de guerre et des navires logistiques. Parmi ces derniers, il y avait ce que l’on appelait les « navires au trésor », qui servaient à transporter les marchandises destinées au commerce. Les navires au trésor étaient situés au centre de la flotte, et les navires de guerre autour d’eux. En fait, les voyages réussis de la flotte de Zheng He ont également démontré l’excellence de sa technologie nautique et de ses compétences en matière de navigation.

 

Les navires au trésor étaient les plus gros navires de la flotte de Zheng He. Ils sont notamment décrits dans le roman d'aventure de Luo Maodeng, Les voyages de l'eunuque aux trois trésors vers l'océan occidental (1597). L'auteur écrit que les navires avaient neuf mâts et mesuraient 140 mètres de long et 55 mètres de large, ce qui semble difficile à croire. Les chercheurs pensent que les navires avaient probablement cinq ou six mâts et mesuraient entre 75 et 90 mètres de long.

Bien que la flotte de Zheng He ait été équipée de moyens de combat, ceux-ci avaient un caractère défensif. L’arrivée de la flotte dans d’autres ports signifiait tout d’abord la recherche de relations amicales avec les habitants, puis l’ouverture de négociations commerciales par le biais d’échanges et de tributs. Ces derniers n’avaient pas la même signification qu’en Occident, mais constituaient une sorte de rituel au cours duquel les produits naturels du pays étaient présentés et une offrande emblématique était faite des objets à offrir à l’autre partie. Mais leur valeur était équilibrée Les Chinois considéraient cette pratique comme une expression de respect et de reconnaissance envers l’empereur et une manière d’exprimer leur gratitude pour sa protection. Un édit de l’empereur stipulait que l’échange devait être mutuellement bénéfique.

La mission confiée par l’empereur à Zheng He indiquait implicitement qu’en plus du commerce, il devait maintenir la paix sur les mers, assurer la sécurité maritime et arbitrer les conflits susceptibles d’être rencontrés au cours du voyage. Les dirigeants chinois de l’époque avaient tout intérêt à accroître leur prestige dans les régions qu’ils visitaient, mais il ne s’agissait pas d’occuper un territoire ou d’y exercer un contrôle politique. De même, il devait promouvoir la prospérité dans les lieux où il arrivait et l’interaction multiculturelle avec les peuples qu’il visitait. Il était courant pour Zheng He de ne pas visiter les centres de pouvoir, mais de se limiter aux villes portuaires où il pouvait commercer sans avoir à interagir avec l’establishment politique de ces pays.

Selon le professeur Wan, « les flottes de Zheng He étaient en fait une équipe officielle de commerce international à grande échelle qui menait des activités commerciales fréquentes dans les endroits qu’elle atteignait ». On peut ainsi expliquer pourquoi aucun des pays visités n’a fait l’objet de pillage ou d’occupation.

Le professeur Wan explique cela par le fait que la diplomatie de la dynastie Ming au pouvoir stipulait clairement qu’il ne fallait pas conquérir d’autres peuples mais partager avec eux afin d’établir un système international pacifique sans recourir à la force. En pratique, le commerce a permis d’établir un nouveau système émanant de l’ordre chinois et visant à « partager les bénéfices de la paix » sans menacer aucun pays. Savoir cela pourrait expliquer en partie le comportement international de la Chine aujourd’hui.

Si la plupart des chercheurs s’accordent à dire que les voyages de Zheng He l’ont mené à travers l’Asie orientale, centrale et occidentale et l’Afrique, l’écrivain britannique Gavin Menzies a écrit en 1421 un livre intitulé « 1421 The Year China Discovered the World » (fr. 1421, L’année où la Chine a découvert l'Amérique), dans lequel il affirme que les Chinois ont atteint l’Amérique au cours de cette année-là. Cet ouvrage a été rejeté par l’historiographie occidentale, mais cette opinion a été réfutée par l’éminent sinologue mexicain Enrique Dussel Peters, qui a déclaré : « ... d’après mes études historiques (dans lesquelles j’ai utilisé la carte de la quatrième péninsule d’Asie de 1487 de Henricus Martellus), ses arguments [ceux de Gavin Menzies] concernant sa thèse fondamentale sont irréfutables (il y a peut-être des détails à corriger, mais ils n’enlèvent rien à sa force). Cet ouvrage est incontournable ! »

Ce n’est pas le sujet de cet article, mais il est impératif d’établir qu’il existe une hypothèse selon laquelle les Chinois seraient arrivés en Amérique 71 ans avant Colomb. C’est un point qui devra être approfondi, mais dans d’autres parties du monde, les preuves sont claires : les Chinois sont arrivés au début du XVe siècle et aucun des territoires africains ou asiatiques visités par Zheng He ou d’autres navigateurs de ce pays ne parle chinois. De même, bien que Zheng He ait été musulman, ni sa religion ni la religion bouddhiste introduite en Chine 1 600 ans plus tôt n’ont été imposées aux pays qu’il a visités.

Il apparaît donc clairement qu’il était possible d’établir des liens commerciaux et des échanges culturels entre les peuples dans l’Antiquité. La Chine l’a fait, mais la civilisation européenne, intrinsèquement sauvage et violente, n’a pas pu le faire. Son ADN cruel a conduit l’humanité aux pires calamités de l’histoire : le racisme, le colonialisme, l’esclavage, le fascisme, le nazisme, le capitalisme, l’impérialisme, le sionisme et les deux guerres les plus brutales que la planète ait jamais connues. Il suffit de se rendre dans leurs musées pour voir avec quelle fierté ils exposent le produit de leurs méfaits.

Tous ces malheurs sont venus du sol européen La seule chose que le président López Obrador a demandée, c’est le pardon pour aller vers la nécessaire réconciliation. Mais pour l’Espagne ce n’est pas possible, comme je l’ai déjà dit, la violence et l’assujetissement sont dans son ADN. C’est ce qui explique son soutien actuel au gouvernement pro-nazi de l’Ukraine et les énormes ventes d’armes à Israël, alors qu’ils se torchent avec les droits humains des Palestiniens.

La guerre et les conflits sont le moteur de leur organisme. C’est pourquoi ils ne comprennent pas et ne comprendront pas qu’une majorité croissante de la planète les rejette et les répudie jusqu’à ce que, dans un avenir pas trop lointain, ils soient définitivement déposés sur le tas de fumier de l’histoire, un endroit où ils ont toujours été et d’où ils ne pourront jamais sortir.

Aujourd'hui c'est la FêtNat ! On doit cogner sur qui ?

 

 

17/02/2024

HUGO ABOITES
Gaza/Ayotzinapa

Hugo Aboites, La Jornada, 17/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala


Vicente Hugo Aboites Aguilar est professeur et chercheur au département d’éducation et de communication de l’Universidad Autónoma Metropolitana-Xochimilco (UAM-X). De 2014 à 2018, il a été recteur de l’Université autonome de Mexico. Il est chroniqueur au journal La Jornada. Auteur de plusieurs ouvrages, dont La medida de una nación : los primeros años de la evaluación en México : historia de poder y resistencia (2012). Il accompagne les luttes des enseignants et des étudiants depuis les années 1980.

Israël n’a pas réussi à vaincre le Hamas, mais dans sa course folle à l’extermination du peuple palestinien, il oblige le monde à vivre avec des niveaux de violence qui, jusqu’à récemment, n’étaient réservés qu’aux États parias. Les actions militaires semblent même être délibérément menées pour frapper la population civile. Une vidéo qui fait actuellement le tour des médias sociaux montre Netanyahou il y a 20 ans, lors d’une réunion, annonçant ce qui est aujourd’hui la réalité : « les Palestiniens doivent être frappés durement », déclare-t-il devant le doute et l’étonnement de ses auditeurs.

 

« Mais Israël serait critiqué par tout le monde, par l’ONU », remarque une jeune femme. « Ce n’est pas grave » ; « et par les USA », ajoute une autre. « Ils nous soutiennent, la majorité (de la population) nous soutient », répond-il. Maintenant que l’expérience est en cours, il est clair qu’elle a servi à compliquer sérieusement le tableau, à délégitimer Israël et ses demandes et à générer un ton global qui, comme jamais auparavant, favorise les solutions violentes. Aujourd’hui, une douzaine de pays utilisent de plus en plus leur puissance de feu respective.

Il y a un changement radical dans le ton international auquel on ne peut plus répondre - comme le fait le gouvernement mexicain - par des déclarations de neutralité libérale.

Avec 85 actions militaires en réponse à la mort de trois de ses soldats qui faisaient partie d’un détachement militaire hostile aux forces locales, la puissance militaire usaméricaine est désormais l’un des discours prépondérants dans la région.


« Le bon ami du Mexique ». San Francisco Chronicle, 21/4/1914

Et aux USA, elle ravive des secteurs très conservateurs et colore les relations avec d’autres pays, en particulier le Mexique. Nous connaissons déjà, par exemple, l’initiative actuelle de législateurs et même d’un candidat à la présidence de ce pays visant à légaliser l’utilisation unilatérale de la force militaire au Mexique - drones, missiles et bombardements - pour mettre fin à l’agression que sont censées constituer des drogues comme le fentanyl.

Signe de l’intérêt que suscite le sujet au-delà des législateurs, un document de source conservatrice usaméricaine a récemment été publié, lequel, sur la base des expériences d’intervention militaire contre le Mexique (depuis celles contre Huerta et Villa), fait une analyse qui, sans aller jusqu’à affirmer qu’avec la législation actuelle le gouvernement usaméricain pourrait mener une action de ce type, ne lui ferme pas non plus définitivement la porte (Using Force Against Mexican Drug Cartels: Domestic and International Law Issues).
Cet exemple montre que le climat belliciste ne s’arrête pas aux frontières et ne se limite pas à des questions spécifiques.

D’autre part, à l’intérieur du Mexique, tout semble indiquer que l’affaire Ayotzinapa ne sera pas définitivement élucidée au cours de ce sexennat. Si tel est le cas, la demande de solution sera alors confiées au prochain gouvernement, ce qui a une implication historique et importante : que lorsque, pendant le mandat de six ans de la présidente Sheibaum, militante universitaire et scientifique, on célébrera en 2029 le 100e  anniversaire de l’autonomie de l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique), il faudra se souvenir que cette même date marquera aussi un siècle de répression meurtrière de l’État mexicain contre les jeunes étudiant·es de ce pays, car c’était en 1929, à Santo Domingo, qu’ont eu lieu les premiers passages à tabac et les premières charges violentes des pompiers contre les assemblées, ainsi que les fusillades d’étudiants, qui ont marqué depuis lors une politique d’État de fait qui a toujours été particulièrement agressive contre les mobilisations et les revendications des jeunes, jusqu’à la 4T ( Quatrième transformation).

Et depuis 1929, il n’y a pas eu un seul sexennat au cours duquel des étudiants n’ont pas été battus, emprisonnés, tués ou maintenus dans une situation de disparition non élucidée. Changer cela est en soi crucial pour la transformation du pays et des relations de l’État avec le secteur de l’éducation, mais aussi pour l’amélioration des relations à l’intérieur et à l’extérieur de la société, c’est commencer à réduire la violence. Il ne peut y avoir de transformation de l’éducation et de la société si nous ne commençons pas par là. Un changement fondamental implique également une révision critique des lois sur l’éducation qui contredisent directement - outre les droits du travail des enseignants et des universitaires - les exigences du droit intégral à l’éducation, gratuite et sans l’intervention d’agents privés à but lucratif pour l’évaluation discriminatoire et partiale des institutions, des carrières, des professeurs, des enseignants et des candidats.

Une révision qui laisse de côté l’insistance sur la marchandisation des centres de recherche de l’enseignement supérieur, des espaces qui sont le patrimoine public du pays et non une source et un facteur de profit. En d’autres termes, le massacre d’élèves instituteurs d’Ayotzinapa a été la réponse aux demandes populaires en matière d’éducation ; résoudre cette affaire, c’est donc aussi faire un pas dans la transformation de fond de l’éducation, qui se fait toujours attendre.

 


Allons-nous faire la guerre au Mexique ?

Tract de l’Union américaine contre le militarisme. New York, 26 juin 1916

« On a dit que l’affrontement de Carrizal était un simple incident et que le refus de Carranza d’autoriser les troupes américaines à pénétrer plus avant dans le Mexique était en soi une cause de guerre. L’HISTOIRE  JUSTIFIERA PAS À CETTE NATION d’entrer en guerre parce qu’une république voisine, ayant autorisé nos troupes à pénétrer sur son territoire à la poursuite d’une bande de hors-la-loi, a exigé que ces troupes n’aillent pas plus loin sur son territoire après que la bande de hors-la-loi a été dispersée et que beaucoup d’entre eux ont été tués.

Le fait que le Mexique soit une petite nation [sic], déchirée par des révolutions récentes et qui traverse actuellement une période de reconstruction, fait de notre respect scrupuleux de ses droits une question d’honneur national. Nous pensons que si cette nation choisit d’entrer en guerre plutôt que d’accepter l’offre de médiation faite par les républiques latino-américaines et acceptée par le Mexique, ce sera une tache dans l’histoire américaine. »

03/01/2024

GLORIA MUÑOZ RAMIREZ
EZLN, 30 ans après le soulèvement : “La propriété doit être au peuple et commune” (sous-commandant Moisés)

Les zapatistes font la fête avec un défilé, de la danse, du théâtre et même des mariachis.

Trois décennies après le soulèvement, ils réaffirment leur lutte pour la liberté et la justice.

Gloria Muñoz Ramírez, La Jornada, Víctor Camacho (photos) 2/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 Gloria Muñoz Ramírez est journaliste au quotidien La Jornada et directrice du magazine international en ligne Desinformémonos, au Mexique.

Ocosingo, Chiapas.- Une démonstration de jeunesse musclée, un défilé militaire au rythme de Panteón Rococó et Los Ángeles Azules, une multitude de zapatistes, une assistance nationale et internationale, et un message fort : La propriété doit appartenir au peuple et être commune, et le peuple doit se gouverner lui-même, a déclaré le sous-commandant Moisés, porte-parole de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

Les célébrations ont eu lieu au caracol Dolores Hidalgo à Ocosingo, inauguré il y a tout juste trois ans.

Le chef militaire, d’origine tseltale, est un organisateur des peuples et est chargé d’expliquer les prochaines étapes de leur lutte à l’intérieur et à l’extérieur.

Les communs ont été l’expression la plus fréquemment utilisée au cours des deux jours de célébration. Pour l’expliquer, ils ont consacré des pièces de théâtre, des chants, des danses et des poèmes choraux. Un retentissant « Nous sommes seuls, comme il y a 30 ans » a rendu compte de la réalité qu’ils vivent et ressentent, mais a laissé la porte ouverte à leur appel insistant à l’organisation. « Nous invitons les frères et sœurs, s’ils veulent venir, à partager nos idées, à voir ce qui est le mieux pour la vie. Ce que nous disons, c’est que ceux qui travaillent doivent manger et que ceux qui ne travaillent pas doivent manger leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie, pour voir si cela satisfait leur besoin de faim. »

Des  milliers de personne en uniforme, vêtu·es de pantalons verts et de chemises marron, ont assisté à l’événement, qui a débuté à 22h30 dimanche.

L’esprit de paix paradoxal d’une armée qui a pris les armes pour la liberté, la démocratie et la justice était une fois de plus évident. « « Nous n’avons pas besoin de tuer les soldats et les mauvais gouvernements, mais s’ils viennent, nous nous défendrons, a expliqué Moisés, lors d’une manifestation où il n’y avait pas une seule arme, bien que des milliers de personne en uniforme portant des pantalons verts et des chemises marron, l’uniforme de la milice zapatiste.

De nombreux·ses milicien·nes appartiennent à une génération née des années après le soulèvement.

C’est à 22h30, le dernier jour de l’année, qu’a débuté la commémoration du 30e  anniversaire du soulèvement armé des peuples mayas du Chiapas. Après un défilé inhabituel, joyeux et festif, de milliers de miliciens et miliciennes zapatistes appartenant à une génération qui est certainement née 10 ans après le soulèvement, le sous-commandant Moisés a commencé son message politique en tseltal, s’adressant tout d’abord à la concentration massive de bases de soutien qui s’était déplacée vers le caracol Dolores Hidalgo, créé sur des terres récupérées et inauguré il y a seulement trois ans.

Une rangée de chaises vides a été placée à l’avant de la scène. Les absents, lisait-on sur le panneau qui les présidait. Les disparus ne sont pas là. Les prisonniers politiques ne sont pas là. Les femmes et les hommes assassinés ne sont pas là. Les jeunes hommes et femmes assassinés ne sont pas là. Les enfants assassinés ne sont pas ici. Ne sont pas là nos arrière-arrière-grands-parents, ceux qui ont combattu il y a plus de 500 ans, mais aussi nos camarades tombés au combat, qui ont fait leur devoir, a déclaré le sous-commandant Moisés, qui, il y a 30 ans, était connu comme capitaine, puis a été promu lieutenant-colonel et occupe enfin le commandement principal au sein de la structure militaire de l’EZLN.

Le discours final a été précédé d’un long programme culturel au cours duquel les enfants et les jeunes des communautés rebelles ont mis en scène l’histoire de leur autonomie par étapes et l’initiative à laquelle ils travaillent déjà : Tierra Común. No Man’s Land. À cette occasion, il n’y a pas eu de communiqué écrit, ni de présence du capitaine Marcos, qui, il y a 30 ans et pendant une longue période, a été chargé d’expliquer la parole des peuples au reste du monde, parvenant avec son propre récit à transmettre non seulement leurs motivations et leurs douleurs, mais aussi une nouvelle façon de faire de la politique qui ne suit pas la voie de la prise de pouvoir, mais celle de l’organisation. Marcos n’est apparu que quelques instants au cours de la soirée culturelle.

« Camarades des bases d’appui, nous sommes engagés maintenant. Nous sommes seuls, comme il y a 30 ans. Parce que seuls jusqu’à présent, nous avons découvert ce nouveau chemin que nous allons suivre : le chemin commun. Nous avons encore besoin que nos compañeros et compañeras du Congrès national indigène et le peuple mexicain nous montrent s’ils sont d’accord avec nous », a conclu le porte-parole zapatiste.

Pourquoi nous sommes ici

La célébration tant attendue du trentième anniversaire a été impeccablement organisée. Des centaines d’événements l’ont précédée. Les gens de l’intérieur et de l’extérieur apprennent les uns des autres et tout se déroule dans une sainte paix. On oublie parfois que ces terres de montagnes vertes et de paysages brumeux font partie d’un État contrôlé par le crime organisé, les paramilitaires et les gouvernements qui ont été à l’avant-garde de la dépossession pendant des décennies. À l’intérieur, il n’y a aucun sentiment de menace. Bien au contraire.

L’écrivain Juan Villoro, l’actrice Ofelia Medina, la productrice Berta Navarro, l’acteur Daniel Giménez Cacho, les cinéastes Valentina Leduc et Juan Carlos Rulfo, et la philosophe Fernanda Navarro marchent en souriant dans le cadre d’une fête. Ils célèbrent, comme beaucoup d’autres, 30 ans de proximité.

Les premiers à être interpellés par la lutte zapatiste sont arrivés ici : les peuples indigènes du pays. Nahuas, Purépechas, Nayeris, Binni Záa, Me’phaa, Na savi, Amuzgos, Mazatecos, Popolucos, Chinantecos, Otomíes, Mayos, Yoremes, Zoques, Totonacos et Mayas sont venus écouter en quoi consiste le travail Tierra Común. No Man’s Land.

« Nous n’avons pas besoin qu’on vienne nous donner des explications, des phrases politiques ou des ateliers sur le système. C’est aussi simple que cela et il est facile de voir comment est le système capitaliste. Ceux qui ne veulent pas le voir en sont responsables. Depuis de très nombreuses années, certains disent des décennies et d’autres des siècles, pourquoi avons-nous besoin d’un cours sur ce sujet ? C’est simplement pour voir que ce qu’il faut faire, c’est bien, c’est penser bien. C’est ce que nous devons faire », explique Moisés au micro. Derrière lui sont assis des dizaines de membres du Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène (CCRI), la plus haute autorité de toute la structure zapatiste.

« Ce que nous allons dire, nous allons le faire en commun, peut-être qu’il y a des frères, des sœurs, qui pensent autrement. Mais non. Il y a des choses qui sont communes et d’autres qui ne le sont pas. C’est pour cela que nous avons une tête, pour penser, et c’est pour cela que nous avons des yeux, pour nous rendre compte. C’est pour cela que nous avons un odorat, pour pouvoir sentir ce qui est commun et ce qui ne l’est pas », poursuit Moisés, ajoutant qu’il n’y a pas de livre ou de manuel pour ce qui est à venir et que, comme toujours, tout devra être testé dans la pratique.

Nous n’avons pas besoin de tuer, insiste le commandant militaire zapatiste, mais pour cela, il faut de l’organisation … Nous ne voulons plus de ceux qui gouvernent là-bas, parce que le capitalisme est dans le monde... personne ne va aller se battre là où tout le monde vit. C’est nous qui sommes là, là où ils sont, là où ils vivent. Puis il demande : quelqu’un croit-il que le capitalisme peut être humanisé ? Le public répond en chœur que non. Et il poursuit : « Le capitalisme ne va pas dire “je renonce à exploiter”. Personne, pas même le plus petit, ne veut arrêter de tricher, de voler et d’exploiter, et encore moins les gros. Il n’y a donc pas besoin de beaucoup d’études. Ce qu’il faut, c’est réfléchir à la manière de changer cette situation. Personne ne nous le dira, c’est nous, les hommes et les femmes, qui allons suivre cette voie et nous défendre ».

Organisation, histoire et 4T

Pendant ces deux jours, les zapatistes ont raconté les différentes étapes de l’histoire de leur autonomie, depuis la naissance des Aguascalientes en 1994, leur conversion en cinq caracoles en 2003, leur élargissement à 12, jusqu’à aujourd’hui, où ils se prononcent en faveur de la Terre Commune, sans propriétaires, et invitent même ceux qui ne sont pas zapatistes à faire partie de ce travail collectif.

« Cela n’a pas été facile, parce que le mauvais gouvernement a voulu en finir avec nous. Dans leurs médias, ils ont dit que nous, les zapatistes, nous étions rendus et que nous avions accepté leurs miettes. Mais nous ne nous sommes pas rendus. Résister, ce n’est pas seulement endurer, c’est construire », disent les jeunes dans une pièce de théâtre.

C’est au tour de la critique et de la remise en question profonde de la 4T [la “Quatrième Transformation” lancée par le président López Obrador, NdT] et de ses mégaprojets. Des trains en carton portés sur les épaules d’enfants et de jeunes représentent le Train Maya et le Train Interocéanique, récemment inaugurés par le gouvernement fédéral. Ce segment évoque les projets éoliens, les entreprises minières, les cultures transgéniques et les centrales hydroélectriques. Il est également question du crime organisé et de sa complicité avec les gouvernements.

La fête semble sans fin. Les danses se poursuivent jusqu’au petit matin. Et tout au long du 1er  janvier, il y a encore de la danse, des tournois de basket-ball et de volley-ball, des performances artistiques et des ateliers proposés par les visiteurs.

Soudain, un groupe impensable de mariachis apparaît dans la cantine communautaire. Ils chantent Las Mañanitas, car un anniversaire est célébré.

01/01/2024

RAÚL ZIBECHI
L’EZLN, 30 ans après le soulèvement : bâtisseur et inspirateur d’autonomies

Raúl Zibechi, Nacla, 22/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

English Zapatistas at 30: Building and Inspiring Autonomy
Italiano
Zapatistas: da trent’anni c’è un mondo nuovo

Pendant des décennies, les zapatistes ont servi de guide aux luttes menées sur l’ensemble du continent. Au milieu du chaos climatique et de la guerre sans fin, ils continuent d’imaginer et de construire des mondes meilleurs.

 

“C’est dans nos cœurs que l’horizon prend racine” (Dante Aguilera Benitez pour le Taller de Gráfica Pesada Juan Panadero).

Le soulèvement de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), il y a 30 ans, a réussi à placer l’autonomie au centre des objectifs de certains mouvements sociaux d’Amérique latine. Jusqu’alors, il n’existait pas de courant politique et culturel orienté dans cette direction, comme c’est le cas aujourd’hui dans la plupart des pays de la région latino-américaine. Il existait tout au plus des positions autonomistes inspirées de l’“opéraïsme” italien qui a donné naissance à l’“autonomisme” européen. Ce courant, qui a pris forme dans les analyses des philosophes italiens Antonio Negri et Mario Tronti, n’a jamais eu de poids réel dans les luttes et les mouvements latino-américains, et son influence s’est concentrée dans les universités et parmi les intellectuels marxistes.

L’EZLN a été créée en 1983 dans les régions indigènes du Chiapas. Pendant dix ans, elle s’est enracinée dans les villages et, après une vaste consultation de quelque 500 communautés, elle a décidé d’entrer en guerre, ce qui a donné lieu au soulèvement du 1er janvier 1994, le jour même de l’entrée du Mexique dans l’accord de libre-échange (ALENA). La guerre a duré moins de deux semaines, la société civile s’étant mobilisée pour exiger la paix et une période de dialogue s’étant ouverte entre le gouvernement et l’EZLN.

Le zapatisme a non seulement placé le débat sur l’autonomie au centre de sa pensée et de sa pratique politique, comme en témoignent les accords de San Andrés négociés en 1996 avec le gouvernement mexicain, mais il a également mis en avant le protagonisme des peuples originaires, qui sont les sujets les plus importants de la lutte pour l’autonomie.

Les rencontres internationales ont joué un rôle important dans la diffusion de la pensée de l’EZLN, tout comme les innombrables communiqués dans lesquels l’alors sous-commandant insurgé Marcos racontait des scènes de la vie des communautés et des miliciens et miliciennes du mouvement. La Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité, qui s’est tenue à La Realidad en 1995, a réuni des centaines de personnes du monde entier, avec une forte présence de collectifs de jeunes Européen·nes de tendance libertaire et autonomiste.

Le fait que le zapatisme s’adresse aux groupes les plus divers de la société, mais surtout à la jeunesse urbaine rebelle (gays, lesbiennes, précaires et chômeurs) et qu’il n’utilise pas les concepts traditionnels de la gauche tels que le “prolétariat”, la “lutte des classes” et la “prise du pouvoir”, était extrêmement attrayant pour les secteurs déjà fatigués du langage monotone de la gauche.

L’influence du zapatisme en Amérique latine peut être détectée à deux niveaux : l’un plus directement lié aux militants les plus actifs et les mieux formés des nouveaux mouvements sociaux - tels que les piqueteros argentins, des secteurs de l’éducation populaire, des jeunes critiques et des artistes - et, deuxièmement, plus indirectement et transversalement dans les mouvements des peuples opprimés, en particulier les indigènes et les afro-descendants.

Les traces du zapatisme se retrouvent surtout dans les mouvements les moins institutionnalisés. D’une certaine manière, une grande partie des nouveaux mouvements ont été attirés par trois questions centrales qu’ils trouvent dans le zapatisme : le rejet de la prise du pouvoir d’État et l’option de créer leurs propres pouvoirs, l’autonomie et l’autogestion, et la façon de comprendre le changement social comme la construction d’un nouveau monde au lieu d’une transformation du monde existant.

L’influence éthique et politique du zapatisme, ainsi que l’échec des révolutions centrées sur la prise de pouvoir et le changement “par le haut”, ont conduit quelques militants à la conviction que le changement doit être lié à la reconstruction des liens sociaux que le système détruit quotidiennement.

Membres de l’EZLN au Congrès national indigène 2016 (Mariana Osornio / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0)

 

“El paso del caracol” [Le rythme de l’escargot] (Dante Aguilera Benitez pour l’Atelier graphique lourd Juan Panadero)

La création de municipalités autonomes et de conseils de bon gouvernement, récemment démantelés par l’EZLN elle-même, a montré qu’il est possible de se gouverner différemment, sans créer ou reproduire des bureaucraties permanentes comme l’ont fait les révolutions réussies. Attirés par leurs particularités, des milliers d’activistes du monde entier, dont une grande majorité d’Européens, sont venus au Chiapas pour connaître de première main la réalité zapatiste et y ont contribué en faisant don de ressources matérielles.

Il serait erroné de croire que le zapatisme influence ou oriente d’une manière ou d’une autre toute cette variété de collectifs. Plus d’un millier de groupes ont soutenu le Tour pour la Vie, organisé en 2021 dans différents pays et régions d’Europe, pour les écouter et fraterniser. Je pense qu’il est plus approprié de parler de confluences, car des collectifs se sont formés et ont grandi dans le monde entier, qui revendiquent l’autonomie comme pratique politique, en se référant au zapatisme, sans aucun doute, mais pas dans une relation de commandement et d’obéissance.

Les mouvements féministes, les mouvements de jeunes précaires et chômeurs, les entreprises autogérées qui se multiplient dans le monde entier, ont trouvé dans le zapatisme une source d’inspiration pour leur détermination à créer du nouveau, leur rejet des institutions étatiques et des partis de gauche. Si les causes des rébellions ont des caractéristiques différentes, il y a partout un profond ras-le-bol du système dominant et de ses conséquences sur les jeunes, telles que la précarité de l’emploi, l’absence de perspectives de vie décente et les persécutions policières contre les contestataires.

Zapatistes contre l’armée mexicaine lors de la procession qui a transporté le corps au cimetière de Guadalupe Méndez López, tuée par des éléments de la Sécurité Publique (SP), Chiapas, janvier 2005 (Oriana Eliçabe / Flickr / CC BY-NC-SA 2.0)

Peuples autochtones  et noirs

Au cours des dernières décennies, plusieurs peuples ont réclamé leur autonomie ou l’ont construite par des actes. Les peuples indigènes sont à l’avant-garde de ce processus, notamment les Mapuches du Chili et de l’Argentine, ainsi que les Nasas et les Misak du Cauca en Colombie. Plus récemment, les peuples amazoniens sont entrés de plain-pied dans la dynamique de l’autonomie, de même que certains palenques et quilombos noirs.

Le premier groupe autonomiste mapuche a été créé en 1998, la Coordinadora Arauco-Malleco (CAM), qui a incarné une nouvelle forme de politique en menant des actions directes contre les entreprises forestières dont les plantations de pins étouffent les communautés. Aujourd’hui, il existe au moins une douzaine de collectifs mapuches qui se réclament de l’autonomie.

Les plus importants sont le CAM, Resistencia Mapuche Lafkenche (RML), Resistencia Mapuche Malleco (RMM), Alianza Territorial Mapuche (ATM) et Weichán Auka Mapu [Lucha del Territorio Rebelde], qui ont encouragé une vague de récupération de terres estimée à 500 territoires ou domaines. Les plus radicalisés sont Weichan Auca Mapu (WAM) et Resistencia Lafkenche, ainsi que le CAM, qui se distinguent par leurs actions directes contre l’industrie forestière. Il existe également des organisations de femmes mapuches.

En Colombie, le Conseil régional indigène du Cauca (CRIC) a été créé en 1971 dans le cadre d’un processus de récupération des terres. Il compte aujourd’hui 84 resguardos [réserves] dans le Cauca et 115 cabildos [communes] appartenant à huit groupes ethniques. Ils gèrent des programmes de santé et d’éducation avec le soutien de l’État, ont mis en place leurs propres formes économiques telles que des entreprises et des magasins communautaires, des associations de producteurs et une institution de troisième niveau, le Cecidic (Centro de Educación Capacitación e Investigación para el Desarrollo Integral de la Comunidad). Ils ont créé un système d’“auto-justice” et se gouvernent eux-mêmes par l’élection de leurs autorités par les cabildos. La Guardia Indígena (Garde indigène), une entité dédiée à la défense des territoires et des modes de vie indigènes, est la création autonome la plus importante.

Les groupes mapuches du Chili et le CRIC entretiennent des relations avec l’EZLN et sont probablement les mouvements indigènes les plus proches politiquement du zapatisme.

Rencontre de femmes zapatistes avec des femmes du monde à La Garrucha, Chiapas, 2007 (Agustine Sacha / Flickr / CC BY-NC 2.0 DEED)

Les expériences se multiplient. De même qu’au Chili, il existe plus d’une douzaine de groupes autonomistes (certaines sources parlent de 15 collectifs), dans le Cauca, la Guardia Cimarrona s’est formée parmi les Afro-Colombiens et la Guardia Campesina, toutes deux inspirées de la Guardia Indígena.

L’organisation autonomiste la plus présente est probablement l’organisation brésilienne Teia dos Povos, née il y a une dizaine d’années dans l’État de Bahia. Elle rassemble des communautés et des peuples indigènes, des paysans sans terre et des quilombolas (peuples noirs descendants de marrons), au sein d’une alliance populaire qui s’étend à plusieurs États et dont l’autonomie - et le zapatisme - est le point de référence central.

Enfin, il y a les peuples amazoniens. Dans le nord du Pérou, neuf gouvernements autonomes ont été créés depuis la formation du premier en 2015, le gouvernement territorial autonome de la nation Wampis, afin de mettre un terme à l’extractivisme pétrolier et forestier, ainsi qu’à la colonisation. Au total, ils contrôlent plus de 10 millions d’hectares et, lors d’une récente réunion à Lima, il a été assuré que six autres peuples étaient engagés dans le même processus de construction de l’autonomie.

Dans l’Amazonie légale brésilienne, 26 protocoles de démarcation autonomes ont été déployés, impliquant 64 peuples indigènes dans 48 territoires différents. Les peuples agissent ainsi face à l’inaction des gouvernements, qui sont tenus de délimiter leurs territoires en vertu de la Constitution de 1988, mais ne le font que dans de très rares cas.

Pour le reste, il convient de mentionner que des dizaines de peuples indigènes vivant au Mexique ont suivi les principes zapatistes en se réunissant au sein du Congrès national indigène (CNI), dans lequel 32 peuples luttent pour leur autonomie. En 2006, le IVe congrès du CNI a décidé de signer la sixième déclaration de la jungle Lacandone et d’exercer l’autonomie dans la pratique.


S'ils en touchent un·e, ils nous touchent tou·tes : “Miradas y Espejos” [Regards et miroirs] (Dante Aguilera Benitez pour le Taller de Gráfica Pesada Juan Panadero)

De nouvelles orientations pour continuer à être

Alors que les autonomies ne cessent de se développer dans la région latino-américaine, le zapatisme a décidé de prendre un tournant important dans son processus.

Depuis le 22 octobre 2023, l’EZLN a publié une série de communiqués annonçant d’importants changements pour faire face à la nouvelle étape de l’effondrement systémique et environnemental. Les Conseils de bon gouvernement et les Municipalités autonomes, structures organisationnelles créées il y a deux décennies et symbole de l’autonomie zapatiste, cesseront de fonctionner. Au lieu d’une trentaine de municipalités autonomes, il y aura des milliers de structures de base, des gouvernements locaux autonomes (GAL) et des centaines de collectifs de gouvernements autonomes zapatistes (CGAZ), là où il y avait auparavant 12 conseils de bon gouvernement.

Les décisions qu’ils ont prises ont un horizon de 120 ans, soit sept générations. L’EZLN note qu’il y aura des guerres, des inondations, des sécheresses et des maladies et que, par conséquent, “au milieu de l’effondrement, nous devons regarder loin devant nous”.

Ils ont procédé à une autocritique du fonctionnement des municipalités et des conseils, concluant que les propositions des autorités n’étaient plus prises en compte et que les avis des citoyens ne parvenaient pas aux autorités. En fait, ils disent que c’était une pyramide qui fonctionnait et c’est pourquoi ils ont décidé de la couper.

Le point le plus important est peut-être qu’ils ont l’intention d’“être la bonne semence” d’un monde nouveau qu’ils ne verront pas, de “léguer la vie” aux générations futures au lieu de la guerre et de la mort.

« Nous pouvons déjà survivre à la tempête en tant que communautés zapatistes. Mais maintenant, il ne s’agit pas seulement de cela, mais de traverser cette tempête et d’autres à venir, de traverser la nuit et d’arriver à ce matin, dans 120 ans, où une fille commencera à apprendre qu’être libre, c’est aussi être responsable de cette liberté », poursuit le communiqué.

Semer sans récolter, sans s’attendre à récolter les fruits de ce qui a été semé, est la plus grande rupture connue avec l’ancienne façon de faire de la politique et de changer le monde. C’est une éthique politique anti-systémique que le zapatisme nous offre comme un cadeau à valoriser dans toute sa formidable dimension.