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17/09/2023

RAÚL ZIBECHI
Un demi-siècle après le coup d'État : le Chili, un laboratoire pour ceux d’en haut comme pour ceux d’en bas

Raúl Zibechi, La Jornada, 8/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le coup d'État du 11 septembre 1973 contre le gouvernement de Salvador Allende a marqué un tournant profond dans l'histoire récente. Les États-nations ont été entièrement remodelés par les classes dominantes, le néolibéralisme s'est installé, mettant fin au processus industriel de substitution des importations, et les mouvements d'en bas n’ont plus pu fonctionner de la même manière. Ces changements, il  convient de les évaluer.


Manuel Loayza

Sous le régime militaire d'Augusto Pinochet, les forces armées ont écrasé l'organisation ouvrière, imposant un terrorisme d'État contre tout dissident et, en particulier, contre les travailleurs. Elles ont réussi à refonder le capitalisme chilien, en éliminant l'ancienne industrie et en approfondissant l'accumulation par spoliation. Les relations de travail ont été complètement remodelées en faveur des patrons, puisqu'il n'y avait pas d'opposition ouvrière organisée.

Le néolibéralisme s'est nourri de la violence contre les secteurs populaires qui, avec l'aide de technocrates et d'économistes connus sous le nom de Chicago Boys, ont transformé le Chili en un grand laboratoire où les privatisations (à l'exception de l'entreprise de cuivre, dont les bénéfices sont allés aux forces armées), un nouveau système de retraite privé et des initiatives qui ont condamné la classe ouvrière au chômage et à la faim ont été pratiqués à la main.

Les salaires ont baissé de manière retentissante dans le monde entier.

Deux chercheurs du Program on Race, Ethnicity and the Economy de l'US Economic Policy Institute ont étudié 85 ans d'histoire du salaire minimum. Leur conclusion est lapidaire : « Sans mécanisme en place pour l'ajuster automatiquement à la hausse des prix, la valeur réelle du salaire minimum fédéral a progressivement diminué, atteignant en 2023 son niveau le plus bas depuis 66 ans » (source).

Cette année, le salaire minimum vaut 42 % de moins qu'à son apogée en 1968, et 30 % de moins que lors de sa dernière augmentation, il y a 14 ans, en 2009. « Cette perte significative de pouvoir d'achat signifie que le salaire minimum fédéral actuel est loin d'être un salaire décent », concluent les chercheurs.

La troisième question est celle des transformations de l'action collective. Le centre du mouvement social chilien s'est déplacé des usines vers les poblaciones [quartiers populaires périphériques, souvent des bidonvilles autocontstruits sur des terrains occupés, NdT] qui, depuis 1983, ont été au centre de la résistance à la dictature lors de mémorables journées de protestation. Des pratiques collectives de survie, les ollas comunes [pots communs, soupes populaires autogérées] que l'on théorisera plus tard sous le nom d'“économie solidaire”, s'y sont développées. Le mouvement des pobladores passe de la résistance à l'insurrection.


1983 : "Pinocchio escucha, ándate a la chucha"= " Pinocho [jeu de mots entre Pinochet et Pinocchio] écoute, va t'faire foute" [pour que ça rime aussi en français]

La première manifestation a eu lieu le 11 mai 1983, à l'appel des travailleurs du cuivre et dans des quartiers comme La Victoria, où des barricades ont été érigées, des affrontements avec les carabiniers et les militaires ont eu lieu et plusieurs personnes ont été tuées. En représailles, 5 000 maisons ont été perquisitionnées et toutes les personnes âgées de plus de 14 ans ont été arrêtées.

12/01/2022

REINALDO SPITALETTA
Debout, vieille vache, contre l’Accord de libre-échange USA-Colombie !


On nous a raconté que l'histoire était finie, souvenez-vous, que les idéologies étaient mortes, que le capitalisme était le seul moyen pour l'homme d'atteindre le bonheur, etcetera. Ils nous ont entortillés dans des théories sur la post-modernité. Ils nous ont dit que l'impérialisme n'existait pas, ha, ha. Et grâce à la libéralisation économique - vous vous en souvenez, n'est-ce pas ? - le pays de la « partie de jambes en l’air » d'alors a ouvert ses jambes à la mondialisation, cette ineptie que, il y a belle lurette, ce cynique d’Henry Kissinger avait défini « un autre nom de la position dominante des USA ».

 

TLC=Tratado de libre comercio, Traité de libre-échange

Nous avons inauguré les ouvertures économiques dans les années 1990. Et, dans les années 2000, nous avons ouvert les vannes, aujourd'hui « déflorées », aux accords de libre-échange, oui, les mêmes qui, aujourd'hui, laissent les petits et moyens éleveurs colombiens sans vache laitière qui ne peut même pas leur donner du lait condensé.

Nous avons appris (c'est tout dire, l'oligarchie colombienne et les compradores du capital financier continuaient comme des putes sans bordel à se vendre à leurs julots washingtoniens) que la théorie économique correspondant aux ALE n'était autre que le néolibéralisme. On a perdu les marchés intérieurs, on a autorisé des « règles égales pour des pays inégaux » et ainsi, avec les ouvertures et autres clocharderies, le pays s'est ouvert à la pénétration non seulement des capitaux mais aussi des marchandises étrangères à en veux-tu en voilà.

"Importer du lait des USA enrichit les éleveurs gringos et appauvrit les Colombiens"

C'est ce que s'emploient à combattre aujourd'hui les éleveurs colombiens. Les membres de Fedegan, la Fédération des éleveurs, ont déjà réalisé quelle gaffe énorme c'était d'avoir cru le « patron » Uribe quand il a dit en 2006 qu'il fallait signer ces traités avec la gringaille. Comme le dit le livre bien documenté d'Aurelio Suárez, Saqueo (pillage), « la Colombie a tout abandonné sans presque rien recevoir en retour » avec les ALE. Et nos dépendances, comme la dépendance alimentaire, par exemple, ont augmenté.

La récente protestation des éleveurs de bétail colombiens, avec des marches et des pancartes, presque à l'égal des manifestants qui ont récemment protesté contre la réforme fiscale et d'autres outrages du très discrédité gouvernement Duque, a montré les effets pernicieux de l'ALE, en particulier celui signé avec les USA, sur les intérêts nationaux. Du côté des côtes, ils ne peuvent même plus écouter le vieux porro de la Vaca vieja*, car ils sont au bord de la faillite.

11/12/2021

CARLOS FIGUEROA
Vargas Llosa et le néofascisme

Carlos Figueroa, La Hora, 9/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Carlos Figueroa Ibarra (Ciudad de Guatemala, 1952) est un sociologue, professeur et chercheur à l’Université de Puebla (Mexique), spécialisé dans le prolétariat rural au Guatemala puis dans la violence qui a marqué l’histoire de ce pays, à laquelle il a consacré de nombreux livres et articles. Ses parents ont été assassinés en juin 1980 par la dictature du général Romeo Lucas García. Menacé de mort par l’Armée secrète anticommuniste, un escadron de la mort organisé par les services de renseignement, il a passé une grande partie de sa vie au Mexique.


Mario Vargas Llosa est perçu par les gauches comme quelqu'un qui a viré à droite. Il est certainement suffisamment intelligent pour ne pas répéter les affirmations ultradroitières, courantes de nos jours. Il se décrit lui-même comme un « démocrate », l'un des euphémismes par lesquels la droite néolibérale veut travestir sa véritable affiliation. Son dernier roman, Tiempos Recios [Temps sauvages], consacré au renversement de Jacobo Árbenz au Guatemala (1954) et à l'assassinat ultérieur (1957) de celui qui l’avait renversé, Castillo Armas, révèle que son agenda est distinct de celui de la droite néo-fasciste. Le but du roman est de reprocher à la droite anticommuniste d'avoir offert la figure historique d'Árbenz à la gauche.

Il est néanmoins indubitable que, face à l'avancée de la gauche, la droite néolibérale préférera tout autre scénario au triomphe de la gauche. En ce moment, au Chili, les perspectives du néofasciste José Antonio Kast ne sont pas brillantes. Après des prédictions optimistes sur sa candidature après qu’il eut remporté de justesse les primaires, les récents sondages donnent gagnant le candidat de gauche Gabriel Boric avec une marge de 5 à 13% des voix. Compte tenu de l'histoire électorale du Chili, il serait inusité que Boric l'emporte au second tour : jamais un candidat perdant au premier tour n'a gagné au second.

Mais la peur inonde la droite à l'intérieur et à l'extérieur du Chili. Alors qu'ils célébraient « la fin du cycle des gouvernements progressistes », il semble qu'une nouvelle vague du même genre se prépare. Dans une réunion en ligne organisée par le parti de Kast, Vargas Llosa a déclaré que « ce serait une véritable tragédie pour l'Amérique latine si la gauche continuait à gagner les élections ». Mais qui est le candidat que Vargas Llosa considère comme préférable à la tragédie d'une gauche victorieuse ?


Kast est le fils d'un officier nazi qui a réussi à se réfugier en Italie, puis au Chili. Il est le frère de Miguel Kast, l'un des « Chicago Boys » qui ont concocté la recette néolibérale de la dictature de Pinochet. En outre, Miguel était associé à la Direction nationale des renseignements (DINA), la police secrète de la dictature de Pinochet. Son autre frère a été mentionné comme participant à l'interrogatoire de prisonniers après le coup d'État de 1973.

Parenté mise à part, Kast défend l'héritage de Pinochet, un nouvel « état d'urgence » avec le pouvoir de faire des descentes dans les maisons et d'espionner les communications, des fossés (sinon des murs) pour empêcher les migrants d'entrer dans le pays, la fermeture de l'Institut national des droits de l'homme, un plan international contre les « radicaux de gauche » (nouveau Plan Condor) [lire Chili : le candidat Kast et l'opération Condor, par Roberto Pizarro Hofer], l'abrogation de la loi sur l'avortement, la suppression du ministère de la Femme, la fermeture de la FLACSO-Chili [Faculté latino-américaine des sciences sociales], la lutte contre l'État interventionniste. Défense de la Constitution de Pinochet, du christianisme et du marché libre.

Le projet de Kast est de défendre le néolibéralisme par la répression autoritaire. Pendant quarante ans, les néolibéraux ont prétendu être des partisans de la démocratie. Maintenant que leur modèle est en crise, la conflagration sociale chilien de 2019 le révèle, ils se réfugient dans une droite qui enlève son masque démocratique. Vargas Llosa est en phase avec ça.

 
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Eneko