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26/11/2025

L’impunité israélienne

Luis E. Sabini Fernández, 26/11/2025
Traduit par Tlaxcala

La violence

Dans ma vie personnelle, j’ai toujours été sceptique à l’égard des coups de main guérilleros auxquels j’ai assisté ou dont j’ai eu connaissance dans le Cône Sud (bien que certains aient été très sympathiques et que pratiquement tous aient impliqué un engagement personnel énorme, un « dévouement à la cause »), parce qu’ils me semblaient potentiellement autocratiques, facilitant avec trop de rapidité l’intronisation d’autres dirigeants, toujours au détriment du rôle de « gens comme nous ».

Telles sont mes expériences concernant la guérilla latino-américaine, engagée avec beaucoup de courage et d’abnégation, mais aussi d’aveuglement. C’est ainsi que j’ai souscrit au témoignage d’un ancien agent secret cubain, fils du célèbre guérillero argentin Ricardo Masetti, auquel Guevara avait confié la mission de créer un foyer révolutionnaire dans ses plans « continentaux » pour l’Amérique du Sud — mission qu’il put à peine mettre en œuvre¹.
Le fils, Jorge Masetti, Argentin mais élevé à Cuba, fut éduqué et formé comme agent révolutionnaire. Fidel voulait accomplir avec le fils ce qu’il n’avait pu obtenir du père. Et lorsqu’il fut totalement « au point », il renonça à cette voie en constatant la série d’échecs des guérillas latino-américaines (et la phase quasi inévitable suivante : la délinquance commune). Il commenta alors : « Quelle chance que nous n’ayons pas gagné».

Sous-sols de la Mort 3, acrylique sur toile, 2021

Palestine

Tout ce préambule pour reconnaître que la violence existant en Palestine est différente, radicalement différente. La violence venant d’en bas, celle des Palestiniens, n’est guère plus qu’une réponse à la machine israélienne, écrasante.

L’image de l’enfant ou des enfants lançant des pierres face à un tank est extraordinairement précise pour illustrer le rapport de forces. Une telle autodéfense, contre-attaque civile, désespérée, comme celle de la jeune fille brandissant une paire de ciseaux de couture dans la rue, parce qu’elle n’en pouvait plus, et qui fut abattue sans hésitation (et sans nécessité). Car Israël réprime ainsi : de manière brutale, annihilatrice, hors la loi mais avec un excès de technique².

Nous sommes face à un traitement particulier de l’ennemi. Netanyahou et d’autres dirigeants l’ont dit et répété : ils combattent des animaux, pas des humains — ou plutôt si, des humains, mais des Amalécites. Et leur dieu leur a donné la permission, il y a quelques millénaires, de les tuer (voir l’Exode dans la Bible).

C’est un permis de très longue durée. Et « parfaitement valide » au XXI siècle.

Mais qui a dit à Netanyahou que les Palestiniens étaient des Amalécites ?

                 

 Gaza Relief, acrylique et autres matériaux sur toile, 2015

Le comportement de la population israélienne est frappant. Voyons les colons en Cisjordanie. Jamais autorisés par l’ONU, mais s’installant de facto sur un territoire internationalement reconnu comme palestinien, avec l’assentiment non exprimé du gouvernement israélien. Il y a quelques années, ils étaient des dizaines de milliers et, en petits groupes, protégés par l’armée, ils approchaient les villages palestiniens et les lapidaient, endommageaient oliveraies et citronniers. À coups de haches ou de caillasses. Parfois il y avait des blessés. Aujourd’hui, les colons sont des centaines de milliers, toujours protégés par l’armée, et en bandes armées de dizaines ou de centaines, ils rasent des villages palestiniens, détruisant maisons, installations, cultures, véhicules et parfois les corps des Palestiniens qu’ils trouvent sur leur chemin. Cherchant à instaurer la terreur.

Dernièrement, l’armée a pris l’initiative : sous prétexte de chercher des « terroristes », elle a détruit des quartiers entiers de population palestinienne désarmée : maisons, vêtements, jardins, jouets, livres, ustensiles — tous les éléments matériels de la vie sociale. Les familles se retrouvent sans foyer, sans biens, souvent sans proches, assassinés dans une dose quotidienne d’horreur.

Il s'agit pratiquement de la politique de « terre brûlée » attribuée à certaines invasions telles que celle des Huns, « barbares » des IVe et Ve siècles de l'ère chrétienne.

Les militaires israéliens ont même établi des barèmes : pour éliminer un petit guérillero, ils s’autorisent jusqu’à 15 civils tués ; pour un chef guérillero, jusqu’à 100 victimes collatérales⁴.

Depuis des décennies, nous voyons les effets du plan Yinon, exposé au début des années 1980. Oded Yinon proposait de fragmenter les États voisins en unités politiques plus petites : le Liban en deux ou trois ; l’Égypte en cinq ou six ; l’Irak en trois ; le Soudan en deux… et ainsi de suite.

Israël, ouvertement ou sous couvert de structures comme Daesh, a vu ses objectifs se réaliser progressivement : Libye, Irak, Syrie, Soudan, Liban, Palestine ont été dévastés par sa politique d’usure, toujours soutenue matériellement par les USA, qui ont joué le rôle de remorque et d'approvisionneur de l’imparable machine israélienne.

Ce soutien inconditionnel des USA à la géopolitique israélienne s'explique de plusieurs façons ; il existe un certain parallélisme entre les développements historiques des USA et d'Israël, bien que dans des contextes historiques très différents. Une base religieuse relativement commune, car les protestants sont les chrétiens qui ont réévalué certains aspects de l'Ancien Testament, qui est le noyau idéologique de la religion juive. Et ce sont eux qui ont colonisé l'Amérique du Nord, exterminant la population autochtone. Bible en main.

Mais surtout, parce qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les USA rompent leurs liens avec la Société des Nations obsolète (disparue en 1946) et fondent « leur » ONU (octobre 1945), l'élite WASP, fondatrice des USA, avait déjà été partiellement remplacée par l'élite juive grâce à une série de stratagèmes : think tanks, l'intelligentsia juive a un poids de plus en plus important ; la Réserve fédérale (le capital financier juif devient majoritaire parmi les dix banques fondatrices, en 1913) ; Hollywood (six des sept grandes entreprises seront dans les années 30 détenues et dirigées par des Juifs, de sorte que de plus en plus les images des USA seront produites avec un regard juif ; et surtout grâce au financement coûteux du personnel politique usaméricain, pour lequel l'AIPAC est fondé en 1951.2 Sans ces subventions, l'insertion sociale de la plupart de ces législateurs serait très difficile.

C'est pourquoi l'une des images les plus simplistes et erronées de certains analystes de politique internationale a été, et est encore souvent, celle du « sous-marin de la flotte usaméricaine » pour parler d'Israël au Proche-Orient. L'image (tail wagging the dog), très connue dans la pensée critique usaméricaine, selon laquelle la queue fait remuer le chien, semble plus appropriée.

Deux événements récents, dans l'orbite de l'ONU, cet ancien instrument que les USA se sont arrogé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour ordonner et/ou administrer le monde, nous montrent à quel point Israël mène la danse, changeant même les modalités de domination.

     

Sans titre, 2020

Jusqu'à récemment, très récemment, le pouvoir avait l'habitude de cacher son visage, ou ses crocs, et de dissimuler ses actions sous le couvert de la « volonté de paix », de la « recherche d'objectifs démocratiques », de la « conciliation » et de l'« aplanissement des difficultés ». Après tout, le résultat de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, a été la victoire contre toutes les formes de dictature (il restait là, « derrière le rideau », une dictature prétendument prolétarienne, et donc totalement différente de celles connues jusqu'alors ; il restait également celle de Franco en Espagne, mais cette dernière, comme tant d'autres en « Amérique latine », faisait partie de cette politique pragmatique yankee consistant à prendre soin du fils de pute s'il est « à nous »).

En d'autres termes, la défense de la démocratie avait ses difficultés, mais elle était encore invoquée.

1. La résolution du Conseil de sécurité du 11 novembre 2025

La résolution « sur le conflit à Gaza » exonère totalement Israël. Elle accepte tacitement la version israélienne d’un Israël « victime du terrorisme du Hamas », ignorant totalement les décennies de blocus, d’étouffement et d’abus qui ont façonné l’événement du 7 octobre 2023.

Israël ne subit ainsi aucune égratignure politique (ni économique) avec la résolution.

Ils n'auront même pas à rendre compte des meurtres collectifs et de leurs monstrueuses « équivalences » en vies humaines4, ni à indemniser les dommages brutaux causés à un territoire qui apparaît broyé et écrasé comme rarement auparavant. Ils n'auront pas non plus à faire face aux dépenses que nécessiteront la remise en état des sols, des logements, des réseaux de communication et d'assainissement, ni la reconstruction des hôpitaux, sans parler des milliers d'êtres humains brisés par le simple fait de vivre dans le cercle infernal conçu par Israël.

Le président des USA, qui aspire à maintenir l'hégémonie qui leur a été confiée en 1945, s'attribue désormais une présidence ou un gouvernement virtuel de la bande de Gaza, pour ─proclame-t-il─ sa reconstruction, toujours à la recherche de la prospérité (la seule chose positive dans cette démarche serait d'ôter à Israël son emprise sur ce territoire, mais je le mets au conditionnel, car ce n'est pas exactement Trump qui décide).

Le plan prévoit deux ans pour la reconstruction urbaine et immobilière. Compte tenu des dégâts visibles, de leur étendue et de leur ampleur, ce délai semble insuffisant.

Il comporte toutefois un aspect positif : l'idée de l'exil forcé des Gazaouis, tant promue par le gouvernement israélien, est abandonnée. Au contraire, du moins en paroles, la résolution déclare expressément la volonté de voir les habitants historiques rester dans la bande de Gaza.

Quoi qu'il en soit, le plan ne cache pas ses ambitions de business : attirer des capitaux importants pour créer des zones de confort, non pas pour les Gazaouis précisément, mais pour les milliardaires que Jared Kushner s'efforce tant d'attirer dans le futur complexe touristique de Gaza.

Nous ne pouvons oublier que des prospections ont confirmé la présence au moins de gaz en Méditerranée, à hauteur de la bande de Gaza. Et que la régence transnationale et impériale que Trump et Blair ─rien de moins─ cherchent à incarner a une préférence marquée pour leur propre prospérité.

L'ONU ne demande pas de comptes à Israël. Toujours absous de tout. Par droit de naissance, faut-il supposer. Mais en outre, dans les faits, l'ONU rétablit le colonialisme pur et dur : une puissance impériale, les USA, désigne Trump et Blair « roi et vice-roi » de ces domaines, afin de rétablir le cadre colonial. Seulement, il ne s'agit pas du colonialisme israélien, mais usaméricain.

La tâche que se sont assigné les chefs colonisateurs est ardue : ils se proposent de « changer les mentalités et les récits palestiniens », afin de persuader, semble-t-il, ces sauvages « des avantages que peut apporter la paix » (sic !).

Si ces maîtres pédagogues ─Blair et Trump─ voulaient proclamer les vertus de la paix, ils devraient s'adresser de toute urgence à la formation politique sioniste, qui, depuis cent ans, a toujours suivi la voie de la violence, et non celle de la paix, la voie de la guerre et de la conquête, envahissant des terres occupées depuis des millénaires, sur la base de documents bibliques douteux. Confondant délibérément religion et légende avec l'histoire documentaire.

La résolution du 11 novembre 2025 a été adoptée par le Conseil de sécurité élargi de l'ONU, qui ne comprend plus seulement les cinq membres originaux (USA, Royaume-Uni, France, Russie, Chine), mais aussi les membres actuels : Argentine, Italie, Espagne, Mexique, Colombie, Pakistan, Corée du Sud, Turquie, Indonésie et Allemagne.

Seules deux abstentions (peu fondées) de la Russie et de la Chine. Aucune des 15 représentations nationales n'a demandé pourquoi Israël pouvait se permettre un comportement violent, raciste et génocidaire en toute impunité.

       

          Détenu, 2024

Les personnes lucides et courageuses, désignées ou fonctionnaires de l'ONU elle-même, au fil du temps, comme Francesca Albanese, Susan Akram ou Richard Falk avant elles, et même Folke Bernadotte au tout début de l'ONU, et tant d'autres, ne suffisent pas à contrebalancer le rôle impérial, puis néo-impérial, que l'ONU continue de jouer, malgré les restrictions et les coupes budgétaires.

2. Le vote du 21 novembre 2025 contre la torture

Le 21 novembre 2025, l'Assemblée générale des Nations unies a rendu un avis contre le recours à la torture. La plénière comptait 176 délégations nationales et la résolution a été approuvée à une écrasante majorité (il y a eu 4 abstentions, dont celles du Nicaragua et de la Russie, ce qui soulève de nombreuses questions), mais surtout, elle a suscité la vive opposition de trois représentations nationales : les USA, Israël et l'Argentine. Ces pays ont alors défendu précisément cela : le recours à la torture.

De sombres nuages planent sur notre présent : non seulement la torture est encore utilisée, mais certains la préconisent, à l'instar des dictatures telles que les célèbres dictatures « latino-américaines » de Trujillo ou Pinochet, ou celle du shah d'Iran et, surtout aujourd'hui, celles très perfectionnées d'Israël et de son système de domination très rationnel qui comprend tant de types de torture.

  

Sans date, dessin au fusain et au pastel

Notre trame culturelle est tellement bouleversée qu'une militaire israélienne, Yifat Tomer-Yerushalmi, procureure qui, après avoir ignoré tant d'abus et de tortures antérieurs, a récemment choisi de criminaliser cinq soldats de « l'armée la plus morale du monde » pour avoir introduit des tubes métalliques dans l'anus d'un prisonnier palestinien et (évidemment) lui avoir fait du mal. Les médias du monde entier parlent de l'arrestation de la procureure, mais pas de la santé (ou de la mort) du Palestinien ; la procureure a elle-même été emprisonnée.

Netanyahou a condamné la diffusion de la vidéo faite par Tomer parce que, bien sûr, « cela nuit à l'image ».

Ce qui compte pour Netanyahou, c’est « l’image » et pas la réalité (sérieusement endommagée).

Ce qui est arrivé à Tomer est un exemple clair du comportement adopté et défendu par les gouvernements des USA, d'Israël et d'Argentine.

De la honte, ne serait-ce que comme posture, nous sommes passés au « grand honneur ». Les « légitimes » torturent et non seulement ils ne se déshonorent pas, nous déshonorant tous, mais ils en sont même fiers.

Illustrations : œuvres du peintre palestinien Mohamed Saleh Khalil, Ramallah

Notes

¹ Il a écrit un livre : La fureur et le délire, Tusquets, Barcelone, 1999.

² Israël minimise la responsabilité individuelle en menant ses raids via drones et systèmes automatisés…

³ AIPAC (American Israel Public Affairs Committee – Comité Américain des affaires publiques d’Israël). On estime qu'aujourd'hui, les trois quarts des représentants et sénateurs du pouvoir législatif usaméricain reçoivent de généreux dons d'organisations telles que l'AIPAC. Autrement dit, les votes sont gagnés d'avance.

⁴ Les militaires israéliens ont établi des tableaux d’équivalence : pour localiser et éliminer un guérillero de peu d'importance, ils s'autorisent à tuer jusqu'à quinze civils désarmés, souvent étrangers à l'affaire ; s'il s'agit d'un chef guérillero ─tel qu'ils le définissent─, ils s'autorisent à tuer jusqu'à cent personnes étrangères à l'objectif lui-même.

 

09/11/2025

Jaafar Ashtiyeh : ce photojournaliste palestinien a longtemps documenté la violence israélienne. Cette fois, elle a failli le tuer


 Ashtiyeh : « Je suis le photographe le plus actif et le plus ancien de Cisjordanie, et je n’ai jamais affronté de dangers comme ceux-ci. » Photo Alex Levac

Jaafar Ashtiyeh, photographe de presse renommé en Cisjordanie, a été blessé à de nombreuses reprises au cours de son travail. Mais rien ne l’avait préparé à ce que les colons lui ont fait subir.

Gideon Levy & Jaafar Ashtiyeh / AFP (photos), Haaretz, 8/11/2025
Traduit par Tlaxcala

 

Jaafar Ashtiyeh a vu et photographié les dernières expressions d’innombrables personnes rendant leur dernier souffle. Il ne les oubliera jamais. En près de trente ans de travail comme photographe pour l’agence de presse française AFP en Cisjordanie, il a saisi des milliers d’images de tristesse, de souffrance humaine, de mort, de paix, d’espoir, de victoire, voire de bonheur.

Il lui est difficile de choisir laquelle résume le mieux sa vie professionnelle. Mais lorsqu’on le presse, il finit par en désigner une : celle d’une vieille femme étreignant le tronc d’un olivier, prise en 2006, devenue depuis iconique.


 

Ce photographe de guerre vétéran a documenté pratiquement tout ce qui s’est produit en Cisjordanie occupée et asphyxiée au cours des dernières décennies. Il y a environ un mois, alors qu’il photographiait des Palestiniens récoltant leurs olives, il a été attaqué par une bande de colons violents. Ils ont incendié sa voiture sous ses yeux et, s’il n’avait pas pris la fuite, il est convaincu qu’ils l’auraient tué.

Nous l’avons rencontré la semaine dernière dans un café de la ville de Huwara, près de Naplouse, non loin du lieu de l’agression : des oliveraies appartenant aux habitants du village de Beita. Ashtiyeh n’a pas encore de nouvelle voiture et a à peine repris le travail depuis l’attaque. Les signes de choc, les séquelles de l’agression et, surtout, le sentiment d’impuissance qu’il éprouve restent visibles, même sur ce vétéran aguerri.


La voiture de Jaafar Ashtiyeh brûle dans le village de Beita le 10 octobre. « Je ne suis pour ni contre personne », dit-il. Son travail, explique-t-il, a toujours consisté simplement à prendre des photos. « Certains soldats le comprenaient ; d’autres nous traitaient de terroristes. »

 

Il est né il y a 57 ans dans le village de Salem, près de Naplouse, où il vit toujours avec sa famille. Pendant quelques années, il a été vice-président du conseil local à titre bénévole. Depuis sa majorité, il n’a jamais été arrêté ni eu de démêlés avec les forces de sécurité israéliennes. En tant que photographe pour une agence internationale, il affirme maintenir la neutralité.

Ashtiyeh n’a jamais étudié la photographie – il a fait des études d’économie dans un collège de Naplouse –, mais en 1996, il a commencé à travailler pour l’AFP. Il avait loué un appareil photo et pris des clichés au tombeau de Joseph. L’agence prestigieuse les a publiés et l’a engagé depuis. La BBC a même choisi une de ses photos comme « photographie de l’année ».

03/11/2025

Ne faites surtout pas de la procureure militaire israélienne démissionnaire une martyre

 ACTUALISATION
Yifat Tomer-Yerushalmi a été arrêtée dans le cadre d’une enquête concernant la diffusion d’une vidéo montrant des violences en 2024 contre des détenus palestiniens par des soldats israéliens dans une prison de haute sécurité, a fait savoir lundi le ministre de la sécurité intérieure. Après avoir annoncé sa démission vendredi, Mme Tomer-Yerushalmi avait brièvement disparu dimanche, déclenchant des spéculations dans la presse quant à une possible tentative de suicide. Dans un message sur Telegram, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a annoncé lundi qu’il « a été convenu qu’à la lumière des événements de la nuit dernière le service pénitentiaire agirait avec une vigilance accrue pour assurer la sécurité de la détenue dans le centre de détention où elle a été placée en garde à vue ».

Cela valait-il la peine, générale Tomer-Yerushalmi, de servir avec tant de servilité une armée criminelle, pour finir de manière aussi pathétique ?

Gideon Levy, Haaretz, 2/11/2025

Traduit par Tlaxcala

Quand la nuit devient le jour, une procureure générale militaire peut devenir une martyre, quelqu’un qui a combattu pour le respect de la loi et des droits humains jusqu’à être brûlée sur le bûcher, victime innocente de la méchante droite. Quand la nuit devient le jour, ce n’est que lorsque la procureure générale ne manque pas à son devoir et ose, pour la première (et dernière) fois de sa carrière, faire preuve de courage, qu’elle est destituée.


La générale de division Yifat Tomer-Yerushalmi au quartier général de Tsahal à Tel-Aviv, le mois dernier. Photo Itai Ron

Le monstre insatiable ne peut jamais être rassasié. Vous pouvez défendre le génocide, Générale Yifat Tomer-Yerushalmi, vous pouvez dissimuler tous les crimes, enterrer toutes les enquêtes et blanchir les exactions commises par les soldats israéliens, satisfaisant ainsi vos supérieurs. Mais à la première erreur, le monstre vous tiendra pour responsable.
Cela valait-il la peine, Générale Tomer-Yerushalmi, de servir avec une telle servilité une armée criminelle, pour finir de façon aussi pathétique ? N’aurait-il pas été plus juste d’accomplir votre devoir, de parler avec audace et intégrité, au moins d’être déposée avec un peu de dignité ? Comme le dit la vieille parabole juive : vous avez mangé le poisson pourri et avez tout de même été expulsée de la ville. Cela en valait-il la peine ?

Pendant des années, vous avez rendu des jugements dans des tribunaux militaires qui n’ont rien à voir avec ce qu’on vous a enseigné à l’université. Vous étiez procureure et juge, jetant des milliers de personnes en prison sans véritable procès. Vous avez empêché toute enquête sur des milliers de crimes commis par des soldats contre des Palestiniens, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Chaque cas d’enfant abattu sans raison, chaque soldat violent, a reçu une caution légale de votre part et de celle du système que vous dirigez. Dans ce système, il n’y a jamais de soldats coupables de crimes, pas même après les horreurs de Gaza.
Vous avez prêté la main au spectacle le plus méprisable : celui qu’on appelle le système de justice militaire, où il suffit d’être palestinien pour être condamné ; un tribunal d’apartheid où les accusés n’ont ni droits ni acquittements, une mise en scène bon marché d’une justice factice. C’est ainsi que vous avez gravi les échelons, jusqu’à devenir procureure générale militaire, tout cela pour blanchir les crimes de l’armée à laquelle vous apparteniez.

Aucune institution judiciaire sérieuse au monde ne blanchirait les crimes de l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie. Et vous, Générale Tomer-Yerushalmi, vous l’avez fait avec joie. Vous étiez l’avocate du génocide, et le jour viendra où cela vous sera reproché. Maintenant, le système vous rend la pareille : vous avez été limogée pour les plus mauvaises raisons possibles.

Il est difficile de savoir ce qui a poussé Tomer-Yerushalmi à s’écarter soudainement de son rôle assigné et à être choquée par une vidéo où des gardiens de prison militaires sadiques – non pas des « soldats de combat », comme on les appelle habituellement – maltraitent brutalement un détenu palestinien sans défense. Selon l’acte d’accusation, ces cinq gardiens, véritables déchets humains, ont poignardé leur victime dans le rectum, le déchirant, tout en lui brisant les côtes et en perforant un poumon.

Il était important de montrer aux Israéliens ce que font nos soldats, surtout dans l’atmosphère du « tout est permis à Tsahal » qui domine depuis le 7 octobre. Soudain, la générale a offert un moment de vérité au débat. Elle a compris que les chances de condamner les accusés, dans l’ambiance publique actuelle, étaient infimes. C’est pourquoi elle a publié la vidéo, le seul acte pour lequel elle mérite une médaille.


Sde Teiman



C’est un événement courant dans les prisons militaires, mais cette fois, elle a été choquée. N’avez-vous pas entendu parler des 80 détenus morts en prison, certains sous les coups de soldats israéliens ? Qu’avez-vous fait face à ces morts ? Qu’avez-vous fait à propos du soldat qui a tiré et tué un garçon de 9 ans dans le village cisjordanien d’al-Rihiya il y a deux semaines ? Le porte-parole de l’armée a déclaré que « l’affaire a été transmise au bureau de la procureure générale militaire pour examen ». L’enquête se terminera dans quelques années, et que se passera-t-il pour ce soldat ? Le fait qu’il se promène encore libre est la réponse.

Quand la nuit devient le jour, les cinq hommes accusés de mauvais traitements au centre de détention de Sde Teiman deviennent les victimes. Leur grâce est déjà en route, et celle qui a enfoncé le couteau dans leur rectum, c’est la procureure générale militaire. Le ministre de la Défense, Israel Katz, salive déjà de désir de vengeance.
Comme il aime renvoyer des officiers supérieurs, comme le pouvoir l’enivre – et tous, y compris le commentateur modéré Nadav Eyal, jugent la fuite de la vidéo « scandaleuse ». Voici le crime et voici sa coupable. Mais surtout, ne la transformez pas en martyre.

Quand la nuit devient le jour, les cinq hommes accusés de mauvais traitements au centre de détention de Sde Teiman deviennent les victimes. Leur grâce est déjà en route.


26/10/2025

Il n’est plus possible d’être Palestinien en Cisjordanie

Gideon Levy, Haaretz, 26/10/2025
Traduit par
Tlaxcala


Tandis que Trump donne sa parole aux pays arabes que l’annexion israélienne « n’aura pas lieu », il tourne le dos à la destruction, à la dépossession, à la pauvreté, à la violence des colons et aux abus militaires en Cisjordanie, permettant au tourment de se poursuivre : il n’y a pas de cessez-le-feu.

Des Palestiniens se tiennent à côté d’une route détruite après une opération militaire israélienne dans la ville cisjordanienne de Tubas, la semaine dernière.
Photo Majdi Mohammed / AP

En Cisjordanie, personne n’a entendu parler du cessez-le-feu à Gaza : ni l’armée, ni les colons, ni l’Administration civile, et bien sûr pas les trois millions de Palestiniens vivant sous leur tyrannie. Ils ne sentent en rien la fin de la guerre.

De Jénine à Hébron, aucun cessez-le-feu n’est en vue. Depuis deux ans, la Cisjordanie vit sous un régime de terreur, à l’abri de la guerre dans la bande de Gaza, qui sert de prétexte douteux et de rideau de fumée, et rien n’indique que cela soit près de se terminer.

Tous les décrets draconiens imposés aux Palestiniens le 7 octobre demeurent en vigueur ; certains ont même été durcis. La violence des colons se poursuit, tout comme l’implication de l’armée et de la police dans les pogroms. À Gaza, moins de personnes sont tuées et déplacées, mais en Cisjordanie tout continue comme s’il n’y avait aucun cessez-le-feu.

L’administration Trump, si active et résolue à Gaza, ferme les yeux sur la Cisjordanie et se ment à elle-même sur la situation là-bas. Empêcher l’annexion lui suffit. « Cela n’arrivera pas, j’ai donné ma parole aux pays arabes », a déclaré le président Donald Trump la semaine dernière, tandis que, dans son dos, Israël fait tout pour détruire, spolier, maltraiter et empêcher toute possibilité de vie en Cisjordanie.


Des colons israéliens jettent des pierres en direction de villageois palestiniens lors d’une attaque contre le village cisjordanien de Turmus Ayya, en juin.
Photo Ilia Yefimovich / dpa

Il semble parfois que le chef du Commandement central de Tsahal, Avi Bluth, fidèle et obéissant à son supérieur — le ministre des Finances Bezalel Smotrich, également ministre au sein du ministère de la Défense — mène une expérience humaine, de concert avec les colons et la police : voyons jusqu’où nous pouvons les tourmenter avant qu’ils n’explosent.

L’espoir que leur soif d’abus se calmerait en même temps que les combats à Gaza a été anéanti. La guerre dans la bande n’était qu’un prétexte. Quand les médias évitent la Cisjordanie et que la plupart des Israéliens — et des USAméricains — se désintéressent de ce qui s’y passe, le supplice peut continuer.

Le 7 octobre a bel et bien constitué une occasion historique pour les colons et leurs collaborateurs de faire ce qu’ils n’avaient pas osé faire depuis des années.


La famille Zaer Al Amour, dans les collines du sud d’Hébron — une région souvent soumise à la violence des colons et de l’armée — monte la garde à tour de rôle du soir jusqu’au matin pour protéger ses terres.
Photo Wisam Hashlamoun / Anadolu via AFP

Il n’est plus possible d’être Palestinien en Cisjordanie. Elle n’a pas été détruite comme Gaza, des dizaines de milliers de personnes n’y sont pas mortes, mais la vie y est devenue impossible. Il est difficile d’imaginer que la poigne de fer d’Israël puisse durer encore longtemps sans explosion de violence — cette fois, justifiée.

Entre 150 000 et 200 000 Palestiniens de Cisjordanie qui travaillaient en Israël sont au chômage depuis deux ans. Deux ans sans le moindre shekel de revenu. Les salaires de dizaines de milliers de fonctionnaires de l’Autorité palestinienne ont également été fortement réduits à cause de la rétention par Israël des recettes fiscales qu’il collecte pour elle.

La pauvreté et la détresse sont omniprésentes. Les barrages routiers et les checkpoints aussi ; jamais il n’y en a eu autant, et pour une période aussi longue. Ils se comptent maintenant par centaines.

Chaque colonie possède des portails de fer fermés, ou qui s’ouvrent et se referment tour à tour. Impossible de savoir ce qui est ouvert ou fermé — et, plus important encore, quand. Tout est arbitraire. Tout se fait sous la pression des colons, qui ont fait de l’armée israélienne leur servante soumise. Voilà ce que c’est, quand Smotrich est le ministre de la Cisjordanie.


Une maison incendiée lors des émeutes de 2023 dans le village de Hawara. Smotrich parlait déjà en 2021 d’un « Plan décisif ».
Photo Amir Levi

Environ 120 nouveaux avant-postes de colonisation, presque tous violents, ont été établis depuis le maudit 7 octobre, couvrant des dizaines de milliers d’hectares, tous avec le soutien de l’État. Pas une semaine ne passe sans de nouveaux avant-postes ; tout aussi inédite est l’ampleur du nettoyage ethnique qu’ils visent : Hagar Shezaf rapportait vendredi que, durant la guerre de Gaza, les habitants de 80 villages palestiniens de Cisjordanie ont fui pour sauver leur vie, par peur des colons qui se sont emparés de leurs terres.

Le visage de la Cisjordanie change chaque jour. Je le vois de mes propres yeux stupéfaits. Trump peut se vanter d’avoir stoppé l’annexion, mais celle-ci est plus enracinée que jamais.

Depuis le centre de commandement que l’armée usaméricaine a établi à Kiryat Gat, on peut peut-être voir Gaza, mais on ne voit pas Kiryat Arba, la colonie située près d’Hébron.

La Cisjordanie crie à l’aide d’une intervention internationale urgente, tout autant que la bande de Gaza. Des soldats — usaméricains, européens, émiratis ou même turcs — quelqu’un doit protéger ses habitants sans défense. Quelqu’un doit les délivrer des griffes de Tsahal et des colons.

Imaginez un soldat étranger à un checkpoint stoppant des nervis colons en route pour un pogrom. Un rêve.

09/10/2025

Enfin, j’ai visité la Palestine… Voici mon expérience dans la prison israélienne après mon arrestation et celle de mes compagnes et compagnons de la Global Sumud Flotilla

Lyna Al TabalRai Al Youm, 8/10/2025
Traduit par Tlaxcala

« Enfin, tu as visité la Palestine » : c’est ainsi que s’achevait le message que m’a adressé mon amie et sœur Oum Al-Qassam, l’épouse du résistant emprisonné Marwan Barghouti.
Oui, enfin, j’ai visité la Palestine — une visite douloureuse et belle à la fois, un passage entre deux blessures…

J’ai vu le désert du Naqab [“Néguev”] s’étendre devant moi, figé dans une immobilité infinie. Je l’ai observé pendant deux heures à travers une fente étroite d’un camion métallique fermé, impropre même au transport de marchandises avariées.
Mais l’occupation avait décidé de tester notre capacité à supporter le silence sous la pression, la chaleur extrême, le froid glacial de leurs climatiseurs et le vacarme qu’ils produisent…
Pourtant, voir la terre de Palestine a suspendu le temps : les rituels préférés de torture de l’occupant n’avaient plus d’emprise.

Quand le camion s’est arrêté, devant l’aéroport, pour nous expulser, ils nous ont menacés de nous arrêter à nouveau si nous faisions le signe de la victoire…

Une armée lourdement armée — la quatrième au monde — et un État nucléaire qui tremble devant des doigts levés !
Quelle est donc cette puissance qui s’effraie d’un simple symbole ?

Nous sommes sortis dans le calme, la tête haute, chantant une douce chanson pour la Palestine, lançant des slogans et des signes de victoire.
Puis j’ai vu les montagnes devant moi… la chaîne du Ras al-Rumman [“Mont Ramon”] s’étendant jusqu’à l’horizon.
Ce moment fut silence, paix, et émotion spirituelle inédite…
Et je vous l’assure : voir la Palestine… vaut tout.



Dans les cellules israéliennes

Cherchez les montagnes du Rumman sur Google, puis fermez les yeux… imaginez-les devant vous.

Nous étions un groupe ayant voulu naviguer pour briser le blocus de Gaza dans une mission humanitaire et non violente.
Nous transportions de la farine, des médicaments et ce qui reste de conscience et d’humanité…
Vous connaissez la suite : nous avons été kidnappés dans les eaux internationales, sous le soleil et en mer.
Mais nous nous étions approchés de Gaza… nous l’avons vue à l’aube : oui, nous avons vu Gaza, alors même que nous étions prisonniers, sous le ciel de la Palestine.

L’opération d’interception fut, selon les termes de l’armée israélienne, « professionnelle » — autrement dit : illégale, inhumaine, mais comme toujours présentée comme justifiée.

Ils nous ont conduits au port d’Ashdod, où le cirque israélien habituel a commencé : insultes, menaces… la même haine inchangée depuis des décennies.
La même langue, la même arrogance, le même racisme.

Ils nous ont jetées dans des camions — des véhicules impropres au transport, ni d’êtres humains, ni même de marchandises.
Une policière m’a poussée dans une cellule métallique d’à peine un mètre et demi, suffisant à peine pour quatre souffles humains.
Ma tête a heurté le mur de métal. L’espace d’un instant, j’ai cru qu’elle m’avait tiré dessus.
À côté de moi, s’est assise Rima Hassan, députée européenne. Elle s’est tournée vers moi :

“Ils m’ont frappée aussi. Ils vont probablement nous mettre à l’isolement, mais au moins, on est ensemble.”
Nous avons ri. Car quand la peur s’épuise, elle devient ironie froide.

Peu après, la policière a jeté dans la cellule une femme algérienne septuagénaire nommée Zubaida, ancienne députée, accompagnée de Sirine, une jeune militante.

Quatre femmes de trois continents, dans une cage où même leurs souffles n’avaient pas de place.
L’air était irrespirable, saturé de violence et de menace.
Nos corps trempés de sueur ; puis, quand la chaleur est devenue insupportable, ils ont allumé la clim glaciale — non par pitié, mais comme partie d’une ingénierie du supplice : chaud… froid… chaud… froid.

                                   

Ils nous ont ensuite transférées vers le centre de détention, dans les sections 5 et 6, répartissant les femmes dans 14 cellules.
Moi, j’ai été placée dans la cellule numéro 7. Un joli chiffre, ai-je pensé, jusqu’à la première nuit, à quatre heures du matin :
le ministre Itamar Ben Gvir, symbole du malheur, a fait irruption dans notre cellule, accompagné de sa troupe et de ses chiens policiers.
Il s’est présenté : “Je suis le ministre de la sécurité nationale”, et s’est mis à menacer des femmes endormies.

Il m’a demandé ma nationalité. J’ai gardé le silence.
Et si je disais “libanaise” ?  Non. Mieux vaut dormir que déclencher une bataille.

Je lui dis en mon for intérieur : “Ben Gvir, avant d’agir ou de parler, consulte l’intelligence artificielle, elle au moins possède un peu d’intelligence.
Ton idiotie, si elle était une énergie renouvelable, éclairerait tout le Néguev, et peut-être aussi l’obscurité de ton esprit.”

Le matin, ils nous réveillaient pour le comptage : 14 femmes, matin et soir, encore et encore…
Le nombre ne changeait jamais, mais ils insistaient, surtout la nuit.
Nous riions à chaque comptage et nous rendormions.

Pas de nourriture, presque pas d’eau, menaces constantes d’exécution ou de gaz.
Aucun droit : pas d’avocat, pas de médecin, pas de médicaments, pas même du paracétamol.

Chaque jour, ils nous emmenaient vers une cage semblable à celles de Guantánamo, de 15 mètres carrés, où ils entassaient 60 femmes sous le soleil du Néguev pendant 5 à 7 heures, sous prétexte de voir un juge… qui parfois n’apparaissait même pas.
Un policier a pointé son arme sur ma tête parce que je n’avais pas mis mes mains derrière mon dos :

“Je vais te tuer,” a-t-il dit sérieusement.
Je lui ai souri.

Notre jeu préféré : leur répondre d’une seule voix —

“Vas-y, tue-moi !”
“Tuez-nous !”
Des mots pour éteindre la peur, comme on souffle sur une bougie avant de la rallumer.

Les policiers israéliens ne comprenaient pas d’où nous venions… Nous les avons épuisés.
Nous chantions, nous criions “Vive la Palestine”, fixant leurs yeux avec fermeté et sourire ; peut-être les avons-nous honteusement désarmés.
L’un d’eux m’a dit : “Ce que vous faites, c’est… bien.”

Je ne nierai pas ma peur : j’ai eu peur, j’étais tendue, épuisée.
Mais la justice, on n’a pas peur de la réclamer, encore et encore, n’est-ce pas, mon ami ?

Nous criions, ils arrivaient avec armes, gaz et chiens ; ils repartaient ; nous recommencions.

Le plus beau texte que j’aie jamais lu était gravé sur les murs de ces cellules :
des noms, gravés à l’ongle ou avec la pointe d’un stylo trouvé près d’une fenêtre :
Abou Iyad, Abou Ma’moun, Abou Omar, Abou Mohammed de Beit Lahia, Jabaliya, Hay Al-Amal, Al-Shuja’iyya, Nord de Gaza.
Ils avaient écrit leurs dates d’arrestation, la dernière était le 28 septembre.
Ils avaient écrit : “On nous a transférés aujourd’hui…”
Peut-être avaient-ils vidé la cellule pour nous.

Dans la cellule n°7, il y avait aussi :

  • Judith, la plus jeune, 18 ans, allemande ;
  • Lucía, députée espagnole ;
  • Marita, militante suédoise ;
  • Jona, chanteuse et politicienne usaméricaine ;
  • Zubaida, députée algérienne ;
  • Hayat, correspondante d’Al-Jazeera ;
  • Patty, députée grecque ;
  • Dara, réalisatrice grecque…

Nous étions de cultures différentes, mais derrière les barreaux, une seule voix : “تحيا فلسطين – Vive la Palestine !”

J’ai décidé de traiter les geôliers comme le ferait une juriste : documenter d’abord, puis classer.
Il y avait :

  • le “gentil”, celui qui me transmettait en secret des infos : date de libération, visite des consuls ;
  • le “méchant”, dont le regard chaque matin tirait des balles de haine ;
  • l’“indifférent”, ni haineux ni bienveillant — un robot administratif sans conscience.

Puis est venu le “divertissement culturel” :
ils nous ont forcées à regarder un film de propagande sur le 7 octobre.
Nous avons refusé, avons crié : “Arrêtez le génocide à Gaza !”
Ils sont devenus fous. Nous avons refusé encore.
Ce fut notre petite bataille finale, et nous l’avons gagnée.

J’ai oublié de vous dire : nous étions dans la prison du Néguev — en hébreu : Ketziot — appelée Ansar 2 pendant la première Intifada.
La fenêtre de ma cellule donnait sur un terrain vague, où se dressait un immense panneau montrant Gaza détruite, surmontée de l’inscription “La Nouvelle Gaza” en arabe, et en dessous, un grand drapeau israélien, arrogant.

Ainsi fut ma visite de la Palestine :
une fête de torture, de menaces, et de détention temporaire sur une terre occupée.
Mais j’ai vu les montagnes, j’ai vu Gaza de loin, et j’ai vu de près la peur israélienne.

Oui… enfin, j’ai visité la Palestine.

Et l’histoire n’est pas finie…
Attendez-nous en décembre, car les navires font une pause, mais continueront de naviguer.