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16/11/2024

OFER ADERET
Un an après la guerre du Kippour, Yitzhak Rabin a déclaré qu'il n'y avait pas de solution militaire au conflit israélo-arabe

Ofer Aderet, Haaretz, 14/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À l'occasion du 29e anniversaire de l'assassinat de Rabin [4 novembre 1995, NdT], les archives de Tsahal ont publié les déclarations faites par l'ancien Premier ministre lors d'une réunion du Forum de l'état-major général en 1974. « S'il y a une chance de progresser, c'est uniquement par le biais de négociations », a-t-il déclaré, tout en mettant en garde contre la création d'un État palestinien . « Ce serait le détonateur immédiat de la prochaine guerre ».

 Yitzhak Rabin avec la Première ministre Golda Meir à Washington en 1973. Photo : Moshe Milner / GPO

Deux décennies avant de signer les accords d'Oslo avec les Palestiniens et un accord de paix avec la Jordanie, l'ancien Premier ministre Yitzhak Rabin pensait qu'il n'était pas possible de résoudre le conflit israélo-arabe par des moyens militaires, mais uniquement par des négociations. Cependant, Rabin s'est montré pessimiste quant à la réalisation de la paix au cours de ces années et a averti que la création d'un État palestinien en Cisjordanie mènerait à la guerre.
Rabin a fait cette déclaration il y a 50 ans, lors d'une réunion secrète du forum de l'état-major général des FDI, en septembre 1974, un an après la guerre du Kippour. La réunion portait sur les préparatifs de la prochaine guerre. Le procès-verbal et son enregistrement ont été publiés mercredi par les archives de Tsahal au ministère de la Défense, à l'occasion de la journée de commémoration du 29e anniversaire de l'assassinat de Rabin, qui est célébrée selon le calendrier hébraïque.

Yitzhak Rabin avec Henry Kissinger en mars 1975.  Photo : GPO

« Dans le conflit israélo-arabe, je ne vois pas la possibilité de parvenir à une solution par des moyens militaires », a déclaré Rabin. « En d'autres termes, en supposant que nous puissions, par la guerre, parvenir à une situation dans laquelle nous pourrions imposer la paix, je ne vois pas cela comme quelque chose de réaliste. Cela ne veut pas dire que nous n'aurons pas de guerres. Mais je ne suggère pas de partir du principe que nous pourrions, par la guerre, imposer une solution diplomatique globale. S'il y a une chance - et je ne suis pas sûr qu'il y en ait une - de progresser vers une solution, ce n'est que par la négociation », a-t-il ajouté.
Cependant, Rabin a également déclaré que « les négociations doivent également être basées sur la puissance militaire, car sans cela, il n'y aura pas de négociations diplomatiques ». Il a déclaré qu'après la victoire d'Israël en 1967, lorsque le pays a occupé la Cisjordanie, la bande de Gaza, le plateau du Golan et le Sinaï, Israël a acquis de « meilleurs atouts défensifs ». Cependant, « je ne suis pas sûr que cela signifie que nous pouvons parvenir à la paix ».
Rabin n'était pas optimiste quant à la possibilité de parvenir à la paix à l'époque où ces propos ont été tenus. « Je ne crois pas que nous puissions actuellement parvenir à des négociations sur un accord de paix global. Tout d'abord, les Arabes n'en veulent pas ». Il a averti que la paix signifiait aussi un État palestinien en Cisjordanie, « et ce serait la mèche qui déclencherait la prochaine guerre ». Il a ajouté et mis en garde contre les solutions provisoires, telles que « la recherche de quelque chose qui n'est pas exactement la paix, quel que soit le nom qu'on lui donne. Quand on regarde la réalité arabe avec les yeux ouverts, il n'est pas évident que ce soit la meilleure solution ». Il a conclu cette partie de sa déclaration de manière pessimiste : « Je n'ai pas besoin de parler de cette question, car nous connaissons les faits. Personne n'est prêt à nous parler de paix ». 


Les archives de Tsahal ont également publié un clip vidéo d'un service commémoratif organisé en 1988 pour le corps blindé, au cours duquel Rabin, qui était alors ministre de la Défense, s'est adressé aux familles endeuillées. Dans le corps blindé, on dit que « l'homme est l'acier ». Je pense le contraire. L'acier est froid, sans vie et sans âme. Il est dur, lourd et passe par-dessus les choses. L'homme n'était pas et n'est pas de l'acier. Il est de chair et de sang, il rit et pleure, il rêve et part à la guerre ; il voyage, il vit sa vie et, si nécessaire, il est prêt à la sacrifier ». En ce qui concerne les morts du corps d'armée, Rabin a déclaré : « Ils étaient des gens comme nous, qui n'étaient pas faits d'acier ; leurs cœurs battaient comme les nôtres et ils voyaient les mêmes choses que nous, entendaient les mêmes sons. Ils voulaient continuer à vivre. Mais lorsqu'ils ont été appelés, ils se sont présentés ».
Il a terminé son intervention en évoquant la force qui unit les familles endeuillées. « Qu'est-ce qui nous amène ici, si ce n'est le désir de se souvenir et de rappeler ? C'est notre désir d'être ensemble... de puiser la force en nous-mêmes, dans la grande famille qui n'a pas de secteurs ni de classes, pas de fêtes, de rivalités ou de disputes, sans que personne ne vienne la perturber », a-t-il déclaré. [Amen, NdT]

15/09/2023

OFER ADERET
La résurrection de l’hébreu en Israël a été difficile au-delà des mots

Ofer Aderet, Haaretz, 20/2/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ofer Aderet est un historien israélien, chargé de cours à l’Université Ouverte d’Israël et collaborateur du quotidien Haaretz.

 

Bialik pressait les Juifs de Palestine de parler hébreu, mais “péchait” lui-même en utilisant le yiddish, et les fonctionnaires de Tel-Aviv voulaient que les résidents mentent et disent qu’ils rêvaient en hébreu. Une chercheuse estime que le développement de l’hébreu en tant que lingua franca s’est heurté à une réalité complexe.


Cours d’hébreu pour nouveaux immigrants à Dimona, 1955. Photo : Moshe Pridan/GPO

 Il y a environ 90 ans, juste avant un recensement général des habitants de la “Terre d’Israël”, la municipalité de Tel-Aviv a adressé une demande inhabituelle aux habitants de la ville : ils devaient répondre par l’affirmative à la question de savoir s’ils parlaient hébreu, même s’ils rêvaient en yiddish, lisaient en allemand ou cuisinaient en ladino.

« La réponse définitive et claire concernant la langue hébraïque en tant que lingua franca de la population centrale de notre ville a une grande valeur nationale et politique », expliquait une publicité distribuée par la municipalité aux résidents locaux, ajoutant : « Nous souhaitons attirer l’attention des résidents sur l’importante nécessité de souligner la place de notre langue nationale dans notre vie publique et culturelle ».

La chercheuse Zohar Shavit, experte en sémiotique et en recherche culturelle à l’université de Tel-Aviv, a trouvé cette publicité dans les archives municipales de Tel-Aviv alors qu’elle réalisait une nouvelle étude visant à examiner le statut de la langue sacrée aux yeux des habitants de la “Terre d’Israël” à la veille de la création de l’État juif.  

 

Tract en quatre langues (hébreu, yiddish, anglais, allemand) des années 1930 encourageant l’utilisation de la langue hébraïque.  Photo Collection de la bibliothèque nationale

 « Plus d’une description de la présence de l’hébreu dans le domaine public était teintée de propagande », explique la professeure Shavit. « Parfois, même des données statistiques apparemment objectives sur l’étendue de la présence de l’hébreu dans la vie du Yichouv (la communauté juive d’avant l’État) étaient biaisées et contaminées », ajoute-t-elle, faisant référence à l’ingérence de la municipalité de Tel-Aviv dans le recensement de 1931. À l’époque, il semble que tous les moyens étaient valables « pour tenter de présenter une image de l’exclusivité de la langue hébraïque dans la vie du Yichouv », ajoute-t-elle. Mais en fait, a-t-elle découvert, « il y avait une tension entre la réalité et la façon dont elle était dépeinte ».

Un sondage réalisé en 1912 avait révélé que moins de la moitié des habitants de la ville parlaient l’hébreu. Sur les 790 habitants de Tel Aviv de l’époque, 43 % ont déclaré parler l’hébreu, 35 % le yiddish (dénoncé comme un “jargon"”par certains), 11 % le russe et le reste le français, l’anglais, le ladino, l’arabe et l’allemand. Le penseur et auteur sioniste Ahad Ha’am s’est inquiété à l’époque du fait que ces données « serviraient d’arme dans les mains de ceux qui haïssent l’hébreu » et s’est demandé « si à Tel-Aviv une majorité de résidents parlent également d’autres langues et si le jargon (yiddish) est sur un pied d’égalité avec l’hébreu - où est donc la renaissance de l’hébreu ? »

Le poète hébreu Haïm Nahman Bialik. Photo : Avraham Suskin/GPO

En même temps, Ahad Ha’am a reproché à la presse, qui a publié les résultats du sondage, de ne pas avoir présenté des données plus détaillées qui auraient prouvé, comme il l’a dit, que « presque tous les enfants parlent hébreu ».

La professeure Shavit a découvert un autre cas où les enfants étaient décrits comme annonçant la renaissance de la langue nationale dans un article d’Itamar Ben-Avi, fils d’ Éliézer Ben-Yehoudah, la force motrice de ce processus de renaissance. En 1902, Ben-Avi décrivait ainsi la langue des enfants des jardins d’enfants de la ville de Jaffa, voisine de Tel-Aviv : « Et avec un son mélodieux, en utilisant un hébreu authentique, vivant et agréable, ils appellent chaque chose par son nom. Ils parlent hébreu... ils jouent en hébreu... ils se disputent et s’interrogent en hébreu ».

Pourtant, cette description ne reflétait pas tout à fait la réalité complexe. En effet, c’est l’image inverse qui a été présentée par le poète hébreu pionnier Haïm Nahman Bialik, en 1909. « La première impression, à vrai dire, n’est pas celle d’un renouveau », écrit-il à sa femme Manya, après une visite à Jaffa. « À ma grande consternation, j’ai entendu dans les quartiers juifs, à Neve Shalom et Neve Tzedek, des jargons russes, espagnols et un jargon dans lequel de nombreux mots arabes étaient mélangés. Je n’ai pas entendu le son mélodieux de la langue hébraïque, sauf dans la bouche de quelques enfants ». De même, la visite de Bialik à Petah Tikva, la « mère des moshavot [colonies]" du Yichouv », n’était pas de bon augure : « Elle m’a fait mauvaise impression, car c’est là que j’ai entendu parler hébreu encore moins que dans les autres colonies. Même dans la bouche des enfants, je n’entendais parler hébreu que très peu. Presque rien », écrit le futur poète national.


Cours d’hébreu à Jérusalem.   Photo : Cohen Fritz/GPO

 

“Jargons” rivaux

Les impressions sévères de Bialik étaient justes, pour l’époque. Une enquête menée il y a exactement un siècle par l’Organisation sioniste mondiale a révélé que le nombre de foyers où l’on parlait le yiddish était nettement supérieur à celui des foyers où l’on parlait l’hébreu. Par exemple, dans les jardins d’enfants de Jaffa, 232 enfants parlaient le yiddish à la maison, alors que l’hébreu était la langue véhiculaire dans les foyers de seulement 115 jeunes. Les données concernant l’ensemble des structures éducatives de Jaffa - jardins d’enfants, écoles primaires, lycées et séminaires d’enseignants - n’étaient pas plus encourageantes : Seuls 51 % des élèves de ces établissements parlaient l’hébreu à la maison, soit comme seule langue, soit avec une autre langue.

La situation à Jérusalem était bien pire. Sur les 906 enfants de maternelle interrogés, seuls 67 parlaient hébreu à la maison ; les autres parlaient hébreu et une autre langue, ou ne parlaient pas du tout hébreu. Shavit a constaté qu’au milieu des années 1920, le système éducatif du Yichouv lui-même ne prenait pas la peine de veiller à ce que l’enseignement soit dispensé exclusivement en hébreu. Environ 20 % de tous les écoliers juifs, soit un cinquième de la jeune génération, étaient éduqués dans différentes langues au cours de ces années.

 

La Rue Allenby à Tel Aviv, 1938.  Photo : Zoltan Kluger/GPO

La première école de langue hébraïque en Palestine, et dans le monde entier, a ouvert ses portes en 1886 à Rishon Letzion - l’école Haviv, où le corps enseignant comprenait Eliézer Ben-Yehoudah lui-même. C’est également à Rishon LeTzion [“Le premier à Sion”] qu’a été créé le premier jardin d’enfants en hébreu, sous la direction de l’éducatrice Esther Shapira. Néanmoins, David Yudilevich, un enseignant affilié au mouvement de colonisation agricole Bilou, a témoigné que la réalité était en fait multilingue et que l’utilisation de l’hébreu parmi les enfants de ces années-là était encore assez limitée : « Les tout-petits et les enfants plus âgés parlent tous un jargon [sic] ashkénaze ou sépharade, ou le russe ou le roumain. Ils parlent toutes les langues sauf l’hébreu. La langue que l’on veut faire revivre s’est avérée à l’époque pauvre et maigre. Même les mots de tous les jours manquaient encore », a-t-il constaté.

Le plus grand rival de l’hébreu était le yiddish, explique la chercheuse Shavit, qui note qu’ « il était présenté comme une menace permanente pour le projet hébraïque ». Dans ce contexte, le futur prix Nobel de littérature S. Y. Agnon raconte une anecdote amusante : Il raconte que même une servante arabe lui parlait en yiddish lorsqu’il cherchait la synagogue sépharade à Jaffa.

« La réalité linguistique était complexe », note Shavit, dont les conclusions ont été publiées dans un article intitulé “Que parlaient les enfants hébreux ?” dans le périodique Israel. Outre la fierté de promouvoir le projet hébraïque, y compris le développement de la langue du peuple et de sa culture, et les efforts parfois violents pour imposer l’utilisation de l’hébreu dans le domaine public, « de nombreuses autres enclaves linguistiques ont été préservées », écrit-elle. Il a donc fallu des décennies pour que l’hébreu atteigne son statut de première langue parmi les natifs du pays.

L’universitaire Zohar Shavit.  Photo : Adi Mazan

21/06/2023

OFER ADERET
Révélations sur les efforts de la milice sioniste Lehi (Groupe Stern) pour convaincre les nazis de l’aider dans son combat pour un “État juif totalitaire”

Ofer Aderet, Haaretz, 21/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Haganah a interrogé des membres du Lehi* en 1942 - et les transcriptions récemment publiées mettent en lumière un chapitre sombre de l’histoire de la milice d’extrême droite : « Stern a dit qu’en temps de guerre, il n’y a pas de place pour les sentiments ».

Avraham “Yair” Stern, chef de la milice du Lehi, et les documents récemment révélés. Montage photo : Aron Ehrlich

En 1942, des combattants de la Haganah ont enlevé Efraim Zetler, membre de la milice du Lehi, devant la maison de son père à Kfar Sava. « Ils l’ont conduit en voiture pendant une heure... en le tenant, en lui bandant les yeux et en lui liant les jambes », a raconté son père plus tard. « En chemin, ils ont changé de voiture, puis l’ont emmené dans un verger et dans une usine d’emballage où ils l’ont assis sur des cartons vides, les yeux bandés ». Au cours des vingt jours suivants, Zelter, âgé de 18 ans, a été interrogé sur son rôle dans le groupe extrémiste, dirigé par Avraham "Yair" Stern, qui sera tué par les Britanniques plus tard dans l’année.

Les transcriptions de l’interrogatoire de Zetler, qui ont été rendues publiques le mois dernier par les archives de l’État d’Israël, contiennent des informations sur un chapitre sombre de l’histoire de Lehi, à savoir ses liens avec l’Allemagne nazie.

« Nous communiquerons avec toute puissance militaire prête à aider à l’établissement du royaume d’Israël, même s’il s’agit de l’Allemagne », déclare Zetler aux interrogateurs stupéfaits. « La seule condition est que nous recevions des armes, afin de pouvoir nous rebeller contre les Anglais », a-t-il ajouté.

« Si l’Allemagne accepte de nous aider à combattre l’ennemi numéro 1, les Anglais, nous ferons équipe avec elle »,  a-t-il poursuivi en disant à propos de l’Allemagne : « Ce n’est pas un ennemi des Juifs en Israël » : Le Lehi coopérerait avec elle si elle aidait les clandestins à « obtenir cette terre ».

« Nous devons nous battre contre les Anglais... Je crois que c’est la voie à suivre. L’Angleterre est notre ennemi" » a-t-il ajouté.


Combattants de la Haganah dans la forêt Balfour [créée par des colons sionistes en 1928]. Photo : Zoltan Kluger / GPO

L’interrogatoire de Zetler a eu lieu environ deux semaines après la conférence de Wannsee à Berlin, au cours de laquelle les responsables nazis ont discuté de la mise en œuvre de la solution finale. Quatre-vingt-un ans plus tard, il est encore difficile de comprendre comment les Juifs de la Terre d’Israël ont pu croire à l’enrôlement de l’Allemagne nazie dans la lutte pour “libérer la patrie” de la tutelle britannique.

L’idée avait été évoquée pour la première fois deux ans plus tôt par Stern, le chef du Lehi qui prônait une résistance violente à la domination britannique. Son point de vue contrastait avec celui de la majorité du Yishuv, qui avait abandonné la lutte contre les Britanniques lorsque la Seconde Guerre mondiale avait éclaté pour se joindre à la lutte contre leur ennemi commun, l’Allemagne nazie.

« Une stratégie kasher qui se solde par un échec est mauvaise ; une stratégie “erronée” qui se solde par une victoire est la plus strictement kasher de toutes », expliquait Stern.

Un pacte avec le Reich allemand

Fin 1940, des agents du Lehi rencontrent un fonctionnaire du ministère allemand des Affaires étrangères à Beyrouth. Le document qu’ils présentent propose, entre autres, une coopération entre la milice juive et les nazis. Il propose la « participation active du Lehi à la guerre aux côtés de l’Allemagne », citant un “partenariat d’intérêts” entre « la vision allemande du monde et les véritables aspirations nationales du peuple juif ».

Le document précise également que « la création de l’État juif historique sur une base nationale totalitaire, dans une relation d’alliance avec le Reich allemand, est compatible avec la préservation de la puissance allemande ».

Les nazis ne prennent pas la peine de répondre. À l’époque, ils préfèrent Haj Amin al-Husseini, le mufti palestinien de Jérusalem, qui s’est réfugié en Allemagne pour fuir les Britanniques et tente d’enrôler les Arabes dans le soutien à Hitler. Haj Amin espérait que le chef allemand les aiderait à chasser les Britanniques.

Efraim Zetler : «  Nous communiquerons avec toute puissance militaire prête à aider à l’établissement du royaume d’Israël, même s’il s’agit de l’Allemagne ». Photo : Lehi Heritage Association

Contrairement aux nazis, la Haganah était très intéressée par les tentatives du Lehi de se lier d’amitié avec l’Allemagne. Deux dossiers des archives de la Haganah, intitulés « L’Irgoun et le Lehi avec les puissances de l’Axe (Seconde Guerre mondiale) » ont été rendus publics le mois dernier.

« Vous ne vous souciez pas du fait que l’ensemble du Yishuv [communauté juive de la Palestine mandataire], à l’exception de votre bande, s’oppose à votre façon de faire ? », demande l’interrogateur, ce à quoi Zetler répond : « Le Yishuv a-t-il jamais voulu connaître notre philosophie ? Il est facile de nous traiter d’assassins ». Il ajoute qu’il considère Stern comme un “prophète”.

Zetler était le frère cadet de Yehoshua, l’un des principaux responsables des opérations du Lehi. Après que la Haganah a terminé son enquête, il a été libéré, mais a ensuite été arrêté par les Britanniques et envoyé dans des camps d’internement au Soudan, en Érythrée et au Kenya. Après la création de l’État d’Israël, il est revenu, s’est engagé dans les Forces de défense israéliennes et a participé à la guerre d’indépendance. En 1950, il a été tué par une mine terrestre.

À peu près au même moment où Efraim a été interrogé, un autre membre de la milice, Yaakov Hershman, a également été kidnappé par la Haganah et interrogé dans un verger. Il fut interrogé sur les valeurs idéologiques fondamentales du Lehi, comme il l’avait entendu de Stern. « Nation, pays, patrie et alliés », répondit-il.


Yaakov Hershman : « Le but de l’organisation est de régner ». Photo : Lehi Heritage Association

Un interrogateur lui a alors demandé ce qu’il entendait par “alliés”, ce à quoi Hershman a répondu : « Des forces extérieures qui sont prêtes à nous aider à résoudre par la force des armes la question des Juifs en Terre d’Israël ». Lorsqu’on lui a demandé de préciser, il a expliqué : « Le but de l’organisation est de régner. Les Britanniques règnent aujourd’hui.... Qui aurait certainement intérêt à ce que l’Angleterre ne soit plus là ? ». Il a ensuite cité ceux qui pourraient l’aider, parmi lesquels “l’Axe”.

À ce moment-là, l’interrogateur a demandé à Hershman : « Cela ne signifie-t-il pas que [Stern] vous prépare à jouer le rôle de Quisling en Terre d’Israël ? » Il faisait référence à Vidkun Quisling, le premier ministre norvégien pendant l’occupation allemande, qui a collaboré avec les occupants nazis. Son nom est devenu un synonyme de “collaborateur” ou de “traître”.

Hershman a répondu : « Peut-être ».

L’interrogateur continue sur sa lancée. « Comment expliquez-vous que vous puissiez accepter cette idéologie ? C’est difficile à comprendre. Une personne prépare les juifs, les sionistes, à la venue de l’ennemi numéro 1 du peuple juif, à entrer en contact avec cet ennemi et à recevoir de lui le pouvoir de gouverner ? »

Hershman répond : « Ce sont des hommes dévoués à une idée qu’ils pensent être juste. Ils considèrent que la prise du pouvoir est le moyen de résoudre la question juive de la manière qu’ils pensent être la bonne, par la force des armes... peu importe la manière dont ils utilisent cette force ».

Flirt avec l’Axe

Yaacov Poliakov, fondateur et officier supérieur du Lehi, a raconté à ses interrogateurs de la Haganah une réunion qu’il avait eue avec Stern. « Stern nous a parlé de la question des relations... Il voulait lancer des appels d’offres... et il nous a dit que nous devrions tendre la main, sous certaines conditions, aux pays étrangers.... pour qu’ils donnent de l’argent et des armes aux Juifs ».

Yaacov Poliakov, fondateur et officier supérieur de la milice Lehi. Photo : Lehi Heritage Association

Selon Poliakov, Stern « a donné un exemple de la guerre précédente » - la Première Guerre mondiale - en disant que « les Juifs se sont battus pour l’Angleterre et, dans le même temps, quelqu’un négociait avec l’Allemagne au cas où elle gagnerait ».

Poliakov a cité une réunion avec Stern. « Nous l’avons bombardé de questions : S’il y a des pays que vous avez à l’esprit, ce sont bien l’Allemagne et l’Italie, qui persécutent les Juifs. Il nous a répondu qu’en temps de guerre, il n’y avait pas de place pour les sentiments : Il faut travailler avec ceux qui donnent de l’argent et des armes. ...Il a également dit que la plupart des Juifs travaillaient avec les Anglais, pourquoi ne pas passer un accord avec un pays ennemi de l’Angleterre, et au cas où [l’Allemagne] gagnerait, tout se passerait bien ».

Poliakov a ajouté que la milice de l’Irgoun avait également envisagé de coopérer avec l’Allemagne nazie. Il a affirmé que Ya’akov Meridor, commandant de l’Irgoun de 1941 à 1943 et plus tard membre de la Knesset et ministre du Likoud, lui avait dit : « Nous avons nous-mêmes essayé - nous avons commencé. Nous avons perdu nos liens avec l’Allemagne. Nous ne voyons rien de mal à entretenir des relations avec l’Axe. Si cela peut nous apporter l’indépendance, nous sommes prêts à passer un accord avec le diable en personne ». Même l’“élite” de l’Irgoun avait “flirté avec l’Axe”, a déclaré Poliakov à ses interrogateurs.


Place du Lehi à Petah Tikva, avec le salut de la milice. Photo : Dr. Avishai Teicher

Les nazis n’étaient pas les seuls partenaires que la droite sioniste de la Palestine mandataire avait recherchés pendant la Seconde Guerre mondiale. L’un des documents récemment sortis des dossiers de la Haganah s’intitule “Sur l’orientation italienne”.

On peut y lire : « Un homme a été informé par ses connaissances du parti révisionniste [de Jabotinsky, ancêtre du Likoud, NdT] qu’il existe un courant au sein du parti qui veut renforcer les liens avec les Italiens, parce que la victoire du fascisme est garantie, de sorte que nous devons nous préparer à la possibilité d’une coopération avec l’Italie plus tard. Ils envisagent de faire la différence entre Hitler et Mussolini dans ce domaine ».

Le document, qui n’est pas signé et ne contient pas d’autres détails, affirme que les principaux partisans de cette croyance étaient le poète et futur député du Hérout, Uri Zvi Greenberg, et Abba Ahimeir, l’un des leaders idéologiques de la droite. Le document affirme également que Zvi Mareseh, qui était responsable des finances du Lehi, a déclaré “lors d’une fête privée” que « ce ne serait pas terrible si les Italiens occupaient le pays. Nous pouvons conclure un accord avec eux ».

Un autre membre du Lehi interrogé par la Haganah était Menachem Berger, qui devint plus tard le chef de l’Association du Barreau d’Israël. Au cours de son interrogatoire, il a déclaré que “plusieurs amis” avaient parlé “de contacts avec l’Axe”, parmi lesquels Stern lui-même et Yitzhak Shamir, un membre du Lehi qui devint plus tard premier ministre d’Israël. Cependant, Berger a déclaré que lorsqu’il a montré de l’intérêt pour cette question, on lui a répondu : « Il ne s’est rien passé, sauf une tentative de contact qui a échoué ».

NdT

*Le Lehi (acronyme hébreu pour Lohamei Herut Israel, “Combattants pour la liberté d’Israël”, baptisé par les Britanniques The Stern Gang (La bande à Stern/Le Groupe Stern) fut un groupe paramilitaire sioniste actif entre 1940 et 1948. Auteur de nombreux attentats contre les Britanniques et les Palestiniens, il fut dissous en 1948 par le jeune État israélien pour avoir assassiné le comte Folke Bernadotte, médiateur spécial des Nations Unies en Palestine et le colonel français Sérot, chef des observateurs des Nations Unies. Après la mort de son premier dirigeant Avraham “Yair” Stern en février 1942, l’organisation fut dirigée par un triumvirat : Yitzhak Shamir, futur Premier ministre israélien, Israël Eldad et Nathan Yalin Mor. La nouvelle direction réorienta l’idéologie de l’organisation dans un sens se voulant “anti-impérialiste” et en soutien de l’Union soviétique. La milice se transforma en un éphémère “Parti des combattants” qui eut un député à la Knesset. Après sa dissolution, une partie des membres rejoignit le parti Hérout, certains comme Nathan Yalin Mor, le Parti communiste. Yitzhak Shamir ira, lui, au Mossad, puis au Hérout, avant de devenir Premier ministre. Le tireur du commando ayant assassiné Bernadotte, Yehoshua Cohen, deviendra le garde du corps personnel de Ben Gourion après le retrait de celui-ci de la vie politique dans le kibboutz de Sde Boker. En 1980 Le gouvernement de Menahem Begin a institué le ruban des anciens du Lehi, qui peut être attribué officiellement à tous les anciens membres qui souhaitent le porter. On peut le trouver en vente sur ebay pour 200 $ ou 160 £…


 

 

17/04/2023

OFER ADERET
La théorie de la race des ténèbres colportée par le premier sexologue hébraïque, Avraham Matmon
La variante sioniste de l’eugénisme

Ofer Aderet, Haaretz, 15/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La théorie raciale du premier sexologue de l’Israël d’avant l’État [sic], qui préconisait de décourager certains individus “défectueux” d’avoir des enfants, a été défendue par des figures de proue du mouvement sioniste. L’idée a continué à être discutée même après l’arrivée au pouvoir des nazis.

Des mères et leurs bébés dans une clinique de Yehud, en 1950. C’est, écrit le sexologue Avraham Matmon, « précisément ceux qui se trouvent au niveau inférieur qui ont le plus d’enfants et leur transmettent leurs traits et leurs propensions ». Photos : Zoltan Kluger / GPO

En 1933, l’année où les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne, une brochure de 20 pages a été publiée en Palestine mandataire sous le titre “Amélioration de la race de l’espèce humaine et sa valeur pour notre peuple”. L’auteur, le sexologue Avraham Matmon, né à Odessa et ayant grandi à Tel Aviv, était revenu quelques mois plus tôt de Berlin pour s’installer dans cette ville, où il avait créé l’Institut d’hygiène et de science sexuelle. Cet institut proposait au public des traitements pour les problèmes sexuels, des conseils en matière de contraception et d’autres informations. La brochure publiée par l’institut s’ouvre sur l’explication du Dr Matmon, qui explique pourquoi la qualité est plus importante que la quantité lorsqu’il s’agit de respecter le commandement “soyez féconds et multipliez-vous”. En d’autres termes, la conviction que la nation doit contrôler - et limiter - la reproduction.

« Pour que le peuple ne dégénère pas, il faut veiller non seulement à sa valeur quantitative mais aussi à sa qualité », écrit-il. « Une grande partie des gens qui pensent, en particulier les intellectuels, croient que la taille, l’avenir et la force de la nation dépendent de la conclusion du plus grand nombre de mariages et des naissances qui en découlent. Ils n’accordent pas beaucoup de valeur à l’essence du nouveau-né, qu’il soit faible ou fort, intelligent ou ignorant, qu’il devienne un penseur et qu’il soit utile aux autres, ou qu’il devienne un criminel et qu’il nuise à la société ».

Pour contrer cette approche, Matmon a présenté un point de vue ostensiblement scientifique, basé sur la théorie de l’hérédité. Les partisans de cette théorie, note-t-il, savent qu’ « un peuple dont beaucoup de membres souffrent de défauts transmis génétiquement finira par dégénérer ». Ses prévisions sont inquiétantes. « Il y a un grand nombre de personnes qui, d’après la structure de leurs organes, ne peuvent pas être considérées comme pleinement robustes », a-t-il averti. À titre d’exemple, il a cité « les défauts de la vue, qui sont si fréquents chez notre peuple », et a poursuivi en expliquant : « Sans aucun doute, nous avons ou avons eu une propension particulière à cet égard : Deux mille ans de vie dans l’obscurité de l’exil du ghetto y ont contribué. »

Mais ce ne sont pas seulement les lunettes portées par de nombreux juifs qui préoccupent Matmon. « Nous mentionnerons d’autres états de faiblesse, comme la faiblesse des nerfs - une propension que beaucoup acquièrent par hérédité ». Il cite de nombreux « troubles psychiques », comme il les appelle, « qui produisent... une tendance au suicide, à des états mentaux médiocres... à la mélancolie... à la psychopathie de différentes sortes combinée à la dépression, et à des individus dont l’état mental est instable ». Tous ces troubles, affirme-t-il, sont transmis par l’hérédité et provoquent la dégénérescence du peuple juif.

Les chiffres cités par Matmon parlent d’eux-mêmes. Dans les seules institutions éducatives de Tel Aviv, il dénombre « plus de 25 sourds-muets et plus de 30 enfants déficients et semi-imbéciles ». Selon les tableaux de la brochure - dont la source provient du livre La sociologie des juifs d’Arthur Ruppin (à l’époque, président de l’Agence juive) - les Juifs du monde entier souffraient davantage de défauts génétiques que les Chrétiens. En Hongrie, par exemple, le nombre de sourds, d’“aliénés” et de “déments” était plus élevé chez les Juifs que dans la population chrétienne.

Selon Matmon, la différence entre “aliénés” et “déments0148 est que les premiers sont « des personnes qui étaient saines d’esprit à l’origine et dont l’activité mentale a été perturbée au fil du temps », tandis que les déments sont « des malades mentaux de naissance ». Des données inquiétantes ont également été enregistrées en Prusse à la fin du 19e siècle, où, sur 100 000 Juifs, 492 étaient atteints de troubles mentaux, 105 étaient aveugles et 130 étaient sourds - des chiffres bien plus élevés que dans la population chrétienne.

« Une telle situation ne doit pas perdurer, car d’année en année, le nombre de personnes présentant des défauts augmente », écrit Matmon. L’une des raisons de cette situation, selon lui, est que « précisément ceux qui se trouvent à un niveau inférieur ont plus d’enfants et leur transmettent leurs traits de caractère et leurs propensions ». Expliquant l’importance de contrôler le caractère et la qualité des générations à venir, il écrit dans la brochure : « La meilleure matière... est celle qui va toujours de l’avant, qui pousse le peuple ou, plus exactement, qui tire le peuple vers l’arrière ». Il ajoute : « N’oublions pas les nombreuses dépenses que chaque culture consacre à ces individus dégénérés. »


Avraham Matmon

Après cette introduction, l’auteur pose la question cruciale. « Nous sommes donc confrontés à la question de savoir comment nous devons nous tenir sur la brèche. Devons-nous nous contenter d’organiser des foyers et des abris pour ces malheureux, ou devons-nous les laisser circuler sans aucune surveillance jusqu’à ce qu’ils disparaissent de la surface du globe ? » Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il en vient au fait. « Nous devons prendre le destin de ces gens en main. Leur donner l’aide et l’abri nécessaires, et en même temps influencer leur reproduction et l’orienter d’une manière qui convienne à la société », écrit-il.

« Tel est le nouveau rôle de l’hygiène moderne : protéger l’humanité du flot des inférieurs et leur barrer la route de la pénétration en leur refusant la possibilité de transmettre leur infériorité aux générations futures ». La théorie scientifique sous l’égide de laquelle l’action doit être menée est, selon lui, une « nouvelle branche de l’hygiène : l’hygiène de la reproduction, c’est-à-dire l’eugénisme, ou l’amélioration de la race humaine ».

Matmon était issu d’une famille juive sioniste distinguée. Son père, Yehuda Leib Matmon Cohen, et sa mère, Fanya Matmon Cohen, faisaient partie des 66 familles fondatrices de Tel-Aviv et ont contribué à la création de l’emblématique lycée de Tel-Aviv, Gymnasia Herzliya. L’épouse du Dr Matmon, Tehila, était active dans la défense des droits des femmes et a fondé un journal féministe, "Ha’isha Bamedina" ("La femme dans l’État"), qui réclamait une représentation égale des femmes dans la société israélienne.

L’essor de l’eugénisme

Quatre-vingt-dix ans après l’arrivée au pouvoir des nazis, il est difficile, à première vue, d’imaginer comment un juif, qui allait être épargné du sort de six millions de ses coreligionnaires uniquement parce qu’il avait émigré très tôt en Palestine, a pu écrire dans cette veine - et en hébreu de surcroît. À l’époque, cependant, l’eugénisme comptait de nombreux adeptes sincères et honnêtes. Il a été conçu à la fin du XIXe siècle par le polymathe britannique Francis Galton, qui a également inventé le terme “eugénisme”, qui fait référence à l’amélioration de la qualité génétique de la race humaine par la reproduction sélective. Au début du 20e siècle, la théorie était populaire en Europe occidentale et aux USA, et certains pays autorisaient légalement la stérilisation des personnes dites “faibles d’esprit” ou “folles”, ainsi que des criminels et des autres personnes jugées “inutiles”. [En Suède, par exemple, 63 000 personnes ont été stérilisées entre 1934 et 1976 pour des raisons “eugéniques”, en particulier des Rroms et des tattare, nomades dits “de race mixte”, qu’on prenait pour des Tatars, NdT]

Dans le mouvement sioniste aussi, certains ont défendu des aspects de la théorie, notamment des personnalités publiques, des dirigeants et des médecins, qui considéraient le judaïsme comme une race à cultiver. Parmi ces partisans, on trouve le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl (« La race juive [en allemand, il utilisait le terme Stamm, tribu, souche, NdT] doit être améliorée immédiatement, pour faire des Juifs de bons combattants, aimant le travail et vertueux ») ; Max Nordau, cofondateur avec Herzl de l’Organisation sioniste (« Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour élever les Juifs orientaux, qui dégénèrent, à un niveau économique, moral et spirituel plus élevé ») ; et Arthur Ruppin (« Pour préserver la pureté de notre race, les Juifs comme ceux-ci doivent s’abstenir d’avoir des enfants »). Il y avait aussi des médecins, comme le Dr Yosef Meir, qui a donné son nom à l’hôpital Meir de Kfar Sava (« N’ayez pas d’enfants si vous n’êtes pas sûrs qu’ils seront sains de corps et d’esprit »).

Les nazis ont adopté certains des principes de la méthode lorsqu’ils ont développé la théorie raciale qui a servi de base à l’anéantissement du peuple juif. Des centaines de milliers d’Allemands - non juifs - ont également payé de leur vie. Dans le cadre d’un programme d’« euthanasie », des Allemands handicapés ou souffrant de troubles mentaux, entre autres, ont été assassinés sous les auspices de la loi pour la prévention de la descendance atteinte de maladies héréditaires. Les malades et les faibles étaient considérés comme une nuisance dont les besoins interféraient avec la mise en œuvre de la vision allemande d’un peuple en bonne santé.

 

Deux pages du livre de Matmon

Des dizaines de médecins ont participé à cette opération d’assassinat de masse, qui s’est déroulée de 1939 à 1941. Elle a été interrompue suite aux protestations de l’opinion publique, mais s’est poursuivie clandestinement jusqu’à la fin de la guerre. Les enfants et adolescents handicapés physiques et mentaux étaient arrachés de force à leur famille et emmenés dans des “centres de santé” où ils étaient assassinés. Les familles recevaient des lettres les informant que leurs proches étaient morts d’une maladie. Les nazis ont ensuite mis à profit l’expérience acquise dans le cadre de ce projet lors du génocide des Juifs d’Europe.

Matmon n’a pas suggéré de tuer les personnes qu’il a désignées, mais il n’a pas mâché ses mots pour les décrire et dire comment elles devraient être “traitées”. « Si c’est le cas, que devons-nous faire maintenant ? "Comment le peuple doit-il agir pour empêcher la propagation de toutes ces personnes inférieures, qui abaisseront la nation à un niveau d’humanité très inférieur ? » Sa réponse : « Il n’y a qu’un seul moyen. Nous devons tout faire pour que ces êtres disparaissent du monde ».

Il a rappelé que dans l’ancienne Sparte, les enfants faibles et malades étaient tués « pour qu’ils ne deviennent pas un fardeau pour la population ». Cependant, ajoute-t-il, « nous ne pouvons pas nous permettre de tels moyens barbares ». De même, la castration et la stérilisation - cette dernière était pratiquée aux USA - ne sont “ni bonnes ni justes”. La stérilisation, selon lui, est appropriée pour les criminels, les prostituées “et leurs semblables”, mais « quel péché ont commis les honnêtes gens et les travailleurs tranquilles qui s’efforcent toujours de faire le bien, s’ils ont été affectés par un héritage qu’ils ont reçu de leurs parents ? Doivent-ils donc être considérés de la même manière que les criminels et les assassins ? »

D’autres, a-t-il écrit, ont suggéré d’interdire à ces personnes de se marier. « Mais là encore, la question se pose de savoir si nous sommes autorisés à prendre cette décision. Qui sommes-nous pour interdire aux gens, même s’ils sont inférieurs, de satisfaire les besoins dont ils ont été dotés par la nature ? Nous n’avons ni l’autorité ni le droit d’exiger de quiconque qu’il renonce à sa satisfaction naturelle pour notre tranquillité d’esprit et notre bien-être », écrit-il. De plus, « nous n’avons pas la capacité de modifier notre pulsion sexuelle, et il serait donc extraordinairement cruel de bloquer la pulsion sexuelle de ceux qui sont susceptibles de produire des nouveau-nés déficients ».

« Au contraire, poursuit-il, nous devons leur laisser la possibilité d’évacuer les forces qui couvent en eux, de peur qu’elles n’éclatent sans loi, sans ordre et sans régime, et n’entraînent la perdition d’une partie de l’humanité ».

Quelle était alors la solution ? Interdire aux personnes handicapées de mettre au monde une progéniture.

« Nous avons la pleine autorité et le droit moral suprême de leur interdire d’avoir une descendance, c’est-à-dire d’exiger qu’ils n’aient pas d’enfants pour répandre leurs défauts dans la société », écrit-il.

 

La liste des "tares héréditaires", selon Matmon, comprend l’homosexualité, le diabète, la dépendance à la cocaïne et la myopie extrême.

Le moyen d’y parvenir était basé sur l’éducation sexuelle telle qu’il l’enseignait dans son institut. C’est ce qu’il appelle le “contrôle des mariages”. Elle consiste à « examiner les futurs mariés pour savoir s’ils sont en bonne santé et s’ils n’ont pas de tares susceptibles d’être transmises génétiquement ; et en fonction de cela, [décider] s’ils peuvent ou non avoir des enfants ».

Il ajoute : « Il existe des moyens qui donnent aux personnes pathologiques, dont l’obligation sociale et morale est de ne pas avoir d’enfants, la possibilité de satisfaire leurs besoins sexuels sans craindre de créer une génération de misérables individus défectueux, d’idiots et d’invalides. C’est l’examen médical prénuptial, ou le contrôle des mariages, qui doit nous indiquer quelles personnes sont obligées d’utiliser ces moyens ».

Selon lui, l’objectif suprême est de nature nationale. « Améliorer la qualité de la nation et produire une génération, sinon supérieure, du moins saine de corps et d’esprit et totalement exempte de défauts ». À la fin de la brochure, Matmon ajoute une liste de “défauts héréditaires”, qui comprend la “faiblesse d’esprit”, la “maladie mentale”, le “désir passionné pour l’alcool, la cocaïne et la morphine” ; il n’omet pas les « formes perverties de désir sexuel telles que l’homosexualité et autres ». L’approche négative de Matmon à l’égard de l’homosexualité est surprenante, compte tenu du fait qu’il a été l’élève de Magnus Hirschfeld, un médecin et sexologue juif allemand [lui-même gay, NdT] considéré comme un pionnier du mouvement pour les droits des LGBTQ et qui a été contraint de s’exiler après l’arrivée au pouvoir des nazis. [Il choisit la France, où il mourut en 1935, NdT]

Résidus de la doctrine

Matmon conclut la brochure par une citation du “ministère de la santé en Prusse” - qui deviendra l’Allemagne : « Chaque personne a le devoir sacré - pour elle et pour son futur partenaire, pour sa progéniture et pour sa patrie - de déclarer à l’avance si son état de santé lui permet de fonder une famille ».

Il a continué à diffuser cette doctrine alors même que la mise en œuvre de la Solution finale était à son apogée et que ses répercussions se manifestaient dans le monde entier, y compris en Palestine. En décembre 1942, une annonce parut dans la presse quotidienne hébraïque, invitant le public à une conférence de Matmon sur « La race, l’hérédité et le but national ». Par la suite, pour des raisons évidentes, l’occupation judéo-sioniste de la théorie a été minimisée et cet épisode sombre de la vie de la nation a été relégué aux archives.

En même temps, comme le sait toute femme israélienne, juive ou non, qui tombe enceinte, les résidus de cette doctrine sont encore visibles, comme en témoignent les tests génétiques complets que propose la médecine moderne, dans le but de localiser le plus grand nombre possible de défauts et d’anomalies avant la naissance.

Matmon est entré dans le panthéon local grâce à un autre livre qu’il a publié en 1938, cinq ans après avoir exposé sa théorie de la race. Ce livre a connu un énorme succès, avec huit éditions et quelque 20 000 exemplaires. Intitulé “Sexualité humaine”, il était considéré comme « l’ABC de l’amour pour l’homme et la femme ». Matmon, qui est mort en 1974, était fier d’avoir réussi, grâce à son livre, à introduire dans la langue hébraïque moderne un mot qui est encore utilisé aujourd’hui : zikpa, qui signifie “érection”. [Ah bon, ils n’avaient pas de mot pour ça ? Ils ont piqué tellement de mots arabes qu’ils auraient pu “emprunter” intisab aussi, c'est quand même plus beau que zikpa. Ben mince alors ! NdT]