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25/09/2023

“À force de prendre et d’exploiter, la mer se vide” : paroles de Lampedusiens sur la pêche, les harragas, les Tunisiens

Note du traducteur

Entre le 26 septembre et le 11 octobre 2022, quinze chercheurs en sciences sociales des universités de Parme et de Gênes ont embarqué sur le Tanimar, un ketch (voilier à deux mâts) de 15 mètres barré par deux skippers génois devenus lampedusiens, pour traverser la Méditerranée et rencontrer, dans une perspective de sociologie publique, les étapes et les protagonistes de l’espace le plus névralgique de la “mobilité des migrants”. Un voyage de recherche dans le cadre du projet universitaire MOBS (Mobilités, solidarités et imaginaires à travers les frontières) qui étudie, à travers l’observation directe, les interviews, les données et les relations avec les institutions et les personnes, la gouvernance frontalière de quatre espaces choisis : les montagnes, la Méditerranée, l’espace urbain et l’espace rural. Le Tanimar s’est arrêté à quatre carrefours de la mobilité des migrants et du contrôle des frontières européennes : Pantelleria, Lampedusa, Linosa et Malte. Ce voyage d’enquête a été restitué dans un livre publié par les éditions elèuthera, Crocevia Mediterraneo [Méditerranée carrefour], édité par Jacopo Anderlini et Enrico Fravega, deux des chercheurs embarqués. Nous avons traduit le journal de bord du septième jour tenu par Luca Queirolo Palmas, sociologue gênois des migrations, dont l’intérêt réside dans les interactions entre pêcheurs et migrants et dans la mémoire des relations entre pêcheurs lampedusiens et tunisiens. - Fausto Giudice, Tlaxcala

 


 Luca Queirolo Palmas, à bord du Tanimar, 2/10/2022
2 octobre 2022 - Septième jour
VattelaPesca*. Dialogues piscicoles
Lampedusa 35° 31’ Nord - 12° 35’ Est

Lampedusa, conçue pour être une colonie agricole, s’est rapidement caractérisée par une longue histoire de pêche. Au cours des dernières décennies, le tourisme de masse est devenu la principale source de revenus, transformant le mode de vie de l’île : les distances entre les deux mondes sont poreuses et une grande partie du capital accumulé en mer est reconverti sur terre. Au-dessus du Tanimar, le vrombissement des avions de tous types et de toutes origines est continu.

Voici quelques voix recueillies sur les quais et dans les bars du port, réorganisées en une conversation imaginée autour de certains thèmes : l’avenir de la pêche, l’image des Tunisiens, les sauvetages en mer. Le discours est affecté par les différents positionnements sociaux dans une réalité stratifiée en termes de classe et d’échelle sociales : des armateurs aux capitaines, des mareyeurs aux prolétaires de la mer, des artisans aux industriels.

 


L’avenir de la pêche

Z. : La pêche, que peut-on faire pour l’améliorer ? Rien, elle est morte. La moitié de Lampedusa attend que les bateaux soient démolis. Le poisson ? Il n’y en a plus. Ils viennent tous ici pour pêcher, même les gens de Mazara [del Vallo]. Le diesel coûte trop cher, il n’y a plus de beau temps. Avant, on pouvait sortir pendant 30, 40 jours consécutifs. Mon bateau est resté au port pendant des années, mort dans l’eau. Si je le vends, je gagnerai 12 000 euros, si je le mets à la casse avec l’État, au moins 60 000. Je vends aussi mon permis de pêche. Maintenant que je suis à la retraite, j’obtiendrai 800 euros, et à 60 ans, peut-être 1 200. Les poissons sont morts, il n’y a rien à faire pour améliorer la situation. Même les habitants de Mazara ont réduit leurs bateaux. Ici, les grossistes sont les maîtres, ils fixent les prix. En été, nous vendons encore aux restaurants, mais en hiver ? Que faisons-nous ? Est-ce qu’on jette le poisson qu’on a pêché ? Ce sont des voleurs, ils changent même les poids sur les balances. Au final, ils gagnent de l’argent. Ils ont essayé plusieurs fois de faire la coopérative ; mais ils ont tout volé aussi, ça n’a pas marché. La calamité [indemnités pour catastrophes atmosphériques] ? La dernière, c’était il y a cinq ans. Ils m’ont donné 26 000 euros, j’ai fait deux remises en état de bateau. J’ai un permis de pêche à l’intérieur des 12 miles, mais je vais souvent plus loin, les mérous et les thons, je les pêche à deux cents mètres de profondeur.

H. : Mon père a laissé un bateau de pêche, plusieurs frères, tous pêcheurs. Mais aucun de mes fils n’a voulu continuer à pêcher... ils ont essayé, mais c’est un travail difficile... et puis le tourisme s’est installé ici et la pêche a lentement disparu. Mes fils voulaient étudier et ils ont tous deux quitté Lampedusa... aujourd’hui, nous vivons plus du tourisme que de la pêche, nous louons les appartements familiaux. Mais la pêche reste ma grande passion... et de toute façon il faut bien que je gagne ma vie jusqu’à la retraite... De toute façon la pêche n’a pas d’avenir, le prix du carburant ne permet plus à personne de travailler...

Y. : Ma famille continue à pratiquer la pêche. Beaucoup de pêcheurs ont découragé leurs enfants de faire ce métier pénible... mais pour nous c’était différent, j’ai transmis ma grande passion à mes enfants. Malheureusement, il est clair que de nombreux facteurs ont un effet négatif, par exemple j’ai toujours dit que nous devrions avoir un marché aux poissons à Lampedusa et il n’est jamais arrivé... Nous avons beaucoup de poissons mais le revenu est minime, sans parler du coût élevé du mazout aujourd’hui qui nous tue tous. Sur les 80 bateaux de pêche de Lampedusa, 40 sont à l’arrêt aujourd’hui...

K. : Ici, nous vivions de la pêche, aujourd’hui nous vivons du tourisme. Les armateurs n’étaient pas riches, mais ils gagnaient juste assez pour que les banques leur fassent confiance. Alors, ils ont construit des appartements et ils se sont tous lancés dans le tourisme... Les seuls à avoir conservé une flotte importante sont les gens de Mazara... mais de toute façon, le monde de la pêche est en train de mourir...

R. : Toutes les technologies de détection des poissons ont détruit la pêche et la mer. C’est un massacre permanent et la mer ne se régénère pas.

Sur les représentations des Tunisiens

Y. : D’après les récits de mes parents, la paix et le respect régnaient entre les parties. La Tunisie était notre Sicile à l’époque. Il y avait une coopération étroite avec Sfax et Sousse, beaucoup de gens allaient y vivre, parce qu’il y avait des bancs de pêche très riches.

H. : À l’époque de la pêche à l’éponge, les Tunisiens et nous, on avait l’habitude de pêcher ensemble. Nous avons tous des parents qui sont nés en Tunisie. Puis il y a eu l’indépendance, et nous avons été obligés de choisir entre être Tunisiens et Italiens. La plupart d’entre eux sont revenus. Je ne suis pas allé pêcher au Mammellone [le “mamelon”, les eaux entre Lampedusa et la Tunisie] depuis des dizaines d’années, ils nous ont un jour poursuivis pour nous tirer dessus. Ils se tenaient sur les hauts-fonds pour vivre, ils ne faisaient pas de va-et-vient comme nous et ne les occupaient pas avec des filets. Du poisson bleu, nous avons dû passer à la pêche au chalut, évidemment sans licence, et ils ne nous ont régularisés qu’après plus de vingt ans.

Z. : Les Tunisiens nous volent du poisson et nous leur en volons.

J. : Les Tunisiens sont une mauvaise race... ils viennent pêcher chez nous et nous ne pouvons pas pêcher chez eux. Contrairement aux Noirs, ceux qui viennent ici ne fuient aucune guerre.

K. : Je connais bien la Tunisie, c’est un peuple que je n’aime pas. Ils m’ont tiré dessus et m’ont mis en prison quand j’étais jeune... ils ont laissé 300 trous dans mon bateau. Nous avions l’habitude d’aller “voler du poisson”, mais quand ils se faufilent par ici, personne ne leur dit rien.

A. : Les Tunisiens ont des bateaux plus grands et mieux équipés que les nôtres. Eux aussi pillent la mer, comme les gens de Mazara. C’est comme une marmite. Nous devrions tous y vivre, mais à force de prendre et d’exploiter la mer....

Sur les sauvetages en mer

Z. : Heureusement qu’on a Salvini pour nous débarrasser de tous ces immigrés clandestins. On va voir avec ce nouveau gouvernement. Quand il était là, ils n’arrivaient plus. En fait, ici, nous voulons les immigrés clandestins. Laissez-moi vous expliquer... Nous prenons les poissons ; eux, les financiers, l’État, prennent les clandestins. Si on leur enlève les clandestins, alors eux, ils s’occupent trop de nous. Au lieu de cela, nous vivons sans loi, parce qu’ils nous laissent tranquilles et s’occupent des clandestins. C’est leur travail. Moi, si j’ai dû porter secours [à des migrants en détresse] ? Des millions, des millions de fois. Et qu’est-ce que tu veux faire ? Moi, je porte secours même si on me met en prison. Au moins, j’ai la conscience tranquille, je me fiche de la prison. Et puis moi, je suis en mer. Qui me sauvera si je ne sauve pas les autres ?

K. : Depuis qu’il y a du tourisme, il faut davantage de contrôle. Mais quels pauvres gens ? Il y a un dessein derrière tout ça, c’est un trafic de chair humaine. Tant que Kadhafi était là, il a réussi à garder le pays sous contrôle. Maintenant, la principale ressource c’est devenu les immigrés clandestins. Ils ne vont pas à Pantelleria parce qu’il y a du tourisme avec les villas des riches.

H. : Le décret sur la sécurité a été pris sur le dos des pêcheurs. Ils n’ont pas laissé les garde-côtes aller au-delà de 12 milles. Alors, si je vais pêcher au large, c’est à moi de décider s’ils vont vivre ou mourir ? L’État doit au moins prendre ses responsabilités. Même si, à terre, les pêcheurs peuvent te dire n’importe quoi, en mer, ils ne peuvent pas ne pas secourir. Si tu ne les sauves pas, comment tu vas vivre, comment tu vas pouvoir regarder tes enfants dans les ? Pour nous qui pêchons au chalut, le vrai problème de la migration, ce sont les épaves abandonnées en mer....

J. : Il faut se défendre. Ici, nous sommes en guerre contre les immigrés clandestins. Mais que faire si on les trouve en mer ? ça m’est arrivé, comme à tout le monde. J’ai appelé mes amis qui m’ont dit de laisser pisser. Finalement, j’ai décidé de les remorquer, et si le bateau avait coulé, je les aurais pris à bord. On ne laisse pas les gens en mer. Quand nous sommes arrivés au port, ils m’ont pris dans leurs bras comme un sauveur... regardez, j’en ai la chair de poule.

R. : Dans le temps, c’étaient les pêcheurs de là-bas [la Tunisie] qui qui amenaient les gens ici. Ils savaient naviguer et ils ramenaient leurs bateaux à la maison. Il y avait plus de sécurité.

Épilogue

Les Tunisiens, les gens de Mazara, les immigrés clandestins... Les récits recueillis dans le monde, les mondes, de la pêche sont construits autour de ce premier plan hyper-visible. Mais il s’agit souvent d’une façade. Et les coulisses qui apparaissent font parfois voler en éclats les certitudes et les positions et mettent en lumière d’autres dimensions. Par exemple, l’extractivisme forcé et la destruction de l’environnement. Ou encore le marché et l’uniformisation des goûts : « Maintenant, ils ne veulent plus que certains poissons, qui doivent être sans arêtes. Il y a de très bons poissons que plus personne ne mange et ils ne les achètent pas. Il faut apprendre à nos enfants à manger du poisson, tout les poissons », dit celui qui, après de nombreuses années à bord, a changé de métier. Un autre ancien marin-pêcheur poursuit : « La mer est pleine de déchets, d’huile, de moteurs, d’épaves. Bien sûr, c’est la faute aux clandestins. Mais je me souviens aussi de tous les poissons que l’on remontait et que l’on rejetait à la mer lorsque je travaillais dans l’Atlantique parce qu’ils n’avaient pas de valeur et qu’ils n’avaient pas de marché. Je me souviens d’avoir pêché ici à l’explosif, ce qui a tout détruit. Aujourd’hui, il y a des bateaux qui remontent d’énormes vivaneaux pleins d’œufs... et alors, comment tu veux repeupler la mer ? » Enfin, la question de la classe et de l’exploitation : « Les grossistes, c’est quatre usuriers, regarde, il y en a un devant. Le poisson entre à 5 [euros] par une porte et sort à 25 [euros] par l’autre. Ils ne savent même pas ce qu’est un hameçon. Nous n’avons pas pu nous organiser. Les “rigattieri” [brocanteurs] nous mettaient en concurrence. Ils t’offraient un prix plus élevé si tu ne le disais pas aux autres pêcheurs. La coopérative ? Elle n’existe pas. Elle ne sert qu’à obtenir des subventions de l’État, pas à fixer un prix et à créer notre propre magasin ou restaurant ».

Avant notre départ, quelques articles de Giacomo Orsini nous ont aidés à comprendre les différentes manières dont les pêcheurs s’organisent entre Lampedusa et les Canaries : si dans le premier cas la gestion familiale individuelle prévaut, dans le second le poisson est donné à des confréries qui le distribuent et le revendent, réduisant ainsi le pouvoir des grossistes. Certains d’entre nous sont rentrés récemment des Canaries et, sur le quai d’Arguineguín, nous avons recueilli d’autres histoires de mer que nous apportons maintenant à Lampedusa dans ces conversations informelles : la destruction de la pêche artisanale au Sénégal, les voyages auto-organisés dans les villages pour collecter le capital nécessaire à la mise au rebut du vieux bateau et à l’achat d’un nouveau, les pêcheurs contraints de devenir des clandestins parce qu’ils sont étranglés par les multinationales.

Oui, la marmite est en train de se vider, et ce n’est pas un hasard si une grande partie des prises de l’ensemble de l’industrie mondiale de la pêche est aujourd’hui issue de l’élevage. [le consommateur s’en rend bien compte quand il doit choisir entre la daurade sauvage et celle d’élevage, deux fois moins chère, NdT]

NdT

*Jeu de mots intraduisible : vattelapesca ou vattelappesca (de vattela pescare, litt. va te la pêcher) signifie va savoir.

03/08/2023

SHEREN FALAH SAAB
Ce n’est pas une blague : des militants du BDS et de la droite sioniste ont tenté d’annuler des concerts d’Emel Mathlouthi en Palestine/Israël

Sheren Falah Saab, Haaretz, 2/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : le Festival international d’Hammamet, en Tunisie, vient d’annuler, sans explications et sans en informer la chanteuse, un concert d’Emel Mathlouthi programmé pour le 9 août [voir le message d’Emel en bas de page]. Ci-dessous l’arrière-fond de cette décision tout simplement stupide.

Emel Mathlouthi a annulé son spectacle à Haïfa à la suite d’une campagne BDS ; les partisans de la droite sioniste ont eu moins de succès à Jérusalem-Est.

La chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi a été attaquée à la fois par le mouvement BDS et par des Israéliens d’extrême droite au cours de la même tournée, qui vient de s’achever, en Cisjordanie et en Israël.

Tout d’abord, elle a annulé la représentation prévue lundi dernier au Fattoush Bar à Haïfa, à la suite d’une campagne médiatique du BDS à son encontre. « Nous appelons les Tunisiens et les Arabes, ainsi que tous les partisans de la Palestine dans le monde, à boycotter Emel Mathlouthi, toute sa musique et tous ses spectacles », avaient écrit les militants du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

Jeudi dernier, Mathlouthi a publié sur sa page Facebook une déclaration rejetant les allégations du BDS selon lesquelles elle “normalise l’occupation par des moyens culturels”. Elle a indiqué que la question palestinienne était une priorité absolue pour elle, comme en témoignent ses chansons, ses prises de position et ses déclarations personnelles. Néanmoins, sa prestation prévue à Haïfa a suscité la controverse sur les médias sociaux, et la pression exercée par le BDS a eu l’effet escompté.

« Suite à la controverse soulevée par la tournée de concerts dans les territoires palestiniens, et afin d’éviter tout malentendu, nous avons décidé de ne pas donner de représentation dans la ville occupée de Haïfa, même si le lieu (Fattoush Bar) est sous propriété palestinienne », a-t-elle écrit.

L’attaque contre la chanteuse a suscité de vives discussions sur les réseaux sociaux de la part de jeunes Palestiniens qui s’opposent à la position du BDS. L’activiste Athir Ismail a écrit sur Facebook : « Je suis une Palestinienne. Et je veux parler de ce que je veux sans que quelqu’un de l’extérieur me regarde et me dise comment me battre et comment vivre ».

Ismail a adressé ses critiques aux militants du BDS vivant à l’étranger, dont les appels au boycott finissent par affecter les Palestiniens vivant en Israël. « Que savez-vous de notre vie ici, à part ce que vous voyez et entendez dans les journaux télévisés ? Vous mettez en doute notre identité palestinienne et vous agissez comme un homme qui pense devoir expliquer à une femme ce qu’elle peut ou ne peut pas faire dans sa lutte contre la masculinité toxique, ce qui est permis et ce qui est interdit ».

L’artiste Haya Zaatry, de Nazareth, a également critiqué les actions du BDS : « Empêcher ou annuler un spectacle musical donné par un artiste arabe dans un espace palestinien indépendant à Haïfa ne fait qu’accentuer l’embargo culturel dans lequel nous (citoyens palestiniens d’Israël) vivons, et c’est une chose mauvaise et dangereuse ».

Zaatry a également critiqué la politique du BDS concernant le boycott des Israéliens palestiniens. « Nous travaillons dur pour produire un art palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour construire un espace culturel palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour faire entendre notre voix dans le monde ». Faisant référence aux militants du BDS, elle a ajouté : « Et, malheureusement, nous n’entendons vos voix que comme une attaque contre nous, et c’est une contradiction ».

Mais ce n’est pas seulement le BDS qui a tenté de faire annuler le spectacle de Mathlouthi. Des militants de la droite sioniste ont également déployé des efforts. La semaine dernière, Shai Glick, directeur de B’tsalmo, et Ran Yishai, directeur du Centre de Jérusalem pour la politique appliquée, ont envoyé une lettre aux ministres Amichai Chikli, Moshe Arbel et Itamar Ben-Gvir, demandant l’annulation du spectacle de Mathouthi à Jérusalem-Est.

Glick et Yishai ont qualifié la chanteuse de “partisane du BDS et d’incitatrice à la haine”. Dans leur lettre, ils soulignent que « Mathlouthi a précédemment refusé de participer à un festival financé par l’ambassadeur d’Israël en Allemagne, et a été félicitée par le BDS pour cela ». Les tentatives visant à faire annuler le spectacle de Jérusalem ont échoué. La semaine dernière, Mathlouthi s’est produite au festival Layali al Tarab fi Quds al Arab [organisé par le Conservatoire national de musique Edward Said de l'Université Bir Zeit].

Mathouthi a été largement reconnue en Tunisie grâce à sa chanson contestataire Kelmti Horra (“Ma parole est libre”), qui est devenue l’hymne de la révolution tunisienne. À la suite de ce succès, elle a sorti son premier album, qui porte le même titre. Sa musique a été saluée pour son mélange de sonorités tunisiennes et occidentales. Son deuxième album, Ensen, sorti en 2017, fait également appel à la musique électronique et classique. En 2020, elle a publié une vidéo pour sa chanson Holm (“Rêve”), qui est chantée en arabe tunisien. Le clip compte plus de 13 millions de vues sur YouTube.

Le BDS a déjà appelé à boycotter les artistes du monde arabe qui se produisent en Israël. Un cas bien connu s’est produit lorsque le chanteur jordanien Aziz Maraka s’est produit à Kafr Yasif, dans le nord d’Israël, et qu’il a été interviewé par Haaretz.

À la suite de ce spectacle, il a été boycotté dans le monde arabe pendant plusieurs années et n’a plus été invité à se produire. Finalement, il a dû présenter des excuses pour s’être produit en Israël. Le BDS a également appelé au boycott du rappeur palestino-jordanien Msallam Hdaib, qui se produit sous le nom d’Emsallam, après son concert à Haïfa. Depuis ce spectacle, il ne s’est plus produit en Israël.

Il s’agissait de la première tournée de Mathlouthi en Cisjordanie et en Israël, qui s’est terminée par l’annulation de la dernière représentation à Haïfa. Ce qui a rendu la situation encore plus inhabituelle, c’est que, pour la première fois, des organisations de droite israéliennes se sont jointes à l’appel du BDS pour boycotter une chanteuse tunisienne dont le seul but était de se produire devant un public palestinien des deux côtés de la ligne verte.

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Emel Mathlouthi

Depuis mon arrivée en Palestine je fais l’objet d’attaques violentes de la part de certaines personnes en Tunisie qui estiment que ma présence en Palestine contribue à la normalisation avec l’occupation Israélienne.

Ces attaques ont conduit à l’annulation arbitraire de mon concert à Hammamet sans en justifier officiellement la raison jusqu’à présent.

D’autres artistes avant moi sont venus chanter en Palestine tels que Souad Massi, Lotfi Bouchnak, Saber Rebai qui pourtant sont invités dans les festivals tunisiens.

Il paraît donc évident que ces attaques et cette annulation visent spécifiquement ma personne et ce que je représente.

La question palestinienne est fondamentale et c’est ce que j’ai toujours affirmé tout au long de ma carrière.

Chanter pour la Palestine en Palestine et pour son peuple n’est pas seulement un acte artistique, mais pour moi et pour tous les Palestiniens que j’ai rencontrés dans leur pays, c’est un acte de résistance et un moyen de briser leur isolement.

Tous ceux qui se proclament plus palestiniens que les Palestiniens et qui essayent de semer le doute sur mes intentions et jeter de l’huile sur le feu confortablement depuis l’écran de leur ordinateur se trompent sur toute la ligne.

J’ai aussi pu observer et vivre le temps de mon séjour l’occupation avec eux et les intimidations quotidiennes aux checkpoints et a l’intérieur des villes a El khalil, Ramallah ou Jenin.

Je demande clarification et réparation de cette grave erreur envers le public tunisien et envers moi et mon équipe en tant qu’artiste tunisienne qui s’efforce toujours d’être une voix libre et indépendante.

Merci aux grands militants Rania Elias, Suheil Khoury et The Edward Said National Conservatory of Music pour votre invitation et m’avoir permis de réaliser ce rêve et de vivre ces moments hors du temps avec le public palestinien à Jérusalem, Ramallah et Bethléem.

Merci a tous pour tous vos précieux messages d’amour et de soutien et merci aux Palestiniens qui m’ont apporté leur soutien inconditionnel tout du long.


 

 

26/06/2023

Pour l’Aïd au Sénégal, au Maroc ou en Tunisie, quels moutons et à quels prix ?
Acheter un mouton, un vrai sacrifice

, Jeune Afrique, 23/6/2023

 Du Maghreb à l’Afrique de l’Ouest, l’inflation, les sécheresses et l’insécurité font flamber le prix des ovins, compliquant les célébrations de l’Aïd. Décryptage en infographies.

À Dakar, les foires au bétail ne connaissent pas la même effervescence qu’à l’accoutumée. Alors que les autorités religieuses ont annoncé que la plus importante des fêtes musulmanes, l’Aïd Al Adha – la Tabaski en Afrique de l’Ouest – serait célébrée entre le mercredi 28 juin et le jeudi 29 juin (soit le dixième jour du dernier mois du calendrier lunaire islamique), béliers et clients manquent encore à l’appel.

En cause, les émeutes meurtrières qui ont éclaté dans plusieurs villes du Sénégal après la condamnation, le 1er juin, de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme.  Ces explosions de violence ont effrayé les éleveurs maliens et mauritaniens, qui acheminent chaque année près de 150 000 bêtes pour l’occasion. Une partie d’entre eux semble attendre le dernier moment pour amener leur cheptel en toute sécurité dans les marchés de la capitale. Signe qui ne trompe pas : dans la ville de Dakar, il manquait, le 18 juin, 40 000 moutons par rapport à 2022.

Pression sociale

Une rareté relative, qui vient accentuer les habituelles spéculations à l’approche de la Tabaski. D’autant qu’aux craintes de tensions s’ajoutent une très forte inflation (15,1 % sur les produits alimentaires en 2023 en Afrique) et des sécheresses historiques qui ont frappé durement plusieurs pays du continent. Un cocktail explosif qui a fait grimper les prix des bêtes et des denrées nécessaires à la préparation de la « grande fête », au point que certains, au Maroc et en Tunisie, envisagent d’annuler purement et simplement le sacrifice.

Pour les ménages les moins aisés, l’achat du mouton constitue une très lourde pression sociale. Combien coûtera-t-il cette année ? Quelles races sont les plus prisées ? La réponse en infographies.

 


 

19/06/2023

LEONARDO MARTINELLI
“Hassan”, passeur tunisien de migrants : “J’ai 30 barcasses prêtes à partir de Sfax vers l'Italie. C’est mon bezness”

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'un des passeurs les plus puissants de Sfax explique comment fonctionne l'industrie du trafic de migrants. “Les départs ont été réduits à cause du vent, mais nous avons déjà des clients pour le mois d'août”. La traversée peut coûter jusqu'à cinq mille euros par personne, un business dans lequel même les cols blancs investissent. Reportage


SFAX (Tunisie) - Dans ce bar bondé de Sfax, ouvert sur une rue poussiéreuse, plein de vie et d'incertitudes, la chanson de Balti, le rappeur tunisien, résonne en fond sonore.


Ici, tout le monde connaît “Allo”, la chanson triste d'un garçon qui a émigré en Italie, suspendue entre nostalgie et remords. « Où est passée ma vie ? Ma jeunesse ? », demande-t-il au téléphone à sa petite amie restée à la maison. Apparemment indifférents, tous les clients du bar boivent un café et s'enfuient dans la ville, si agitée : un carrefour de migrants, Tunisiens et Subsahariens, qui tentent le voyage de l'espoir vers Lampedusa.

Une camionnette s'arrête devant. Au volant, Hassan. Nous l'appellerons comme ça, mais son vrai nom est autre. C'est l'un des passeurs les plus importants de Sfax, à la tête de l'une des organisations (essentiellement mafieuses) qui organisent les traversées illégales de la Méditerranée.

Un peu nerveux, il s'élance dans la circulation dense et anarchique, à la recherche d'un endroit sûr pour parler. Ce une friche, où des sacs en plastique volent dans les airs. En face, une autoroute en construction depuis on ne sait combien d'années : ces projets avortés, comme il y en a tant en Tunisie. Illusions perdues.

Hassan a 29 ans. Il porte une barbe noire bien entretenue et des lunettes de vue légères en métal, un beau visage. On est dimanche. T-shirt et short juste ce qu'il faut, il a l'air d'un directeur financier d'une entreprise milanaise en week-end. Il vient de voir sa petite amie.

Son activité ? Une “agence de voyage illégale”. Il parle souvent de “clients”, d'“offre et de demande”, précis et poli. Nous sommes à des années-lumière de l'image typique et rustique du scafista [conrtebandier, passeur], celui qui conduit les bateaux de migrants. Non, lui, c’est le big boss. « Je suis originaire des îles Kerkennah », explique-t-il. On les aperçoit à l'horizon, au fond d'une mer plate : traditionnellement, c'est la terre des pêcheurs et des passeurs.

« J'ai commencé au bas de l'échelle, il y a cinq ans. Je participais à l'organisation de voyages, mais je n'ai jamais été un passeur. Les clients étaient contents, je me suis fait un nom, puis un pécule. J'ai commencé à investir dans les voyages ». Il s'exprime bien, même en français. Il a fait un peu d’ études universitaires.

 

Migrants à Sfax, 8 juin 2023 

Sociétés de façade

Comme ses collègues, il a une couverture.  « Une entreprise en règle, dans un autre secteur ». Il ne dira pas lequel : il s'agit souvent de sociétés informatiques ou d'agences immobilières. « ça sert à laver l'argent sale et à justifier mon niveau de vie ». Il est au sommet d'une pyramide. En dessous, il y a les “coordinateurs” à différents niveaux : ceux qui collectent les “clients” à travers le pays ou ceux qui se procurent le bateau et les moteurs. Jusqu'au passeur.

« Ils ne se connaissent pas entre eux. Je suis le seul à connaître tout le monde ». Il les dirige comme des marionnettes depuis son téléphone portable. On ne voit jamais Hassan, il ne met pas son visage en avant. Il dit ne pas travailler avec les nouveaux bateaux en métal, trop dangereux, mais seulement avec ceux en bois. Et surtout avec le public tunisien, qui paie plus cher.

« Des femmes avec des bébés ou des familles entières voyagent. Je ne veux pas me salir les mains avec leur sang. De plus, un naufrage est un grand risque pour moi aussi ». Récemment, ils ont attrapé un passeur de Sfax, qui avait déjà été condamné à 79 ans de prison au total, précisément parce qu'un de ses bateaux avait coulé, faisant vingt morts.

« Dieu merci, je n'ai jamais eu de naufrage», dit Hassan. Et il n'est pas clair si c'est plutôt par peur de l'emprisonnement ou parce qu'il doit faire face à sa conscience. Il rappelle que « même ceux qui voyagent doivent prendre leurs risques et leurs responsabilité ». Quoi qu'il en soit, si aucun des clients ne meurt, mais qu'ils l'attrapent quand même, « avec tout l'argent que j'ai gagné, je paierai quelqu'un et je sortirai rapidement de prison ».

Hassan est sûr de lui, calme. « Mais j'ai peur. Même maintenant, parce que je vous parle ». Il n'a aucun intérêt à donner une interview, il la vit probablement comme un défi à lui-même. C'est un caprice, il n'a pas de message à faire passer. Pas même au président Kais Saied. « Qu’il nous laisse travailler en paix, c’est tout ».

Le commerce de la harka*

Lorsqu'on lui rappelle que depuis plus d'un mois, les arrivées à Lampedusa, qui avaient été multipliées par dix l'année précédente, ont diminué et que la raison en est peut-être que les contrôles tunisiens, coordonnés avec les Italiens, fonctionnent, il se montre un peu dédaigneux. « Si les voyages ont diminué, c'est uniquement parce que le temps est bizarre cette année. Un vent fort souffle. C'est le changement climatique. Il ne faut pas se faire d'illusions ».

Pas même sur les accords que Giorgia Meloni et l'UE négocient avec la Tunisie : de l'argent en échange d'un blocage des migrants en Méditerranée. « Même le prophète lui-même ne pourrait pas arrêter la harka* ». C'est ainsi qu'on appelle l'émigration clandestine. Et lui, Hassan, le passeur, est le harak*.

 « Cela ne s'arrêtera pas, car en Tunisie, les gens sont comme étranglés : les empêcher de partir reviendrait à les tuer tout de suite. Ici, on est maintenant à un point de non-retour ici ». Il a consulté des experts en météorologie : même en juillet, le temps sera rude. « Mais pour le mois d’ août, j'ai déjà trente voyages bouclés et prêts à partir. Meloni doit se résigner ».

À propos, faisons quelques calculs. Le prix facturé aux clients, ajoute Hassan, dépend toujours du service fourni. Il est de 2500-3000 dinars (740-880 euros) sur un bateau en bois avec plus de cinquante personnes à bord. Ceux qui, en revanche, paieront 7000-8000 DT iront dans le même genre de bateau, mais avec une trentaine de migrants et deux moteurs au lieu d'un, au cas où le premier tomberait en panne ».

Il y a même ceux qui ne paient pas. « Si quelqu'un n'a pas d'argent, il peut partir gratuitement mais il doit nous amener au moins cinq clients. Et puis, s'il y a des problèmes en mer, il doit être le premier à sauter par-dessus bord ». Il ne peut pas prétendre que “ le client est roi"”

Hassan organise souvent un bateau avec une centaine de personnes. Dans ce cas, dit-il, l'organisation doit investir 240 000 dinars [= 71 000€], y compris l'achat du bateau. Il en percevra 450 000. [= 133 000€] La différence est de 210 000. « Je garde 20 % de cette somme (plus de 12 000€, Ndlr). Le reste, je le répartis entre les coordinateurs, qui sont en général cinq ».

20 % pour les cols blancs

Vu le rythme des départs, si Hassan n'a pas tout l'argent pour investir, il fait appel à des “hommes d'affaires et des membres de professions libérales” locaux : ce sont les cols blancs qui investissent dans le trafic. « Par exemple, ils me prêtent 100 000 DT. Et j’en rends 120 000 au bout d'un mois, une fois que la traversée a été effectuée. Ça me paraît un bon investissement ».

Aujourd'hui, l'un des principaux problèmes est de se procurer une embarcation. « Nous avions l'habitude de convaincre les pêcheurs de nous céder leurs bateaux en payant le double. Ensuite, ils signalaient leur disparition, comme s'ils les avaient volés. Mais il y a de plus en plus de contrôles de police et les pêcheurs ont peur d'être inculpés. Nous faisons donc construire des bateaux en bois ici, dans la région de Sfax, en cinq ou six jours seulement. Les composants sont déjà prêts, il suffit de les assembler. Mais c'est cher ».

Hassan ne veut pas faire cela toute sa vie. « Je me suis donné un but, un chiffre précis, pour réaliser un projet personnel et licite ». Il est, en attendant, en contact avec d'autres passeurs. « Il n'y a pas de concurrence entre nous », explique-t-il. « Dans notre domaine, la demande est très forte : nous avons tous trop de travail. Je dois refuser beaucoup de demandes ».

En fait, entre passeurs, ils s'entraident. Ils sont comme des bandes différentes, séparées mais amies. « Nous échangeons des informations, surtout sur la police. Et nous nous les payons mutuellement à chaque fois. C'est précisément à cette époque de l'année qu’une partie des fonctionnaires de la police et de la Garde nationale, dont dépendant les garde-côtes, sont transférés dans de nouveaux locaux.

« Nous devons identifier, parmi les nouveaux, ceux que nous pouvons corrompre et ceux que nous ne pouvons pas corrompre. Il y a les incorruptibles, mais aussi ceux qui acceptent d'être payés pour fermer les yeux sur les contrôles en mer et à terre. Nous essayons d'obtenir des informations sur ces personnages. Je contacte souvent les passeurs des lieux où ils étaient en service ».

Le temps est écoulé. Les affaires l'appellent. Hassan repasse entre les coups de klaxon de Sfax : cette fois avec moins de fougue, comme s'il s'était confessé et un peu rassuré. Au bar, quelqu'un a encore en tête le refrain de Balti. « Nous sommes partis par désespoir » dit le migrant de la chanson, au téléphone depuis l'Italie, « Ici, ils ne veulent pas de ma gentillesse, il y a ceux qui ne voient que la méchanceté. Nous ne savons plus qui sont nos amis, ni la différence entre l'honnêteté et la trahison ». Parmi les clients, certains pensent déjà à partir. Fuir.

NdT
*L'auteur, ignorant l'arabe, confond harka et harga, harak et harag. On lui pardonnera, d'autant plus qu'en fin de compte, la harga est aussi un hirak (mouvement social)...