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05/11/2025

Le plan quinquennal d’une Belle Chine

Biljana Vankovska, Substack, 31/10/2025

Traduit par Tlaxcala

Versión española

Biljana Vankovska (1959) est professeure de science politique et de relations internationales à l’Université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, membre de la Fondation transnationale pour la paix et la recherche sur l’avenir (TFF) à Lund, en Suède, et considérée comme l’intellectuelle publique la plus influente de Macédoine. Elle est également membre du collectif No Cold War. Elle a été candidate indépendante, soutenue par le parti Levica (La Gauche) à l’élection présidentielle de 2024.

Quelques jours avant le second tour des élections locales en Macédoine, tout le monde ici semble obsédé par une seule question : qui contrôlera les municipalités — et, à travers elles, qui nous contrôlera ? Le pouvoir dans ce pays s’écoule comme une pyramide : de Vodno (le bureau de la présidente) à Ilindenska (le siège du gouvernement), jusqu’à chaque conseil local.

Mes lecteurs locaux me pardonneront, mais il n’y a rien de nouveau — ni d’inspirant — à dire sur ce pays aux divisions profondes, où la politique tourne autour des appels d’offres, des égos, de la corruption et du contrôle. La Macédoine a depuis longtemps perdu toute vision ; la stratégie est devenue un mot oublié ou galvaudé. Depuis la fin du socialisme, nous sommes gouvernés par les lois sauvages du marché, par la cupidité, la dépendance, et bien sûr, par nos nouveaux patrons coloniaux.

Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, la Macédoine survit — miraculeusement — grâce à un régime de prêts et de dettes qui nous maintient à flot sans jamais nous faire avancer. Malgré cette lassitude, je ne veux pas oublier cette petite étincelle : le succès inattendu d’un jeune militant d’extrême gauche [AMAR MECINOVIKJ] qui s’est hissé au second tour [et a obtenu 36,69% des voix, NdT]. Peut-être, juste peut-être, est-ce le début de quelque chose de vraiment nouveau.

Vous pourriez vous attendre à ce que j’écrive sur l’Europe à la place. Ah, pitié — épargnez-moi cette illusion. L’Europe que nous admirions autrefois est devenue un continent de désindustrialisation, de peur et de rhétorique guerrière. Autrefois Vénus, elle est désormais Mars, vivant selon la logique du complexe militaro-industriel. Et pourtant, notre « Belle au bois dormant » présidentielle [Siljanovska Davkova] continue de se laisser charmer par le palais étincelant de Macron, bien qu’il brille moins qu’avant.

Alors pourquoi la Chine ? Pourquoi, au milieu d’une telle décadence locale et européenne, tourner mon regard vers Pékin et son nouveau plan quinquennal ? Parce que, franchement, quand tout autour de moi ressemble au chaos, j’ai besoin d’une oasis de développement, d’ordre, d’harmonie et de vision. J’ai besoin de me rappeler qu’un autre monde est possible — qu’il existe encore un lieu où l’on pense au-delà de la prochaine élection, au-delà de l’horizon de la peur et du populisme.

Peu de Macédoniens ont remarqué que la quatrième session plénière du 20 Comité central du Parti communiste chinois s’était récemment tenue. Et pourtant, son importance est immense : elle a jeté les bases du 15 plan quinquennal de la Chine, qui sera finalisé en mars 2026. Pour la plupart des Macédoniens, lexpression « plan quinquennal » évoque un terme poussiéreux tiré dun manuel dhistoire. Mais pour ceux dentre nous qui se souviennent du socialisme, elle résonne encore avec une certaine nostalgie. À l’époque, l’État — et surtout, les travailleurs eux-mêmes — planifiaient leur avenir commun à travers l’autogestion socialiste. C’était un exercice collectif d’imagination et de responsabilité. Oui, des erreurs grossières ont été commises, certaines fatales. Mais au moins, il y avait une direction.

Aujourd’hui, les campagnes électorales ont remplacé la planification. La politique est devenue un carnaval de promesses creuses — des listes de vœux bon marché déguisées en visions (éphémères).

En Chine, c’est l’inverse. Contrairement aux stéréotypes, ces plénums ne sont pas des rituels bureaucratiques ennuyeux. Ce sont des moments d’intensité créative. Une nation de 1,4 milliard d’habitants concentre son esprit pour tracer une voie à travers un monde incertain. Le plan quinquennal chinois n’est pas une relique de la planification centrale — c’est un instrument vivant de vision nationale, sans cesse adapté aux réalités changeantes.


Cette fois, le mot d’ordre est développement de haute qualité. Fini l’obsession de la croissance à tout prix. Le nouvel objectif est un progrès autonome, durable et technologiquement souverain. Dans un monde de sanctions, de guerres commerciales et de chaînes d’approvisionnement brisées, la Chine a appris que la dépendance est une vulnérabilité. Elle investit donc massivement dans l’intelligence artificielle, la biotechnologie, les technologies vertes et l’innovation domestique. Elle construit une résilience face à un système mondial conçu pour la maintenir dépendante.

Le concept directeur est l’autosuffisance et la résilience. La logique est simple : plus jamais personne ne doit pouvoir « nous couper l’électricité ».

Un autre pilier central est la prospérité commune. Le terme peut sembler démodé, mais son sens est profond : la stabilité sociale dépend de la justice. La richesse ne doit pas s’accumuler entre les mains de quelques-uns ; la Chine rurale et la Chine urbaine ne doivent pas vivre dans des siècles différents. La réduction de la pauvreté ne suffit pas — ce qui compte, c’est la juste répartition, la dignité et la foi en un ordre moral.

Et voici ma partie préférée — l’idée de « belle Chine» (Beautiful China). Non, ce n’est pas un slogan touristique. C’est une philosophie. Elle affirme que le développement ne doit pas détruire la terre qui le soutient. Elle imagine une civilisation verte où le progrès humain et la nature évoluent ensemble. C’est la même intuition que celle du concept de Gaia — la reconnaissance que l’humanité et la planète forment un seul organisme vivant.

« Belle Chine» signifie un air plus pur, une alimentation plus sûre, une meilleure santé, moins de pollution, plus d’harmonie. Cela signifie une civilisation qui mesure son succès non seulement par le PIB, mais aussi par la qualité de vie et l’équilibre entre le monde humain et le monde naturel.

Regardez-nous maintenant, dans les Balkans. « Développement de haute qualité » ? « Autosuffisance technologique » ? « Prospérité commune » ? Ces mots sonnent comme des fantasmes utopiques venus d’une autre planète. Ici, dans notre capitalisme sauvage de vol et de privilège, le bien commun n’apparaît même pas sur les bulletins de vote. Chaque promesse s’arrête là où commence l’intérêt personnel de quelqu’un.

Comparez les trois capitales : Pékin, Bruxelles et Skopje. La Chine planifie — avec discipline, continuité, prudence et prévoyance. L’Europe débat — surtout de sanctions et de militarisation. La Macédoine improvise — dérivant d’une crise à l’autre, toujours surprise par ce qu’elle aurait dû prévoir.

Nos soi-disant « stratégies nationales » sont écrites pour les donateurs, non pour le peuple. Ce sont des documents sans âme, sans vision. Nous avons oublié que planifier n’est pas contrôler — c’est espérer, structurer dans le temps. Sans plan, chaque désastre semble être un destin, chaque problème un accident.

Skopje, fin octobre 2025

Pendant ce temps, notre capitale Skopje s’enfonce dans les ordures, les rats et la décadence morale. Et nous attendons encore que le prochain maire [Orce Gjorgjievski] règle ça en 72 heures — après les élections, bien sûr.

La Chine, malgré tous ses problèmes, regarde vers 2030 et dit : nous aimerions ressembler à ceci et cela. La Chine n’est pas parfaite, elle ne réussira pas tout, mais elle ose penser en siècles. Rien que ça est déjà une forme de beauté.

Car « Belle Chine» ne parle pas seulement de la terre — elle parle de la croyance que l’avenir peut être conçu, et pas simplement subi.