Amira Hass, Haaretz, 12/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le mini-État qui a déçu : Réponse au lecteur S., qui demande pourquoi « la résistance la plus forte » est apparue « à l’endroit où Israël avait annulé l’occupation ».
S., qui vit dans une communauté de la frontière de Gaza, m’a posé plusieurs questions que d’autres m’ont également posées. Avec son accord, je publie ici une première réponse à sa lettre. Il a écrit :
« Je suis un lecteur régulier de Haaretz et de vos articles. En tant qu’habitant d’une communauté frontalière de Gaza, j’essaie de comprendre votre point de vue sur ce qui s’est passé dans la bande de Gaza depuis le désengagement. Pourquoi, selon vous, la résistance la plus forte a-t-elle émergé de l’endroit où Israël a annulé l’occupation ?
« Pendant des années, les gens ont crié que tous les problèmes majeurs provenaient de l’occupation. Et ici, une petite expérience visant à annuler l’occupation a été menée. Les Palestiniens auraient pu y construire un mini-État modèle. Au lieu de cela, ils ont préféré investir l’argent dans une guerre contre Israël. Avez-vous une explication à cela ? »
Shalom lecteur S.,
Tout d’abord, l’occupation israélienne n’a pas été annulée. Israël a continué à contrôler de manière autoritaire la vie des habitants de la bande de Gaza et les options de développement de Gaza, bien après le démantèlement par Israël des colonies et des bases militaires qui s’y trouvaient. Deuxièmement, conformément aux accords d’Oslo, dont Israël est signataire, la bande de Gaza n’est pas une entité distincte, mais une partie intégrante du territoire palestinien occupé en 1967.
Selon les Palestiniens et l’opinion internationale, ce territoire était censé devenir l’État palestinien. Le fait qu’Israël ait séparé la population de Gaza de celle de la Cisjordanie et que les Israéliens aient continué à traiter une bande de Gaza isolée, d’une superficie de 365 kilomètres carrés et dépourvue de ressources, comme une entité distincte, constitue en soi une preuve du contrôle israélien sur ce territoire - et de la chutzpah israélienne par-dessus le marché.
Je ne peux pas citer ce que j’ai écrit dans des centaines, voire des milliers d’articles. Je serai donc brève : le Premier ministre Ariel Sharon n’a pas consulté les dirigeants de l’Autorité palestinienne au sujet du désengagement et n’a pas non plus coordonné sa mise en œuvre avec ce gouvernement autonome limité qui, en 2005, n’était pas encore divisé entre le Fatah et le Hamas. Sharon a suivi une voie progressive qu’Israël avait tracée dès le début des années 1990, tout en s’efforçant de dissimuler sa gravité et son importance au cours du processus d’Oslo : créer un régime d’interdictions et de restrictions à la liberté de mouvement des Palestiniens, tout en créant des enclaves palestiniennes. Le 15 janvier 1991, Israël a entamé cette politique globale, dont le résultat immédiat, qui s’est aggravé au fil des ans, a été de couper la population de Gaza de la Cisjordanie et du monde.
Sharon a poursuivi le travail de ses prédécesseurs. Le siège draconien imposé à Gaza par le Premier ministre Ehud Olmert en 2007 était un changement quantitatif, mais pas un changement d’essence. Cette politique cohérente indique la prévision qui sous-tend l’action : il ne s’agit pas d’une expérience visant à annuler l’occupation, mais de l’un des moyens d’empêcher la création de l’État palestinien sur la base du plan que l’Organisation de libération de la Palestine et la communauté internationale avaient en tête.
Le maintien de la domination israélienne sur la bande de Gaza, jusqu’au 7 octobre, s’est manifesté de plusieurs manières. La première est le contrôle total du registre de la population palestinienne, qui inclut les résidents de Gaza. C’est Israël qui décide qui est autorisé à porter une carte d’identité de résident de Gaza ou de Cisjordanie. Chaque détail - y compris le lieu de résidence - inscrit sur la carte d’identité, techniquement délivrée par l’Autorité palestinienne, doit être approuvé par Israël. Même les natifs de Gaza, dont Israël a révoqué le statut de résident avant 1994, ne peuvent le renouveler sans l’approbation d’Israël.
La séparation de la Cisjordanie (et d’Israël) a gravement endommagé les capacités de développement économique de la bande de Gaza. En tout état de cause, la bande de Gaza se trouve dans une situation de détérioration ou de stagnation économique depuis 1967 en raison des mesures délibérées adoptées par Israël. Israël contrôle non seulement les postes-frontières mais aussi l’espace aérien et maritime de Gaza, ce qui signifie qu’il ne permet pas aux Gazaouis d’exercer leur droit à la liberté de mouvement par mer et par air.
Israël utilise également ce contrôle pour restreindre l’industrie de la pêche palestinienne, empêcher les Palestiniens d’utiliser les réserves de gaz découvertes dans les eaux de Gaza et contrôler les fréquences sans fil nécessaires au développement technologique. En contrôlant les importations et les exportations, il limite la capacité et la faisabilité de la production nationale. Israël continue de contrôler les revenus provenant des paiements douaniers. L’Égypte - que ce soit par crainte que les habitants de Gaza ne s’y installent, par opposition politique à la séparation de Gaza de la Cisjordanie ou par obéissance aux diktats israéliens - n’a pas ouvert la frontière de Rafah à la libre circulation des Palestiniens et des étrangers.
Que ce soit délibérément ou par inadvertance, la démarche unilatérale de Sharon a affaibli l’Autorité palestinienne, qui s’en tenait à la voie des négociations. Il a ainsi récompensé le mouvement Hamas, qui affirme que seule la “lutte armée” - qu’il a pratiquée pendant la seconde Intifada, tout en améliorant ses capacités militaires - peut contraindre l’armée israélienne à se retirer, et non des négociations et la signature d’un accord.
C’est ce que pensaient et pensent encore de nombreux Palestiniens. Il n’est pas étonnant que quelques mois après le désengagement, en janvier 2006, le Hamas ait remporté la majorité des sièges aux élections du parlement palestinien (mais pas la majorité des voix de l’électorat).
Il faut d’abord répondre à la question de savoir pourquoi Israël a tout fait pour empêcher la création du petit État palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Ensuite, nous pourrons tenter d’expliquer pourquoi les habitants du “mini-État” assiégé et coupé du monde qu’il a façonné à Gaza se sont sentis comme des prisonniers à vie, alors que leurs frères de Cisjordanie vivent sous la domination violente de l’entreprise de colonisation en pleine expansion. Ensuite, à la première occasion, nous pourrons parler de l’illusion, de la chimère ou du projet de lutte armée.