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28/07/2023

AMEER MAKHOUL
Crise judiciaire : Israël va-t-il entrer en guerre pour sauver son armée ?


Ameer Makhoul, Middle East Eye, 26/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Nous pouvons nous attendre à une double forme d’agression israélienne dans les jours à venir, visant à cibler la présence palestinienne et à affirmer la domination régionale.

Un soldat israélien pointe son fusil vers des manifestants palestiniens près de la colonie juive de Beit El en Cisjordanie occupée, le 26 janvier 2023 (AFP)

Si les USA ne semblent pas préoccupés par une guerre généralisée au Moyen-Orient, ils n’en restent pas moins déterminés à y disposer d’une force militaire hautement préparée : l’armée israélienne, qui fait partie intégrante des intérêts géopolitiques majeurs de Washington dans la région.

D’un point de vue pragmatique, le terme “préparé” implique une capacité claire, tangible et authentique à gérer et à contrôler habilement un conflit, et à remporter la victoire avec un minimum de pertes tout en sauvegardant les intérêts usaméricains, y compris la protection des troupes usaméricaines dans la région, le cas échéant.

Mais il y a des raisons majeures de douter de l’existence de cette préparation à l’heure actuelle. Israël est déchiré par des divisions internes, caractérisées par des clivages de plus en plus profonds, qui se traduisent par un refus national de se soumettre au service de réserve, par un affaiblissement de l’armée et de l’ensemble du système de gouvernement, ainsi que par les dangers potentiels d’une domination fasciste.

En Israël, le déclin actuel de l’état de préparation de l’armée signifie une incapacité à s’engager dans des actions militaires et un manque de vision pour planifier des guerres de manière stratégique ou même pour lancer des opérations à échelle limitée.

Bien que cela ne concerne pas directement la capacité de l’armée à faire face à un conflit immédiat, cela pourrait néanmoins avoir un impact crucial, brisant l’esprit de la population et du personnel militaire, ce qui pourrait avoir de graves conséquences. Certains en Israël considèrent même que la crise politique interne en cours en Israël constitue une plus grande menace que l’Iran.Haut du formulair

La période difficile et chaotique que traverse l’armée israélienne va bien au-delà d’un simple dilemme tactique. La crise politique a fait naître un profond sentiment de fragilité sociale et une relation politique fracturée avec l’État.

Cette situation a fait dérailler le système dirigeant, le privant de tout semblant de conscience et suscitant des inquiétudes quant à sa capacité à gouverner efficacement les affaires de l’État - en particulier lorsqu’il agit de manière immorale, sans consensus populaire.

La fragmentation au sein de l’armée israélienne est exacerbée par l’incapacité du ministre de la Défense à sauvegarder les intérêts de l’armée, la laissant exposée à des conflits politiques prolongés. Pire encore, l’armée doit maintenant faire face au choix difficile de donner la priorité à la loyauté aux principes de la loi plutôt qu’à l’allégeance au dirigeant. En fin de compte, une telle situation conduit à un état de désintégration qui ne cesse de s’étendre.

Des défis exponentiels

Compte tenu des réalités israéliennes sur le terrain, ces conflits présentent des défis exponentiels. Même si un véritable accord collectif visant à résoudre le conflit entre les partis d’extrême droite au pouvoir et l’establishment militaire et du renseignement était possible, à ce stade, ni les déclarations politiques ni un consensus interne ne permettraient de résoudre efficacement la crise de grande ampleur.

Au contraire, ce dont le pays a besoin de toute urgence, selon les perceptions internes, c’est d’une opération militaire limitée qui donnerait à l’armée l’occasion de retrouver une légère apparence de force, même si elle est finalement revendiquée comme une victoire par la partie adverse.

Par exemple, l’administration israélienne dirigée par le Premier ministre Ehud Olmert pendant la guerre du Liban de 2006 pensait avoir réussi à restaurer son pouvoir sur la frontière nord d’Israël, tout en ne reconnaissant pas l’établissement ultérieur d’une dissuasion mutuelle avec le Hezbollah.

Le lien entre la réforme judiciaire du gouvernement de coalition - qui vise à empêcher tout examen des accords qui ont conduit à la création de l’administration israélienne la plus à droite de l’histoire - et les ambitions plus larges du gouvernement mérite d’être examiné, en particulier après la redistribution des pouvoirs ministériels.

Parmi ces développements spectaculaires et notables figure la nomination du ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui a été chargé de superviser la légitimation, l’établissement et l’expansion des colonies illégales dans les territoires palestiniens occupés, dans le but de remodeler à terme le statu quo juridique de la Cisjordanie occupée.

Parallèlement, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, s’est vu confier des pouvoirs étendus pour réprimer les Palestiniens. Il a mené une campagne incessante d’attaques raciales contre la population palestinienne, tandis que le gouvernement a poursuivi sa politique de judaïsation de certaines parties de la Cisjordanie occupée, du Néguev (Naqab) et de la Galilée. Ce programme est au cœur du pouvoir religieux sioniste en Israël.

Une escalade plus large

Il n’est donc pas surprenant que la période à venir se traduise par une forme d’agression israélienne sur deux fronts. Tout d’abord, cette agression se déploiera contre la population palestinienne, avec notamment de nouveaux plans d’annexion de terres, dans le but ultime de modifier l’identité démographique des territoires occupés.

Deuxièmement, Israël s’efforcera de rétablir sa présence à sa frontière nord, ce qui pourrait conduire à une escalade plus large dans la région.

La coalition au pouvoir cherche à consolider et à maintenir son pouvoir en privant les partis et les communautés arabes de participation à la Knesset, dans le seul but de tirer parti des pouvoirs constitutionnels dévolus au gouvernement, au détriment du contrôle de la Cour suprême.

La société israélienne, dont une grande partie est désespérée, passe à un esprit de colère publique, tandis que certains envisagent d’émigrer et de se dissocier de l’État sioniste.

La question demeure : L’administration usaméricaine de Biden réévaluera-t-elle ses relations avec le gouvernement de Netanyahou et protégera-t-elle les Palestiniens et les Arabes des risques imminents qui émergent de plus en plus du résultat du vote de lundi ? Il s’agit d’une question qui peut sembler interne à Israël en apparence, mais qui vise en fin de compte à exploiter la lutte des Palestiniens pour la liberté.

17/07/2023

GIDEON LEVY
En Israël, les meilleurs deviennent pilotes et volent déjà pour une dictature

Gideon Levy, Haaretz, 16/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est impossible de ne pas s’étonner de la mobilisation des pilotes militaires israéliens contre le projet de loi de réforme judiciaire du gouvernement. Une organisation de pilotes et de navigateurs à la retraite appelée Forum 555 a publié une lettre ouverte d’une page entière dans la section des nouvelles de Haaretz en hébreu de vendredi, signée par environ 1 700 membres d’équipage d’avion à la retraite et en service actif de réserve, pour soutenir le refus du service volontaire.


Une sculpture créée pour le mouvement de protestation des pilotes. Photo : Moti Milrod

Plus que tout autre secteur, les pilotes ont le pouvoir d’influer sur la législation, voire de l’arrêter. La vive réprimande du Premier ministre Benjamin Netanyahu n’a fait que le prouver. Cela en dit long sur une société dont les pilotes de chasse sont les plus grands héros, mais cela ne doit en aucun cas être perçu comme une insulte. Les meilleurs deviennent des pilotes, comme le dit l’adage.

Les pilotes déclarent qu’ils refuseront de servir sous une dictature. C’est précisément aussi impressionnant et démocratique que ça en a l’air. Dans leur pétition, ils disent qu’ils insistent sur leur droit de vivre et d’élever leurs enfants dans un État juif et démocratique. Si l’on met de côté le mensonge de “juif et démocratique”, dans un État qui n’est en pratique ni juif ni démocratique, et qui aurait dû choisir entre les deux depuis longtemps, les pilotes ont le droit de croire à cette illusion. Ce qui est beaucoup plus difficile à accepter, c’est leur hypocrisie.

Les pilotes qui affirment ne pas vouloir servir sous une dictature le font allègrement depuis des décennies. Ils sont prêts à servir sous la dictature militaire israélienne, qui soumet par la force une autre nation, mais refusent de servir sous une future dictature civile susceptible de leur causer des dommages personnels. Il s’agit d’un deux poids deux mesures honteux.

L’attaque de la plupart des signataires de la pétition contre la poignée de leurs collègues pilotes et navigateurs qui se sont engagés à ne pas servir la dictature militaire crie aujourd’hui à l’hypocrisie. Ceux qui appellent aujourd’hui à ne pas voler ont cloué au pilori la poignée de pilotes qui appelaient au refus de voler au nom d’une cause non moins noble que celle pour laquelle les pilotes d’aujourd’hui se battent.

En septembre 2003, 27 pilotes ont envoyé une lettre au commandant de l’armée de l’air israélienne de l’époque, Dan Halutz, déclarant qu’ils refuseraient de mener des frappes aériennes illégales et immorales sur les zones palestiniennes de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Halutz avait alors répondu avec les mêmes mots que ceux de Netanyahou aujourd’hui : « Le refus politique de servir est le danger suprême pour cette nation », a tonné le chef de l’IAF.

La roue a tourné depuis. Le général de brigade Iftach Spector, le colonel Yigal Shochat, le capitaine Yonatan (le célèbre Yonatan Shapira) et leurs collègues officiers ont été suspendus de leurs fonctions par Halutz, le leader du mouvement de protestation actuel. Leurs collègues pilotes ont continué à bombarder et à tuer des civils innocents dans des proportions horribles, dans le cadre des opérations “Plomb durci” et “Bordure protectrice”. La protestation et le refus se sont calmés, les pilotes ont bombardé et tué.

Aujourd’hui, les bombardeurs de Gaza refusent de servir une dictature. Seul Yonatan Shapira a refusé de signer la pétition de vendredi, dont son père est signataire. Shapira, qui travaille comme pilote commercial aux USA et vit en Norvège, m’a dit samedi qu’il aurait invité les 1700 signataires à une visite de l’association à but non lucratif Zochrot ou à une visite du camp de réfugiés de Jénine, pour commencer le processus d’apprentissage. « S’il y avait eu un appel à refuser tout ordre illégal du commandement, y compris à se joindre aux massacres de routine et aux actes génocidaires de l’armée, j’aurais signé la pétition ».

Le refus de commettre des crimes de guerre est aussi moral - peut-être même plus moral - que l’opposition au coup d’État du gouvernement. En Israël, cela aurait dû être la protestation la plus importante. Mais cela exige beaucoup plus de courage de la part des pilotes que de s’opposer à Netanyahou et à l’abrogation de la norme de raisonnabilité.

Il est dommage que les deux protestations ne se fassent pas ensemble. L’objection de conscience des pilotes contre la législation a également un aspect personnel : ceux qui savent qu’ils ont commis des crimes de guerre craignent d’être arrêtés lors de leurs voyages à l’étranger, après que le mensonge du système judiciaire israélien enquêtant sur les crimes de guerre se sera effondré à la suite de la législation.

Il y a neuf ans, j’écrivais ici : « Comment dors-tu la nuit, pilote ? ... As-tu vu les corps écrasés, les blessés en sang, les enfants effrayés, les femmes horrifiées et la terrible destruction que tu as semée depuis ton avion sophistiqué ? Tout cela est de ta faute, excellent jeune homme ». Aujourd’hui, ils protestent contre le coup d’État, peut-être pour se racheter, ne serait-ce qu’un peu.

14/04/2023

GIDEON LEVY
Qu'est-ce qui attend Israël après les protestations ? Le gantzisme
On prend les mêmes et on recommence

Gideon Levy, Haaretz, 13/4/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la fin de la grande protestation, Benny Gantz sera élu Premier ministre et on parlera à juste titre d'un succès grandiose, fatidique, peut-être même historique - le coup d'État judiciaire sera contrecarré et Benjamin Netanyahou et la droite seront vaincus.

Le chef du Parti de l'unité nationale, Benny Gantz, lors de la manifestation anti-Netanyahou à Jérusalem, samedi dernier. Photo : Ohad Zwigenberg

En effet, la protestation ne doit pas être prise à la légère. Les signes de son succès se sont déjà reflétés dans les sondages, comme celui, spectaculaire, de Canal 13. La chute du Likoud à 20 sièges à la Knesset [32 actuellement, NdT] dans les sondages pourrait annoncer la fin de son règne : l'ascension météorique de Gantz pourrait signifier que son étoile est montée au firmament. Des mois de protestations civiles efficaces prendront fin avec un Benny Gantz Premier ministre. Il n'y a pas de plus grand succès à l'horizon.

La majorité absolue des manifestants serait très heureuse de ce résultat. Gantz n'est peut-être pas exactement celui qu'ils voulaient, mais il est certainement exactement ce qu'ils voulaient.

Gantz, c'est la réconciliation, le retour à un Israël "normal", "sain", "représentatif", celui qui avait "sombré", qui avait été si beau et si agréable. Gantz, c'est le retour à la paix et à la tranquillité que les bons Israéliens avaient tant souhaitées ces dernières années, les années sous le pilonnage incessant du compresseur.

Gantz, c'est la fin de Netanyahou, et que peuvent désirer de plus les manifestants. La grande malédiction aura été levée et Israël redeviendra ce qu'il était.

Mais une protestation qui se termine par un retour à la routine est une protestation terriblement malavisée, une petite manifestation de petit épicier. Une protestatio, qui se termine uniquement par le rétablissement de l'ordre antérieur ne peut que laisser un goût amer et de la frustration. Gantz rétablira l'ordre, mais cet ordre, pour commencer, était un ordre pourri et malade.

Gantz mettra en place un gouvernement central, avec ceux-ci et ceux-là, les choses reprendront leur cours, Tsahal redeviendra une "valeur" dans le code moral de l'État. Israël redeviendra représentatif, respectable, comme tous les manifestants l'avaient tant souhaité.

Itamar Ben Gvir recommencera à détruire les étals des vendeurs à Hébron, Bezalel Smotrich continuera à se languir d'une seconde Nakba et le mauvais vieil Israël sera de retour.

Il y avait une aberration sous la forme d'un gouvernement d'extrême droite, il a été écarté grâce à la protestation, le désastre a été évité et maintenant tout va être si beau.

Gantz sera le héros du camp de la paix, Yair Lapid le héros de la démocratie, la Cour suprême le phare de la justice et bien sûr, Avigdor Lieberman, ne l'oublions pas, le héros des lumières.

Une image a démontré tout cela plus que mille mots. La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a assisté à un concert du Gevatron marquant le 75e anniversaire du chœur, et le public s'est levé pour applaudir l'héroïne de sa classe sociale.

Que manque-t-il à ce moment ? Le lieu est l'auditorium Mann, le spectacle est la Mer des gerbes et le public est approprié. On ne peut imaginer un mélange plus représentatif du camp de ceux qui aspirent à un retour à la normale, qui est le cœur du camp protestataire.

La présidente de la Cour suprême y est reçue comme une rock star comme elle n'en a jamais rêvé, pas même dans ses jeunes années en tant qu'Esti Avni de la Fanfare du Commandement central (de l’armée). Si elle s'était présentée contre Gantz, elle l'aurait peut-être même battu.

La soif de "normalité", réelle ou imaginée, est désormais le mot d'ordre. Même un président de cour plutôt terne, à la tête d'une institution sans un seul vrai juge libéral ou de gauche, est aujourd'hui le désir le plus cher des personnes en quête de normalité.

Et quelle est cette normalité à laquelle tout le monde aspire aujourd'hui ? Une plaie ethnique profonde et saignante qui s'est encore élargie.

Un militarisme profondément ancré dans la société, dont la profondeur n'a fait que croître avec les manifestations.

Une société dont l'exclusion des Arabes n'a été qu'accentuée par la protestation.

Un État dont le budget de défense est démesuré, au détriment de tout le reste.

L'État le plus religieux du monde occidental, qui ne connaît pas la séparation entre l'État et la religion.

Une Cour suprême qui est la plus grande légitimatrice de l'occupation.

Un projet de colonisation - mis en place par la gauche et le centre et développé par la droite - qui n'est rien d'autre qu'un grand crime de guerre permanent.

Des dizaines de milliers de demandeurs d'asile qu'Israël maltraite de façon scandaleuse, et de plus en plus de fléaux et de maladies que le gantzisme ne songe même pas à soigner.

C'est de cela que nous rêvons. C'est à cela que nous voulons revenir.

Esther Hayut aujourd'hui...

 

...et quand elle chantait comme Esti Avni dans la Fanfare du Commandement central (au centre)



10/02/2023

GIDEON LEVY
La vague de protestation en Israël ne concerne pas la démocratie : c’est une guerre de classe

Gideon Levy, Haaretz, 9/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

En fin de compte, c’est une guerre de classe. La lutte pour la démocratie sert de toile de fond, de manteau respectable en termes de principe et d’idéologie. Mais la véritable bataille est interclasses et interculturelle. La guerre tourne supposément autour de la nature du régime en Israël, entre deux camps qui prétendent être les vrais démocrates. Aucun d’eux ne l’est. Les partisans du coup d’État constitutionnel prétendent qu’il mènera à la démocratie, qui à leurs yeux est la tyrannie de la majorité (qui n’est pas la démocratie).

Manifestants à Tel Aviv samedi dernier contre les projets du nouveau gouvernement visant à affaiblir le système judiciaire. Photo : Corinna Kern/Reuters

Ses opposants affirment avec la même passion que ce plan détruira la démocratie, même si celle-ci ne peut absolument pas exister dans un État d’apartheid. Aucun des deux camps ne compte de véritables démocrates. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui est certainement aussi motivé par sa colère contre le système judiciaire et sa tentative d’échapper à son procès, le ministre de la Justice Yariv Levin et Simcha Rothman, président de la commission de la Constitution, des lois et de la justice de la Knesset, ne sont pas des démocrates, ce sont des ennemis de la démocratie.

Mais les organisateurs de la manifestation de protestation ironique du Shabbat à Efrat ne sont pas non plus des démocrates. Le changement de régime proposé est un désastre, il annonce le fascisme, mais la guerre contre ce dernier ne concerne pas la démocratie, vu que la plupart de ceux qui la mènent ne sont pas des démocrates. Un démocrate se battrait pour la démocratie pour tous dans son pays. La plupart des héros de l’opposition actuelle ne se sont jamais intéressés à l’état de la démocratie à une heure de route de chez eux, c’est pourquoi il est difficile de les considérer comme des démocrates.

Ceux qui sont en train de provoquer le coup d’État ne sont certainement pas intéressés par la démocratie. Pour eux, ce n’est qu’un moyen de combattre l’ordre ancien, de punir et de se venger des classes et de la culture qui ont déterminé la conduite d’Israël depuis sa création. La guerre actuelle est donc menée pour quelque chose de plus profond que le régime : l’ordre social.

Les opposants au coup d’État du régime sont l’ancienne élite, même si cela ne sonne pas bien. Les enseignants, les architectes, les psychiatres, les généraux, les écologistes, les gens de la haute technologie, les économistes, les juristes et, bien sûr, Aharon Barak [ancien président de la Cour suprême de 1995 à 2006, NdT] et Ehud Barak. Ils sont tous issus d’une classe très spécifique de la société israélienne. En face d’eux se dresse la nouvelle élite, qui tente de se frayer brutalement un chemin vers le centre de la scène, après de longues années au sein d’un gouvernement qui n’y est pas parvenu.

C’est pour cela qu’ils se battent, pour faire reconnaître qu’ils sont une élite. Ils veulent une clause de dérogation judiciaire et une composition différente pour le comité de nomination des juges afin que ce soit eux qui décident qui seront les juges, afin que les juges soient comme eux, à leur image. Au passage, ils veulent éliminer tout contrôle juridique du gouvernement - un coup mortel pour la démocratie, mais cela est également dû à ce qu’ils considèrent comme la composition déformée de la Cour.

Si l’avocat Zion Amir était le président de la Cour suprême, il est douteux qu’ils s’attaquent au contrôle constitutionnel ou qu’ils modifient la composition du comité de nomination des juges. Les opposants ne veulent pas changer la composition du comité pour la même raison : Ils veulent que les juges continuent à être à leur image.

Peu de gens savent si la présidente de la Cour suprême Esther Hayut est une juriste importante et si elle est vraiment meilleure qu’un candidat que les politiciens de droite parachuteraient. Mais elle est l’une des nôtres. Peu importe que la Cour ait trahi son rôle pendant des années et n’ait pas surveillé les autorités qui ont commis des crimes de guerre. D’autre part, personne n’a menacé de déclencher une guerre civile, ni d’utiliser des armes à feu.

La guerre de classe est menée par des personnes qui sont également issues de l’ancienne élite. Netanyahou, Levin et Rothman n’ont pas grandi à Hatzor Haglilit [ville de Haute-Galilée habitée par des mizrahim, NdT], mais ils ont réussi à être considérés comme la voix fidèle et authentique des classes inférieures. Vous ne les convaincrez pas qu’ils ont tort. Leur amour pour Netanyahou n’est pas quelque chose qui peut être facilement changé. Il est beaucoup plus facile de lutter contre le coup d’État légal si nous acceptons les courants profonds qui le motivent.

La moitié d’Israël se sent exclue. Quelqu’un a réussi à les convaincre que la réforme est l’espoir d’un changement de son statut, que la nouvelle Knesset d’Israël, assemblage assez embarrassant de dignitaires, est sa représentante, et qu’il faut lui donner tous les pouvoirs : que c’est ça la démocratie. Il n’y a pas de mensonge plus dangereux, mais pour pouvoir le neutraliser, il faut commencer par comprendre ses motivations.