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28/08/2024

YANIV KUBOVICH
Grande première : une enquête de l’armée israélienne conclut que l’attaque du village palestinien de Jit par des colons était un “acte terroriste”

« Il s’agit de l’attaque terroriste la plus grave perpétrée par des Israéliens, et nous avons échoué en n’arrivant pas plus tôt et en ne les protégeant pas », déclare le chef du commandement central.

Yaniv Kubovich, Haaretz, 28/8/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

 

Le village palestinien de Jit le lendemain du raid, ce mois-ci. Photo Deiaa Haj Yahia

Les Forces de défense israéliennes ont publié mercredi les conclusions de l’enquête sur le raid des colons sur le village palestinien de Jit, en Cisjordanie, il y a environ deux semaines. Selon ces conclusions, le service de sécurité Shin Bet a averti les FDI et la police de l’intention des colons de commettre un « crime nationaliste » dans la région de la colonie d’ Yitzhar avant qu’ils ne fassent une incursion dans le village. L’enquête a révélé que les soldats auraient dû « agir avec plus de détermination » pour réprimer les violences.

En ce qui concerne l’incident de Jit, le chef du commandement central de l’armée israélienne, le général Avi Bluth, a déclaré : « Il s’agit de l’attaque terroriste la plus grave perpétrée par des Israéliens qui ont délibérément cherché à faire du mal aux habitants de Jit, et nous avons échoué en n’arrivant pas plus tôt pour les protéger. La responsabilité m’incombe avant tout en tant que commandant, et je ferai tout pour améliorer le système ».

Bluth a également salué « les réservistes des FDI qui sont arrivés sur les lieux, se sont engagés et ont risqué leur vie, sauvant ainsi celle des Palestiniens piégés dans des maisons en feu ». Il a ajouté que l’incident « ne sera pas terminé tant que nous n’aurons pas déféré en justice les émeutiers ».

L’enquête indique que la première force arrivée a tenté de disperser les émeutiers, mais en vain. D’autres réservistes et agents de la police des frontières sont alors arrivés et ont bloqué les colons. « Les forces ont opéré avec assurance, au péril de leur vie, bloquant les émeutiers et les poussant hors du village, tout en utilisant du matériel de dispersion des émeutes et en tirant des coups de semonce en l’air », selon la déclaration de l’armée, qui ajoute qu’il a fallu environ 30 minutes pour chasser les émeutiers du village. L’enquête indique qu’un Palestinien a été tué par balle et un autre blessé, et que la police et le Shin Bet enquêtent sur l’incident.

Ruines dans le village palestinien de Jit, après le raid des colons, ce mois-ci. Photo Nasser Nasser/AP

Selon l’enquête, plusieurs membres de l’escouade de sécurité d’une colonie voisine sont arrivés sur les lieux sans autorisation. L’armée affirme qu’ils portaient des uniformes alors qu’ils n’étaient pas en service de réserve actif, et qu’ils ont agi en dehors du cadre de leur autorité.

Le rapport indique qu’à l’issue de l’enquête, deux membres de l’escouade de sécurité ont été licenciés et leurs armes confisquées. L’armée ajoute que quatre suspects ont été arrêtés la semaine dernière, dont un mineur. Les trois autres interpellés sont en détention administrative. L’armée précise que l’enquête se poursuit et que d’autres arrestations sont prévues.


Rashid Sadah, 28 ans, tué lors du raid des colons sur le village palestinien de Jit

Une enquête préliminaire menée par l’establishment de la défense le lendemain de l’attaque a révélé que des réservistes se trouvaient à proximité des colons qui ont fait irruption dans le village, mais n’ont arrêté aucun des émeutiers. L’enquête a révélé qu’en plus des soldats, des membres de l’équipe de sécurité de l’avant-poste de la ferme -colonie Gilad étaient présents sur les lieux.

Une source de défense de haut rang a déclaré à l’époque : « Les soldats n’ont rien fait pour empêcher le pogrom », même si les réservistes et les membres de l’escouade de sécurité ont été témoins des actes. « Ils se sont simplement tenus à l’écart, ont tout vu et n’ont rien fait ». L’establishment de la défense a déclaré à l’époque que le Shin Bet et les FDI n’avaient aucun renseignement préalable sur les préparatifs du raid sur le village.

L’attaque de Jit, il y a deux semaines, a été commise par des dizaines d’hommes masqués, dont la plupart venaient de la direction de la ferme-colonie Gilad, et d’autres de la région de la colonie de Shilo. Les colons sont entrés dans Jit en voiture, ont brûlé des véhicules, vandalisé des biens et agressé des habitants.

Un habitant du village, Rashid Sadah, 28 ans, a été tué. Sa mère, Iman Sadah, a déclaré qu’il avait l’intention de se marier. « Il aimait les ordinateurs et travaillait dans un magasin à Naplouse. Il avait beaucoup de rêves. Il m’a dit qu’il voulait se marier et que nous devions préparer la maison, mais ils me l’ont enlevé », a-t-elle déclaré après sa mort.

18/08/2024

Le pogrom commis par les colons à Jit en Cisjordanie vous a choqué ? Et ce que fait l’armée à Gaza, non ?
Gideon Levy interpelle la gôche israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 18/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme il est facile de choquer les Israéliens à propos des colons émeutiers. Ce n’est pas nous, nous n’avons rien à voir avec ça. Ils ne font même pas partie d’Israël. Ils sont les « mauvaises herbes » en marge de la société. C’est un fait, tout le monde rejette toute responsabilité.

Les politiciens condamnent en chœur, et même la presse affiche une expression choquée. Qui l’aurait cru ? Les médias ont même pris la peine de rapporter l’incident. Dans les bons jours, un ou deux émeutiers [juifs, NdT] peuvent être détenus pendant une heure ou deux.

L’approche des crimes des colons se distingue de celle des crimes de l’armée, que l’on dissimule . Soudain, il est permis de montrer les victimes et de condamner les criminels. Mais les crimes des colons font pâle figure à côté des crimes de l’armée.


Des personnes examinent une voiture brûlée au lendemain d’une attaque de colons juifs dans le village de Jit près de Naplouse en Cisjordanie, vendredi. Photo : Jaafar Ashtiyah/AFP

À Jit, Huwara, Qusra, dans les collines du sud d’Hébron et dans la partie nord de la vallée du Jourdain, il y a effectivement des gens qui vivent sous la terreur des colons, mais comparés aux ravages que l’armée fait à Gaza et en Cisjordanie, les émeutes descolons ne sont qu’une colonie de vacances. Une colonie de vacances de l’horreur, mais de dimensions mineures.

Le pogrom de Jit est perpétré quotidiennement par l’armée, dans une version beaucoup plus meurtrière, dans les camps de réfugiés de Toulkarem, Jénine, Naplouse et évidemment à Gaza. Un pogrom tous les jours. Mais seuls les colons suscitent le choc.

Jit a choqué, mais le meurtre de 100 personnes déplacées s’abritant dans une école à Gaza n’a suscité qu’un bâillement. Le choc provoqué par les émeutes des colons est forcé et méprisable. Il canalise tous les sentiments de culpabilité refoulés vers les marges, en rejetant toute responsabilité.

Si l’on considère l’incroyable déclin moral qu’Israël a connu au cours des dix derniers mois, on constate que l’armée est responsable de la plupart des crimes. Même à Jit, si l’armée avait fait son devoir, aucun pogrom n’aurait eu lieu.

Elle sait comment réprimer toute protestation pacifique ou émeute palestinienne, mais reste à l’écart ou soutient les pogroms perpétrés par les Juifs. C’est une politique, pas un accident. C’est une intention, pas une erreur.

Mais même lorsqu’il est clair que l’armée est responsable du pogrom de Jit, personne ne la condamne, parce que l’armée, c’est nous, et que nous n’étions pas à Jit ; nous n’avons joué aucun rôle dans les émeutes qui s’y sont déroulées. Nous sommes le bel Israël et ils sont les détraqués, avec leurs longues papillotes et leurs gigantesques kippas. Une autre tribu, la tribu de Judée. Nous sommes d’Israël. Nous avons les mains propres.


Un homme à côté de voitures brûlées montre les dégâts dans sa maison, un jour après une attaque de colons juifs sur le village de Jit près de Naplouse en Cisjordanie, vendredi. Photo : Jaafar Ashtiyeh/AFP

Mais la base de Sde Teiman, c’est l’armée, les boucliers humains utilisés à Gaza, c’est l’armée, les assassinats, c’est l’armée. Quarante mille morts, c’est l’armée ; la destruction de Gaza, c’est l’armée ; les cruels barrages routiers en Cisjordanie, c’est l’armée ; l’assassinat de jumeaux de trois jours, avec leur mère et leur grand-mère, alors que le père était sorti pour obtenir leur certificat de naissance, c’est l’armée ; l’utilisation croissante de drones pour tuer des gens en Cisjordanie, c’est l’armée ; les pilotes, les unités d’artillerie, les unités blindées, les bulldozers, les unités canines, tout ça, c’est l’armée.

Ce sont nos enfants ; presque tous ceux qui marchent dans une rue ou conduisent sur l’autoroute sont liés d’une manière ou d’une autre à l’armée. Ce sont eux qui commettent la plupart des crimes dont Israël est responsable, et non les gangsters de Givat Ronen ou les Sturmtruppen de Havat Gilad.

C’est précisément le camp des protestataires qui ne veut pas voir tout cela. La droite fond à la vue de toute démonstration du mal infligé aux Palestiniens. Cela répond à son désir de vengeance et à sa soif de sang. Mais le camp des protestataires n’est pas comme ça.

Il est humain et éthique, regardez comme il est choqué par Jit et compagnie. Ce camp ne se contente pas de nier les crimes de l’armée, il continue à la vénérer. C’est de là que viennent la plupart de ses dirigeants. Même le dernier né de la gauche, Yaïr Golan [nouveau chef du Parti travailliste, NdT], vient de l’armée.

Après le pogrom de Jit, l’un des plus graves, qui a entraîné la mort d’un innocent dont l’assassin ne sera jamais jugé comme il se doit, c’est précisément le moment d’examiner la situation dans son ensemble. Benjamin Netanyahou est le premier ministre et c’est lui qui est à blâmer. Tous les colons violent la loi et certains d’entre eux sont des tueurs potentiels.

Mais au-dessus d’eux plane un nuage sombre, qui couvre leurs actions : les Forces de défense israéliennes. C’est la véritable tête de la pyramide criminelle et c’est elle qui est responsable. C’est le corps que nous continuons à vénérer, en ignorant ce qu’il détruit.

Il est composé de nos enfants et ses commandants sont nos guides. Personne n’est prêt à condamner ses crimes ou à les énumérer. Chapeau bas devant Tsahal, pour toujours et à jamais.