Guido
Viale, 14/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Nous avons 100, voire 200 « pertes » par jour, dit Zelensky. Selon le général Fabio Mini, même 300. Les pertes sont des soldats « tombés », c'est-à-dire tués, morts, pour être remplacés chaque jour par 100 à 300 nouvelles « unité »" destinées à subir le même sort. Jour après jour. Tout aussi nombreux, sinon plus, sont les « tombés » de l'armée russe, de l'autre côté du front.
Puis il y a les blessés, dont beaucoup sont amputés ou destinés à l'être ; tous, cependant, sont marqués par un traumatisme difficile à guérir. Et puis encore, les morts parmi la population civile, dans une guerre où l'on abat des immeubles d'habitation avec leurs habitants à l'intérieur. Aujourd'hui, c'est l'armée russe qui s'en charge (uniquement ?), où qu'elle arrive, comme hier c'était l'armée et les milices ukrainiennes dans le Donbass.
Il y a peu - et de moins en moins - de perspectives de résolution du conflit dans un avenir proche ; plus probable est une impasse guerrière qui prolonge indéfiniment le bilan quotidien de ce massacre. Car des deux côtés du front, on vise la « victoire », en sachant de moins en moins bien en quoi elle consiste.
Rassemblement de soutien à l’Ukraine au pied du monument à la Victoire, en présence du maire et de l’évêque de Verdun. Photo Frédéric MERCENIER/L’Est RépublicainLes armes d'il y a cinquante ans ou plus ont presque toutes été consommées, ainsi que les soldats qui les manœuvraient ; il faut maintenant que les « remplacements » arrivent, tant en moyens qu'en hommes. Des hommes de moins en moins aptes au combat, et peut-être même moins prêts à se battre. Des moyens, c'est-à-dire des armes, autant que l'industrie russe sera capable d'en produire et autant que les principaux États membres de l'OTAN, des USA et de l'UE seront prêts à en abandonner, avant d'entrer directement dans le conflit.
Mais même si les armes sont modernes et que les combattants sont habillés comme des « robocops », cette façon de combattre est vieille d'un siècle. L'image qui vient immédiatement à l'esprit est celle de la bataille de Verdun entre la France et l'Allemagne pendant la "Grande Guerre", qui a duré 10 mois dans une impasse et a coûté 140 000 morts et 300 000 blessés et "disparus" - c'est-à-dire également morts - à l'Allemagne et 160 000 morts et 380 000 blessés et "disparus" à la France.
Un massacre. Un siècle plus tard, on a longtemps dit, au point de l'inscrire dans les manuels d'histoire, que les grands États des deux pays qui ont envoyé "leurs" troupes à l'assaut, c'est-à- dire se faire tuer par vagues successives - pour être ensuite "remplacées" par des troupes "fraîches", "vouées", c'est-à-dire condamnées, au même sort - étaient des criminels ; et que cette guerre et cette façon de combattre avaient été un massacre inutile et insensé.
Et si vous dites cela des généraux et des chefs de gouvernement de l'époque, pourquoi ne pouvez-vous pas le dire de ceux d'aujourd'hui ? Certes, aujourd'hui, il y a un agresseur et un agressé, alors que des années plus tard, il est difficile de dire qui était l'agresseur et qui était l'agressé dans la Grande Guerre. L'agresseur aurait été, plutôt que le premier à la déclarer, celui qui avait perdu cette guerre. L'agressé, donc, qui l'avait gagnée. Puis, en faisant un retour historique, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'en pleine Belle époque, les germes du massacre qui allait changer l'histoire du monde couvaient déjà depuis un certain temps des deux côtés.
Et pourquoi ne peut-on pas dire la même chose de cette guerre ? Nombreux sont ceux qui, en dépit de l'ostracisme dont ils font l'objet, affirment que les conditions préalables au déclenchement de l'agression de Poutine contre l'Ukraine avaient été établies depuis longtemps par l'élargissement de l'OTAN (en fait, également à l'Ukraine, bien qu'officieusement, et au milieu d'une agression contre les populations du Donbass). Des prémisses pas très différentes de la façon dont le traité de Versailles avait d'abord favorisé l'ascension d'Hitler, puis déclenché sa guerre d'agression, en comptant que seule l’Union soviétique en payerait le prix.
Aujourd'hui encore, certains, de l'autre côté de l'Atlantique, comptent sur l'Union européenne pour payer le prix de la guerre en Ukraine, en plus des soldats et des civils de ce pays, bien sûr.
Aujourd'hui, les deux parties (mais lesquelles ?) visent la "victoire", ce qui exclut toute possibilité de médiation et de compromis : « ce serait une capitulation », disent-elles. Il n'y a donc que des armes à envoyer. Ceci est principalement dit par ceux qui ne sont pas appelés à se battre. Bien sûr, aujourd'hui, même les soldats et les civils ukrainiens sous le feu russe le disent, ou nous l'entendons dans les reportages télévisés.
Mais comme il y a cent ans, aujourd'hui aussi, ce climat de "mai radieux" qui avait accompagné l'entrée de l'Italie dans la Grande Guerre est destiné à se dégonfler alors que l'absurdité de ce mot d'ordre - "jusqu'à la victoire" - et la multiplication des deuils commencent à percer l'écorce de la fausse fierté qui a rendu possible la mobilisation en Ukraine. Et les premiers signes de cette évolution sont déjà visibles.
Mais plus le temps passe, plus les conditions d'un compromis s'amenuisent : ce qui était encore possible - et relativement simple - avant l'agression russe ne l'est plus aujourd'hui ; ni Zelensky ni Poutine ne peuvent proposer de médiation. Il est moins logique de proposer une médiation tout en continuant à envoyer des armes. Draghi et Macron devraient au moins comprendre cela.
C'est pourquoi, outre les sacro-saintes caravanes de la paix et les initiatives d'interposition prévues, les chances d'un armistice passent aujourd'hui par la lutte incessante contre l'envoi d'armes à l’ Ukraine : tant que Zelensky en reçoit ou a des raisons d'en attendre davantage, il est de plus en plus difficile d'envisager une solution pour mettre fin au massacre.
Mais ce n'est pas lui qui doit se retirer. C'est l'OTAN. La fin de ce conflit passe par là : par le retrait des installations militaires des deux véritables bélligérants. C’est dire à quel point c'est encore loin.