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12/06/2025

ALON IDAN
Détruire Gaza “avec amour” : les nouveaux yoginazis d’Israël

Alon IdanHaaretz, 18/5/2025

Qui a dit que spiritualité et nettoyage ethnique n’allaient pas de pair ? Israël regorge de types spirituels qui considèrent l’anéantissement de l’autre comme une forme d’épanouissement personnel.


Rivka Lafair : même les bébés. Capture d’écran de sa page Facebook

Rivka Lafair est une « animatrice d’ateliers, de rencontres et de sessions de groupe sur des thèmes liés au yoga, professeur de yoga féminin et de développement personnel ». Elle vit dans la colonie de Shiloh dans le sud de la Cisjordanie et se définit comme une “juive fière” qui “sort des sentiers battus”. C’est charmant. Elle souhaite également anéantir et expulser deux millions d’êtres humains dans la bande de Gaza.

Mme Lafair appartient à un courant du judaïsme israélien que l’on peut qualifier de “yoginazis” : des personnes dont le spiritualisme sous-tend le nazisme. Il s’agit d’une sous-strate relativement nouvelle - bien qu’elle ait des racines profondes dans la  culture locale - qui a gagné en popularité depuis le 7 octobre, en grande partie grâce à sa capacité à réunir des concepts qui, à première vue, semblent opposés : spiritualité et anéantissement, autonomisation et expulsion, yoga et famine, retraites et bombardements en tapis.

Lafair est une personne qui croit que « la musique a le pouvoir de modifier notre conscience », mais aussi que l’expulsion et l’anéantissement de deux millions de Gazaouis commencent par « la modification de sa conscience ». Pour réussir ce changement cognitif important, nous devons comprendre que « nous avons un ennemi ici - que nous regardons dans les yeux et que nous éliminons ». Oui, regardez-les dans les yeux - ne le faites pas dans leur dos, car nous devons être en contact direct et sans intermédiaire avec ceux que nous anéantissons.

Et pour qu’il soit clair que par “ennemi”, elle n’entend pas seulement les terroristes du Hamas, elle précise : « Nous sommes déterminés à nous venger et à détruire Gaza. Du nourrisson à la vieille femme ». Elle termine par un verset biblique approprié : « Tu effaceras le souvenir d’ Amalek de dessous les cieux, tu n’oublieras pas ».

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Lafair comprend que les gens aient tendance à être perplexes face à cette dissonance entre spiritualité et anéantissement. Dans l’une de ses vidéos, elle adresse donc « un message à tous ceux qui ne comprennent pas comment il est possible d’être spirituel, d’enseigner le yoga et d’organiser des retraites, tout en appelant à l’expulsion et à l’annihilaSHon [sic] de votre ennemi ».

En effet, sa réponse est simple : « J’aime mon peuple d’un amour indéfectible et je déteste mon ennemi d’une haine indéfectible... L’un ne contredit pas l’autre. On peut être une personne pleine de valeurs et d’amour, et en même temps... on sait aussi ce qui est bien et ce qui est mal, on s’oppose fermement à son ennemi et on sait ce qu’il faut faire de lui ».

Alors, que faut-il faire d’eux ? (SHSHSH... ne le dites à personne.)

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Et si l’on peut faire abstraction du spiritualisme nazi de Lafair parce qu’il s’agit d’une colonisatrice qui a trouvé une solution efficace pour réaliser l’idée du Grand Israël, il est intéressant de noter qu’il s’agit d’un phénomène beaucoup plus large qui ne se limite pas aux territoires occupés.

Un jour avant la journée de commémoration de l’Holocauste, par exemple, l’humoriste et satiriste Gil Kopatz, qui flirte avec la spiritualité et la religion depuis des années, a posté ce qui suit : « Si vous nourrissez les requins, ils finissent par vous manger. Si vous nourrissez les Gazaouis, ils finiront par vous manger. Je suis favorable à l’extinction des requins et à l’extermination des Gazaouis. Réflexions pour la Journée de commémoration de l’Holocauste 2025 ».

Après la “tempête” suscitée par ce message, Kopatz a publié une mise au point : « Je n’ai pas une once de compassion pour les Gazaouis. Pour les Arabes dans leur ensemble, oui, pour les êtres humains dans leur ensemble, oui, pour les requins, non, et pas pour les bêtes humaines ». Bien entendu, son désir d’éradiquer des millions de personnes n’implique pas qu’il soit une mauvaise personne. En effet, « je me considère comme une personne humaine, libérale et morale », écrit-il. Et pour couronner le tout, il termine son billet par un trait d’humour noir : « Ce n’est pas un génocide, c’est un pesticide, et c’est essentiel ». Une véritable émeute, ça, hein ?


Gil Kopatz : « Ce n’est pas un génocide, c’est un pesticide »

En fait, la majeure partie du vocabulaire spirituel en Israël a été mobilisée au service du yoginazisme. Prenons l’exemple de M., une femme originaire d’une grande ville aisée située à quelques kilomètres au nord de Tel Aviv. Elle dirige un studio décrit comme « un espace agréable, rempli d’inspiration », qui prône trois valeurs : « Créativité. Émotion. Expérience ».

Dans cet espace agréable, elle anime « des groupes de créativité pour les enfants - à partir de quatre ans - et des séances d’accompagnement émotionnel personnel pour les enfants et les jeunes - avec une approche douce, communicative et nourricière ». Tout cela se passe, bien sûr, dans une « atmosphère familiale, chaleureuse et professionnelle » (les personnes intéressées sont « invitées avec amour »).

Pourtant, lorsqu’on fait voir à cette même M. une vidéo montrant un enfant affamé dans la bande de Gaza, elle affirme immédiatement : « Pas crédible. Je suis désolée. J’ai vu comment les clips sont mis en scène - positionnement, maquillage, élaboration d’un scénario ». La même femme qui s’occupe d’enfants « avec une approche douce, connectée et nourricière » explique : « Vous savez quoi ? Même si c’est vrai, après le 7 octobre, je n’ai pas une once de compassion pour qui que ce soit là-bas. Pas même pour les enfants ». Elle ajoute : « ça m’attriste de voir des gens parmi nous partager cette merde, et pire, s’identifier à elle et exprimer leur douleur ».

Pour bien montrer qu’elle n’est pas une personne insensible, elle résume : « La soussignée est une mère, une amoureuse de l’humanité et une personne formidable à tous points de vue ». C’est juste que « le 7 octobre m’a enlevé mon innocence ». Pauvre femme, elle a vraiment du mal.

***

A., elle non plus, n’est pas une colone. Elle vit dans une ville bien établie d’Israël et cherche simplement à trouver un nouveau foyer pour « une chienne extraordinaire !!!! Elle est parfaitement propre, c’est une chienne pleine d’amour qui a besoin d’un foyer chaleureux et aimant ».

Tant d’attention, tant d’amour, tant de compassion. Et pourtant, lorsqu’elle tombe sur la photo d’un enfant de Gaza tué lors d’un bombardement israélien, elle comprend immédiatement que quelqu’un essaie de l’embrouiller et publie un message : « Soyons clairs. S’il n’y avait pas eu de massacre ici, il n’y aurait pas eu de massacre là-bas ! Ce n’est pas l’affaire de la poule et de l’œuf ! !! »

Ensuite, lorsque la poule et l’œuf ne parviennent pas à comprendre ce qu’elle a voulu dire, elle a recours à certaines des « meilleures » calomnies démenties diffusées à la suite de l’horrible massacre – « après que les bébés ont été brûlés, qu’on leur a coupé la tête, qu’on les a mis dans un four » - et elle conclut de manière retentissante : « Il n’y avait aucune raison d’envoyer un conteneur de vêtements pour leurs enfants ».

Bien sûr, elle aussi était autrefois une personne compatissante et sensible – « Ne vous méprenez pas, je pensais exactement comme vous jusqu’au 6 octobre, mais si quelqu’un vient pour vous tuer... c’est une affaire classée. Ils ont commencé et nous finirons !!!" (vous ne voulez pas dire “finiSH” ?).

***

Ils sont nombreux dans l’Israël d’aujourd’hui. Des personnes spirituelles qui considèrent l’anéantissement de l’autre comme une forme de croissance personnelle et l’éradication de l’ennemi comme un renforcement des capacités. Ils vivent dans une grande retraite, où la conscience est si bien réglée que tous les bruits disparaissent, toutes les perturbations sont étouffées, de sorte qu’il ne leur reste qu’eux-mêmes, eux et leur être intérieur - pur, compatissant, non souillé - et qu’ils sont enfin capables de se connecter à ce qui a toujours résidé en eux, attendant d’être révélé : le désir d’annihiler et de détruire des millions de personnes, y compris des enfants, des femmes et des personnes âgées. Avec beaucoup d’amour.