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29/07/2025

GIDEON LEVY
Nier la famine à Gaza n’est pas moins ignoble que nier la Shoah

Gideon Levy, Haaretz, 27/7/2025
Traduit par Tlaxcala

La négation est légitime en Israël, elle est conforme à la bienséance politique locale – il n’y a pas de famine, et les descriptions d’une famine délibérée à Gaza relèvent d’un complot antisémite.


Un homme porte le corps du bébé palestinien Zainab Abu Haleeb, décédé de malnutrition selon les autorités sanitaires, à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, samedi. Photo : Ramadan Abed/Reuters

Il n’existe que peu de phénomènes aussi odieux que la négation de la Shoah juive. Les négationnistes ont affirmé qu’elle n’avait jamais eu lieu, ou que le nombre de victimes était faible, voire qu’il n’y avait jamais eu de chambres à gaz.
Ils ont pris des mesures et utilisé des données pour soutenir leurs dires. La Shoah serait une conspiration destinée à obtenir des compensations et de la compassion. Sa négation est criminalisée dans de nombreux pays, et les négationnistes sont considérés comme antisémites. L’historien britannique David Irving a été emprisonné en Autriche et banni.

Mettre en doute le 7 octobre a été condamné en Israël, et quiconque s’y risquait était qualifié d’antisémite. Lorsque Roger Waters a déclaré qu’il n’y avait pas de preuves de viols et que l’histoire de bébés brûlés dans des fours était un mensonge israélien, il a été largement attaqué – comme bien d’autres qui ont souligné des exagérations dans le récit israélien.

Ces dernières semaines, une vague abjecte de déni déferle sur Israël, de tous les endroits possibles. Elle touche de larges pans de la société et est partagée par presque tous les médias.

Nous avons essayé d’ignorer, de dissimuler, de détourner le regard, de blâmer le Hamas, de dire que “c’est la guerre”, ou qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza – jusqu’à ce que la somme des crimes commis par Israël dans la bande de Gaza déborde.

Avec l’apparition d’une famine mortelle et délibérée, il ne restait plus d’autre issue que le déni, aussi ignoble que celui de la Shoah.

Ce déni actuel inclut la négation de l’intention génocidaire et de l’objectif évident de déplacer la population de Gaza ailleurs.

Ce type de déni est légitime en Israël, il est conforme à la bienséance politique locale – il n’y a pas de famine ! Personne ne sera blâmé ou puni pour l’avoir causée.

Cette attitude fait désormais partie du courant dominant. Les descriptions de famine délibérée à Gaza sont perçues comme une conspiration antisémite. S’il y a famine, parlez-en au Hamas.

Des Palestiniens attendent de recevoir de la nourriture d'une cantine caritative, en pleine crise alimentaire, à Gaza, samedi. Photo Mahmoud Issa/Reuters

C’est ce qui arrive quand on épuise ses excuses, ses mensonges et sa propagande. Quand on est devenu moralement si perverti qu’on affirme qu’il n’y a pas de famine, alors même que les images sont sous nos yeux. Quel droit ont ces gens de dire ça ?

Il existe 50 nuances de négation israélienne, toutes aussi méprisables. De la simple indifférence au regard fuyant, jusqu’au mensonge pur et simple.

Elles visent toutes le même objectif : fuir la responsabilité, continuer à jouer les victimes tout en se glorifiant. Les négationnistes viennent de tous les milieux.

Cela inclut quatre chercheurs israéliens ayant publié un article intitulé « Le soi-disant génocide dans la guerre des Épées de Fer » – dont les failles ont été dénoncées par l’historien de la Shoah Daniel Blatman et le journaliste Nir Hasson (édition hébreue de Haaretz) – et la femme distribuant gratuitement Israel Hayom, qui m’a assuré récemment que les images de famine « venaient du Yémen ou avaient été créées par l’IA ».

Cela inclut aussi la journaliste télé moralisatrice Moriah Asraf, qui a fait taire de façon méprisante la journaliste indépendante Emmanuelle Elbaz-Phelps, et tous les rédacteurs des journaux télévisés qui dissimulent ce qui se passe à Gaza.

Des Palestiniens tentent d'obtenir de la nourriture distribuée dans une cuisine communautaire de la ville de Gaza, au nord de la bande de Gaza, samedi. Photo Abdel Kareem Hana/AP

Le déni accompagne Israël depuis la première Nakba, en 1948 – qui, bien sûr, n’aurait jamais eu lieu et ne serait qu’une invention des ennemis d’Israël. Ce déni s’est poursuivi durant toutes les années d’occupation et d’apartheid.

Aucune société au monde ne vit dans un tel déni de soi, largement encouragé par sa presse dite libre. Mais ce qui se passe ces dernières semaines dépasse tous les records d’abjection.

Il n’y a pas de famine à Gaza. Après tout, des camions attendent à la frontière, les parents d’enfants mourant de faim sont obèses, une vidéo montre des terroristes du Hamas mangeant des bananes dans leurs tunnels (vidéo prise il y a six mois, aujourd’hui diffusée par le principal propagandiste du pays, le porte-parole de Tsahal).

Il y a là quelque chose de plus ignoble encore que la fuite de responsabilité : le mépris de la victime, de l’enfant qui meurt dans les bras de sa mère en pleurs. Lui dire qu’il n’y a pas de famine délibérée, c’est la mépriser dans sa douleur.

Pendant des années, j’ai pensé que même si on montrait aux Israéliens toutes les preuves, ils les rejetteraient. La preuve est là. Les images de la famine envahissent les écrans du monde entier – et les Israéliens les nient.

Avec quelle assurance ils affirment que ces images sont fausses, qu’il n’y a pas de famine, qu’il y a des bananes, que 80 camions par jour entrent à Gaza.

C’est exactement ce que faisait le professeur français Robert Faurisson : il affirmait que, compte tenu du volume des chambres à gaz, la Shoah n’avait jamais eu lieu.

25/07/2025

Soldats israéliens, crosse en l'air !
Fania Oz appelle à la désertion et à l'insoumission

L’historienne israélienne Fania Oz-Salzberger, fille du célèbre écrivain Amos Oz, appelle tous les soldats à refuser de servir à Gaza.



Soldats, réguliers et de réserve,
Parents et grands-parents de soldats,
Il n’y a pas d’autre choix : refusez de servir à Gaza. Refusez, refusez, refusez.
Les otages et leurs familles en souffrance ont été trahis par le gouvernement israélien.
La famine massive à Gaza est un fait horrible et indéniable.
Le massacre quotidien dans les centres de distribution de vivres n’est pas de la légitime défense, mais un crime de guerre atroce.
Le droit international n’est plus de notre côté depuis longtemps.
Les soldats sacrifient leur jeune vie en vain, et pire qu’en vain : pour un but néfaste et destructeur.
L’opinion publique modérée du monde entier et les derniers alliés d’Israël nous rejettent avec horreur. Pas parce qu’ils sont antisémites, mais parce qu’ils sont humains.
La droite messianique nous entraîne dans sa folie vers un isolement global total, avec la foi absolue qu’il existe un Dieu et qu’il est de notre côté.
Refusez, refusez, refusez

GIDEON LEVY
L’infamie de la famine délibérée : la guerre de la faim menée par Israël à Gaza

 Gideon LevyHaaretz, 24/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Naeema, une mère palestinienne de 30 ans, est assise avec son fils de 2 ans, Yazan, souffrant de malnutrition, dans leur maison endommagée du camp de réfugiés d’Al-Shati, à l’ouest de Gaza, cette semaine. Photo Omar El- Qatta /AFP

Le plan israélien de nettoyage ethnique de la bande de Gaza progresse à un rythme soutenu, peut-être même mieux que prévu. Outre les succès significatifs déjà enregistrés en matière de massacres et de destructions systématiques, ces derniers jours ont vu une autre réalisation cruciale : la famine délibérée a commencé à porter ses fruits.

Les effets de cette politique se propagent rapidement, faisant des victimes en nombre comparable à celui des décès causés par les bombardements. Ceux qui ne meurent pas en attendant de la nourriture ont de fortes chances de succomber à la faim.

L’arme de la famine délibérée fonctionne. La Fondation « humanitaire » de Gaza, quant à elle, est devenue un succès tragique. Non seulement des centaines de Gazaouis ont été abattus alors qu’ils faisaient la queue pour recevoir les colis distribués par la Fondation, mais d’autres ne parviennent pas à atteindre les points de distribution et meurent de faim. La plupart sont des enfants et des bébés.

Rien que mercredi, 15 personnes sont mortes de faim, dont trois enfants et un bébé de six semaines. Cent deux personnes sont mortes depuis le début de la guerre, dont 80 enfants, et le nombre de morts est en hausse ces derniers jours.

Les images cachées au public par les médias locaux criminels israéliens, dont le manque de couverture de Gaza ne sera jamais oublié ni pardonné, sont vues par le reste du monde. Ces images rappellent les survivants des camps de concentration, des images de l’Holocauste. Les dissimuler revient à nier le phénomène.

Les squelettes de bébés et de nourrissons, vivants et morts, dont les os dépassent à travers des tissus adipeux brûlés ou des muscles flétris, leurs yeux et leurs bouches grands ouverts, leurs expressions mortes.

Des Palestiniens réagissent en demandant de la nourriture à une association caritative, en pleine crise alimentaire, à Gaza, en juillet. Photo Mahmoud Issa/Reuters

Ils gisent sur le sol des hôpitaux, sur des lits nus ou transportés sur des charrettes tirées par des ânes. Ce sont des images de l’enfer. En Israël, nombreux sont ceux qui rejettent ces photos, doutant de leur véracité. D’autres expriment leur joie et leur fierté de voir des bébés affamés. Oui, c’est aussi ce qui nous est arrivé.

Transformer la famine délibérée en une arme légitime et acceptable pour les Israéliens, que ce soit par un soutien ouvert ou par une indifférence glaçante, est l’étape jusqu’à présent la plus démoniaque dans la guerre lancée par Israël contre la bande de Gaza.

C’est aussi la seule pour laquelle on ne peut inventer aucune justification, excuse ou explication. Même l’appareil de propagande débordant d’Israël ne parvient pas à en trouver. La famine est devenue une arme légitime puisqu’elle constitue un autre moyen d’atteindre l’objectif : le nettoyage ethnique.

Il faut intérioriser ce fait et considérer la poursuite de la guerre sous cet angle. De même qu’Israël profite des morts causées par les armes, il profite aussi de la faim qui tue des centaines de personnes. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de transformer Gaza en un lieu invivable , et c’est seulement ainsi que ses habitants partiront « de leur plein gré », d’abord vers la ville « humanitaire » , puis vers la Libye, ou Dieu sait où.

Des Palestiniens fuient leurs maisons avec leurs biens après que l’armée israélienne a ordonné l’évacuation de l’est de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, en mai. Photo Hatem Khaled/Reuters

La famine est désormais visible partout. Les journalistes palestiniens de Gaza qui n’ont pas encore été abattus par l’armée israélienne rapportent qu’ils n’ont rien mangé depuis deux ou trois jours.

Même des médecins étrangers ont parlé mercredi de ce qu’ils avaient mangé, et surtout de ce qu’ils n’avaient pas mangé. Une médecin canadienne de l’hôpital Nasser a déclaré n’avoir mangé qu’un petit bol de lentilles au cours des deux jours précédents. Elle ne pourra plus continuer à soigner les malades et les blessés de cette façon. C’est aussi une bonne chose pour Israël.

Une équipe d’Al-Jazeera a accompagné un jeune homme parti à la recherche de nourriture pour ses enfants. Il a cherché, cherché, jusqu’à trouver deux sacs de farine israélienne et une bouteille d’huile sur un étal de marché. Le prix était de plusieurs centaines de shekels le sac, et il est rentré chez lui les mains vides, auprès de ses enfants affamés. Le studio de télévision a ensuite détaillé les trois étapes menant à la mort par inanition. Les enfants de cet homme se trouvaient à la deuxième étape.


Un jeune Palestinien porte un sac de nourriture provenant d’un convoi du Programme alimentaire mondial (PAM) déchargé en route vers Gaza en juin. Photo Jehad Alshrafi / AP Aron Ehrlich / Illustration photo

Cette famine délibérée a fait de cette guerre la plus horrible des guerres israéliennes, et certainement la plus criminelle d’entre elles. Jamais deux millions de personnes n’avaient été affamées de cette façon.

Mais une chose est pire que la famine délibérée : l’indifférence avec laquelle elle est accueillie en Israël. À une heure et demie de route de l’endroit où un autre bébé, Yussef al-Safadi, est mort mercredi, sa famille n’a pas trouvé de substitut au lait maternel.

Au moment de sa mort, Canal 12 diffusait une émission de cuisine et le taux daudience était excellent.

Ben Jennings, The Guardian

22/07/2025

RUWAIDA AMER
Nous crevons de faim

Mon corps est à bout. Ma mère s’effondre d’épuisement. Mon cousin défie la mort chaque jour pour obtenir un peu d’aide. Les enfants de Gaza meurent sous nos yeux, et nous sommes impuissants à les aider.

Ruwaida Amer  ,+972 Magazine, 21/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ruwaida Kamal Amer est une journaliste, productrice et réalisatrice (sur)vivant à Gaza. Elle a précédemment travaillé comme enseignante de sciences. Après le déclenchement de la guerre, elle est restée avec sa famille à Gaza, d’où elle rend compte du génocide en cours et de ses effets dévastateurs sur la population civile. Son travail a été publié par plusieurs médias internationaux tels qu’Al Jazeera English, Euronews et ABC News. Elle écrit régulièrement pour le magazine +972 sur la réalité quotidienne de la vie dans Gaza assiégée et sur la crise humanitaire, et elle met souvent en lumière des histoires qui sont souvent ignorées par les médias grand public.

 


Des Palestiniens tentent de recevoir un repas chaud préparé par des bénévoles, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 20 juin 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

J’ai tellement faim.

Je n’ai jamais pensé ces mots comme je les pense aujourd’hui. Ils véhiculent une sorte d’humiliation que je ne peux pas vraiment décrire. À chaque instant, je me surprends à souhaiter : « Si seulement ce n’était qu’un cauchemar. Si seulement je pouvais me réveiller et que tout soit fini. »

Depuis mai dernier, après avoir été contrainte de fuir mon foyer  et trouver refuge chez des proches dans le camp de réfugiés de Khan Younès, j’ai entendu ces mêmes mots prononcés par d’innombrables personnes autour de moi. Ici, la faim est vécue comme une atteinte à notre dignité, une cruelle contradiction dans un monde qui se targue de progrès et d’innovation.

Chaque matin, nous nous réveillons avec une seule idée en tête : trouver quelque chose à manger. Je pense immédiatement à notre mère malade, qui a subi une opération de la colonne vertébrale il y a deux semaines et qui a maintenant besoin de se nourrir pour se rétablir. Nous n’avons rien à lui offrir.

Et puis il y a ma petite nièce et mon petit neveu, Rital, 6 ans, et Adam, 4 ans, qui réclament sans cesse du pain. Et nous, les adultes, nous essayons de résister à notre propre faim afin de garder les miettes pour les enfants et les personnes âgées.

Depuis qu’Israël a imposé un blocus total  sur Gaza début mars (qui n’a été que légèrement assoupli fin mai), nous n’avons pas mangé de viande, d’œufs ou de poisson. En fait, nous avons dû renoncer à près de 80 % de notre alimentation habituelle. Nos corps sont à bout. Nous nous sentons constamment faibles, désorientés et déséquilibrés. Nous sommes facilement irritables, mais la plupart du temps, nous restons silencieux. Parler demande trop d’énergie.

 

Huda Abu Al-Naja, 12 ans, accompagnée de sa mère, reçoit un traitement contre la malnutrition à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 juin 2025. (Doaa Albaz/Activestills)

Nous essayons d’acheter tout ce qui est disponible sur les marchés, mais les prix deviennent impossibles. Un kilo de tomates coûte désormais 90 NIS (= 23€). Les concombres sont à 70 NIS le kilo (= 18€). Un kilo de farine coûte 150 NIS (= 39€). Ces chiffres semblent scandaleux et cruels.

Nous survivons avec un seul repas par jour : généralement du pain, fait avec la farine que nous avons réussi à trouver. Si nous avons de la chance, le déjeuner comprend parfois un peu de riz, mais cela ne suffit pas à nous rassasier. Nous essayons de mettre un peu de nourriture de côté pour ma mère, peut-être quelques légumes, mais ce n’est jamais assez. La plupart du temps, elle est trop faible pour se tenir debout, trop épuisée pour même prier.

Nous ne sortons presque plus de chez nous, de peur que nos jambes ne nous lâchent. C’est déjà arrivé à ma sœur : alors qu’elle cherchait dans les rues quelque chose, n’importe quoi, pour nourrir ses enfants, elle s’est soudainement effondrée sur le sol. Son corps n’avait même plus la force de rester debout.

Nous avons commencé à prendre conscience de la gravité de la crise alimentaire lorsque le boulanger Abou Hussein, connu de tous dans le camp, a commencé à réduire son activité. Il cuisait auparavant pour des dizaines de familles chaque jour, dont la nôtre, qui n’avons plus ni gaz ni électricité pour cuisiner. Du matin au soir, ses fours à bois fonctionnaient sans interruption.

Mais récemment, il a été contraint de réduire progressivement son temps de travail hebdomadaire. Ma sœur rentrait à la maison et disait : « Abou Hussein est fermé. Il travaillera peut-être demain. » Aujourd’hui, trouver de la pâte et de la farine est devenu une véritable épreuve.

Trois générations en proie à la famine

Dans le camp, j’ai compris la véritable cruauté de ce génocide : la promiscuité étouffante, la foule de réfugiés chassés de leurs maisons et les innombrables récits de famine.

 

Une femme palestinienne déplacée nourrit des enfants à Al-Mawasi, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 juillet 2025. (Doaa Albaz/Activestills)

Je vis actuellement chez ma tante, qui nous a recueillis après notre déplacement et nous héberge depuis deux mois. Comme presque tous les autres bâtiments du camp, sa maison a été presque entièrement détruite par les attaques israéliennes. Les frères et sœurs de ma tante ont travaillé sans relâche pour réparer ce qu’ils pouvaient et ont réussi à rendre une pièce habitable.

La maison déborde de petits-enfants, chacun luttant contre la faim. Mon cousin aîné, Mahmoud, est père de quatre d’entre eux. Il a lui-même perdu près de 40 kilos au cours des derniers mois. Les signes de malnutrition sont visibles partout sur son visage pâle et son corps émacié.

Chaque jour avant l’aube, Mahmoud se rend dans les centres de distribution d’aide humanitaire gérés par les USA, risquant sa vie  pour essayer de ramener de quoi manger à ses enfants affamés. Depuis que je suis arrivé chez eux, il me raconte jour après jour les mêmes histoires poignantes.

« Aujourd’hui, j’ai rampé à quatre pattes parmi une foule de milliers de personnes », m’a-t-il récemment confié en me montrant un sac rempli de restes de nourriture qu’il avait réussi à récupérer. « J’ai dû ramasser tout ce qui était tombé par terre : des lentilles, du riz, des pois chiches, des pâtes, même du sel. J’ai mal partout où j’ai été piétiné, mais je dois le faire pour mes enfants. Je ne supporte pas d’entendre leurs cris de faim. »

Un jour, Mahmoud est revenu les mains vides. Il était livide et semblait sur le point de s’effondrer. Il m’a raconté que l’armée israélienne avait ouvert le feu sans avertissement. « Le sang d’un jeune homme à côté de moi a éclaboussé mes vêtements, m’a-t-il dit. Pendant un instant, j’ai cru que c’était moi qui avais été touché. Je me suis figé, persuadé que la balle était dans mon corps. »

Le jeune homme s’est effondré juste devant lui, mais Mahmoud n’a pas pu s’arrêter pour lui venir en aide. « J’ai couru plus de six kilomètres sans me retourner. Mes enfants ont faim et attendent que je leur ramène à manger », a-t-il déclaré d’une voix brisée, « mais ils ne seront pas contents si je rentre mort ».

 
Un Palestinien blessé récupère de l’aide humanitaire distribuée par des organisations internationales à Gaza, dans le nord de la bande de Gaza, le 26 juin 2025. (Yousef Zaanoun/Activestills)

Mon autre cousin, Khader, a 28 ans. Il a une fille de 2 ans et sa femme est enceinte. Il est rongé par l’inquiétude pour leur enfant à naître, qui doit venir au monde dans deux mois. Sa femme ne mange pas correctement et chaque jour, il reste assis en silence, tourmenté par les mêmes questions : Cette famine va-t-elle nuire à ma femme ? L’enfant qu’elle mettra au monde sera-t-il en bonne santé ou malade ?

Sa fille de deux ans, Sham, pleure toute la journée parce qu’elle a faim. Elle réclame du pain, n’importe quoi d’autre que les aliments insipides et lourds à digérer qui composent son régime quotidien, à savoir du riz, des lentilles et des haricots, qui lui ont donné la diarrhée à plusieurs reprises.

Un jour, une amie de Khader lui a donné une poignée de raisins pour elle. C’était un petit miracle. Khader s’est agenouillé à côté de Sham et lui a offert les raisins, mais elle les a simplement regardés, jouant avec eux dans ses petites mains et refusant de les manger. Elle ne les reconnaissait pas : en deux ans de vie à Gaza, elle n’avait jamais vu de raisins.

Ce n’est que lorsque son père en a mis un dans sa bouche et lui a souri qu’elle l’a imité avec hésitation. Elle a mâché. Puis elle a ri.

Les corps s’éteignent

Je me tiens souvent à la porte de la maison, à regarder les enfants du camp. Ils passent la plupart de leur temps assis par terre, le regard vide, fixant les passants. Quand je demande à l’un d’eux de m’acheter une carte Internet pour que je puisse travailler ou appeler ma nièce depuis la maison du voisin, ils me répondent d’une voix faible et fatiguée. Ils me disent qu’ils ont faim. Qu’ils n’ont pas mangé de pain depuis des jours.

Je n’ai que 30 ans, mais je ne suis plus la femme énergique que j’étais autrefois. Avant, je travaillais de longues heures. entre l’enseignement et le journalisme, mais depuis que cette guerre a commencé, je n’ai pas eu un instant de répit. Je jongle entre des tâches ménagères épuisantes — prendre soin de ma mère et de ma famille — tout en essayant simultanément de continuer à documenter et à rédiger  à propos de tout ce qui se passe autour de moi.

 

Une femme palestinienne déplacée prépare du pain sous sa tente, à Al-Mawasi, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 juillet 2025. (Doaa Albaz/Activestills)

Mais depuis environ un mois, je ne suis plus capable de suivre l’actualité. Je n’arrive plus à me concentrer. Mon corps est à bout. Je souffre d’anémie après avoir mangé exclusivement des lentilles et d’autres légumineuses pendant des mois. Et depuis deux jours, je ne peux plus avaler à cause d’une grave inflammation de la gorge, conséquence de ma consommation excessive de dukkah et de piments rouges pour tenter d’apaiser ma faim.

Mahmoud, un photographe de 28 ans qui travaille avec moi sur des reportages vidéo, est également en difficulté. « Je n’ai rien mangé depuis deux jours, à part de la soupe », m’a-t-il récemment confié. « Je n’ai plus la force de travailler. » Personne n’en a la force. Travailler pendant un génocide exige une force impossible à maintenir. La famine a paralysé la productivité de tous les travailleurs de Gaza.

Hier, j’ai accompagné ma mère à l’hôpital Nasser pour une séance de kinésithérapie après son opération. Sur le chemin, nous avons vu des dizaines de personnes qui ne pouvaient pas marcher plus de quelques mètres sans devoir s’arrêter pour se reposer. Ma mère était dans le même état : ses jambes étaient trop faibles pour la porter. Elle s’est assise sur une chaise en plastique au bord de la route, rassemblant le peu d’énergie qu’elle pouvait pour continuer.

Alors que nous continuions à marcher, nous avons entendu des cris. Des jeunes hommes et femmes couraient en criant de joie : « Il y a des camions de farine dans la rue ! » Une foule immense s’était formée. Les gens couraient désespérément vers les camions pour tenter d’obtenir un sac de farine.

C’était le chaos. Personne n’escortait les camions pour s’assurer que tout le monde puisse obtenir sa part en toute sécurité. Au lieu de cela, nous avons vu la foule se précipiter vers des zones dangereuses contrôlées par l’armée israélienne, juste pour obtenir de la farine.

Certaines personnes sont revenues avec des sacs. D’autres ont été tuées. Nous avons vu des corps emportés sur les épaules d’hommes, abattus à bout portant là où l’aide était censée leur sauver la vie.

Des Palestiniens transportent un homme blessé par des tirs israéliens alors qu’il tentait d’obtenir de l’aide alimentaire dans la rue Al-Rashid, au nord de la ville de Gaza, le 16 juin 2025. (Yousef Zaanoun/ActiveStills)

18 morts de faim en 24 heures

Après la séance de thérapie, nous avons quitté l’hôpital et sommes passées devant des femmes qui pleuraient sur leurs enfants affamés, mourant sous nos yeux. Une femme, Amina Badir, hurlait en serrant son enfant de 3 ans dans ses bras.

« Dites-moi comment sauver ma fille Rahaf de la mort », s’écria-t-elle. « Depuis une semaine, elle ne mange qu’une cuillère de lentilles par jour. Elle souffre de malnutrition. Il n’y a pas de traitement, pas de lait à l’hôpital. Ils lui ont retiré son droit à la vie. Je vois la mort dans ses yeux. »

Selon le ministère de la Santé à Gaza, le nombre de morts dus à la faim et à la malnutrition depuis le 7 octobre a augmenté  à 86 personnes, dont 76 enfants. Hier, il a  signalé  que 18 personnes étaient mortes de faim au cours des dernières 24 heures seulement. Le personnel médical a tenu un piquet de protestation à l’hôpital Nasser pour demander l’intervention internationale avant que davantage de personnes ne meurent de faim.

Je n’ai pas trouvé de taxi pour nous ramener à la maison. Ma mère a attendu à la porte de l’hôpital pendant que je cherchais un moyen de transport, mais le carburant est rare et les taxis sont pratiquement inexistants. J’ai passé une heure entière à essayer.

Quand je suis revenue, j’étais étourdie et faible. Je me suis effondrée. J’ai essayé de rester forte pour ma mère, mais il n’y avait personne d’autre avec nous. Autour de moi, je voyais des gens s’évanouir partout. Un homme m’a dit : « S’il y avait eu de la nourriture convenable, ta mère ne serait pas tombée aussi malade. »

Nous essayons tous de nous réconforter mutuellement dans cette famine sans fin. Sur Facebook, les gens expriment leur colère, publiant post après post sur la politique d’affamement menée par Israël qui a mis Gaza à genoux. Nous ne pouvons plus faire les choses les plus élémentaires que les gens font chaque jour partout dans le monde. La faim nous a tout pris.