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13/06/2025

YOSSI MELMAN
“Quel mal il y a à ça ?” : Comment Israël a formé et armé une milice gazaouie liée à Daech

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a approuvé cette opération secrète visant à soutenir une milice palestinienne pour garder l’aide humanitaire - tout en cachant la vérité au public


“Quel mal il y a à ça ?”

Yossi Melman, Haaretz, 11/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

“Quel mal il y a à ça ?” Avec ces quatre mots soi-disant innocents, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a causé des dommages supplémentaires à toute chance de mettre fin à la guerre à Gaza et de restituer les otages. C’est ainsi qu’il a réagi la semaine dernière à la révélation du député Avigdor Lieberman selon laquelle les services de sécurité israéliens géraient une milice armée à Gaza, dont le personnel était affilié à Daech. Le chef de cette milice est Yasser Abou Shabab, membre d’une grande famille bédouine de Rafah.

Netanyahou a accusé Lieberman de révéler un secret d’État, mais en confirmant l’information, le premier ministre s’est lui-même rendu complice. Cela pourrait entraver les efforts futurs des services de renseignement israéliens pour recruter des agents et des collaborateurs.



Photo tirée de Facebook montrant des miliciens d’Abou Shabab. Ils ont été formés par le Shin Bet.

Selon Tamir Hayman, ancien chef de la direction du renseignement militaire et actuel directeur exécutif de l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel-Aviv, « toute la force de cette idée réside dans la dissimulation de toute action de ce type, de manière à la faire paraître authentique et populaire, motivée par la souffrance des habitants de Gaza des habitants de Gaza qui en ont assez du régime du Hamas ».

L’idée d’armer le clan Abou Shabab n’est pas nouvelle - elle a été évoquée peu après le massacre du 7 octobre. Cette décision a été prise par défaut, dans les deux sens du terme. En déclarant que Gaza « ne sera ni le Hamastan ni le Fatahstan », Netanyahou a condamné l’Autorité palestinienne et a rejoint le programme d’annexion et de transfert de population de Bezalel Smotrich, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie.

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Le vide créé à Gaza par la perte de gouvernance du Hamas suite aux succès des Forces de défense israéliennes sur le champ de bataille a également été renforcé par le refus du gouvernement Netanyahou d’autoriser les forces des pays arabes modérés tels que l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite à pénétrer dans la bande de Gaza. C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé désespérément à la recherche d’une alternative pour nourrir 2,2 millions de bouches affamées.

Face à ces contraintes imposées par Netayahou et son gouvernement d’extrême droite, le ministre de la défense Yoav Gallant, qui a démissionné il y a quelques mois, a eu l’idée de mettre en place un régime des milices et des clans dans la bande de Gaza. Gallant avait déclaré qu’Israël devrait utiliser des éléments locaux, affiliés à Ramallah et coordonnés avec l’(in)Autorité palestinienne. En d’autres termes, Gallant essayait d’introduire l’(i)AP par des moyens détournés.

Troisième tentative

Gallant et l’establishment de la défense ont tenté d’exécuter ce mouvement pour la première fois en février 2024. Cependant, lorsque des camions transportant de l’aide humanitaire sont entrés dans l’enclave, ils ont été attaqués par le Hamas et la tentative de les protéger a échoué. Un autre échec s’est produit lorsqu’Israël a tenté de mettre en place une milice armée issue du même clan dans les camps de réfugiés du centre de Gaza. C’est la troisième fois qu’Israël tente le même coup, cette fois-ci après l’occupation de Rafah par ses troupes.

Il y a environ un an, des agents de terrain du district sud du service de sécurité Shin Bet ont reformulé l’idée en action opérationnelle. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a soutenu le plan, qui a été approuvé par Netanyahou et le ministre de la défense, Israel Katz. Les ministres du gouvernement ont été tenus dans l’ignorance. À cette époque, le chef de district, A., a pris sa retraite du Shin Bet après avoir assumé la responsabilité de l’échec du 7 octobre. Il a été remplacé par S., qui a commencé à faire avancer le plan et, en octobre 2024, il a été décidé de le mettre en pratique.


Soldats des FDI de la brigade Golani opérant dans la zone de Rafah, à Gaza.

Le plan a été soutenu par les FDI, à l’époque sous le commandement du chef d’état-major Herzl Halevi, par le nouveau chef de la direction du renseignement militaire, le général de division Shlomi Binder, et par le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, le général de division Ghassan Alian. Un autre grand partisan de l’initiative était le général de division Roman Gofman, secrétaire militaire de Netanyahou.

Les instructeurs du Shin Bet ont formé les membres du clan Abou Shabab et les ont équipés d’armes légères - fusils d’assaut Kalachnikov et armes de poing - saisies au Hamas depuis le début de la guerre de Gaza. Après que l’organisation non gouvernementale Hatzlaha a menacé de saisir la justice, les FDI ont fourni des données partielles sur le nombre d’armes à feu légères saisies depuis le début de la guerre : quelque 2 500 fusils et armes de poing. Israël verse également des salaires aux miliciens, grâce à l’argent confisqué depuis le début de la guerre - les FDI ont saisi plus de 100 millions de shekels (environ 24 millions d’€) en différentes devises.

La tâche principale de la milice est de sécuriser le transfert de l’aide humanitaire vers les centres d’approvisionnement alimentaire et d’empêcher le Hamas de la piller [sic; lisez : la distribuer]. La question de l’aide humanitaire est également entourée de mystère et se déroule de manière détournée, caractéristique du gouvernement de Netanyahou depuis le début de la guerre. Israël a décidé de mettre fin aux activités de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, parce que certains de ses employés palestiniens étaient des activistes du Hamas ou coopéraient avec l’organisation. Israël a également eu du mal à mobiliser les organisations d’aide internationale parce qu’elles refusaient de coopérer avec lui. En outre, certains ministres du gouvernement, principalement ceux contrôlés par l’extrême droite messianique, ont appelé à affamer les habitants de Gaza.


Roman Gofman, secrétaire militaire du Premier ministre Benjamin Netanyahu, lors d’un événement.

C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé pris au piège. En raison de la pression exercée par l’administration Trump, qui a promis qu’il ne laisserait pas les habitants de la bande de Gaza mourir de faim, Israël a dû proposer une solution de type “Israbluff”. Netanyahou et ses ministres se sont engagés à ce que le contribuable israélien ne finance pas l’acheminement de nourriture et de médicaments aux habitants de Gaza, mais très vite ils n’ont pas tenu leur promesse.

Afin de cacher la vérité au public et de minimiser l’embarras des ministres d’extrême droite, il a été décidé de dissimuler le fait que le ministère des finances avait déjà alloué quelque 700 millions de shekels [=168 M€] à cette entreprise. Au lieu de cela, le gouvernement présente faussement l’argent comme provenant d’une d’une organisation non gouvernementale basée en Suisse. Cette organisation a engagé une société de sécurité usaméricaine qui emploie des vétérans de l’armée et d’agences de sécurité US.

Mais une fois de plus, c’est Lieberman qui a démasqué le mensonge. Il a déclaré que le Mossad, spécialisé dans la création de sociétés écrans anonymes, était à l’origine de l’organisation suisse et de son enregistrement à l’étranger (le Mossad s’est refusé à tout commentaire). Il a également été affirmé que des magnats juifs usaméricains affiliés à la droite israélienne ont contribué aux activités de l’organisation et lui ont peut-être aussi fourni un financement provisoire.

Cet exercice détourné du ministère des finances, qui manque de transparence et frise la criminalité, découle de la volonté de contourner la loi sur les procédures d’appel d’offres. Selon cette loi, le ministère aurait dû annoncer un appel d’offres international, afin que plusieurs entreprises puissent concourir pour le contrat.

Mercenaires

Abou Shabab, le chef de la milice, qui est âgé d’une trentaine d’années, était à la tête d’une bande criminelle composée de trafiquants d’armes et de drogue et de voleurs de nourriture et d’équipement. Bien qu’il soit douteux qu’Abou Shabab, âgé d’une trentaine d’années, ait une idéologie politique ou religieuse, son nom et celui de plusieurs de ses hommes ont déjà été associés à Daech.

Certains membres de la milice étaient auparavant des partisans du Fatah qui s’opposaient au Hamas et étaient emprisonnés dans les prisons de la bande de Gaza. Dans le chaos créé par la guerre, des centaines d’entre eux ont réussi à s’échapper. Avant et pendant la guerre, le Hamas a exécuté certains membres du clan Abou Shabab pour avoir coopéré avec Israël. Abou Shabab a également fait des allers-retours dans les prisons du Hamas. Il est donc plus probable que la milice ait également des liens avec les agences de sécurité de l’Autorité palestinienne, qui continuent à coopérer étroitement avec Tsahal et le Shin Bet.


Des membres du Hamas se préparent à exécuter des Palestiniens qu’ils soupçonnent de collaborer avec Israël, en 2014. Photo Reuters

Il s’agit d’une milice mercenaire similaire à celles mises en place par les régimes coloniaux. La France y a eu recours en Algérie et en Syrie, les Britanniques dans leurs colonies d’Afrique et d’Asie, et les USA par l’intermédiaire de la CIA au Vietnam, en Afghanistan et en Irak. Israël a agi de la même manière dans les années 1970 lorsqu’il a mis en place les ligues villageoises palestiniennes en Cisjordanie, les Phalangistes et l’Armée du Sud-Liban au Liban, ainsi que des vigies villageoises sur les hauteurs du Golan syrien, à proximité de la frontière israélienne. Dans la plupart des cas de ce phénomène en Israël et dans le monde, la création de milices composées de collaborateurs et de mercenaires a échoué.

3J’ai du mal à comprendre la logique qui sous-tend cette expérience vouée à l’échec », dit Michael Milshtein, chercheur au centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines de l’université de Tel-Aviv, ancien colonel et chef du département des affaires palestiniennes au sein de la division de recherche des services de renseignement de l’armée. « Nous ne devons pas oublier la nature de ce gang et éviter d’imaginer un Robin des Bois gazaoui - ce qui a déjà été dit dans certains cercles - et nous devons nous souvenir des précédents historiques amers où nous avons fait des affaires avec des éléments douteux qui se sont rapidement retournés contre nous, comme les phalangistes au Liban ».


Michael Milshtein, chercheur au Centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines de l’Université de Tel-Aviv. Photo : Tomer Appelbaum

« En général, il vaut mieux s’abstenir de tenter d’influencer la pensée de nos ennemis et de jouer les faiseurs de roi. Le Hamas est en effet blessé comme jamais auparavant, mais il vaut mieux éviter les éloges funèbres prématurés (comme ce fut le cas à de nombreuses reprises au cours de cette guerre, lorsque les signes de l’effondrement du groupe semblaient évidents). Même si nous supposons que le Hamas finira par s’effondrer, il vaut mieux penser à ce qui se passerait si Gaza se remplissait de groupes semblables à celui d’Abou Shabab - une réalité qui nous rappelle la Somalie ».

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Bien que Hayman ait également des doutes quant au succès de cette initiative, il est prêt à lui donner une chance. « Je ne suis pas un puriste. L’Autorité palestinienne est faible et dépourvue de tout cadre politique sérieux, et toutes les initiatives et possibilités visant à stabiliser Gaza doivent être poursuivies », dit-il. « Toutefois, ajoute-t-il, je suis conscient que toute tentative israélienne de façonner le Moyen-Orient, à l’instar des efforts israéliens au Liban dans les années 1970 et 1980 et en Syrie pendant la guerre civile il y a dix ans, est vouée à l’échec. Seules les superpuissances peuvent le faire. Nous sommes trop petits pour le faire ». L’ancien chef de la direction du renseignement militaire estime que la création de la milice « est une mission tactique qui permet une activité opérationnelle, et rien de plus ».

Le bureau du Premier ministre n’a pas répondu à la demande de Haaretz. Les porte-parole de Tsahal et du Shin Bet se sont refusés à tout commentaire.


11/06/2025

TAREQ HAJJAJ/FARIS GIACAMAN
Comment la police et la société civile de Gaza combattent les gangs armés par Israël pour piller l’aide et prendre au piège la population
Enquête de terrain

Netanyahou admet qu’Israël arme des gangs et des membres de clans tribaux à Gaza pour contrer l’influence du Hamas, et de nouvelles preuves montrent qu’Israël les utilise pour piller l’aide et mettre en œuvre son plan de déplacement de la population. En réponse, le gouvernement du Hamas a mis en place l’Unité Flèche [Wahdat Sahm سهم وحدة].


Faris Giacaman est le directeur éditorial du site ouèbe Mondoweiss pour la Palestine.

Tareq S. Hajjaj est le correspondant de Mondoweiss à Gaza et membre de l’Union des écrivains palestiniens. @Tareqshajjaj.

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 


Des policiers palestiniens du Hamas commencent à travailler au maintien de la sécurité et de l’ordre pendant le cessez-le-feu avec Israël, dans la ville de Gaza, le 20 janvier 2025. (Photo : Hadi Daoud/APA Images)

L’armée israélienne arme des gangs pour combattre le Hamas à Gaza, a confirmé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu jeudi. Cette révélation intervient après qu’un député israélien de droite, Avigdor Lieberman, a accusé hier, sur la chaîne publique israélienne Kan, Netanyahou d’armer un gang de centaines d’hommes à Rafah pour faire contrepoids à l’influence du Hamas dans la bande de Gaza. Le bureau du Premier ministre a répondu en déclarant qu’il combattait le groupe de résistance palestinien « de diverses manières, sur la recommandation de tous les chefs des services de sécurité ».

Plus tard, Netanyahou a officiellement confirmé les informations dans une vidéo : «  Sur les conseils des responsables de la sécurité, nous avons activé les clans de Gaza qui s’opposent au Hamas », a déclaré le Premier ministre israélien. « Qu’y a-t-il de mal à cela ? Cela ne fait que sauver la vie de soldats israéliens ».

« Rendre ça public ne profite qu’au Hamas, mais Lieberman s’en fout », a ajouté Netanyahou.

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Parmi ces groupes, un gang armé dirigé par un homme nommé Yasser Abou Shabab, un voleur et trafiquant de drogue de Rafah qui a dirigé des groupes de centaines d’hommes armés dans le pillage des convois d’aide au cours de la seconde moitié de 2024. Issu de l’influent clan bédouin Tarabine, qui s’étend sur le sud de Gaza, le Sinaï et le désert du Naqab/Néguev, Abou Shabab a été décrit par les médias israéliens comme étant une bande armée « liée à Daech », probablement en raison de l’implication d’Abou Shabab dans les réseaux de trafic de drogue entre Gaza et le Sinaï, dans lesquels Daech a été impliqué.

Aujourd’hui, Israël admet ouvertement qu’il soutient et arme le groupe d’Abou Shabab, ce qui revient à admettre ouvertement qu’il a soutenu le pillage de l’aide alimentaire destinée à la population affamée de Gaza.

Cette politique fait suite à une campagne israélienne systématique d’assassinat des fonctionnaires du gouvernement du Hamas visant à provoquer un effondrement social à Gaza et à y semer le chaos et l’anarchie. L’armée israélienne a délibérément pris pour cible les fonctionnaires du ministère de l’intérieur, les forces de police et les services de sécurité afin de créer un vide qui sera ensuite comblé par des pillards armés comme le groupe d’Abou Shabab, comme l’a récemment rapporté Mondoweiss.

Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, a directement admis cette politique le mois dernier, se vantant que « nous éliminons les ministres, les bureaucrates, les gestionnaires d’argent, tous ceux qui permettent au Hamas de gouverner ».

Le Hamas tente de lutter contre cette politique israélienne depuis la fin de l’année 2024, lorsque le ministère de l’intérieur de Gaza a créé une unité spéciale composée de policiers en civil et de volontaires chargés de traquer les pillards et de tenter de rétablir l’ordre dans les rues de Gaza. L’unité du Hamas, qui se fait appeler « l’Unité Sahm » ou « la Force Sahm « , a été réactivée lors de la reprise des hostilités entre Israël et le Hamas après l’effondrement du cessez-le-feu à la mi-mars.

Mondoweiss s’est entretenu avec plusieurs membres de l’Unité Sahm, ainsi qu’avec une source de sécurité de haut niveau au sein de la résistance, qui ont détaillé les efforts continus du Hamas pour combattre les groupes armés mandataires d’Israël dans la bande de Gaza. Mondoweiss s’est également entretenu avec les chefs de plusieurs clans tribaux de Gaza au sujet des tentatives d’Israël d’exploiter le vide sécuritaire qu’il a créé en soutenant les chefs de clans comme alternative au pouvoir du Hamas.

Comment l’Unité Sahm traque les voleurs et les collaborateurs

L’unité Sahm a été créée il y a plus d’un an, en mars 2024, lorsque le phénomène de pillage par des bandes armées a commencé à se répandre dans toute la bande de Gaza. L’unité a commencé par former des groupes informels de jeunes hommes vêtus de noir et au visage couvert, qui se déployaient dans des lieux publics chaotiques tels que les files d’attente des boulangeries, les distributeurs automatiques de billets et les marchés. Les rapports à l’époque les décrivaient en train d’arrêter des voleurs présumés et de les battre sévèrement sur les places de marché, proclamant publiquement qu’il s’agissait là de la punition infligée aux pillards.

Au fil des mois, les membres de la Force Sahm ont commencé à se montrer par dizaines dans les rues de Gaza, organisant des files d’attente dans les lieux publics. Ils semblaient suivre un chef qui était apparemment un officier de police.

Selon les membres de l’unité Sahm, l’anarchie est devenue endémique à Gaza après que la police a été contrainte à la clandestinité suite au ciblage par Israël de ses officiers chargés d’escorter les convois d’aide. Cette situation a entraîné une détérioration rapide de la sécurité à Gaza, avec une flambée des prix sur les marchés et la propagation de querelles interfamiliales et de la « loi de la jungle », ont déclaré les membres de l’unité Sahm.


La police palestinienne prend des mesures pour mettre en place un point de contrôle dans la rue al-Rashid pendant le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, le 26 janvier. (Photo : Omar Ashtawy/APA Images)

Abou Hadi, membre de l’unité Sahm et officier de la police de Gaza, a déclaré à Mondoweiss qu’il avait décidé de rejoindre l’unité après avoir « vu des voleurs dévaliser des magasins d’alimentation et des cuisines internationales, sans se soucier de la faim de la population ».

« Cette aide est destinée à ma famille, à mes voisins, à mes proches. Elle ne devrait pas aller à une personne qui la vole et la revend au marché noir », dit Abou Hadi. « Nous, au sein de la force Sahm, arrêterons ces personnes ».

Abou Islam, un autre membre de l’unité Sahm, explique que la force est composée d’officiers de police, de membres de factions politiques, de membres de familles importantes de Gaza et, occasionnellement, de membres de la branche armée du Hamas, les Brigades Qassam.

Après que cette nouvelle force a commencé à opérer dans la bande de Gaza, il a été officiellement annoncé que l’unité Sahm était un organe du ministère de l’Intérieur. Abou Muhammad, un fonctionnaire du ministère, a déclaré à Mondoweiss, par le biais d’un témoignage enregistré, que l’Unité Sahm est autorisée à « maintenir la sécurité dans la bande de Gaza, en particulier en temps de guerre ».

Interrogé sur le fonctionnement de l’unité Sahm, Abou Muhammad a déclaré qu’elle obtenait des renseignements de la police sur des voleurs et des collaborateurs présumés, et qu’elle était ensuite envoyée pour les appréhender clandestinement.

« La guerre a mis à mal le ministère de l’Intérieur, mais nous faisons tout notre possible pour communiquer avec les officiers de police et leur demander de traquer les pillards et de fournir des noms et des preuves », dit Abou Muhammad. « Des équipes comme l’unité Sahm peuvent alors appréhender les auteurs du crime et les atteindre secrètement, car l’occupation poursuit tous les officiers de police, ce qui limite le travail du ministère de l’Intérieur ».

Abou Muhammad explique que « si les accusations portées contre certains voleurs et hors-la-loi sont avérées, ils doivent être punis directement, même par la mort, pour donner l’exemple aux autres et empêcher que le chaos ne devienne la norme à Gaza », précisant que tous les pillards arrêtés à Gaza ne sont pas des collaborateurs d’Israël, mais que « leurs vols sont facilités par l’armée israélienne ».

« Cela peut les amener à suivre les directives de l’armée israélienne, ce qui peut ensuite se transformer en une collaboration ouverte », explique Abou Muhammad. « Et l’occupation peut transformer les voleurs en collaborateurs, par exemple en ne bombardant pas les endroits où ils volent, et même en leur indiquant par téléphone où aller ».

Abou Islam, un membre de Sahm à Gaza Ville chargé d’enquêter et d’appréhender les voleurs, explique comment les pilleurs et les collaborateurs sont punis. « Certains sont battus, d’autres tués, d’autres encore emprisonnés », raconte-t-il.

Selon Abou Islam, « les agents dont il est prouvé qu’ils ont tué ou participé à des meurtres sont exécutés », précisant que l’objectif de ces punitions sévères est de dissuader les gens « d’envisager de communiquer avec l’occupation ».

Abou Islam affirme également avoir obtenu plusieurs aveux de la part de pillards qui ont déclaré avoir été dirigés vers des entrepôts alimentaires par des officiers israéliens. « Ils nous ont même donné leurs noms et leurs affectations », a-t-il déclaré. « C’est la preuve évidente qu’ils étaient des infiltrés et des agents, recevant des ordres directs de l’ennemi israélien à un moment et à un endroit précis ».

Une source de sécurité de haut niveau au sein de la résistance a déclaré par écrit à Mondoweiss que « les enquêtes révèlent que le Shabak [le service de renseignement intérieur israélien, ou Shin Bet] ordonne à certains agents de se livrer à des pillages et à des violations de propriété pour couvrir la réalisation d’opérations de sécurité ». La source poursuit en citant la confession écrite d’un collaborateur présumé à qui un officier israélien a dit de « pénétrer dans la maison d’un des chefs de la résistance par un trou dans le mur créé par un drone ».

La source de sécurité a ajouté que le Shin Bet avait fait chanter un voleur pour qu’il espionne pour eux lorsqu’il avait utilisé une application gérée par l’armée pour obtenir la permission d’entrer dans une zone de combat. « Le Shabak a utilisé son casier judiciaire [comme moyen de chantage] pour le recruter à ses fins », a affirmé la source.

Les tentatives des membres de Sahm d’intervenir dans ces opérations de pillage ont conduit les forces israéliennes à les prendre directement pour cible sur le terrain, tuant des “dizaines” de personnes, selon Abou Islam. À une occasion, fin mai, poursuit-il, des membres de Sahm se sont rendus dans un entrepôt alimentaire de la ville de Gaza où des voleurs tentaient de dérober de l’aide, mais ils ont été bombardés par un drone israélien. « Lorsque les forces Sahm sont arrivées, les voleurs se sont retirés et la force a été prise pour cible », explique-t-il. « Ensuite, une autre unité a été envoyée sur le site pour soutenir la force, mais elle a également été bombardée par l’occupation ».

L’Unité Sahm contre Yasser Abou Shabab

Le 19 novembre 2024, l’unité Sahm mène sa première grande opération de la guerre en attaquant un groupe de pillards qui s’en prend aux camions d’aide depuis plusieurs mois, principalement à Rafah. Les forces Sahm ont annoncé qu’elles avaient tué une vingtaine de membres du gang. Le chef du groupe était Yasser Abou Shabab.

Abou Hadi explique que le Hamas a d’abord soupçonné Abou Shabab de collaborer avec Israël lorsqu’il a été documenté qu’il accédait à des zones inaccessibles à Rafah qui sont sous le contrôle exclusif de l’armée israélienne. « Toute personne qui atteignait ces zones était tuée », explique Abou Hadi. « Cela a conduit la force Sahm à soupçonner qu’il avait reçu des ordres de l’armée israélienne pour empêcher l’entrée de l’aide à la population ».

Alors que le pillage des convois d’aide se poursuivait à la fin de l’année 2024, le rôle d’AbOu Shabab est devenu de plus en plus clair. À l’époque, une note interne de l’ONU communiquée aux médias internationaux avait directement désigné Abou Shabab comme « la partie prenante principale et la plus influente derrière le pillage systématique et massif » des convois d’aide l’année dernière, et qu’Abou Shabab « bénéficiait probablement d’une bienveillance passive, voire active » ou d’une « protection » de la part de l’armée israélienne.

Abou Hadi affirme que le Hamas avait décidé de le neutraliser peu de temps après. « L’unité Sahm a continué à surveiller les mouvements de Yasser Abou Shabab ».

Le 19 novembre, continue Abou Hadi, « après avoir confirmé qu’il partait dans sa voiture bien connue, il a été la cible de deux RPG. Mais, c’était son frère qui se trouvait dans la voiture, pas lui ». 



Yasser Abou Shabab. (Photo : Médias en ligne)

Le frère d’Abou Shabab, Fathi, a été tué dans l’embuscade, qui, selon Abou Hadi, a fait plus de 20 victimes parmi les membres du gang.

« Après cela, il a commencé à brûler des camions d’aide et à tirer sur les chauffeurs au lieu de les piller », explique Abu Hadi. « En guise de vengeance ».

La force Sahm avait néanmoins envoyé un message fort à Abou Shabab. « Il a cessé de voler l’aide de peur d’être tué », dit Abu Hadi.

Shadi al-Soufi, un ancien criminel condamné pour meurtre et détenu avant la guerre, était un autre chef de bande présumé accusé d’avoir formé un groupe de pillards situé près du point de passage de Karam Abu Salem (Kerem Shalom).

Abou Hadi affirme qu’al-Soufi n’aurait pas pu rester dans la zone de Karam Abu Salem sans l’aide d’Israël. « Personne n’a osé atteindre l’endroit où se trouvaient Shadi al-Soufi et son groupe », dit-il. « C’est la preuve irréfutable qu’il opérait sous la protection de l’armée israélienne ».

« La force Sahm a attaqué les groupes d’al-Sufi et a tenté de l’atteindre, mais les circonstances ne nous étaient pas favorables », ajoute Abou Hadi. « Des drones visaient nos membres et protégeaient les voleurs et les criminels ».

Al-Sufi est ensuite apparu dans une vidéo sur les médias en ligne, niant les allégations portées contre lui. Il a déclaré qu’il avait été déplacé comme tout le monde depuis le début de l’invasion de Rafah et que, comme tous les habitants, il n’avait pas de farine dans sa maison. Il a expliqué que toutes les rumeurs qui circulaient sur le fait qu’il avait volé de l’aide étaient totalement fausses.

À ce stade de la guerre, la stratégie du Hamas fonctionnait. Al-Sufi est tombé dans l’oubli et Abou Shabab a également disparu pendant le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas.

Pendant la période de cessez-le-feu, la police et les forces de sécurité ont pu rétablir l’ordre et réaffirmer le contrôle civil sur Gaza. Le retour à la guerre le 18 mars s’accompagnait de l’objectif objectif explicitement déclaré de cibler les dirigeants civils du Hamas, poussant toutes les agences gouvernementales à se cacher.

Presque du jour au lendemain, les pillages et les vols dans les entrepôts alimentaires ont repris à Gaza, ce qui a incité l’unité Sahm à redoubler d’efforts. Yasser Abou Shabab a refait surface en mai, apparaissant sur des photos aux côtés d’hommes armés vêtus d’une tenue militaire complète à Rafah, qui a été entièrement vidée de ses habitants et est considérée comme faisant partie d’une “zone rouge” sous le contrôle total de l’armée israélienne. Ses hommes sont montrés arborant des drapeaux palestiniens et portant des brassards sur lesquels est inscrit “Service antiterroriste”.

Le 30 mai, les Brigades Qassam ont publié une vidéo inhabituelle de leurs combattants visant un groupe d’hommes en civil qu’elles ont dit être des “musta’ribin” - le terme palestinien pour désigner les forces spéciales israéliennes déguisées en Palestiniens - mais une source de sécurité de la résistance à Gaza a déclaré à Al Jazeera que les cibles étaient un groupe de collaborateurs chargés par l’armée israélienne de piller les convois d’aide et d’espionner les activités de la résistance. La source a également indiqué que les collaborateurs étaient des membres du groupe d’Abou Shabab, accusant directement Abou Shabab de travailler sous les ordres des Israéliens pour aggraver l’état de chaos dans la bande de Gaza.


Les hommes de Yasser Abou Shabab ont été montrés arborant des drapeaux palestiniens et portant des brassards sur lesquels était inscrit “Service antiterroriste”. (Photo : médias en ligne)

La vidéo a été diffusée à un moment où des rapports ont continué à faire surface le mois dernier sur des pillages de convois d’aide par des hommes armés dans le sud de la bande de Gaza.

Abou Shabab nie ouvertement ces allégations. Il s’est refait une beauté sur les médias en ligne, se présentant sur sa page Facebook personnelle comme une figure communautaire respectable et un “leader nationaliste”. Il se présente désormais comme le garant du passage de l’aide à Rafah.

Faciliter le plan de déplacement d’Israël

Après que Netanyahou a admis hier qu’Israël armait son groupe, la page officielle du bureau médiatique des “Forces populaires” de Yasser Abou Shabab a publié un communiqué sur X, continuant à nier tout lien avec l’armée israélienne. « Nous rejetons totalement ces allégations », dit la déclaration. « Nous considérons qu’il s’agit d’une tentative flagrante de déformer l’image d’une force populaire née de la souffrance et confrontée à l’oppression, au vol et à la corruption ».

« Nous n’avons pas été et ne serons jamais un outil de l’occupation. Si l’occupation a des preuves, elle devrait les montrer à notre peuple et aux médias internationaux. Nous invitons tout le monde à visiter nos régions et à enquêter par eux-mêmes avant de répandre des mensonges qui servent le récit de l’occupation en semant la division », ajoute le communiqué.

La même source de sécurité de haut niveau de la résistance qui a parlé à Mondoweiss a également déclaré qu’Abou Shabab, selon leurs renseignements, a des liens avec « les agences de renseignement arabes, qui lui ont ouvert la voie pour agir conformément aux instructions du Shabak. En particulier pendant la période d’occupation de la ville de Rafah, où nous avons constaté une augmentation du pillage des camions d’aide ».

« La résistance dispose de photographies montrant Abou Shabab avec l’armée israélienne. Mais les circonstances actuelles ne nous permettent pas de les publier pour des raisons de sécurité », a ajouté la source.


Yasser Abou Shabab (à droite) avec ses hommes à Rafah. (Photo : médias en ligne)

Les analystes ont continué à souligner que la présence d’Abou Shabab sur les médias en ligne, soigneusement organisée, avec l’apparition de déclarations en anglais et en arabe, dépasse les capacités du gang de Gaza et est probablement l’œuvre du Shin Bet.

« De nombreux journalistes des médias traditionnels avec lesquels je me suis entretenu pensent que le niveau d’anglais courant utilisé dans ces messages ne peut provenir que d’une salle d’opération des FDI », a écrit sur X Muhammad Shehada, écrivain et analyste politique, quelques jours avant la déclaration d’hier de Netanyahou.

Shehada explique qu’aujourd’hui, Abou Shabab travaille en sa nouvelle qualité de chef de sa “force nationale” rebaptisée, composée de membres de gangs, pour piller l’aide sous la protection de l’armée israélienne, surveiller les forces de résistance en son nom et sécuriser l’aide destinée au Fonds humanitaire de Gaza (GHF), soutenu par les USA et Israël, qui est le sous-traitant usaméricain chargé d’acheminer l’aide aux Palestiniens à la place de l’ONU.

Les centres de distribution du GHF ont été le théâtre de plusieurs massacres par les forces israéliennes au cours des deux dernières semaines, les groupes d’aide internationaux accusant le plan d’aide de la Fondation de faire partie d’un « plan de nettoyage ethnique ».

Aujourd’hui, le groupe d’Abou Shabab est recruté au service de ce plan. Selon Shehada, l’armée israélienne semble avoir confié à Abou Shabab une autre tâche : établir des “camps de concentration” à Gaza et former une “force de sécurité” fantoche que les FDI placeront à la tête des zones qu’elles ont dépeuplées pour en faire leur milice par procuration contre le Hamas.

Confirmant apparemment cet objectif, la page Facebook d’Abou Shabab a publié une vidéo apparemment commentée par sa voix, appelant les habitants de la partie orientale de Rafah à rentrer chez eux. « Des médicaments, de la nourriture, des abris et la sécurité ont été fournis », entend-on. « Nos forces populaires travaillent en toute légitimité palestinienne et en coordination avec les canaux officiels ».

Le reste de la vidéo contient un montage des hommes d’Abou Shabab distribuant de l’aide aux habitants de l’est de Rafah, suivi d’un narrateur décrivant comment les Forces populaires affrontent le Hamas - appelé “le gouvernement du statu quo” - tout en abritant dans des tentes des centaines de familles de l’est de Gaza, auxquelles elles ont fourni une aide gratuite.

Il semblerait que les appels lancés par les “Forces populaires” aux civils pour qu’ils se déplacent vers ces zones de Rafah, associés à la coordination d’Abou Shabab avec la GHF, s’inscrivent dans la droite ligne du plan de Netanyahou d’utiliser l’aide comme appât pour attirer les Palestiniens dans des camps de concentration isolés, dans le but de les déplacer de force de Gaza par le biais d’une soi-disant “migration volontaire” De plus, il apparaît qu’Israël a maintenant recruté une milice autochtone de harkis pour mettre en œuvre ce plan.


Bandeau de la page “Forces populaires” de Yasser Abou Shabab sur X

Clash des clans

Malgré les efforts d’Abou Shabab pour se présenter comme un leader nationaliste, le 31 mai, sa famille à Gaza a publié un communiqué annonçant qu’elle reniait “notre fils Yasser” le lendemain de la diffusion de la vidéo des Brigades Qassam, se distançant ainsi de toute association avec lui.

« Nous avons été choqués, comme le reste du public, lorsque la Résistance a diffusé des images montrant le groupe de Yasser engagé dans un dangereux travail de sécurité, participant même en tant qu’agents infiltrés », peut-on lire dans la déclaration. « Nous le poursuivrons et le tiendrons pour responsable par tous les moyens nécessaires et nous ne lui permettrons pas de salir la réputation de notre famille. Il nous a trompés pendant trop longtemps ».

Mais maintenant que Netanyahou a publiquement admis avoir “activé” des clans à Gaza pour s’opposer au Hamas, la résistance palestinienne dans la bande de Gaza devrait se battre sur un autre front “interne” contre une collaboration pure et simple.

Au cours des derniers mois, les pillages endémiques résultant du ciblage par Israël des forces de sécurité de Gaza ont conduit plusieurs familles de Gaza à appeler les clans à former des “comités populaires” pour l’autodéfense contre les voleurs, comme en témoignent des déclarations des clans Madhoun et al-Ghoul au début du mois de mai. Certains de ces appels préconisaient ouvertement que les familles soient armées.

À peu près au même moment, des hommes armés appartenant à la famille al-Ghoul sont apparus dans la zone de l’hôpital de réhabilitation Hamad, financé par le Qatar, dans la ville de Gaza, affirmant être des volontaires pour protéger l’hôpital contre le pillage. Mais le groupe s’est rapidement dissipé et, depuis, le clan al-Ghoul a publiquement affirmé son attachement à l’État de droit.

« Nous avons formé un groupe armé pour protéger l’hôpital qatari parce que des voleurs étaient sur le point de le piller, et nous l’avons sécurisé », a déclaré Yousri al-Ghoul, l’un des représentants de la famille, à Mondoweiss à la mi-mai. « Après cela, une unité de sécurité a été créée par le gouvernement pour protéger les biens publics, et nous nous nous sommes donc mis en retrait ».

« Tout ce que nous voulons, c’est la sécurité à Gaza », a ajouté al-Ghoul.

Husni al-Mughni, chef la Haute Commission aux affaires tribales dans la bande de Gaza, a déclaré à Mondoweiss en mai qu’“aucun comité familial armé n’a été formé”, ajoutant que les clans de Gaza « rejettent l’armement des clans, qui doivent donner la priorité à la paix sociale ».

« Nous nous battons maintenant pour de l’eau, de la nourriture et des tentes. Si les familles s’arment, toutes nos batailles deviendront internes », a ajouté al-Mughni.

Yasin al-Madhoun, un autre chef de clan, admet que certains membres de sa famille ont peut-être discuté de la formation d’un groupe armé, mais que la famille n’a pas officiellement pris une telle mesure.

« La famille n’a pas décidé de former des unités armées, mais nous voulons maintenir la sécurité dans la bande de Gaza », nuance al-Madhoun. « Si le gouvernement s’effondre ou s’il y a un manque de sécurité dans la bande de Gaza, nous devons exiger une force pour maintenir la sécurité et remplacer le gouvernement pour combler le vide sécuritaire. Ce n’est pas une exception dans la bande de Gaza. Partout où le gouvernement tombe, des comités populaires sont formés pour protéger la société ».

Des membres de l’unité Sahm ont déclaré à Mondoweiss qu’ils empêcheraient ces familles de s’armer, car elles seraient alors cooptées par Israël au service de ses objectifs génocidaires.

« Nous affronterons les familles qui s’armeront, et ce n’est pas une question pour la seule unité Sahm, mais ça concerne toutes les familles de la bande de Gaza », a dit Abou Islam, l’un des membres de l’unité Sahm qui s’est entretenu avec Mondoweiss. « Toutes les familles doivent se tenir aux côtés de l’unité Sahm et de toutes les unités de police pour endiguer la propagation du chaos ».

Abou Islam a ajouté que de nombreuses familles ont rejeté ces appels. « La tentative d’armer les familles et de transformer la loi en règle tribale a échoué, car les familles ont assumé leurs responsabilités et rejeté cette offre de l’occupation », dit-il.

Près d’un mois plus tard, la bande armée d’Abou Shabab a pris un nouveau nom - “forces populaires” - et vise à combler le vide sécuritaire créé par Israël en démantelant les institutions civiles de Gaza. Elle a notamment pour mission de distribuer de l’aide aux habitants afin de gagner le soutien de la population et d’assurer l’acheminement de l’aide vers les sites de la GHF.

« Ce n’est un secret pour personne que l’occupation a traqué tous les éléments des forces de sécurité, car ils représentent le soutien au maintien du front intérieur, ce qui est en contradiction directe avec les objectifs de guerre [de l’armée israélienne] », a déclaré la source de sécurité de la résistance qui s’est entretenue avec Mondoweiss. « Son objectif est de créer le chaos à Gaza pour se venger des civils, parce qu’ils se rallient à la résistance », a ajouté la source.


10/06/2025

ABDALJAWAD OMAR
Les gangsters d’Israël à Gaza
Une opération de contre-insurrection à l’ère de l’intelligence artificielle

Israël utilise depuis longtemps des agents infiltrés se faisant passer pour des Palestiniens afin de semer la discorde. Aujourd’hui, il utilise à nouveau cette stratégie à Gaza sous la forme de gangs qui prennent le contrôle de l’aide humanitaire. L’objectif est de fragmenter et de démembrer la société palestinienne.

Abdaljawad Omar Hamayel, Mondoweiss, 9/6/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Dans la longue et douloureuse histoire de la confrontation entre la Palestine et le sionisme, peu de figures ont provoqué une rupture épistémique et affective aussi profonde que l’unité des forces spéciales secrètes qui se font passer pour des Palestiniens. Connus sous le nom d’“unité arabisée” ou de “ musta’ribin”, ces agents secrets israéliens, souvent des Juifs arabes, n’opèrent pas en tant que colons visibles, mais en tant que doubles indigènes. Maîtrisant le dialecte et les manières palestiniens, l’agent arabisé évolue parmi les Palestiniens comme une présence fantomatique qui imite et surveille de l’intérieur tout en menant des opérations surprises destinées à prendre au dépourvu ses “proies”, soit pour les arrêter, soit pour les assassiner. Il ne se contente pas de collecter des informations ; il ébranle la confiance de la communauté et la possibilité d’une reconnaissance collective. 

De cette manière, les musta’ribin ne sont pas seulement une force tactique, mais un mode d’infiltration armé qui brise le miroir dans lequel les Palestiniens se regardent. Israël a d’abord développé ces unités “arabes” pour mener des opérations rapides dans les camps palestiniens, des espaces urbains densément peuplés qui sont autrement inaccessibles aux soldats en uniforme, avec très peu de chances de prendre leurs cibles au dépourvu. Les musta’ribin étaient une réponse à la question de savoir comment atteindre les “ cibles” avant qu’elles ne se rendent compte de la présence de l’armée. 

Cette logique d’infiltration, qui fait depuis longtemps partie de la stratégie coloniale d’Israël, a refait surface aujourd’hui. Dans une vidéo récente des Brigades Qassam du Hamas, une unité palestinienne travaillant avec l’armée israélienne a été désignée par la résistance comme musta’ribin. En utilisant ce terme pour désigner les collaborateurs palestiniens – qui seraient généralement appelés collaborateurs ou espions, jawasi – plutôt que les Israéliens infiltrés, le Hamas a délibérément brouillé la frontière entre collaborateur et ennemi.

Il n’est pas surprenant qu’Israël trouve parmi les populations occupées des personnes prêtes à survivre grâce à son appareil de domination. Cette complicité ne résulte pas seulement de l’épuisement – l’usure morale sous un siège implacable – mais aussi de l’espoir ténu de s’emparer du pouvoir, aussi marginal soit-il, au sein de l’ordre imposé. Elle est également le produit d’enchevêtrements plus profonds : les incitations silencieuses et les encouragements actifs qui proviennent parfois des rangs palestiniens eux-mêmes. Ce phénomène trouve ses racines dans la contradiction historique entre la résistance en tant que gouvernance et la gouvernance en tant que moyen d’emprisonnement. 

L’une des figures les plus tristement célèbres parmi ces nouveaux mandataires israéliens à Rafah est Yasser Abou Shabab, un ancien prisonnier condamné pour trafic de drogue par le gouvernement du Hamas, qui a dirigé un groupe de centaines d’hommes armés pillant les convois d’aide humanitaire à Gaza tout au long de la guerre. Son ascension illustre comment l’interaction entre la loyauté clanique, la survie matérielle, l’opportunisme et le soutien tacite d’éléments au sein de l’Autorité palestinienne se combine pour ouvrir la voie à l’émergence de tels gangs. Leur présence vise non seulement à fracturer le tissu social, mais aussi à rouvrir la plaie encore ouverte du génocide. 

L’utilisation par Israël de ces unités de collaborateurs sert plusieurs objectifs. Premièrement, elles servent à entraver et à détourner le flux de l’aide humanitaire, transformant ainsi l’aide en un mécanisme de contrôle. Deuxièmement, elles agissent comme des percepteurs informels, tirant des revenus de l’économie de la souffrance qu’elles contribuent à maintenir, se positionnant ainsi comme des intermédiaires, non seulement avec la force d’occupation, mais aussi avec l’appareil de secours international de plus en plus privatisé. Troisièmement, elles sont également utilisées comme mécanisme de détournement de fonds, exploitant le désespoir pour attirer les affamés et les jeunes de Gaza.  Ce pouvoir découle de ce qu’ils sont autorisés à offrir : un sac de nourriture, la promesse d’un accès, une éventuelle exclusion des massacres. Ces offres ne sont pas anodines ; elles servent de leviers de contrôle, opérant dans la tension entre la survie de la famille individuelle et l’endurance collective (soumoud) de toute la communauté. 

En s’interposant comme intermédiaires entre Israël et la population, ils permettent aux réseaux informels et formels de dépendance et d’autorité de s’enraciner et de se développer. Ils deviennent une adresse locale qui sert de médiateur avec Israël. Quatrièmement, et c’est peut-être le plus insidieux, ils jouent le rôle de protagonistes dans une chorégraphie de propagande. Des vidéos soigneusement mises en scène – des hommes en uniforme déchargeant des sacs de farine ou gesticulant face à à des files de déplacés – sont diffusées pour suggérer l’émergence d’une gouvernance palestinienne alternative, apparemment plus « pragmatique » ou plus souple, et plus disposée à chanter les louanges de Netanyahu. 

Leur rôle n’est pas seulement de semer le chaos, mais d’évoquer la possibilité d’un autre ordre. Leur simple présence attise la méfiance, brisant les fragiles solidarités qui se forment sous le siège. Ils sont, en quelque sorte, les premiers à mordre à l’hameçon : les premiers à imaginer un avenir niché au sein de l’appareil d’extermination. Mais ce qu’on leur offre, ce n’est pas la vie, seulement son mimétisme – une survie contrôlée dans un paysage conçu pour éliminer la présence des Palestiniens – et pour éliminer également le besoin de leur présence. Et comme beaucoup de phénomènes collaborationnistes de ce type, ils dissimulent leur brutale trahison de leur peuple derrière des slogans tels que « forces populaires », le nom qu’Abou Shabab utilise pour désigner sa bande de pillards. 

Mais voici le hic : si ces groupes peuvent être tactiquement utiles à Israël – pratiques pour détourner l’aide, discipliner la faim et déstabiliser la cohésion déjà fragile du tissu social de Gaza –, leur utilité reste fondamentalement limitée. Ils ne sont pas des acteurs stratégiques au sens transformateur du terme. Leur géographie est restreinte, leur influence parasitaire et leur existence entièrement liée à l’ombre protectrice de la puissance israélienne. Ce sont des criminels devenus collaborateurs, dont beaucoup se sont échappés des prisons palestiniennes au début de la guerre, d’autres sont d’anciens employés de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, et certains prétendent avoir des liens avec l’État islamique. Ils vivent littéralement de la guerre : des convois d’aide qu’ils pillent, des armes qui leur sont sélectivement remises et de l’indulgence de l’armée israélienne. Des mafias sans dignité 

Mais ce qui importe le plus à Israël, ce n’est pas leur succès, c’est le spectacle qu’ils offrent. L’important n’est pas qu’ils gagnent Gaza – personne, pas même leurs commanditaires, n’imagine qu’ils puissent y parvenir –, mais qu’ils servent de démonstration vivante de l’infiltration. Ils deviennent des symboles de fracture, véhiculant l’idée que la société palestinienne à Gaza est pénétrable, divisible et corruptible. Cela montre que la résistance a son contre-enjeu. Leur véritable fonction n’est pas de gouverner, mais de hanter la frontière entre opposition et collaboration. Ils font circuler le doute afin de rendre suspecte l’idée même d’une volonté collective de résister. 

En ce sens, la milice collaboratrice est moins un atout militaire qu’un outil narratif, un acteur dans l’effort continu d’Israël pour présenter la désintégration palestinienne comme endogène, inévitable et peut-être, aux yeux des sionistes, “méritée”. Cependant, leur statut social effacé – leur exclusion de l’imaginaire communautaire – marque leur incapacité à s’intégrer dans le corps social palestinien, contrairement aux mafias traditionnelles qui s’enracinent souvent dans les solidarités familiales, de quartier ou de classe. Au contraire, ces collaborateurs existent dans une zone de souveraineté négative : craints, mais pas respectés, connus, mais pas revendiqués, présents, mais reniés. Ils s’apparentent davantage à une technologie coloniale de fragmentation : des gangs sans loyauté et des mafias sans dignité. 

Cette technologie de fragmentation n’est, là encore, pas nouvelle. Israël cultive depuis longtemps des alliances avec des acteurs locaux afin de gérer et de perturber la cohésion palestinienne. La récente montée des gangs au sein des communautés palestiniennes en Israël en est un exemple. La convergence du soutien tacite d’Israël, en particulier des services de renseignement, ainsi que l’échec délibéré des forces de police et les changements économiques plus larges ont donné naissance à de nouvelles structures de crime organisé plus ancrées. 

Ces gangs ne sont pas de simples sous-produits de la décadence sociale ; ils sont les symptômes d’un désordre orchestré, cultivé et toléré dans la mesure où ils remplacent l’action collective et redirigent la violence vers l’intérieur, même parmi ceux qu’Israël présente comme ses propres citoyens, et les utilise volontiers comme outils de propagande pour dire : « Regardez, nous avons des Arabes qui se promènent sur la plage. Par conséquent, nous ne sommes pas racistes ». Il en va de même pour l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, qui représente aujourd’hui la forme la plus avancée d’une telle culture politique de type gang. Cannibalisant l’appareil para-étatique, l’Autorité palestinienne gouverne non seulement dans l’ombre d’Israël, mais aussi en instrumentalisant l’histoire nationaliste. Elle redessine les frontières de la loyauté et de la trahison, de l’ami et de l’ennemi, de manière à dissimuler ses dispositions mafieuses. 

Mais c’est peut-être cela qui est le plus important dans le contexte de Gaza : comme l’humanitarisme et le génocide obscène, comme la joie et la fête des soldats israéliens lorsqu’ils tuent des Palestiniens et détruisent leurs maisons, tout est désormais mis à nu. C’est une guerre sans voile. Pas de draps, pas de voiles, pas d’œillères idéologiques. La forme sociale de cette collaboration, son émergence brutale dans la sphère publique, révèle quelque chose de fondamental sur la nature de cette guerre. Elle n’est pas seulement génocidaire, elle est obscène et éhontée, n’exigeant rien du monde si ce n’est la passivité. 

Ce à quoi nous assistons n’est pas seulement une campagne militaire, mais le théâtre de l’effondrement, non pas de Gaza, mais des œillères idéologiques, des discours et des revendications morales d’un monde qui n’est plus capable de se justifier. Une bande à Gaza reflète les nombreuses bandes qui nous gouvernent.

NdT

La bande d’Abou Shabab se présente sur les médias en ligne sous deux formes et avec deux « logos » : « Forces populaires » et « جهاز مكافحة الإرهاب Jihaz mukafahat al’irhab », « Service ou Agence de lutte contre le terrorisme » (image 1). Ce second logo est une copie conforme de celui du Jihaz mukafahat al’irhab yéménite, basé à Aden et dirigé par le Général Chalal Ali Shaye, un tortionnaire au pedigree chargé au service de la coalition saudo-émiratie (image 2). Ce Service est lui-même inspiré du Bureau de contre-terrorisme mis en place en Irak par les envahisseurs yankees et actuellement dirigé par le général Karim Aboud Al-Tamimi (images 3 et 4). En somme, une répétition adaptée au Machrek à l’ère de l’intelligence artificielle de la fameuse opération Oiseau bleu lancée par les services français dans l’Algérie de 1956 et condamnée comme elle à un échec cuisant.