Gideon Levy, depuis Reykjavík, Haaretz, 2/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Invité en Islande par l’association Islande-Palestine et Ögmundur Jónasson, Gideon Levy relate ses impressions. Une vraie déclaration d’amour.
’échelle de Richter. Pendant un moment, il y a eu un risque de nouvelle éruption volcanique. L’information a été donnée à la radio dans le cadre des prévisions météorologiques.
Le contraste est saisissant avec Israël, où la première pluie de la saison est annoncée de manière plus terrifiante. En Islande, la lave descend d’une montagne environ une fois par décennie. En 2010, une éruption de la calotte glaciaire Eyjafjallajokull a créé un nuage de cendres volcaniques qui a perturbé les vols dans le nord-ouest de l’Europe.
Les Islandais ne sont pas inquiets. Personne ne leur instille de l’anxiété inutile. Personne ne se demande si l’Islande sera encore là dans 50 ans, comme c’est le cas en Israël, même si l’avenir de l’Islande est bien plus sombre, avec ses cendres volcaniques, son déclin démographique et les menaces d’ inondations dues à l’élévation du niveau de la mer.
L’Islande compte 580 000 citoyens, dont 50 000 vivent à l’étranger. Cinquante mille étrangers vivent en Islande, mais on n’en parle pas beaucoup. Personne ne semble s’inquiéter de l’avenir de la nation islandaise, contrairement à Israël, où l’on se préoccupe de l’avenir du peuple juif.
L’Islande est une île verte entourée d’un océan, probablement le joyau le plus beau et le plus fascinant du monde. Quatre fois plus grande qu’Israël, elle est essentiellement vide d’habitants. Ceux qui vivent ici semblent détendus et satisfaits, ce qui est difficile à comprendre pour des Israéliens angoissés, confrontés à des dangers réels ou imaginaires.
Ils ne craignent pas que le sol brûle littéralement sous leurs pieds ou qu’une “menace démographique” pèse sur eux. Personne ne s’inquiète de l’“assimilation” et les “mariages mixtes” ne sont pas un problème ici. L’émigration ne l’est pas non plus. Les liens familiaux et l’attachement à la nature sont plus importants que tout. Il n’y a pas de campagnes d’intimidation contre l’émigration, et encore moins contre les mariages avec des étrangers. Pourquoi diable en serait-il ainsi ?
Les Islandais sont les citoyens de l’un des rares pays sans armée. Cela ne les dérange pas non plus. Dans le port de Reykjavik, un seul navire des garde-côtes était présent cette semaine. C’est leur seule arme. Ils se contentent de leur appartenance à l’OTAN, qui a ses opposants - comme Ögmundur Jónasson, un impressionnant homme de gauche qui, pendant 21 ans, a été député, ministre de la justice, ministre de l’intérieur, ministre de la santé et ministre des communications. Il milite actuellement pour les droits nationaux des Kurdes.
En Israël, aucun politicien ne travaille pour les droits des autres nations, même après avoir pris sa retraite. Lorsque les chefs des pays européens se sont réunis ici il y a quelques semaines, la police s’est empressée de s’équiper de 100 nouveaux fusils. Parfois, il se passe des années sans qu’aucun meurtre ne soit commis ici.
Le nombre annuel de meurtres est inférieur au nombre de meurtres commis dans les communautés arabes d’Israël au cours d’une mauvaise journée. Le pays occupe une position stratégique au milieu de l’océan Atlantique. Les Islandais ne craignent personne. La Suède, la grande sœur, craint beaucoup plus la Russie. Les Islandais ont fait de leur faiblesse une force et de leur petit nombre un avantage. Leur modestie et leur simplicité sont également une force. Il n’y a pratiquement pas de voitures de luxe monstrueuses comme en Israël ; l’auteure-compositrice-interprète Björk vit dans une modeste maison jaune au bord de la mer.
Pensez à Israël, puis imaginez son opposé. C’est l’Islande. Il est difficile de trouver deux contrastes plus grands, même en excluant les clichés sur le comportement sur les routes du pays, le niveau de propreté, le calme et la connaissance de l’anglais. Sa nature époustouflante, difficile à décrire, fait paraître les réserves naturelles d’Israël dérisoires. Le tourisme continue de frapper à la porte de la nation insulaire. Les chiffres augmentent de façon alarmante et les habitants s’inquiètent d’être inondés comme d’autres endroits ruinés et enlaidis par des hordes de touristes.
Un pays sans armée et sans inquiétude quant aux menaces malicieusement semées dans l’esprit de sa population, occupée à vivre sa vie et à profiter de la nature, de la mer et des moutons. Un pays avec 150 000 chevaux dans une mer verte sans fin, sans qu’aucun cheval n’ait été introduit de l’étranger au cours des 1000 dernières années ; un pays où l’eau chaude des robinets provient du sous-sol ; un pays sans Itamar Ben-Gvir. Imaginez ça.
Conférence de Gideon Levy à Reykjavik (aller à 13 :28)
Interview de Gideon Levy sur Rauður veruleiki (Réalité rouge)