Illustrations : Fourate Chahal El Rekaby
Traduit par Tlaxcala
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Les mouvements de solidarité du Brésil soutiennent depuis longtemps la Palestine, mais les liens économiques et militaires avec Israël continuent de se renforcer. Alors que le Brésil se prépare à accueillir la COP30, les campagnes de base révèlent les connexions entre le militarisme israélien et les inégalités internes, l’agrobusiness et la violence d’État. Ce moment représente une occasion clé pour renforcer les efforts de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
Introduction
La société
civile et les mouvements sociaux brésiliens portent la solidarité avec la
Palestine à leur agenda depuis plusieurs décennies, mais les dix dernières
années ont vu une montée considérable des revendications en faveur du boycott,
du désinvestissement et des sanctions (BDS), en réponse à l’appel lancé en 2005
par la société civile palestinienne.
De 2003 à
2016, le Brésil a été gouverné par le Parti des travailleurs (Partido dos
Trabalhadores, PT), un parti de gauche. Après la destitution de la présidente
Dilma Rousseff en 2016, Michel Temer a occupé la fonction de président jusqu'à
l'arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en 2019. Sous le gouvernement du PT, le
Brésil a officiellement reconnu l’État de Palestine en 2010 et a fréquemment
condamné les actions militaires israéliennes. Néanmoins, au cours des deux
dernières décennies, la politique brésilienne sur cette question est devenue de
plus en plus instable, oscillant entre des affirmations de principe de
solidarité avec la Palestine et l’approfondissement de liens politiques et
économiques avec le régime israélien.
Même sous le PT — et plus encore sous Bolsonaro — le Brésil a augmenté ses
achats d’armes à Israël, continué à exporter du pétrole vers l’État
d’apartheid, et renforcé le commerce agro-industriel avec ce pays — autant
d’activités qui ont contribué à soutenir l’infrastructure de l’occupation
israélienne (Nakamura, 2024).
Depuis des
décennies, le complexe militaro-industriel brésilien, l’agrobusiness, les politiciens
de droite et les lobbys évangéliques-sionistes se sont alignés pour promouvoir
un approfondissement des relations entre le Brésil et Israël. Ensemble, ils ont
normalisé le commerce avec Israël sous couvert de partenariats technologiques
et d’agriculture respectueuse du climat, blanchissant ainsi les crimes du
régime israélien.
Cette
contradiction apparente — entre une solidarité affichée envers la Palestine et
le renforcement des liens économiques avec Israël — n’est pas propre au Brésil.
En réalité, très peu de pays dans le monde se sont engagés à couper, ou même à
réduire, leurs liens commerciaux avec Israël. Cela demeure vrai même après la
reconnaissance internationale généralisée de son régime d’apartheid¹ et les
décisions contraignantes de la Cour internationale de Justice (CIJ) en 2004,
2024 et 2025 — la décision de 2024 ayant été soutenue par la grande majorité
des pays, y compris le Brésil, dans une résolution de l’Assemblée générale de
l’ONU en septembre 2024².
Les
mouvements de solidarité au Brésil — dont beaucoup sont ancrés dans les favelas,
dans les mouvements urbains pour le logement, les mouvements ruraux sans terre,
les luttes pour la justice climatique et les communautés affectées par les agissements
des entreprises, ainsi que dans les syndicats étudiants et de travailleurs —
ont mené d’importantes campagnes reliant le militarisme israélien à la violence
d’État, au pillage environnemental et à l’extractivisme agraire au Brésil.
Depuis le début du génocide diffusé en direct à Gaza et l’expansion des colonies
israéliennes et des crimes en Cisjordanie, le besoin urgent de révéler ces
liens de complicité et d’exposer comment les relations israélo-brésiliennes
affectent les groupes marginalisés au Brésil s’est renforcé. Cette question a
désormais atteint une visibilité sans précédent dans les médias grand public.
En novembre
2025, le Brésil accueillera la COP30 à Belém do Pará, aux côtés du Sommet des
Peuples⁴.
Cet événement crée une fenêtre stratégique pour confronter les connexions de “greenwashing”
[verdissement, écoblanchiment] entre les entreprises israéliennes de
technologie agricole et hydrique et les agendas extractivistes en Amérique
latine. Il s’agit d’un moment clé pour construire une solidarité concrète avec
la Palestine, relier les luttes multiples et renforcer les résistances locales.
Cet article
analyse les principaux liens entre le Brésil et Israël, et comment ils se
connectent aux luttes sur le terrain au Brésil. Il présente également certaines
victoires remportées par les campagnes propalestiniennes et les obstacles
freinant de nouveaux progrès, notamment les efforts pour passer des mots aux
actes en solidarité avec la Palestine, y compris lors de la COP30.
Cet article
est structuré comme suit. Après cette introduction, la section suivante explore
les relations entre le Brésil et Israël, en fournissant un contexte historique
et en présentant la coopération militaire, les accords agro-industriels, le
commerce pétrolier et les positions diplomatiques des deux pays, en particulier
au cours des 20 dernières années. La section suivante examine ensuite comment
la résistance et la solidarité avec la Palestine, en particulier le BDS, se
sont développées au Brésil au cours de la dernière décennie. L'avant-dernière
section aborde les défis auxquels est actuellement confrontée la solidarité
avec la Palestine et les moyens de les surmonter, notamment les objectifs
prioritaires et les perspectives d'avenir prometteuses. L'article se termine
par une brève conclusion. Tout au long du texte, l'article applique l'approche
critique du « droit international par le bas » (Rajagopal, 2008), selon
laquelle la mobilisation politique est essentielle pour faire progresser et
appliquer le droit international.
Depuis le
milieu du XXe siècle, la relation du Brésil avec Israël combine un
alignement symbolique et une coopération pragmatique.
En 1947, le diplomate brésilien Oswaldo Aranha, qui présidait l’Assemblée
générale des Nations unies, joua un rôle politique et procédural crucial dans
l’adoption du Plan de partage de la Palestine (Résolution 181 de l’ONU).
Les récits contemporains et les reconstructions ultérieures créditent Aranha
d’avoir reporté le vote pour consolider une majorité des deux tiers en faveur
du plan, et d’avoir fait pression activement sur plusieurs délégations.
Ces actions lui valurent d’être publiquement honoré en Israël dans les
décennies suivantes (JTA, 2017).
Son rôle à l’ONU a ainsi imprimé une association précoce entre la diplomatie
brésilienne et la légitimation internationale de la création d’Israël.
Au début des
années 1960, sous la présidence de gauche de João Goulart, les relations
bilatérales restaient cordiales mais utilitaires, motivées davantage par des
calculs multilatéraux et la recherche de coopération technique que par des
affinités idéologiques.
La dictature militaire (1964–1985) inaugura cependant une collaboration
sécuritaire et technoscientifique ouverte.
Des documents d’archives cités par des enquêtes journalistiques révèlent des
liens étroits entre Israël et la junte brésilienne, incluant des ventes d’armes,
des échanges d’expertise militaire et une coopération nucléaire précoce.
Un premier accord entre les deux pays fut signé le 10 août 1964, à peine quatre
mois après le coup d’État, suivi de nouveaux accords en 1966, 1967 et 1974
(Mack, 2018).
Même si ces sources ne prouvent pas une participation d’Israël au coup d’État
lui-même, elles montrent une rapide convergence post-coup d’État, fondée sur
des intérêts communs autour de la sécurité et du développement nucléaire —
conforme à la quête de technologies stratégiques du régime militaire.
Ce rapprochement entraîna une intégration structurelle des liens
militaro-scientifiques israéliens dans la modernisation autoritaire du Brésil,
tout en consolidant la coopération nucléaire germano-brésilienne (1975) et un programme
nucléaire parallèle poursuivi jusque dans les années 1990 (Arms Control
Association, 2006 ; World Nuclear Association, 2025).
À l’ère
démocratique (depuis 1985), le Brésil a oscillé entre un soutien symbolique aux
droits palestiniens (reconnaissance diplomatique, déclarations publiques) et
une coopération pragmatique avec Israël dans les domaines du commerce, de la
sécurité et de la technologie.
Sur le long terme, on distingue donc une double trajectoire :
– un rôle fondateur du Brésil dans la légitimation internationale d’Israël en
1947 ;
– puis, après le coup d’État, une coopération sécuritaire et technologique
inscrivant Israël dans le projet de modernisation militaire brésilienne.
Cependant,
ces relations diplomatiques ont fluctué selon les gouvernements en place, et ce
n’est que très récemment qu’elles se sont réellement été dégradées.
Durant les années 2000, l’Amérique latine dans son ensemble a redéfini son
orientation diplomatique face à la question israélo-palestinienne.
Cette reconfiguration s’explique en partie par l’arrivée au pouvoir de gouvernements
de gauche et de centre-gauche, la montée de la « vague rose », et la réaction
contre le Consensus de Washington (Lucena, 2022).
En parallèle, l’émergence des BRICS et la politique étrangère « active et
assertive » du Brésil ont favorisé une volonté d’autonomie vis-à-vis des USA et
la diversification des partenariats internationaux.
Dans ce contexte, le soutien à la cause palestinienne devint pour plusieurs
gouvernements latino-américains un instrument stratégique de positionnement
international (Baeza, 2012).
Malgré cette
tendance régionale à l’appui de la Palestine, les grandes économies du
continent — Brésil, Argentine, Mexique — ont maintenu une approche « équilibrée
» consistant à exprimer leur solidarité avec la Palestine tout en réaffirmant
le droit d’Israël à la sécurité.
Cette diplomatie double traduisait un mélange de reconnaissance symbolique et
de pragmatisme (Baeza, 2012).
Par exemple, la vague de reconnaissances de l’État de Palestine entre décembre
2010 et mars 2011, bien qu’elle ait marqué une tendance régionale vers
l’affirmation de la souveraineté palestinienne, s’est accompagnée d’un discours
d’équilibre et de promotion de la paix, plutôt que de sanctions ou de critiques
directes envers Israël (Baeza, 2012).
Sous la
présidence de Luiz Inácio Lula da Silva, ce positionnement « équilibré » a été
particulièrement frappant.
Puissance émergente cherchant à exercer une influence mondiale, le Brésil de
Lula (2003–2010) tenta d’assumer un rôle diplomatique de premier plan au
Moyen-Orient.
Son gouvernement fit preuve d’une sensibilité sans précédent aux revendications
palestiniennes, culminant avec la reconnaissance de l’État de Palestine en
décembre 2010.
Cependant, alors que le Venezuela et la Bolivie avaient choisi la rupture
diplomatique avec Israël en 2009, le Brésil préféra reconnaître la Palestine
tout en préservant ses liens bilatéraux avec Israël (Baeza, 2012).
Cette
politique fut interrompue sous la présidence de Jair Bolsonaro, lorsque le
Brésil s’aligna ouvertement sur Israël : ouverture d’un bureau commercial à
Jérusalem en 2019, projet de transfert de l’ambassade (finalement non réalisé),
et adhésion au Israel Allies Caucus⁵.
Cette posture renforça l’alliance idéologique avec les évangéliques
conservateurs et les élites économiques (Huberman, 2024).
Avec le
retour de Lula pour un troisième mandat en 2023, le Brésil a repris une
politique plus traditionnelle : lors de l’ouverture de l’Assemblée générale de l’ONU, Lula rappela l’importance
de résoudre « la question palestinienne » et de reconnaître « un État
palestinien viable et indépendant ».
Cependant, le Brésil continua à entretenir des relations diplomatiques avec
Israël, tout en refusant de reconnaître officiellement Israël comme un régime
d’apartheid.
Après le début du génocide en octobre 2023, le gouvernement Lula renforça ses critiques
contre les opérations militaires israéliennes.
En février 2024, lors du sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, Lula compara
la conduite israélienne à Gaza au génocide nazi.
Israël réagit en déclarant Lula persona non grata, et le Brésil rappela son ambassadeur,
refusant depuis d’accréditer celui d’Israël à Brasília (MercoPress, 2023).
Les déclarations officielles depuis octobre 2023 réaffirment le soutien du
Brésil à l’État palestinien et au droit international, tout en dénonçant le
gouvernement Netanyahou, mais sans rompre les liens commerciaux et militaires.




