Gideon Levy, Haaretz, 3/2/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Alors que les malédictions et les cris s'apaisent - Amnesty est antisémite, le rapport est plein de mensonges, la méthodologie est absurde - on doit se demander : qu'est-ce qui est incorrect, précisément, dans le rapport sur l'apartheid ?
Israël n'a-t-il pas été fondé sur une politique explicite visant à maintenir l'hégémonie démographique juive, tout en réduisant le nombre de Palestiniens à l'intérieur de ses frontières ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Cette politique n'existe-t-elle pas encore aujourd'hui ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Israël ne maintient-il pas un régime d'oppression et de contrôle des Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés depuis 1967 au profit des Juifs israéliens ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Les règles d'engagement face aux Palestiniens ne relèvent-elles pas d’une politique consistant à tirer pour tuer, ou au moins pour mutiler ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Les expulsions de Palestiniens de leurs maisons et le refus de permis de construire ne font-ils pas partie de la politique israélienne ? Oui ou non ? Vrai ou faux ?
Cheikh Jarrah n'est-il pas un lieu d'apartheid ? La loi de l'Etat-nation n'est-elle pas de l’apartheid ? Et le refus de réunification des familles ? Et les villages (bédouins) non reconnus ? Et la « judaïsation » ? Existe-t-il une seule sphère, en Israël ou dans les territoires, dans laquelle il existe une égalité véritable, absolue, sauf de nom ?
Lire le rapport, c'est désespérer. C'est tout ce que nous savions, mais condensé. Pourtant, aucun désespoir ou remords n'a été ressenti en Israël. La plupart des médias l'ont marginalisé et estompé, et les chœurs de la hasbara l'ont rejeté. Le ministre de la propagande, Yair Lapid, a récité ses lignes et est passé à l'attaque avant même la publication du rapport. Le ministre des Affaires de la diaspora, Nachman Shai, a rapidement suivi. Le rapport international n'est pas encore né qu'Israël le dénonce tout en négligeant de répondre à un seul de ses points. Une organisation après l'autre, dont certaines sont importantes et honnêtes, appelle cela de l'apartheid, et Israël dit : antisémitisme.
S'il vous plaît, prouvez qu'Amnesty a tort. Qu'il n'y a pas deux systèmes de justice dans les territoires, deux ensembles de droits et deux formules pour la distribution des ressources. Que la légitimation d'Evyatar n'est pas de l’ apartheid. Que le fait que les Juifs puissent récupérer leurs biens d'avant 1948 alors que les Palestiniens se voient refuser le même droit n'est pas de l'apartheid. Qu'une colonie verdoyante juste à côté d'une communauté de bergers sans électricité ni eau courante n'est pas de l'apartheid. Que les citoyens arabes d'Israël ne font pas l'objet d'une discrimination systématique et institutionnelle. Que la ligne verte n'a pas été effacée. Qu'est-ce qui n'est pas vrai ?
Même Mordechai Kremnitzer [prof de droit à l’Université Hébraïque de Jérusalem, né à Fürth, près de Nuremberg en 1948, NdT] a été effrayé par le rapport et l'a attaqué. Ses arguments : le rapport ne distingue pas les territoires occupés depuis 1967 d'Israël, et il traite le passé comme si c'était le présent. C'est ainsi que cela se passe lorsque même les universitaires de gauche s'engagent dans la défense de la propagande sioniste. Accuser Israël des péchés de 1948 et le qualifier d'apartheid, c'est comme accuser les USA d'apartheid en raison du passé des lois de ségrégation Jim Crow, écrit-il dans le Haaretz de mercredi.
La différence est que le racisme institutionnalisé aux USA a progressivement disparu, alors qu'en Israël, il est plus vivant et plus fort que jamais. La ligne verte a également été effacée. Il s'agit d'un seul État depuis un certain temps déjà. Pourquoi Amnesty devrait-elle faire cette distinction ? L'année 1948 continue. La Nakba continue. Une ligne droite relie Tantoura et Jiljilya. À Tantura, ils ont massacré, à Jiljilya, ils ont fait mourir un homme de 80 ans, et dans les deux cas, la vie des Palestiniens ne vaut rien.
Bien entendu, il n'y a pas de propagande sans applaudissements pour le système judiciaire. « La contribution importante du conseiller juridique du gouvernement et des tribunaux qui, contre une large majorité politique, ont empêché l'interdiction des candidats et des listes arabes à la Knesset... Un parti arabe rejoignant la coalition rend immédiatement ridicule l'accusation d'apartheid », écrit Kremnitzer.
C'est tellement bon de brandir la Haute Cour de Justice, qui n'a pas empêché une seule iniquité de l'occupation, et Mansour Abbas pour prouver qu'il n'y a pas d'apartheid. Soixante-quatorze ans d'existence d'un État sans une ville nouvelle arabe, sans une université arabe ou une gare dans une ville arabe, tout cela est éclipsé par le grand blanchisseur de l'occupation, la Haute Cour de justice, et un partenaire arabe mineur de la coalition, et même celui-ci est considéré comme illégitime.