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09/02/2023

DAVID STAVROU
Le sauvetage de l'Holocauste des Juifs du Danemark : mythe et réalité

David Stavrou (bio), Haaretz, 3/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Des recherches récentes réexaminent les mythes historiques entourant le sauvetage des Juifs danois pendant l'Holocauste, révélant des intérêts sous-jacents surprenants.

 

Juifs danois fuyant vers la Suède en septembre 1943. « Les Danois qui ont aidé les Juifs l'ont fait pour préserver le caractère démocratique du pays - et non dans le cadre d'une opération de résistance », explique l'historienne Keren-Carmel.Photo: Scanpix Denmark/AFP

 

STOCKHOLM - Les horreurs de l'Holocauste ont donné lieu à de nombreux récits qui suscitent l'inspiration, mais beaucoup d'entre eux se sont terminés par un peloton d'exécution ou la corde du pendu. Le sauvetage des Juifs du Danemark, dont le 80e  anniversaire sera célébré cette année, est différent. C'est l'histoire d'un pays qui a décidé de sauver tous les membres de sa communauté juive - et qui a réussi.

 

Les Juifs danois avaient un avantage que ne partageaient pas les autres Juifs d'Europe : à la suite d'une fuite d'informations en provenance d'Allemagne, ils savaient ce qui les attendait. En effet, en octobre 1943, pendant Rosh Hashanah, beaucoup avaient déjà entendu parler de leur expulsion imminente. La population juive du Danemark s'élevait alors à environ 7 700 personnes, dont 1 200 Juifs arrivés récemment d'autres pays. Ceux qui ont reçu le rapport sont priés de transmettre l'information aux autres membres de la communauté et de se cacher. Dans le même temps, une sorte de soulèvement populaire éclate. Des Danois ordinaires - policiers et postiers, serveurs et chauffeurs, enseignants et membres du clergé - diffusent la nouvelle, et certains aident également les Juifs à trouver des voies d'évasion et des endroits où se cacher. Grâce au soutien populaire, presque tous les Juifs ont pu trouver des endroits où ils pouvaient se cacher de la Gestapo pendant les raids, puis des endroits où ils pouvaient attendre jusqu'à ce qu'ils puissent faire le voyage vers la Suède, qui leur avait déjà offert un sanctuaire. Tout le monde ne réussit pas à s'échapper. Certains membres malades et âgés de la communauté ont été capturés par les Allemands. Dans la ville de Gilleleje, par exemple, la Gestapo a attrapé et arrêté plusieurs dizaines de Juifs qui se cachaient dans les combles d'une église. Cependant, la grande majorité d'entre eux ont réussi à atteindre les villages et les villes situés le long de la côte du détroit d’Öresund, qui sépare le Danemark de la Suède. Les habitants de ces villages ont continué à les cacher jusqu'à ce que des pêcheurs et des marins puissent les emmener en Suède, pays neutre, sur des bateaux. Là encore, tout ne se passe pas sans heurts - certains bateaux coulent - mais finalement, la majorité des Juifs du pays, soit plus de 7 200 personnes, atteignent la Suède.

 

La plupart des faits concernant le sauvetage des Juifs danois ne sont pas contestés. L'histoire est devenue un mythe formateur qui est enseigné dans le système scolaire israélien, qui est souligné lors de cérémonies et qui est commémoré sur des sites publics, tels que Denmark Square et Denmark High School à Jérusalem et sur une place à Haïfa. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le peuple danois n’a pas été désigné comme Juste parmi les nations par le mémorial de l’Holocauste de Yad Vashem à Jérusalem (cette distinction n'est accordée qu'à des individus), bien que trois arbres y aient été plantés en l'honneur du peuple danois, de l'organisation clandestine du pays et du roi Christian X (qui a régné de 1912 à 1947).

 

Cette supposition est un autre exemple du fait que tout ce qui concerne les Juifs danois pendant l'Holocauste n'est pas fidèle aux faits. L'une des histoires les plus connues, par exemple, est que le roi a arboré l'étoile de David que les Juifs étaient obligés de porter dans de nombreux pays occupés, alors qu'il était à cheval dans les rues de Copenhague, en signe d'identification avec la communauté. Ce récit s'avère faux, probablement en raison des efforts de relations publiques déployés pendant la guerre par des Danois vivant aux USA et cherchant à améliorer l'image de leur patrie, qui avait capitulé devant les nazis presque sans combattre.

 

Pour comprendre si les autres récits sont également entachés d'éléments qui ne cadrent pas avec la vérité, il faut revenir en 1940. « Le Danemark a survécu à l'occupation nazie mieux que n'importe quel autre pays européen », explique l'historienne Orna Keren-Carmel de l'Université hébraïque de Jérusalem, spécialiste des relations entre Israël et la Scandinavie et auteur du livre “Israël et la Scandinavie : le début des relations"”(en hébreu), sur les liens entre le jeune État d'Israël et les pays scandinaves.

 

« Lorsque Hitler a envahi le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique et la France, explique le Dr Keren-Carmel dans une interview, il leur a fait à tous la même offre : capitulez d'avance, et en échange, vous aurez la possibilité de continuer à gérer vos affaires intérieures de manière souveraine, tandis que l'Allemagne sera chargée de la politique étrangère ».

 

Le roi  Christian X

Le Danemark est le seul pays à avoir accédé à cette offre, signant les termes de sa reddition en quelques heures, le 9 avril 1940. Selon Keren-Carmel, les Danois savaient qu'ils n'avaient aucune chance contre le “géant du sud”. Ils ont préféré capituler, préserver leur capacité à fonctionner et minimiser le coup porté à la population civile, à ses biens et à l'économie du pays. Les Allemands, de leur point de vue, ont choisi de gouverner le Danemark avec une “main de velours” afin de maintenir la stabilité politique et de profiter des exportations danoises », explique-t-elle.

 

En outre, note-t-elle, cette approche s'accordait également avec la théorie nazie des affinités raciales de la race aryenne et de la race nordique, et avec le “nouvel ordre européen” : Le plan des nazis était que les peuples nordiques les aident à gouverner les peuples dits inférieurs d'Europe de l'Est après la guerre.

 

05/11/2021

DAVID STAVROU
Ahmed Bouchikhi, la victime oubliée de l'un des plus grands fiascos du Mossad
Quand l’Opération « Colère de Dieu » dérapa

David Stavrou, Haaretz, 29/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

David Stavrou est un journaliste israélien vivant à Stockholm qui collabore régulièrement au quotidien israélien Haaretz. Ces dernières années, il a couvert une variété de questions suédoises, scandinaves et mondiales et a également écrit deux livres. Le plus récent raconte l'histoire de la diaspora israélienne en Europe et a été publié par l'éditeur israélien Pardes en janvier 2021. Stavrou est également enseignant et guide agréé de Stockholm.

Le meurtre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 72 et la campagne de vengeance israélienne qui a suivi ont donné lieu à de nombreux livres et films. Mais dans tous ces ouvrages, un personnage reste anonyme : Ahmed Bouchikhi.

Ahmed Bouchikhi. « De tous les pays qu'il a visités, c'est en Norvège qu'il a trouvé son bonheur. Et il y est resté, car c'est là qu'il a rencontré sa femme. Son bonheur est aussi devenu son désastre », raconte son frère. Photo : NTB SCANPIX MAG via AFP

Un matin de septembre 1994, peu après que le musicien français Jalloul "Chico" Bouchikhi s’est séparé des Gipsy Kings, le groupe de flamenco-pop à succès qu'il a fondé, il reçoit un appel téléphonique inattendu. Au bout du fil, une représentante de l'UNESCO qui semble désemparée. L'organisation culturelle des Nations unies organisait un concert spécial pour marquer le premier anniversaire de la signature des accords d'Oslo, en présence du ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Peres et du président de l'OLP Yasser Arafat - avec la participation des Gipsy Kings, disait-elle. Mais voilà qu'à la onzième heure, alors que 24 000 billets avaient été vendus, ils ont été informés que le groupe avait manqué son vol pour Oslo. Bouchikhi accepterait-il de se produire à leur place avec son nouveau groupe, Chico & the Gypsies, pour éviter un fiasco ?

« J'ai dit oui. Je suis arrivé avec mes musiciens, nous avons informé le public que les Gipsy Kings ne pouvaient pas venir, mais que j'étais leur fondateur. Nous avons joué 'Bamboleo' et d'autres tubes du groupe, et ce fut un grand succès », se souvient Bouchikhi. « À la fin, Peres et Arafat sont montés sur scène et m'ont félicité. Je leur ai serré la main. Mes frères, qui vivaient à Paris et étaient venus pour le concert, ont pris des photos de l'événement ».

Cette apparition a lancé Bouchikhi, aujourd'hui âgé de 67 ans, sur une voie qu'il n'avait jamais imaginée pour lui-même. Il a été nommé envoyé de l'UNESCO pour la paix en 1996, agissant en tant qu'ambassadeur de bonne volonté et promouvant des messages de tolérance et de paix lors de ses spectacles. Mais si aujourd'hui il regarde son passé avec émotion, presque incrédule, comme "l'histoire d'un destin particulier", ce n'est pas parce que les Gipsy Kings ont raté leur vol et qu'il les a remplacés. C'est parce que, à l'insu de toutes les personnes impliquées à l'époque - ni l'UNESCO, ni Peres, ni Arafat, ni ceux qui étaient censés assurer leur sécurité - le destin ou le hasard avait placé les deux leaders sur une scène avec un musicien dont le frère avait été assassiné par erreur par des agents des services secrets israéliens parce qu'ils le prenaient pour un terroriste palestinien.

Chico Bouchikhi, musicien et envoyé de l'UNESCO. « Un incroyable coup du sort m'a conduit à comparaître devant deux responsables du meurtre de mon frère : Shimon Peres et Yasser Arafat ». Photo : Malte Ossowski/Sven Simon/dpa Picture Alliance via AFP

Compte tenu du fait que cette histoire concernait une organisation israélienne pour laquelle le secret est primordial, l'incident de 1973, connu sous le nom d'"affaire de Lillehammer", est très bien connu et bien documenté. Quiconque a parcouru des ouvrages tels que "Every Spy a Prince" (1990) de Yossi Melman et Dan Raviv ; "Lillehammer : Open Case", de Noam Nachman-Tepper (2020, hébreu) ; "The Quest for the Red Prince", de Michael Bar-Zohar et Eitan Haber (1984), ou bien d'autres, connaît le meurtre scandaleux d'Ahmed Bouchikhi. Serveur innocent, Bouchikhi a été abattu à Lillehammer, en Norvège, par des agents du Mossad qui l'avaient identifié, à tort, comme Ali Hassan Salameh, l'une des figures de proue de l'organisation Septembre noir, qui a perpétré le massacre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972 [une partie des athlètes ont sans doute été tués par la police allemande à Fürstenfeldbruck, NdT].