Au lendemain de la guerre, les habitants de Gaza recollent les morceaux de leurs maisons, de leurs familles et de leurs vies. Ces 20 instantanés montrent à quoi ressemble la survie et ce qu’elle coûte.
Mohammed
R. Mhawish, 6/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Mohammed Mhawish est un journaliste palestinien indépendant de Gaza, actuellement réfugié en Égypte. Il collabore avec plusieurs sites et médias anglophones. Meta Insta x
Dans les
semaines qui ont suivi le cessez-le-feu, j’ai parlé à vingt personnes à Gaza -
des mères, des pères, des enfants et des grands-parents - pour connaître leurs
premiers moments, leurs premiers jours et leurs premières semaines après l’arrêt
des bombardements. Leurs récits ne se limitent pas à la survie. Ils parlent de
la perte : de maisons, d’êtres chers, de rêves, du rythme de la vie
quotidienne.
A couru 5
kilomètres pour retrouver ses parents, une heure après l’annonce du
cessez-le-feu.
« Je
n’ai même pas réfléchi. J’ai couru si vite que mon cerveau et mon cœur avaient
du mal à me rattraper. Lorsque j’ai vu ma mère, vivante et debout dans l’embrasure
de la porte, je suis tombé à genoux. Elle tenait un balai et balayait les
décombres comme si c’était un mardi comme les autres. Je l’ai serrée dans mes
bras et ne l’ai pas lâchée pendant des minutes. Avant la guerre, je
construisais des maisons pour les gens. Maintenant, je ne sais même pas si je
pourrai reconstruire la mienne ».
Mariam,
45 ans, enseignante (Beit Hanoun)
Elle a
marché dans les ruines de sa maison, ramassant des fragments des jouets de ses
enfants, trois heures après le cessez-le-feu.
« J’ai
trouvé la petite voiture de mon fils sous les débris de béton. Elle était
écrasée, mais je l’ai tenue comme si c’était de l’or. J’ai continué à creuser :
des photos, une tasse de thé, ma robe de mariée. Chaque pièce était comme une
partie de moi. Mais je n’ai pas pleuré. J’ai continué à creuser ».
Youssef,
17 ans, étudiant (Ville de Gaza)
A fait la
queue pendant des heures à un point de distribution d’aide improvisé le
deuxième jour du cessez-le-feu.
« Je
n’avais pas mangé depuis deux jours. Mon estomac se mangeait tout seul. Lorsque
j’ai enfin obtenu le sac de farine, je l’ai serré dans mes bras comme s’il s’agissait
de mon petit frère. J’ai couru jusqu’à la maison et ma mère a fait du pain dans
la rue. Nous n’avons même pas attendu qu’il refroidisse. Je voulais aller à l’université
à l’étranger. Mon rêve est devenu d’avoir un repas complet ».
Samira,
60 ans, grand-mère (Shuja’iyya)
A
organisé un groupe de femmes pour nettoyer la mosquée locale, deux jours après
le cessez-le-feu.
« La
mosquée était à moitié détruite, mais le minaret était toujours là. Je me suis
dit : “Si le minaret est encore là, nous le sommes aussi”. Nous avons balayé,
transporté des briques et même lavé le sol avec l’eau d’un tuyau cassé. Au
coucher du soleil, c’était à nouveau un lieu de paix. Mais la prière du
vendredi n’est pas la même sans mes petits-enfants ».
Khaled,
28 ans, pêcheur (camp d’Al Shati [La Plage])
A enterré
son frère à mains nues, trois jours après le cessez-le-feu.
« Nous
n’avions pas de pelle. Nous n’avions que nos mains. J’ai creusé le béton jusqu’à
ce que mes doigts saignent. Shady aimait la mer, alors je l’ai enterré au bord
de l’eau. Je suis restée assis à regarder les vagues pendant des heures. Je ne
pouvais pas pleurer. Je n’arrêtais pas de dire : “Je suis désolé”. Son visage
est là chaque fois que je regarde la mer ».
Leila, 9
ans, enfant (Rafah)
Joue à la
marelle dans une rue bombardée, quatre jours après le cessez-le-feu.
« Maman
m’a dit de ne pas m’éloigner, mais je voulais juste jouer. J’ai dessiné des
cases de marelle avec un morceau de craie que j’avais trouvé. Mes amis sont
venus, et pendant un petit moment, on se serait cru à l’Aïd. Nous avons ri si
fort que les voisins sont sortis pour nous regarder ».