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02/09/2024

En France, des réfugiés gazaouis soumis à l’arbitraire

La justice française face au dilemme de l’expulsion des Palestiniens

Malgré des décisions préfectorales d’éloignement, les juges se voient dans l’impossibilité de valider ces demandes en raison de la situation sur place. La rétention de certains étrangers est prolongée, alors que ce système ne doit s’appliquer qu’à ceux dont l’expulsion est imminente.

Christophe Ayad et Julia Pascual, Le Monde, 30/8/2024

Il est le sixième à se présenter devant le juge des libertés et de la détention, mercredi 28 août. Dans cette annexe du tribunal judiciaire qui jouxte le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le juge se prononce tous les jours sur la prolongation des rétentions d’étrangers demandée par l’administration. A quelques encablures de là, des avions décollent en continu des pistes de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.


Le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le 6 mai 2019. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

A priori, les personnes placées en rétention ont vocation à être expulsées dans un délai maximum de quatre-vingt-dix jours. Mais Issa (les personnes citées par leur prénom sont anonymisées) n’a pour ainsi dire aucune chance de l’être. Et pour cause : il est originaire de Gaza. « Il y a une absence totale de perspective d’éloignement », est venu plaider ce jour-là son avocat, Samy Djemaoun, alors que le droit prévoit qu’un étranger ne peut être retenu « que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». « Il y a, à Gaza, une situation de violence aveugle, il n’y a pas un mètre carré qui n’est pas bombardé, donc, aller à Gaza, c’est aller se tuer, a encore plaidé Me Djemaoun. Et la Palestine n’a pas le contrôle de ses frontières extérieures, donc demander un laissez-passer consulaire à la Palestine est vain. »

C’est pourtant ce qu’a fait le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui a placé Issa en rétention en août et sollicité les autorités palestiniennes en vue de son éloignement – alors que la France ne reconnaît pas l’Etat palestinien. L’homme de 34 ans, père de deux enfants français et conjoint d’une Française, est arrivé dans l’Hexagone en 2010. Il a fait l’objet d’une condamnation en juin 2022 à quatre mois de prison avec sursis et à une interdiction du territoire de cinq ans pour avoir fait entrer deux Syriens illégalement en France. Son nom apparaît aussi – sans qu’il ait été condamné – dans des affaires de vols, de violences, de dégradation de biens privés ou encore d’escroquerie. Aux yeux des autorités françaises, il constitue une « menace à l’ordre public ».

« Aberration »

Mercredi, en fin de journée, le juge a finalement décidé sa remise en liberté, pour un vice de procédure. Ils sont plusieurs, comme lui, à avoir été placés en rétention. Au total, depuis le début de l’année et d’après les données compilées par Le Monde auprès de plusieurs associations intervenant en CRA, près d’une vingtaine de ressortissants palestiniens ont été placés en rétention. Selon le ministère de l’intérieur, à ce jour, trois sont toujours retenus. A chaque fois, la France a entrepris des démarches auprès des autorités consulaires palestiniennes en vue de leur identification et de leur éloignement. Aucune des personnes n’a pourtant été reconduite en Palestine.

Certaines ont en revanche été renvoyées vers un Etat duquel elles bénéficiaient de la nationalité, à l’image de la militante palestinienne d’extrême gauche Mariam Abudaqa, qui devait participer à diverses conférences sur le conflit israélo-palestinien et qui a été expulsée vers l’Egypte en novembre 2023. Certains Palestiniens ont aussi été éloignés vers un autre Etat européen où ils bénéficiaient d’un titre de séjour ou avaient une demande d’asile en cours. D’autres encore ont fini par être libérés. Pour Claire Bloch, de la Cimade, une association d’aide aux migrants, « c’est une aberration que des juges prolongent des rétentions alors qu’il n’y a pas d’éloignement possible vers la Palestine. Et s’il y en avait, ce serait en violation de l’article 3 de la CEDH [Convention européenne des droits de l’homme], qui interdit la torture ».

Dans une décision du 16 juin, un juge de Bordeaux a pourtant prolongé la rétention d’un Gazaoui au motif principal que « les autorités consulaires de Palestine et d’Israël ont été saisies ». Ce dernier se trouve toujours en rétention à ce jour. Dans une autre décision du 17 juillet, rendue cette fois par un juge de Lille, c’est au motif qu’une « demande de laissez-passer consulaire a été faite auprès de la mission de Palestine en France », bien que restée sans réponse, que la rétention d’un Palestinien a été prolongée de trente jours.

Selon une source au ministère de l’intérieur, « il n’y a pas d’interdiction a priori de procéder à un éloignement vers un quelconque pays, même s’il peut y avoir des impossibilités techniques ou diplomatiques ». Cette source avance en outre que certaines personnes se prévalant de la nationalité palestinienne sont en réalité originaires d’un autre pays.

« Risque de traitements inhumains »

« Les personnes placées en rétention sont en priorité des étrangers qui représentent une menace à l’ordre public », ajoute-t-on place Beauvau. Cela se traduit notamment par des condamnations pénales comportant des interdictions du territoire. Un élément que l’administration n’hésite pas à plaider devant le juge des libertés et de la détention. « La rétention ne doit pas être un moyen de régulation de la sécurité, estime, de son côté, Claire Bloch. C’est un détournement du droit des étrangers à des fins de répression. »

Jeudi 29 août, Me Djemaoun est allé au tribunal défendre un autre Palestinien, Youssef, retenu depuis le 9 août au Mesnil-Amelot. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé de son expulsion après des condamnations, notamment une pour recel de vol de téléphone portable en récidive assortie d’une interdiction du territoire français. Le tribunal administratif de Montreuil avait annulé, le 23 août, l’arrêté de fixation du pays de renvoi au motif que son expulsion vers la Palestine l’exposerait à « un risque de traitements inhumains ou dégradants », en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Un juge de Meaux a pourtant rejeté sa demande de remise en liberté. Décision dont il a fait appel. « Le préfet, nonobstant l’annulation du pays de renvoi, a demandé au Maroc de l’accueillir. Pourquoi le Maroc ? On ne sait pas, ironise Me Djemaoun devant le juge. S’il n’y a pas de départ possible, qu’est-ce que fait mon client en rétention ? », poursuit-il. L’avocat de la préfecture est bien en peine de fournir une réponse sur le choix du Maroc, avec lequel Youssef n’a aucun lien. Ce 29 août, le juge décidera finalement son maintien en rétention au motif que la préfecture a lancé des « diligences » – sans réponse pour le moment – en vue de l’expulser vers le Maroc.

Pendant sa rétention administrative au Mesnil-Amelot, Youssef, qui séjournait en France depuis 2003, a présenté une demande d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides l’a rejetée car il ne s’est pas présenté le jour de l’entretien prévu – il était malade et avait prévenu de son indisponibilité. Il compte faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile.

30/06/2023

GABRIEL TAN
La Cour d’appel britannique estime que le plan Rwanda est illégal car le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr

Gabriel Tan, Freemovement, 29/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Gabriel Tan est un candidat à la licence en droit civil à l’Université d’Oxford et un ancien chargé de dossiers de droit public au cabinet Wilson Solicitors. @finishedloading

La Cour d’appel d‘Angleterre et du Pays de Galles a estimé, à la majorité, que le plan Rwanda était illégal car le Rwanda n’est pas un pays suffisamment sûr. En bref, les autorités rwandaises ne sont pas encore en mesure de faire le tri entre les réfugiés authentiques et les autres, et le risque est donc trop grand que les réfugiés authentiques soient renvoyés dans leur pays d’origine où ils risquent d’être persécutés. Les Afghans et les Syriens, par exemple, ont actuellement un taux de rejet de 100 % au Rwanda.


L’intégralité de l’arrêt est accessible ici, et un résumé de cet arrêt est accessible ici. L’arrêt majoritaire est rendu par le Master of the Rolls [garde des archives], Sir Geoffrey Vos, et le vice-président de la division civile de la Cour d’appel, Lord Justice Underhill. Le Lord Chief Justice, Lord Burnett, est en désaccord et aurait rejeté ce moyen d’appel.

Tous les autres moyens invoqués par les demandeurs d’asile contre le plan Rwanda ont été rejetés à l’unanimité.

Vous pouvez visionner le résumé des conclusions de la Cour par le Lord Chief Justice ici :

 

Le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr

Sir Geoffrey Vos et Lord Justice Underhill rendent des jugements séparés. Lue ensemble, leur décision est que les déficiences du système d’asile rwandais signifient qu’il y a des raisons substantielles de croire qu’il existe un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays où elles ont été persécutées ou ont subi d’autres traitements inhumains, alors qu’elles ont en fait une bonne raison de demander l’asile.

Cela signifie que le plan Rwanda viole l’article 3 de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme], et plus précisément le critère énoncé dans l’affaire Soering contre Royaume-Uni (1989) 11 E.H.R.R. 439, selon lequel une décision ou une politique est contraire à l’article 3 lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle exposerait les demandeurs d’asile à un risque réel de mauvais traitements au titre de l’article 3.

Cette conclusion est fondée sur les preuves, principalement celles de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, selon lesquelles le système rwandais d’examen des demandes d’asile était, jusqu’à la finalisation du plan Rwanda, inadéquat.

Alors que la majorité (en accord avec Lord Burnett) souligne qu’il n’y a pas de preuve suggérant que le gouvernement rwandais a conclu l’accord de mauvaise foi, les points suivants sont soulignés dans le jugement de Lord Justice Underhill comme soutenant la conclusion que le système rwandais n’était pas fiable, équitable et efficace aux dates concernées :

1.      La preuve de la manière dont les entretiens sur l’asile sont menés.

2.     L’absence de possibilité pour les demandeurs de présenter leurs demandes par l’intermédiaire d’un avocat.

3.     La preuve que l’autorité chargée de statuer sur les demandes d’asile ne dispose pas des compétences et de l’expérience suffisantes pour prendre des décisions fiables.

4.    La preuve que les ONG censées être en mesure de fournir une assistance juridique n’ont probablement pas les capacités suffisantes pour le faire.

5.     Le fait que la procédure d’appel devant la Haute Cour rwandaise n’ait pas du tout été testée, ainsi que les motifs d’inquiétude quant à la culture judiciaire rwandaise, qui fait que les juges sont peu enclins à inverser les décisions des décideurs exécutifs, sont autant de raisons de s’inquiéter.

Cela a conduit le Master of the Rolls, Sir Geoffrey Vos, à conclure que « d’après les preuves présentées à cette Cour, il n’y avait tout simplement pas assez de preuves pour démontrer que les fonctionnaires seraient formés de manière adéquate pour prendre des décisions saines et raisonnées » (paragraphe 99). Lord Justice Underhill a souscrit à cette conclusion, estimant que « le système rwandais de détermination du statut de réfugié n’était pas, à la date pertinente, fiable, équitable et efficace » (paragraphe 263).

Les assurances données au gouvernement britannique par le gouvernement rwandais ont été jugées insuffisantes. Vos MR a souligné la conclusion de la Cour suprême israélienne selon laquelle le gouvernement rwandais avait déjà violé un accord similaire entre Israël et le Rwanda (paragraphe 102). Cela est important non seulement pour la procédure d’asile, mais aussi pour la sécurité même des réfugiés, étant donné que la police rwandaise a abattu au moins 12 réfugiés congolais en 2018. Vos MR poursuit en disant (paragraphe 104) :

le problème que pose l’acceptation sans critique du point de vue du SSHD [ministère de l’Intérieur] selon lequel les assurances sans équivoque du MEDP [l’acronyme du partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda] peuvent éliminer tout risque réel de violation de l’article 3 est que les institutions structurelles à l’origine des violations du passé subsistent aujourd’hui au Rwanda.

Underhill LJ critique l’approche adoptée par le gouvernement britannique sur cette question. Il admet que les fonctionnaires ne se sont pas contentés de “suivre le mouvement”, mais il poursuit (paragraphe 268)

peut-être en raison de la pression du calendrier qu’ils devaient respecter, je pense que les fonctionnaires en question ont été trop prompts à accepter des assurances qui n’étaient pas spécifiées ou pas prouvées ou dont les détails n’étaient pas explorés : l’émergence tardive du problème des interprètes en est l’illustration.

Il poursuit en citant l’examen des informations sur les pays utilisé par le gouvernement britannique par le groupe consultatif indépendant sur les informations sur les pays au nom de l’inspecteur en chef indépendant des frontières et de l’immigration.

Il est important de noter que la majorité de la Cour n’a pas jugé que le Royaume-Uni était obligé de statuer sur les demandes d’asile des réfugiés qui arrivent dans sa juridiction ; elle a jugé que le Rwanda n’était pas un pays sûr vers lequel envoyer les réfugiés pour qu’ils fassent l’objet d’une décision sur leurs demandes. Les juges n’excluent pas la possibilité de renvoyer des réfugiés vers un pays véritablement sûr.

Tous les autres moyens du pourvoi sont rejetés

Tous les autres moyens de recours des demandeurs d’asile contre le plan Rwanda ont été rejetés. Voici un résumé des conclusions de la Cour.

Premièrement, en ce qui concerne l’effet de la Convention sur les réfugiés, la Cour d’appel conclut, en accord avec la Haute Cour, que l’article 31 n’empêche pas en principe le Royaume-Uni d’expulser les demandeurs d’asile vers un pays tiers sûr.

Deuxièmement, en ce qui concerne le maintien de la législation de l’UE, la Cour d’appel conclut, en accord avec la Haute Cour, que le droit de l’UE, qui permet uniquement aux demandeurs d’asile d’être renvoyés vers un pays tiers sûr lorsqu’ils ont un certain lien avec celui-ci (aucun des demandeurs d’asile requérants n’a de lien avec le Rwanda), a cessé de faire partie du droit du Royaume-Uni à la suite de la législation primaire qui a suivi le Brexit.

Troisièmement, en accord avec la Haute Cour, la Cour d’appel conclut que l’utilisation de conseils aux personnes chargées de traiter les dossiers pour qu’elles considèrent le Rwanda comme un pays tiers sûr, plutôt qu’une désignation officielle, n’était pas illégale.

Quatrièmement, en accord avec la Haute Cour, la Cour d’appel conclut que les renvois vers le Rwanda ne sont pas eux-mêmes rendus illégaux par des violations de la loi sur la protection des données.

Cinquièmement, en ce qui concerne l’équité de la procédure, si la Cour d’appel estime que le gouvernement doit donner des orientations aux responsables de dossiers en insistant sur la nécessité de faire preuve de souplesse en accordant des prolongations du délai de sept jours lorsque l’équité l’exige, elle conclut que la période de sept jours ne rend pas le processus décisionnel “structurellement inéquitable et injuste”.

L’effet de l’arrêt

Le résultat de l’arrêt de la Cour d’appel est que la décision de la Haute Cour selon laquelle le Rwanda était un pays tiers sûr est renversée et que tant que les lacunes de ses procédures d’asile n’auront pas été corrigées, l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda sera illégale.

Il est très probable que l’affaire sera portée devant la Cour suprême. Il semble tout à fait possible que la Cour d’appel accorde elle-même l’autorisation, compte tenu de la division entre les juges. On ne sait pas combien de temps cela prendra, mais ce sera au moins une question de mois. Dans l’intervalle, compte tenu des conclusions majoritaires de la Cour, il est clair qu’aucun renvoi vers le Rwanda ne sera possible.

Quelle que soit la décision de la Cour suprême, il semble également probable que l’affaire sera portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, étant donné qu’elle soulève d’importantes questions en matière de droits de l’homme.