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09/07/2023

MOUIN RABBANI
L’attaque contre Jénine fait partie d’un programme d’accélération de la colonisation de la Cisjordanie, débouchant sur son annexion

 Mouin Rabbani, Jadaliyya, 4/7/2023
Traduit par
Alain Marshal

Mouin Rabbani est un analyste néerlando-palestinien du Moyen-Orient spécialisé dans le conflit israélo-arabe et les affaires palestiniennes. Basé à Amman, en Jordanie, il a été analyste principal pour l’International Crisis Group, responsable des affaires politiques au bureau de l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, directeur pour la Palestine du Palestine American Research Center, directeur de projet pour l’Association des municipalités néerlandaises, bénévole et rédacteur en chef pour Al Haq. Rabbani est actuellement chercheur principal à l’Institut d’études palestiniennes, co-rédacteur en chef de Jadaliyya et rédacteur en chef adjoint du Middle East Report.  @MouinRabbani

Le dernier assaut d’Israël contre le camp de réfugiés de Jénine, le plus important depuis l’invasion de 2002 qui avait détruit une grande partie du camp, a été conçu pour atteindre un certain nombre d’objectifs militaires et politiques. Considérés ensemble, ils visent à rendre la Cisjordanie sûre pour l’intensification de la colonisation israélienne et, à terme, l’annexion formelle.

Un bulldozer militaire israélien nivelle des routes et détruit le centre du camp de réfugiés de Jenine lors d’un raid sur le camp près de la ville de Jenine en Cisjordanie, le 3 juillet 2023. Photo : Nasser Ishtayeh/Sopa Images via Zuma Press Wire/Apa Images

 Comme les précédentes opérations israéliennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, celle-ci est susceptible de dégrader considérablement l’infrastructure organisationnelle palestinienne et, ce faisant, d’infliger délibérément un coût énorme à sa population civile. Pourtant, le succès au niveau stratégique restera flou et insaisissable : il y a peu de raisons de croire qu’Israël réussira aujourd’hui là où il a échoué non seulement en 2002, mais à plusieurs reprises au cours des années qui ont suivi. En effet, l’attaque effective d’Israël, et la réalité qui se déchaîne contre un adversaire palestinien qui s’est enhardi et sophistiqué, démontrent la nature passagère de ses succès antérieurs.

Dans le même temps, la faiblesse d’un mouvement national palestinien en proie à la fragmentation et à la désintégration l’empêche de traduire les échecs d’Israël en avancées. La doctrine de l’ « unité des arènes », proclamée à maintes reprises, reste jusqu’à présent un slogan plutôt qu’un accord de défense collective et, au début de l’année, elle ne s’est pas concrétisée, même dans la bande de Gaza, lorsqu’Israël a assassiné un certain nombre de cadres supérieurs du Jihad Islamique et que le Hamas s’est abstenu de s’impliquer directement dans le processus. La campagne israélienne visant à transformer les Palestiniens d’un peuple unifié en une simple présence démographique politiquement insignifiante se poursuit donc.

Il est tentant de considérer l’invasion israélienne de Jénine comme un produit de la composition et de l’agenda extrémistes du gouvernement israélien actuel. Pourtant, les plans opérationnels correspondants ont été formulés il y a un an sous ses prédécesseurs Bennett-Lapid, ce qui prouve que la politique israélienne à l’égard des Palestiniens est avant tout caractérisée par la continuité et mise en œuvre par des institutions plutôt que par des caprices individuels.

Le catalyseur de cette opération a été l’évolution du paysage de la résistance palestinienne dans le nord de la Cisjordanie. N’étant plus dominés par les factions ou les initiatives individuelles, de nouveaux groupes tels que la Tanière des Lions à Naplouse, recrutés dans toutes les couches de la société et libérés des calculs politiciens des dirigeants établis, ont commencé à lancer des attaques régulières et croissantes contre l’armée d’occupation et les colons israéliens. Leurs activités leur ont valu non seulement une reconnaissance populaire, mais ont également inspiré l’émergence d’autres groupes militants locaux, tels que les Brigades (ou Bataillon) de Jénine. Au fil du temps, ces formations ont à la fois tissé des liens entre elles et avec des groupes paramilitaires affiliés à des organisations établies. 

Agissant en étroite collaboration avec Israël, l’[In]Autorité palestinienne ([I]AP) a intensément œuvré à éradiquer ces groupes. Mais, complètement émasculées par Israël et jamais déployées pour défendre les Palestiniens contre les raids nocturnes de l’armée israélienne ou les pogroms des colons, les forces de sécurité de l’[I]AP n’avaient ni la légitimité, ni l’assentiment de la population, ni souvent la motivation pour accomplir cette tâche. En 2004-2005, le refus catégorique d’Israël de coordonner son redéploiement à Gaza avec l’[I]AP a réduit cette dernière à l’insignifiance politique et a contribué à jeter les bases de la prise de pouvoir ultérieure du Hamas. En Cisjordanie, sa détermination à réduire l’[I]AP à un sous-traitant de l’occupation, associée à l’incapacité du chef de l’[I]AP, Mahmoud Abbas, à dépasser le rôle de collabo obéissant, a eu un impact similaire sur le sort de ceux qui donnaient la priorité à la défense armée de leur peuple.

Alors que les militants palestiniens menaient des attaques de plus en plus audacieuses en réponse aux empiètements incessants d’Israël sur leurs terres et leurs vies, Israël a mené une série d’incursions de plus en plus violentes dans les centres de population palestiniens pour les éliminer. Les forces d’occupation ne faisaient que rarement des prisonniers et tuaient régulièrement et sans discrimination des civils non combattants, tout en infligeant des destructions considérables.

Plusieurs facteurs ont conduit Israël à mettre en œuvre ses plans pour une démonstration de force massive à Jénine. Non seulement ses efforts intensifs dans la ville et son camp de réfugiés avaient rencontré beaucoup moins de succès qu’à Naplouse, mais les Brigades de Jénine et d’autres montraient des signes de sophistication croissante. Plus récemment, en juin de cette année, elles ont installé des bombes en bordure de route nouvellement conçues contre une unité israélienne qui avait envahi le camp de réfugiés de Jénine et immobilisé sept véhicules blindés israéliens, blessant au moins sept soldats. L’unité est restée bloquée pendant des heures et n’a pu être secourue que lorsque des hélicoptères Apache fournis par les USA ont lancé les premières frappes aériennes sur la Cisjordanie depuis deux décennies. Quelques jours plus tard, quatre Israéliens ont été abattus près de Ramallah par deux hommes armés affiliés au Hamas, en représailles au meurtre de sept Palestiniens et à la blessure d’une centaine d’autres lors du raid sur Jénine.

En Israël, la « dissuasion » a un statut sacré, et son application pratique – maintenir les Arabes à leur place – est une obsession depuis l’arrivée des premiers colons sionistes en Palestine à la fin du XIXe siècle. Sa désintégration visible en temps réel représentait un défi politique de taille pour le Premier ministre Benyamin Netanyahou : l’incapacité à assurer la sécurité du projet colonial israélien ne se traduirait pas seulement par un retournement décisif contre lui d’une population israélienne déjà en colère contre son programme législatif autocratique, mais aussi par l’implosion de sa coalition gouvernementale, sans laquelle sa capacité à échapper à une condamnation pour divers actes de corruption s’évaporerait. 

Le maintien de la dissuasion est également important pour les fascistes installés dans son cabinet, tels que le ministre des finances Bezalel Smotrich et le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. Eux-mêmes des colons fanatiques de Cisjordanie qui réclament sans cesse plus de sang palestinien, ils ont de plus en plus de mal à rejeter la responsabilité de la « détérioration de la situation sécuritaire » sur les Palestiniens ou les autres Israéliens. Compte tenu de leur rôle de premier plan au sein du gouvernement, leur démagogie n’a qu’une portée limitée et est de moins en moins payante.

La politique israélienne à l’égard du peuple palestinien est généralement le fruit d’un consensus institutionnel et d’une planification méticuleuse. Pourtant, à cette occasion, il est tout à fait possible que des considérations partisanes aient joué un rôle et que Netanyahou ait considéré l’assaut contre Jénine en partie comme un apaisement politique pour les partenaires de la coalition opposés à sa récente volonté de reporter certains éléments de son programme autocratique.

Quoi qu’il en soit, l’assaut contre Jénine fait en fin de compte partie intégrante d’un programme politique plus large, qui consiste à rendre la Cisjordanie sûre pour l’accélération rapide de la colonisation israélienne, conduisant finalement à une annexion formelle. Pour ce faire, Israël doit écraser non seulement la résistance des Palestiniens, mais aussi leurs aspirations nationales. Comme l’a formulé Netanyahou fin juin devant la commission des affaires étrangères et de la défense de son parlement, « Nous devons éliminer leurs aspirations à un État ». Ben-Gvir l’a exprimé ainsi : « La terre d’Israël doit être colonisée et.... une opération militaire doit être lancée. Démolissez les bâtiments, éliminez les terroristes. Pas un ou deux, mais des dizaines et des centaines, et même des milliers si nécessaire ». Dans le langage israélien, en particulier dans des cercles comme celui de Ben-Gvir, « terroriste » est un raccourci pour désigner le Palestinien, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un enfant, d’un civil ou d’un combattant.

La dernière invasion de Jénine a suivi un schéma prévisible. Des destructions énormes et délibérées, des tirs aveugles, l’utilisation de civils non-combattants comme boucliers humains, l’obstruction délibérée aux soins médicaux pour les blessés, le bombardement intensif d’un hôpital avec des gaz lacrymogènes et le déplacement forcé d’au moins 3 000 habitants. Cette opération a été menée par un millier de soldats d’élite, soutenus par quelque 150 chars et véhicules blindés et par une force aérienne.

Reste à savoir s’il s’agit d’un coup de massue qui sera suivi d’une série de raids moins importants, ou de la première étape d’une offensive plus vaste qui s’étendra à d’autres régions de Cisjordanie et potentiellement à la bande de Gaza. Quoi qu’il arrive, Israël proclamera sa victoire et affirmera qu’il a exécuté l’opération exactement comme prévu et sans le moindre accroc.

Ce que l’on peut d’ores et déjà confirmer, c’est qu’une fois de plus, il existe une forte divergence entre la communauté internationale et l’Occident. En tête de ce dernier, les USA, qui se sont empressés de proclamer qu’ils considéraient l’invasion par Israël d’un camp de réfugiés étrangers comme un acte de légitime défense qu’ils soutenaient pleinement, et de dénoncer comme « terroristes » ceux qui défendaient leur camp en ripostant à des tirs de soldats armés en uniforme. À Londres, le gouvernement et l’opposition ont réagi de manière unifiée aux derniers crimes d’Israël en adoptant une loi parlementaire qui rend illégal le boycott d’Israël ou de ses colonies illégales par les autorités locales. À Bruxelles, l’Union européenne est probablement en train de débattre des dernières touches d’une déclaration exprimant sa profonde inquiétude avant de commander une nouvelle enquête sur les manuels scolaires palestiniens [pour s’assurer qu’ils ne véhiculent pas d’idées de « haine » contre les Juifs – NdT].

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, n’est pas moins lâche. Avec le style d’un petit fonctionnaire du département d’État, il a une fois de plus ondulé à travers une série de platitudes pour éviter de condamner Israël pour des actions qu’il dénonce instantanément si elles sont commises ailleurs. Il convient de rappeler qu’à son poste précédent, M. Guterres a exercé deux mandats successifs en tant que Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et qu’il ne cesse de faire référence à cette décennie de sa carrière, au point que c’en est barbant. Pourtant, face au bombardement aérien d’un camp de réfugiés densément peuplé et au déplacement forcé de milliers de ses habitants, il n’a apparemment rien vu qui mérite d’être dénoncé.

 Osama Hajjaj

03/03/2023

AMIRA HASS
À Huwara, l’[In]Autorité palestinienne a brillé par son absence

Amira Hass, Haaretz , 2/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si les forces de sécurité de l’[In]Autorité palestinienne, bien entraînées, n’ont pas trouvé le moyen de protéger leurs compatriotes contre les attaques des colons, elles sont toujours là pour les réprimer.

Des soldats israéliens se tiennent devant un bâtiment incendié lors d’une attaque de colons à Huwara, en Cisjordanie, lundi dernier.

 Les cinq heures pendant lesquelles des centaines de Juifs se sont déchaînés dans Huwara, attaquant des personnes et des biens et allumant des incendies, ont résumé des décennies d’encouragement à la violence des colons et le mépris et l’indulgence calculés de la part de l’armée, de la police, des procureurs, des tribunaux et des gouvernements successifs israéliens. Mais ces cinq heures ont également prouvé une fois de plus à quel point l’[In]Autorité palestinienne se conforme à la division artificielle de la Cisjordanie en zones A, B et C, établie par les accords d’Oslo - une division qui était censée être temporaire et expirer en 1999.

C’est une raison de plus pour laquelle le public palestinien méprise et déteste les dirigeants de l’[In]Autorité palestinienne. Alors que ses forces de sécurité, qui ont été formées dans des pays arabes et occidentaux, n’ont pas trouvé le moyen de protéger leurs compatriotes contre les attaques des colons, elles sont toujours là pour les réprimer.

L’Initiative 14 millions, qui tente de revitaliser l’Organisation de libération de la Palestine et d’appeler à des élections pour un conseil national et une assemblée législative entièrement palestiniens, avait prévu une conférence de presse en direct du studio de Watan TV mercredi. Traitant le mot « élection » comme une menace nucléaire, les forces de sécurité de l’[I]AP ont assiégé le bâtiment abritant le studio et ont pénétré dans les bureaux afin de faire échouer la conférence de presse. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait ; les forces de sécurité ont perturbé une autre tentative de l’initiative en novembre.

La semaine dernière, les forces de sécurité palestiniennes ont installé des barrages routiers à la sortie de plusieurs villes de Cisjordanie, afin d’empêcher les enseignants des écoles publiques, en grève depuis le 5 février, de se rendre à un rassemblement central à Ramallah. L’[I]AP et le syndicat des enseignants des écoles publiques avaient signé des accords sur une modeste augmentation de salaire de 15 % et sur la tenue d’une élection libre et démocratique du syndicat en mai 2022. Cet accord faisait suite à une initiative menée par plusieurs associations éducatives à but non lucratif, des groupes de parents et la Commission indépendante des droits de l’homme (un organisme quasi-gouvernemental).

Une élection n’a jamais eu lieu, comme prévu. Début février, les enseignants ont appris qu’en dépit de l’accord, les salaires de janvier n’incluaient pas l’augmentation sur laquelle ils s’étaient mis d’accord ; ils sont même restés à 80 % des niveaux de salaire normaux, comme auparavant. Cela a conduit à la grève, qui en est maintenant à sa quatrième semaine, à laquelle 50 000 enseignants se sont joints et qui a retenu un million d’élèves à la maison. Les leaders de la grève gardent un profil bas par peur d’être arrêtés, comme cela s’est produit lors de précédentes manifestations d’enseignants.

Un Palestinien tire en l’air pendant les funérailles de Montaser Shawwa, 16 ans, dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, en Cisjordanie, le mois dernier.

Même si leurs enfants sont à la maison, les associations de parents soutiennent les revendications des enseignants. La crise financière est réelle : Israël continue de retenir chaque année des centaines de millions de shekels appartenant à l’[I]AP, soit l’équivalent des allocations que l’[I]AP verse aux familles des prisonniers détenus par Israël, mais le public ne croit pas qu’il n’y a pas d’argent pour payer des salaires décents aux enseignants.

Le message de l’[I]AP est donc clair : elle continue à respecter ses accords avec Israël (y compris la coordination de la sécurité) mais pas son accord avec les enseignants, l’un des secteurs les plus importants qui garantissent le bien-être commun.

Huwara  (et la route encombrée qui la traverse) a été classée il y a plus de 25 ans en zone B, dans laquelle il est interdit aux policiers palestiniens d’opérer et de séjourner lorsqu’ils sont armés ou en uniforme. Cependant, les FDI et la police aux frontières, lourdement armées, sont présentes en permanence - près des garages et des magasins de proximité, des stations-service et des stands de falafels. Tout le monde sait qui ils sont censés protéger. Les colonies de la région sont réputées pour leur violence : Yitzhar et ses avant-postes, qui poussent fébrilement comme des champignons après la pluie ; Itamar et ses propres avant-postes en expansion ; l’avant-poste de Givat Ronen, près de la colonie de Har Bracha.

Les villages palestiniens de Burin, Madama, Einabus, Urif, Aqraba, Beita, Yanun et d’autres vivent sous la menace de la terreur que font peser ces intrus depuis plusieurs décennies. Les arbres abattus, les récoltes d’olives volées, les incendies criminels, les tirs sur les agriculteurs, les Palestiniens agressés chez eux, les sources d’eau du village captées - ce ne sont pas des actes de « vengeance » commis après une attaque contre des Juifs. Il s’agit d’un plan concerté pour s’approprier davantage de terres palestiniennes par la violence et l’intimidation. Tout, à l’époque comme aujourd’hui, a été et est fait sous les auspices du monopole exercé par les FDI sur la sécurité.

De toute évidence, aucune agence de sécurité palestinienne n’a tenté de remettre en cause cette situation afin de protéger les habitants de leurs assaillants récidivistes. Au lieu de remercier l’[In]Autorité palestinienne pour son obéissance et sa loyauté, le gouvernement Netanyahou-Smotrich-Ben-Gvir la rend responsable de chaque décès israélien dans une zone sous contrôle israélien total, à savoir l’ensemble de la Cisjordanie et Israël proprement dit. Dans le même temps, Israël exige que l’[In]Autorité palestinienne discipline les jeunes Palestiniens désespérés et maladroits qui se sont armés en Cisjordanie. Il n’est pas étonnant que le public palestinien aime et admire ces jeunes hommes armés, même s’ils ne sont pas capables, formés ou préparés à le protéger physiquement contre les attaques des colons ou à déjouer le vol de leurs terres.

La nuit où les Juifs ont saccagé Huwara, nombre de ses habitants qui se trouvaient à l’extérieur de la ville n’ont pas pu rentrer chez eux. Grâce aux médias sociaux, les habitants de Naplouse leur ont offert l’hospitalité. Ils ont été rejoints par l’appareil de sécurité nationale palestinien, qui leur a ouvert son quartier général. Les réponses ont été acerbes, a raconté un habitant de Naplouse à Haaretz. « Vous êtes quoi, une organisation caritative ? », ont demandé des gens furieux, sur un ton sarcastique.

L’expérience nous enseigne que les soldats des FDI et les policiers aux frontières auraient tiré et même tué tout Palestinien qui aurait tenté de dissuader les agresseurs et de défendre sa famille, ses voisins ou ses biens, avec une arme à feu, un gourdin ou un couteau. Ou bien il aurait été arrêté et reconnu coupable par un tribunal militaire avant d’être condamné à de nombreuses années de prison pour avoir possédé une arme illégale, tiré et mis en danger la vie des Juifs.

Même si des policiers de l’[In]Autorité palestinienne avaient pu arriver rapidement à Huwara  pour protéger leurs compatriotes des assaillants juifs, l’armée les aurait bloqués, voire tués ou emprisonnés, les juges militaires les condamnant à de longues peines de prison sans tenir compte des explications de leurs avocats. Toute tentative locale de se défendre par les armes se serait soldée par un bain de sang, principalement du côté palestinien, et par une escalade incontrôlable. On comprend donc pourquoi une telle intervention est pour l’instant improbable.

Mais au-delà des déclarations, des condamnations et des demandes de protection internationale par les Nations unies, depuis des années, les hauts responsables palestiniens se sont abstenus de se soulever, de dénoncer un accord ou de fixer des conditions claires et bien définies pour la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël, en réponse à la violence des colons.

Au lieu d’envoyer ses forces de sécurité pour déjouer les conférences de presse et les manifestations qui appellent à la démocratisation, et au lieu d’espionner son propre peuple, l’[In]AP aurait pu poster en permanence ces forces - non armées et en civil, mais formées au contrôle des émeutes - dans les villages fréquemment attaqués par les colons. Elle aurait pu informer Israël qu’elle agit ainsi parce que l’armée et la police israéliennes ne remplissent pas leurs fonctions, comme l’exigent le droit international et même les accords d’Oslo. Elle aurait pu envoyer ses plus hauts commandants en tournée régulière dans ces villages, pour participer au labourage et à la cueillette des olives, garder les moutons avec les villageois tout en expliquant aux officiers israéliens qu’ils n’étaient pas disponibles pour les réunions de coordination avec les FDI, le Shin Bet et l’administration “civile”, puisqu’ils étaient occupés à protéger leur peuple.

La conclusion évidente est que les agences de sécurité palestiniennes et leur commandant suprême Mahmoud Abbas tiennent pour sacrées non seulement la coordination de la sécurité avec Israël, mais aussi les frontières des bantoustans créés par les divisions temporaires-permanentes en zones A, B et C. C’est ainsi que les intérêts personnels et économiques étroits du groupe dirigeant, si déconnecté de son peuple, peuvent être préservés.

 

18/11/2022

AMIRA HASS
Mahmoud Abbas s'oppose à la réhabilitation de l'OLP et fait ainsi le jeu d'Israël

Amira Hass, Haaretz, 10/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Mahmoud Abbas a créé un nouveau conseil pour renforcer son emprise sur le système judiciaire, et poursuit sa règne successoral oppressif tout en restant fidèle aux accords d'Oslo

Deux mesures distinctes et apparemment sans rapport prises récemment par l'[In]Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, sont révélatrices de la nature de plus en plus autoritaire et autocratique du régime dans les enclaves palestiniennes de Cisjordanie. L'une des mesures concerne le système judiciaire palestinien et l'autre l'Organisation de libération de la Palestine, et toutes deux montrent à quel point l'[I)AP reste fidèle au rôle qui lui a été essentiellement assigné par les accords d'Oslo : maintenir un statu quo fluide et dynamique au détriment des Palestiniens tout en servant les intérêts sécuritaires israéliens. 

La première mesure a été le décret présidentiel signé par Abbas et publié le vendredi 28 octobre, annonçant la création d'un « Conseil suprême des organes et agences judiciaires ». Ce conseil, dont l'objectif déclaré est de discuter des projets de loi relatifs au système judiciaire, de résoudre les problèmes administratifs connexes et de superviser le système judiciaire, sera dirigé par nul autre que le président de l'[I]AP, M. Abbas, qui est également président de l'OLP et du Fatah.

Les autres membres sont les présidents et les chefs de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême, de la Cour de cassation, de la haute cour pour les questions administratives, des tribunaux des forces de sécurité et du tribunal de la charia. Le ministre de la Justice, le procureur général et le conseiller juridique du président feront également partie du conseil. Il est prévu qu'il se réunisse une fois par mois.

Des juristes palestiniens et des organisations de défense des droits humains ont annoncé leur opposition véhémente à ce nouveau conseil suprême, affirmant qu'il contredit le principe de séparation des pouvoirs - législatif, judiciaire et exécutif - et viole plusieurs sections de la loi fondamentale palestinienne ainsi que les conventions internationales dont l'[I]AP est signataire. Dans des interviews accordées aux médias, ces experts et organisations affirment qu'il s'agit de la dernière d'une série de décisions qui ont déplacé l'autorité législative vers le pouvoir exécutif et son chef, tout en portant atteinte à l'indépendance du système judiciaire et en le subordonnant à Abbas et à ses acolytes.

Peu après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, Abbas et le Fatah ont empêché le Conseil législatif palestinien de se réunir régulièrement et de faire son travail. Dans un premier temps, ils ont imputé cette situation aux arrestations par Israël de nombreux membres élus du Hamas, ainsi qu'à l'absence du quorum nécessaire à l'adoption de lois. Après la brève guerre civile qui a éclaté à Gaza en juin 2007 entre le Hamas et le Fatah, et avec la division de l'autonomie palestinienne entre les deux régions et les deux organisations, le parlement palestinien a officiellement cessé de fonctionner.

Néanmoins, les représentants du Hamas à Gaza ont continué et continuent à se réunir en tant que conseil législatif et à adopter des lois qui ne s'appliquent qu'à Gaza.

En Cisjordanie, en revanche, la “législation” se fait par le biais de décrets présidentiels. Au cours des 15 dernières années, Abbas a signé environ 350 décrets présidentiels - bien plus que les 80 textes de loi qui ont été débattus et adoptés par le premier conseil législatif au cours de sa décennie d'existence, de 1996 à 2006.

Abbas s'appuie sur une interprétation très large de l'article 43 de la loi fondamentale palestinienne modifiée de 2003, qui donne à un décret présidentiel le pouvoir de loi uniquement « en cas de nécessité qui ne peut être différée et lorsque le Conseil législatif n'est pas en session ».

Jusqu'en 2018, certains parlementaires de Cisjordanie ont continué à se réunir officieusement et ont tenté de participer aux discussions sur les “projets de loi” débattus par le gouvernement, et de représenter le public auprès des autorités. Mais cette année-là, sur instruction d'Abbas, la Cour constitutionnelle a jugé que le Conseil législatif devait être dissous, alors que la Loi fondamentale stipule que son mandat ne prend fin que lorsqu'une nouvelle élection est organisée. Selon la Loi fondamentale, en cas de décès du président de l'[I]AP, il doit être remplacé par le président du parlement. Ce poste était occupé par le représentant du Hamas, Aziz Dweik, d'Hébron. L'opinion générale était qu'en dissolvant le parlement, Abbas et ses alliés cherchaient à contrecarrer de manière préventive un tel scénario. Bien que la Cour constitutionnelle ait ordonné à l'époque la tenue d'une nouvelle élection dans les six mois, Abbas et les siens ont réussi à la repousser encore et encore.