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29/06/2025

KENNETH WALTZ
Pourquoi l’Iran devrait obtenir la bombe
L’équilibre nucléaire serait synonyme de stabilité


Kenneth N. Waltz, Foreign Affairsjuillet/août 2012

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Cet article, paru en juillet 2012 alors que le troisième round de négociations venait de sachever à Moscou entre l’Iran et le groupe dit P5+1 (USA, Russie, Chine, Allemagne, France, Royaume-Uni) avait, lors de sa publication par la prestigieuse revue Foreign Affairs, suscité bien des controverses. Or, à le lire aujourd’hui, on ne peut que constater qu’il relève d'un certain bon sens dystopique mais somme toute réaliste. Son auteur, mort en 2013 à 89 ans, était un théoricien des relations internationales, fondateur du courant dit néoréaliste dans les sciences politiques aux USA. Un article qui n’a rien perdu de son actualité.-FG

 

Carlos Latuff, 2012

Ces derniers mois ont été marqués par un débat houleux sur la meilleure façon pour les USA et Israël de répondre aux activités nucléaires de l’Iran. Alors que le débat faisait rage, les USA ont renforcé leur régime de sanctions, déjà musclé, à l’encontre de la République islamique, et l’Union européenne a annoncé en janvier qu’elle commencerait à imposer un embargo sur le pétrole iranien à partir du 1er juillet. Bien que les USA, l’Union européenne et l’Iran soient récemment revenus à la table des négociations, un sentiment palpable de crise plane toujours.


Bibi après les bombardements sur l’Iran : “ ça pourrait signifier la fin du régime
Ben-Gvir : “Il parle bien de l’Iran, hein ?
Smotrich :“Oui, oui
Dessin de David Rowe, The Australian Financial Review, 17/6/2025

Cela ne devrait pas être le cas. La plupart des commentateurs et des décideurs usaméricains, européens et israéliens avertissent qu’un Iran doté de l’arme nucléaire serait la pire issue possible de l’impasse actuelle. En fait, il s’agirait probablement de la meilleure issue possible : celle qui est la plus susceptible de restaurer la stabilité au Moyen-Orient.

LA PUISSANCE NE DEMANDE QU’À ÊTRE ÉQUILIBRÉE

La crise liée au programme nucléaire iranien pourrait prendre fin de trois manières différentes. Tout d’abord, la diplomatie associée à des sanctions sévères pourrait convaincre l’Iran d’abandonner sa quête de l’arme nucléaire. Mais ce résultat est peu probable : l’histoire montre qu’il est rarement possible de dissuader un pays de se doter d’armes nucléaires. Punir un État par des sanctions économiques ne fait pas inexorablement dérailler son programme nucléaire. Prenons l’exemple de la Corée du Nord, qui a réussi à fabriquer ses armes en dépit d’innombrables séries de sanctions et de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Si Téhéran décide que sa sécurité dépend de la possession d’armes nucléaires, il est peu probable que les sanctions le fassent changer d’avis. En fait, l’ajout de sanctions supplémentaires aujourd’hui pourrait faire en sorte que l’Iran se sente encore plus vulnérable, ce qui lui donnerait encore plus de raisons de rechercher la protection de la force de dissuasion ultime.

La deuxième possibilité est que l’Iran ne teste pas d’arme nucléaire mais développe une capacité de rupture [breakout capability, capacité de sortir de l’état de désarmement nucléaire], c’est-à-dire la capacité de construire et de tester une arme nucléaire assez rapidement. L’Iran ne serait pas le premier pays à se doter d’un programme nucléaire sophistiqué sans construire de véritable bombe. Le Japon, par exemple, dispose d’une vaste infrastructure nucléaire civile. Les experts estiment qu’il pourrait produire une arme nucléaire à brève échéance.

Une telle capacité pourrait satisfaire les besoins politiques internes des dirigeants iraniens en assurant aux partisans de la ligne dure qu’ils peuvent bénéficier de tous les avantages de la bombe (comme une plus grande sécurité) sans les inconvénients (comme l’isolement et la condamnation de la communauté internationale). Le problème est qu’une capacité de rupture pourrait ne pas fonctionner comme prévu.

Les USA et leurs alliés européens sont principalement préoccupés par la militarisation, et pourraient donc accepter un scénario dans lequel l’Iran ne parviendrait pas à se doter d’une arme nucléaire. Israël, en revanche, a clairement indiqué qu’il considérait une capacité d’enrichissement iranienne significative comme une menace inacceptable. Il est donc possible qu’un engagement vérifiable de l’Iran à ne pas se doter d’une arme puisse apaiser les grandes puissances occidentales mais laisser les Israéliens insatisfaits. Israël serait moins intimidé par une arme nucléaire virtuelle que par une arme réelle et poursuivrait donc probablement ses efforts risqués de subversion du programme nucléaire iranien par le sabotage et l’assassinat, ce qui pourrait amener l’Iran à conclure qu’une capacité de rupture est finalement un moyen de dissuasion insuffisant et que seul l’armement peut lui apporter la sécurité qu’il recherche.

La troisième issue possible de l’impasse est que l’Iran continue sur sa lancée et devienne publiquement nucléaire en testant une arme. Les responsables usaméricains et israéliens ont déclaré que cette issue était inacceptable, arguant du fait qu’un Iran nucléaire constituait une perspective particulièrement terrifiante, voire une menace existentielle. Ce langage est typique des grandes puissances, qui se sont historiquement énervées chaque fois qu’un autre pays a commencé à développer sa propre arme nucléaire. Pourtant, jusqu’à présent, chaque fois qu’un autre pays a réussi à se frayer un chemin dans le club nucléaire, les autres membres ont toujours changé d’avis et décidé de s’en accommoder. En fait, en réduisant les déséquilibres en matière de puissance militaire, les nouveaux États nucléaires renforcent généralement la stabilité régionale et internationale, au lieu de la réduire.


Équilibre fragile, par Thiago Lucas, Brésil

Le monopole nucléaire régional d’Israël, qui s’est avéré remarquablement durable au cours des quatre dernières décennies, a longtemps alimenté l’instabilité au Moyen-Orient. Il n’existe dans aucune autre région du monde un État nucléaire isolé et incontrôlé. C’est l’arsenal nucléaire d’Israël, et non le désir de l’Iran d’en avoir un, qui a le plus contribué à la crise actuelle. Après tout, la puissance ne demande qu’à être équilibrée. Ce qui est surprenant dans le cas israélien, c’est qu’il ait fallu tant de temps pour qu’un équilibreur potentiel émerge.

Bien entendu, il est facile de comprendre pourquoi Israël veut rester la seule puissance nucléaire de la région et pourquoi il est prêt à recourir à la force pour garantir ce statut. En 1981, Israël a bombardé l’Irak pour éviter que son monopole nucléaire ne soit remis en cause. Il a fait de même avec la Syrie en 2007 et envisage maintenant une action similaire contre l’Iran. Mais les actes qui ont permis à Israël de conserver son avantage nucléaire à court terme ont prolongé un déséquilibre insoutenable à long terme. La capacité avérée d’Israël à frapper impunément ses rivaux nucléaires potentiels a inévitablement incité ses ennemis à développer les moyens d’empêcher Israël de recommencer. Ainsi, les tensions actuelles ne doivent pas être considérées comme les premières étapes d’une crise nucléaire iranienne relativement récente, mais plutôt comme les dernières étapes d’une crise nucléaire qui dure depuis des décennies au Moyen-Orient et qui ne prendra fin que lorsque l’équilibre des forces militaires sera rétabli.

DES CRAINTES INFONDÉES

L’une des raisons pour lesquelles le danger d’un Iran nucléaire a été largement exagéré est que le débat qui l’entoure a été faussé par des inquiétudes mal placées et des malentendus fondamentaux sur la manière dont les États se comportent généralement dans le système international. La première préoccupation majeure, qui sous-tend de nombreuses autres, est que le régime iranien est intrinsèquement irrationnel. Malgré l’idée largement répandue du contraire, la politique iranienne n’est pas le fait de “mollahs fous”, mais d’ayatollahs parfaitement sains d’esprit qui veulent survivre, comme n’importe quel autre dirigeant. Bien que les dirigeants iraniens se laissent aller à une rhétorique incendiaire et haineuse, ils ne montrent aucune propension à l’autodestruction. Les décideurs politiques des USA et d’Israël commettraient une grave erreur s’ils pensaient le contraire.

Pourtant, c’est précisément ce que de nombreux responsables et analystes usaméricains et israéliens ont fait. Présenter l’Iran comme un pays irrationnel leur a permis d’affirmer que la logique de la dissuasion nucléaire ne s’appliquait pas à la République islamique. Si l’Iran se dote d’une arme nucléaire, préviennent-ils, il n’hésitera pas à l’utiliser dans une première frappe contre Israël, même si, ce faisant, il s’expose à des représailles massives et risque de détruire tout ce qui est cher au régime iranien.

Bien qu’il soit impossible d’être certain des intentions iraniennes, il est beaucoup plus probable que si l’Iran souhaite se doter d’armes nucléaires, c’est pour assurer sa propre sécurité et non pour améliorer ses capacités offensives (ou s’autodétruire). L’Iran peut se montrer intransigeant à la table des négociations et défiant face aux sanctions, mais il agit toujours pour assurer sa propre préservation. Les dirigeants iraniens n’ont par exemple pas tenté de fermer le détroit d’Ormuz, bien qu’ils aient lancé des avertissements fanfarons à ce sujet après l’annonce par l’UE de son projet d’embargo pétrolier en janvier. Le régime iranien a clairement conclu qu’il ne voulait pas provoquer ce qui aurait certainement été une réponse usaméricaine rapide et dévastatrice à une telle action.

Néanmoins, même certains observateurs et décideurs politiques qui admettent que le régime iranien est rationnel craignent qu’une arme nucléaire ne l’enhardisse, en fournissant à Téhéran un bouclier qui lui permettrait d’agir de manière plus agressive et d’accroître son soutien au terrorisme. Certains analystes craignent même que l’Iran ne fournisse directement des armes nucléaires aux terroristes. Le problème de ces inquiétudes est qu’elles contredisent les antécédents de tous les autres États dotés d’armes nucléaires depuis 1945. L’histoire montre que lorsque des pays acquièrent la bombe, ils se sentent de plus en plus vulnérables et prennent conscience que leurs armes nucléaires font d’eux une cible potentielle aux yeux des grandes puissances. Cette prise de conscience décourage les États nucléaires d’agir de manière audacieuse et agressive. La Chine maoïste, par exemple, est devenue beaucoup moins belliqueuse après avoir acquis des armes nucléaires en 1964, et l’Inde et le Pakistan sont tous deux devenus plus prudents depuis qu’ils se sont dotés de l’arme nucléaire. Il y a peu de raisons de croire que l’Iran sortira de ce moule.

En ce qui concerne le risque de transfert à des terroristes, aucun pays ne pourrait transférer des armes nucléaires sans courir un risque élevé d’être découvert. Les capacités de surveillance des USA constitueraient un obstacle sérieux, tout comme leur capacité impressionnante et croissante à identifier la source des matières fissiles. En outre, les pays ne peuvent jamais contrôler entièrement ni même prévoir le comportement des groupes terroristes qu’ils soutiennent. Une fois qu’un pays comme l’Iran aura acquis une capacité nucléaire, il aura toutes les raisons de maintenir un contrôle total sur son arsenal. Après tout, la fabrication d’une bombe est coûteuse et dangereuse. Il serait insensé de transférer le produit de cet investissement à des parties qui ne sont pas dignes de confiance ou qui ne peuvent pas être gérées.

Une autre crainte souvent évoquée est que si l’Iran obtient la bombe, d’autres États de la région lui emboîteront le pas, ce qui entraînera une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient. Mais l’ère nucléaire a maintenant près de 70 ans et, jusqu’à présent, les craintes de prolifération se sont révélées infondées. Au sens propre, le terme “prolifération” signifie une propagation rapide et incontrôlée. Rien de tel ne s’est produit ; en fait, depuis 1970, l’émergence d’États nucléaires s’est nettement ralentie. Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que cette tendance change maintenant. Si l’Iran devenait la deuxième puissance nucléaire du Moyen-Orient depuis 1945, ce ne serait pas le début d’un glissement de terrain. Lorsqu’Israël a acquis la bombe dans les années 1960, il était en guerre avec nombre de ses voisins. Ses armes nucléaires représentaient une menace bien plus grande pour le monde arabe que le programme iranien ne l’est aujourd’hui. Si un Israël atomique n’a pas déclenché de course aux armements à l’époque, il n’y a aucune raison pour qu’un Iran nucléaire le fasse aujourd’hui.

LE REPOS ASSURÉ

En 1991, l’Inde et le Pakistan, rivaux historiques, ont signé un traité par lequel ils s’engageaient à ne pas prendre pour cible leurs installations nucléaires respectives. Ils ont compris que l’instabilité engendrée par les défis lancés à la dissuasion nucléaire de leur adversaire était bien plus inquiétante que cette dernière. Depuis lors, même face à de fortes tensions et à des provocations risquées, les deux pays ont maintenu la paix. Israël et l’Iran feraient bien de tenir compte de ce précédent. Si l’Iran se dote de l’arme nucléaire, Israël et l’Iran se dissuaderont mutuellement, comme l’ont toujours fait les puissances nucléaires. Il n’y a jamais eu de guerre totale entre deux États dotés de l’arme nucléaire. Une fois que l’Iran aura franchi le seuil nucléaire, la dissuasion s’appliquera, même si l’arsenal iranien est relativement petit. Aucun autre pays de la région ne sera incité à acquérir sa propre capacité nucléaire, et la crise actuelle se dissipera enfin, conduisant à un Moyen-Orient plus stable qu’il ne l’est aujourd’hui.

C’est pourquoi les USA et leurs alliés ne doivent pas se donner tant de mal pour empêcher les Iraniens de développer une arme nucléaire. La diplomatie entre l’Iran et les grandes puissances doit se poursuivre, car des lignes de communication ouvertes permettront aux pays occidentaux de mieux s’accommoder d’un Iran nucléaire. Mais les sanctions actuelles contre l’Iran peuvent être abandonnées : elles nuisent principalement aux Iraniens ordinaires et ne servent pas à grand-chose.

Plus important encore, les décideurs politiques et les citoyens du monde arabe, de l’Europe, d’Israël et des USA devraient être rassurés par le fait que l’histoire a montré que l’émergence de capacités nucléaires s’accompagne d’une stabilité accrue. En matière d’armes nucléaires, aujourd’hui comme hier, le plus peut être le mieux.


“Zero Nukes”, la pièce centrale de l'exposition Amnesia Atómica NYC, de l'artiste Pedro Reyes, New York 2022, Mexico 2024