Note du traducteur
Il y a quelques années, une blague circulait dans les bars de Tel-Aviv : « Un juif israélien optimiste apprend l'arabe, un juif israélien pessimiste apprend l'anglais, un juif israélien réaliste apprend à nager ». Il semble que ce que les Palestiniens ou les Arabes n'ont pas réussi à faire (s'ils en ont jamais eu l'intention), Netanyahou et ses acolytes du gouvernement sont en train de le provoquer : une vague de sauve-qui-peut a éclaté parmi les Juifs israéliens. En effet, des centaines et des milliers d'Israéliens de toutes conditions socio-économiques et de tous âges se précipitent pour trouver une alternative à la vie dans l'État juif. C'est ainsi qu'une nouvelle activité, que l'on pourrait appeler relocation industry (industrie du transfèrement), a vu le jour. L'article d'Hilo Glazer parle du projet Baita, lancé dans la Valsesia, en province de Vercelli, Valsesia, et d'autres projets, y compris des plans ambitieux pour créer des « villes israéliennes » en Europe, de Chypre et de Grèce au Portugal, et ailleurs. L’un d’eux parle même de créer une “communauté de peuplement » (settlement comunity), qui ne manque pas d’évoquer les colonies (appelées pudiquement « settlements ») en Cisjordanie. On peut légitimement se demander si ces projets peuvent constituer un dépassement définitif du sionisme et du tribalisme ou s’ils ne feront que créer des “petits Israël” répandus en confettis à travers le monde. -FG
Hilo Glazer, Haaretz, 2/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
À la suite du coup d’État judiciaire, les discussions israéliennes sur l’installation à l’étranger ne se limitent plus aux groupes de médias sociaux. Dans une vallée verdoyante du nord-ouest de l’Italie, les idées d’émigration collective se concrétisent sur le terrain - et des initiatives similaires prennent forme ailleurs également
« Alors que le nombre d’heures de lumière dans la démocratie de leur pays ne cesse de diminuer, de plus en plus d’Israéliens arrivent dans la vallée montagneuse à la recherche d’un nouveau départ. Parmi eux, il y a des jeunes avec des tout petits en porte-bébé, d’autres avec des enfants en âge d’aller à l’école, et il y a les personnes grisonnantes ou dégarnies comme moi. Un enseignant, un entrepreneur technologique, un psychologue, un toiletteur pour chiens, un entraîneur de basket-ball. Certains disent qu’ils ne font qu’explorer, ayant encore honte d’admettre qu’ils envisagent sérieusement l’option. D’autres semblent déterminés et motivés - ils cherchent à savoir comment obtenir un permis de séjour, combien coûte une maison, comment ouvrir un compte en banque et transférer leurs fonds de prévoyance tant que c’est encore possible. Sous tout cela se cache une couche de douleur, la douleur de bons Israéliens qui ont cru qu’après 2 000 ans, ils pouvaient se reposer sur leurs lauriers, mais qui reprennent à présent le bâton du Juif errant ».
L’auteur de ces lignes est Lavi Segal, et la zone montagneuse qu’il décrit se trouve dans la vallée de la Sesia (Valsesia), dans la région du Piémont, province de Vercelli, au nord-ouest de l’Italie, au pied des Alpes. Segal, propriétaire d’une entreprise de tourisme en Galilée, partage ses expériences avec les membres d’un groupe Facebook appelé Baita, qui offre des informations aux Israéliens cherchant à immigrer et à créer leur propre communauté dans la Valsesia, dont de nombreux habitants ont quitté la région au cours des dernières décennies. Le nom du groupe est un amalgame de Bait (qui signifie "maison" en hébreu) et d’Ita (Italie). En italien, Baita signifie “chalet de montagne”. Et il ne s’agit pas de n’importe quelle montagne : la Valsesia est connue comme “la vallée la plus verte d’Italie”. Selon Segal, il s’agit d’un cas de publicité véridique.
« Avec tout le respect que je dois à ceux qui parlent de la “belle terre d’Israël” », dit-il dans un entretien téléphonique avec Haaretz, Israël est peut-être beau comparé à la Syrie ou à l’Arabie saoudite [sic], mais l’Europe et les Alpes sont un monde différent. Les paysages sont à couper le souffle, le climat est merveilleux et tous les problèmes bien connus d’Israël - guerres, saleté, surpopulation, coût de la vie - n’existent tout simplement pas ici ».
Segal vit en Valsesia avec sa femme, Nirit, depuis deux mois ; tous deux sont âgés d’une soixantaine d’années. « Nous sommes en train de nous familiariser avec la région et de l’explorer », explique-t-il. « Nous avons loué une maison ici et, de temps en temps, nous discutons avec des agents immobiliers de la possibilité d’en acheter une. Pour l’instant, nous ne parlons pas de déracinement permanent, même si cela pourrait se produire si la vie en Israël devenait intolérable. Pour l’instant, nous cherchons un endroit où nous pourrons partager notre temps entre Israël et l’étranger. Israël nous est très cher : Lorsque nous sommes là-bas, nous participons activement aux manifestations » contre le projet de réforme judiciaire du gouvernement.
Nirit, qui organise des retraites artistiques, est partagée : « C’est un endroit de rêve pour la création artistique, mais je suis très attachée à Israël et, comme beaucoup de gens dans mon entourage, je le ressens particulièrement aujourd’hui. J’appréhende les implications de la vague de migration pour le mouvement de protestation ».
Pour l’instant, elle a décidé de ne pas prendre de décision, admet-elle. « Je veux tenir le bâton par les deux bouts. Participer à la protestation, mais aussi rester ici pendant de longues périodes. Passer de l’un à l’autre. Nous avons été accueillis chaleureusement ici. Malgré les difficultés linguistiques, nous avons développé des liens agréables et naturels avec les gens. C’est bizarre, mais je commence à m’attacher ».
Lavi attribue moins d’importance aux bouleversements politiques dans son pays d’origine lorsqu’il s’agit de prendre la décision d’étudier d’autres options. « Je n’ai pas eu besoin d’être témoin des événements actuels pour comprendre qu’Israël s’engage dans une voie qui n’est pas la bonne », déclare-t-il.
Le chemin des Segal, qui ont trois enfants adultes, pour s’installer dans la vallée est pavé, principalement grâce au passeport lituanien de Lavi. « Grâce à lui, nous pouvons rester indéfiniment dans les frontières de l’Union européenne, et les enfants peuvent étudier et travailler. Qui aurait pensé qu’après tout ce qui est arrivé à notre peuple et à ma famille sur le sol lituanien, un passeport lituanien nous permettrait de circuler librement ? »
En attendant, ils vivent dans une ville tranquille située à 650 mètres au-dessus du niveau de la mer.
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