Blanche Petrich, La
Jornada, 14/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Mexico. María del Carmen Alonso Acevedo, 57 ans, se souvient du jour où elle a été arrêtée par la police de la Direction des enquêtes pour la prévention du crime et emmenée aux basses-fosses de Tlaxcoaque*. Ce jour-là, sa sœur aînée fêtait ses 15 ans et sa mère était allée la voir au Tutelar de Menores [centre de détention de mineurs] pour lui apporter un gâteau et des chuchulucos [friandises]. Maricarmen avait 12 ans et “par mimétisme et rébellion”, elle s’était elle aussi lancée dans l’aventure de la rue, des bandes d’enfants, du vol pour manger et “enfin... pour nos drogues”.
À cet âge, cette enfant des rues a appris ce qu’étaient la torture et l’emprisonnement illégal, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle sait que ce qu’elle a subi constitue une violation flagrante de ses droits humains.
Les caractéristiques les plus extrêmes de la police de la capitale qui opérait sous les ordres des généraux Luis Cueto et Raúl Mendiolea, Arturo “El Negro” Durazo et Francisco Sahagún Baca, n’excluaient pas les enfants parmi leurs victimes.
Arturo "El Negro" Durazo Moreno (1918-2000) a été chef du département de la police et de la circulation du district fédéral pendant les six années du mandat du président José López Portillo. Il a acquis une grande notoriété au début des années 1980, lorsque certaines de ses propriétés millionnaires ont été révélées et, surtout, grâce à la publication du livre Lo negro del "Negro" Durazo, écrit par l’un de ses anciens adjoints, José González González. Arrêté en 1984, il a passé huit ans en prison avant d’être libéré pour des raisons de santé et de “bonne conduite”. Il est mort dans son lit à Acapulco
Ni les jeunes, pour le simple fait d’avoir les cheveux longs ou d’avoir un joint de marijuana dans la rue. C’est ce qu’a vécu Luis Manuel Serrano Díaz, à l’âge de 17 ans. Il a été arrêté dans le quartier Insurgentes Mixcoac, à quelques rues de chez lui, avec ses frères. À l’intérieur de leur vocho [coccinelle volkswagen], ils étaient en train de faire la bringue.
Serrano est un artiste visuel qui dirige l’atelier de collage à la prison de Santa Martha Acatitla, Las Liternas de Santa Martha. Son cas ne s’est pas aggravé. Les jeunes ont été libérés quelques heures plus tard. La jeune Maricarmen, en revanche, n’a pas eu cette chance.
Environ 40 enfants
« Et ne croyez pas que nous n’étions que quelques-uns. Le jour où ils m’ont emmené, j’ai vu une quarantaine d’enfants. Les garçons étaient appelés ‘los pelones’ (les tondus) parce qu’ils les rasaient. Pas les filles : ils versaient simplement le ciment que nous inhalions dans nos cheveux. Ensuite, nous devions nous raser les cheveux nous aussi ».
Elle n’a rien oublié de ces huit jours passés dans les caves de Tlaxcoaque. « Ils m’ont attrapée dans la TAPO [gare routière de l’Est]. Je faisais la manche. Quelqu’un m’a demandé de garder un panier de gâteaux et c’est là qu’ils m’ont attrapée. Ils ont dit que je transportais de la marijuana, mais ce n’était pas le cas. Dès qu’ils nous ont fait monter dans la camionnette, une de ces camionnettes blanches sur lesquelles était écrit “Prévention sociale”, ils ont commencé à nous toucher partout. Et ça les faisait rire. Une fois à l’intérieur, ils nous ont donné des baffés partout. Et ils nous ont arrosés d’eau glacée ».
Il y a quelques jours, alors qu’elle se promenait dans la rue Corregidora, dans le centre historique, elle a vu une affiche à moitié effacée sur le mur. Sous le titre “La mémoire raconte l’histoire”, on peut lire un appel à ceux qui veulent partager leurs témoignages sur les graves violations des droits humains commises à Tlaxcoaque entre 1957 et 1989.
« Oh, maintenant ils le font. Ils se sont même souvenus de nous », se dit-elle. Pour elle, cet appel à faire partie de l’histoire de la ville a été l’une de ses plus grandes revendications. « J’ai toujours pensé que ce que nous, les enfants, avons vécu dans cet endroit épouvantable devait être connu. Eh bien, voyons si ça va être le cas maintenant ».
Elle a fini de décoller l’affiche, l’a pliée soigneusement et l’a mise dans son sac de courses. Dès qu’elle a pu, elle a cherché l’adresse indiquée dans le quartier boboïsé de Hipódromo Condesa, la Casa Refugio Citlaltépetl (CRC) - désignée par le Mecanismo para el Esclarecimiento Histórico (MEH, Mécanisme de clarification historique) pour recevoir les témoignages des victimes - et s’est inscrite pour témoigner. Devant la directrice du CRC, María Cortina, elle déplie l’affiche et demande : “C’est ici ?”