Gideon Levy, Haaretz, 13/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Lors des manifestations organisées à Tel Aviv contre la réforme judiciaire du gouvernement, les meilleures personnes d’Israël se trouvent dans la zone délimitée par le bloc anti-occupation - les personnes de conscience qui reconnaissent qu’il n’y a pas de démocratie avec une tyrannie militaire dans son arrière-cour.
Manifestants anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub
Tout cela est très encourageant. Mais il est temps de replier les drapeaux, de changer les slogans et de quitter ce coin de rue. En 2023, lutter contre l’occupation revient à lutter contre les forces de la nature. Tout comme les inondations et les tremblements de terre, l’occupation ne peut plus être vaincue. Elle est là pour longtemps.
Avec plus de 700 000 colons (y compris dans les parties occupées de Jérusalem) qui ne seront jamais déplacés et une énorme entreprise consacrée à sa perpétuation, l’occupation ne peut être vaincue.
En outre, l’occupation a cessé depuis longtemps d’être une occupation. Qualifier d’occupation ce qui se passe dans les territoires palestiniens revient à la perpétuer, tout comme parler d’une solution à deux États qui ne sera jamais mise en œuvre et que personne en Israël n’a jamais eu l’intention de mettre en œuvre.
Par définition, l’occupation militaire est temporaire. Après 56 ans et sans perspective de fin, la situation dans les territoires ne peut plus être considérée comme temporaire. Et si elle n’est pas temporaire, ce n’est pas une occupation. Le caractère temporaire de l’occupation a expiré, et avec lui la possibilité de la définir comme une occupation.
Par conséquent, parler de l’occupation lors des manifestations de la rue Kaplan est anachronique. La combattre dans le cadre d’une lutte pour la démocratie n’est pas pertinent. Les manifestants de la rue Kaplan disent qu’ils luttent pour la démocratie. Or, la démocratie, c’est l’égalité avant tout.
Cela doit cesser. Cessez de lutter contre la construction de colonies, de rêver à des cartes de retrait délirantes et de penser en termes de “fin de l’occupation”. Il n’y aura pas de fin à l’occupation.
La rue Kaplan est l’endroit, l’occasion et le moment de changer de mentalité, de redéfinir l’agenda et de commencer quelque chose de nouveau, quelque chose de beaucoup plus porteur d’espoir et de pertinence. La lutte pour l’égalité des droits, de la mer Méditerranée au Jourdain, devrait commencer rue Kaplan.
Une personne, un vote, comme dans la plus modeste des démocraties. Tous les sujets de l’État - environ 15 millions de personnes, de Metula à Eilat et de Rafah à Jénine, toutes soumises à son autorité - doivent être égaux en droits. Sans cela, Israël n’est pas une démocratie.
Le bloc anti-occupation défile à Tel Aviv. Photo : Itai Ron
Laissez la partie “juive” de la définition de l’État pour les cérémonies de commémoration de l’Holocauste. Il n’y a rien qui puisse être juif et démocratique. Si les manifestants de la rue Kaplan ne comprennent pas cela, alors qui le comprend ?
La lutte contre la législation antidémocratique est importante, mais aussi dangereuse. Elle brouille la réalité et l’idéalise : si les projets de loi sont stoppés, Israël sera-t-il une démocratie ? Le véritable coup d’État a été la transformation d’Israël en un État d’apartheid, lorsque l’occupation est devenue immortelle. À côté de cela, l’abrogation du critère du caractère raisonnable n’est rien de plus qu’une mouche gênante.
La véritable protestation doit donc se concentrer sur ce coup d’État. Apartheid ou démocratie, telle est la question : il n’y en a pas de plus importante, même si Moshe Radman, l’un des principaux dirigeants et théoriciens des combattants de la liberté, pense que toute la question est simplement “la qualité de vie des Palestiniens”.
La section anti-occupation de la rue Kaplan doit être nettoyée, remplacée par de nouveaux drapeaux et de nouveaux slogans partout. Au lieu de parler de l’occupation, parlez d’égalité, de suffrage universel, d’un seul État démocratique. Au lieu d’être contre les colonies, soyez en faveur d’un État de tous ses citoyens.
Existe-t-il une démocratie dans le monde qui ne soit pas l’État de tous ses citoyens ? Si ce n’est pas de ses citoyens, alors de qui ? De Dieu ? À une demi-heure de voiture de la rue Kaplan, les gens ne peuvent pas manifester sur quoi que ce soit, de quelque manière que ce soit ; ils ne peuvent pas se défendre, protester ou résister.
Cela doit être changé, avant toute autre chose. Cela doit commencer rue Kaplan. Sans cela, Kaplan manque à son devoir. Il ne s’agit pas d’une question qui ne concerne qu’un petit coin de Kaplan ; elle touche au cœur de la raison d’être de Kaplan. Il s’agit de la lutte pour la démocratie pour tous, pour un État démocratique - ni juif, ni palestinien, mais démocratique. Existe-t-il une autre forme de démocratie ?