Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

Affichage des articles dont le libellé est Uruguay. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Uruguay. Afficher tous les articles

26/08/2024

JACK NICAS
Comment être vraiment libre : les leçons d’un président philosophe
Rencontre avec Pepe Mujica et Lucía Topolansky

Pepe Mujica, ancien président spartiate de l’Uruguay et philosophe au franc-parler, offre la sagesse d’une vie riche alors qu’il lutte contre le cancer.

Jack Nicas, The New York Times, 23/8/2024
Photos de Dado Galdieri
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala
Leer en español

Jack Nicas est le chef du bureau brésilien du New York Times, basé à Rio de Janeiro, d’où il couvre une grande partie de l’Amérique du Sud. @jacknicas

 

Il y a dix ans, le monde a été brièvement fasciné par José Mujica. C’était le président uruguayen à l’allure folklorique, qui avait boudé le palais présidentiel de son pays pour vivre dans une minuscule maison au toit de tôle avec sa femme et son chien à trois pattes.

Dans des discours prononcés devant des dirigeants du monde entier, dans des interviews avec des journalistes étrangers et dans des documentaires diffusés sur Netflix, Pepe Mujica, comme on l’appelle universellement, a raconté d’innombrables anecdotes sur une vie digne d’un film. Il a braqué des banques en tant que guérillero urbain de gauche, a survécu à 15 ans de détention, notamment en se liant d’amitié avec une grenouille alors qu’il était enfermé dans un trou dans le sol, et a contribué à la transformation de sa petite nation sud-américaine en l’une des démocraties les plus saines et les plus socialement libérales du monde.

Mais l’héritage de Mujica ne se résume pas à son histoire haute en couleur et à son engagement en faveur de l’austérité. Il est devenu l’une des figures les plus influentes et les plus importantes d’Amérique latine en grande partie grâce à sa philosophie simple sur la voie vers une société meilleure et une vie plus heureuse.

Aujourd’hui, comme le dit M. Mujica, il lutte contre la mort. En avril, il a annoncé qu’il allait subir une radiothérapie pour une tumeur à l’œsophage. À 89 ans et déjà atteint d’une maladie auto-immune, il a admis que le chemin de la guérison serait ardu.

La semaine dernière, je me suis rendu à la périphérie de Montevideo, la capitale de l’Uruguay, pour rendre visite à M. Mujica dans sa maison de trois pièces, remplie de livres et de bocaux de légumes à mariner, dans la petite ferme où il cultive des chrysanthèmes depuis des décennies. Alors que le soleil se couche sur une journée d’hiver, il est emmitouflé dans une veste d’hiver et un bonnet de laine devant un poêle à bois. Le traitement l’a affaibli et l’a empêché de manger.

« Vous parlez à un vieil homme étrange », dit-il en se penchant pour me regarder de près, une lueur dans les yeux. « Je ne suis pas à ma place dans le monde d’aujourd’hui ».

Et c’est ainsi que nous avons commencé.

Cet entretien a été rédigé et condensé pour plus de clarté.

José Mujica subit des radiations pour une tumeur à l’œsophage.

Comment se porte votre santé ?

J’ai subi une radiothérapie. Mes médecins ont dit que tout s’était bien passé, mais je suis brisé.

Je pense que l’humanité, telle qu’elle va, est condamnée.

Pourquoi dites-vous cela ?

Nous perdons beaucoup de temps inutilement. Nous pouvons vivre plus pacifiquement. Prenez l’Uruguay. L’Uruguay compte 3,5 millions d’habitants. Il importe 27 millions de paires de chaussures. Nous fabriquons des déchets et travaillons dans la douleur. Pour quoi?

Vous êtes libre lorsque vous échappez à la loi de la nécessité - lorsque vous consacrez le temps de votre vie à ce que vous désirez. Si vos besoins se multiplient, vous passez votre vie à les satisfaire.

Les humains peuvent créer des besoins infinis. Le marché nous domine et nous prive de notre vie.

L’humanité a besoin de travailler moins, d’avoir plus de temps libre et d’être plus enracinée. Pourquoi tant de déchets ? Pourquoi faut-il changer de voiture ? Changer de frigo ?

Il n’y a qu’une vie et elle a une fin. Il faut lui donner un sens. Se battre pour le bonheur, pas seulement pour la richesse.

Croyez-vous que l’humanité peut changer ?

Elle pourrait changer. Mais le marché est très fort. Il a généré une culture subliminale qui domine notre instinct. C’est subjectif. C’est inconscient. Elle a fait de nous des acheteurs voraces. Nous vivons pour acheter. Nous travaillons pour acheter. Et nous vivons pour payer. Le crédit est une religion. Nous sommes donc un peu dans la merde.

Il semble que vous n’ayez pas beaucoup d’espoir.

Biologiquement, j’ai de l’espoir, parce que je crois en l’homme. Mais quand j’y pense, je suis pessimiste.

Pourtant, vos discours ont souvent un message positif.

Parce que la vie est belle. Avec ses hauts et ses bas, j’aime la vie. Et je suis en train de la perdre parce que c’est mon heure de partir. Quel sens pouvons-nous donner à la vie ? L’homme, comparé aux autres animaux, a la capacité de trouver un but.

Ou pas. Si vous ne le trouvez pas, le marché vous fera payer des factures jusqu’à la fin de vos jours.

Si vous le trouvez, vous aurez une raison de vivre. Ceux qui enquêtent, ceux qui jouent de la musique, ceux qui aiment le sport, n’importe quoi. Quelque chose qui remplit votre vie.

La maison de trois pièces de M. Mujica. Il a évité le palais présidentiel pour vivre ici.

Pourquoi avez-vous choisi de vivre dans votre propre maison en tant que président ?

Les vestiges culturels du féodalisme demeurent. Le tapis rouge. Le clairon. Les présidents aiment être louangés.

Une fois, je suis allé en Allemagne et on m’a mis dans une Mercedes-Benz. La portière pesait environ 3 000 kilos. Ils ont mis 40 motos devant et 40 autres derrière. J’ai eu honte.

Nous avons une maison pour le président. Elle a quatre étages. Pour prendre un thé, il faut marcher trois pâtés de maisons. Inutile. Ils devraient en faire un lycée.

Comment aimeriez-vous qu’on se souvienne de vous ?

Ah, comme ce que je suis : un vieux fou.

C’est tout ? Vous avez fait beaucoup.

Je n’ai qu’une chose. La magie du mot.

Le livre est la plus grande invention de l’homme. C’est dommage que les gens lisent si peu. Ils n’ont pas le temps.

Aujourd’hui, les gens lisent beaucoup sur leur téléphone.

Il y a quatre ans, j’ai jeté le mien. Il me rendait fou. Toute la journée à dire des conneries.

Il faut apprendre à parler avec la personne qui est en nous. C’est elle qui m’a sauvé la vie. Comme j’ai été seul pendant de nombreuses années, cela m’est resté.

Quand je suis dans le champ à travailler avec le tracteur, je m’arrête parfois pour voir comment un petit oiseau construit son nid. Il est né avec le programme. Il est déjà architecte. Personne ne lui a appris. Connaissez-vous l’oiseau hornero [fournier] ? Ce sont de parfaits maçons.

J’admire la nature. J’ai presque une sorte de panthéisme. Il faut avoir les yeux pour la voir.

Les fourmis sont de véritables communistes. Elles sont bien plus anciennes que nous et nous survivront. Toutes les animaux vivant en colonies sont très forts.

Des bibelots et des souvenirs dans la maison de M. Mujica.

Revenons aux téléphones : Vous voulez dire qu’ils sont trop puissants pour nous ?

Ce n’est pas la faute du téléphone. C’est nous qui ne sommes pas prêts. Nous en faisons un usage désastreux.

Les enfants se promènent avec une université dans leur poche. C’est merveilleux. Mais nous avons plus progressé en technologie qu’en valeurs.

Pourtant, c’est dans le monde numérique que se déroule aujourd’hui une grande partie de la vie.

Rien ne remplace cela. (Il fait un geste vers nous deux en train de parler.) C’est intransmissible. Nous ne parlons pas seulement avec des mots. Nous communiquons avec des gestes, avec notre peau. La communication directe est irremplaçable.

Nous ne sommes pas si robotisés. Nous avons appris à penser, mais nous sommes d’abord des êtres émotionnels. Nous pensons que nous décidons avec notre tête. Souvent, la tête trouve les arguments pour justifier les décisions prises par les tripes. Nous ne sommes pas aussi conscients qu’il y paraît.

Et c’est très bien ainsi. C’est ce mécanisme qui nous maintient en vie. C’est comme la vache qui suit ce qui est vert. S’il y a du vert, il y a de la nourriture. Il sera difficile de renoncer à ce que nous sommes.

Vous avez dit dans le passé que vous ne croyiez pas en Dieu. Quelle est votre vision de Dieu à ce moment de votre vie ?

Soixante pour cent de l’humanité croit en quelque chose, et cela doit être respecté. Il y a des questions sans réponse. Quel est le sens de la vie ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

Nous n’acceptons pas facilement le fait que nous sommes une fourmi dans l’infini de l’univers. Nous avons besoin de l’espérance de Dieu parce que nous voulons vivre.

« Avec tous ses hauts et ses bas, j’aime la vie », dit Mujica. « Et je suis en train de la perdre parce que c’est mon heure de partir. »

Avez-vous une sorte de Dieu ?

Non. Je respecte beaucoup les gens qui croient. C’est comme une consolation face à l’idée de la mort.

La contradiction de la vie, c’est qu’il s’agit d’un programme biologique conçu pour lutter pour vivre. Mais à partir du moment où le programme démarre, vous êtes condamné à mourir.

Il semble que la biologie soit un élément important de votre vision du monde.

Nous sommes interdépendants. Nous ne pourrions pas vivre sans les procaryotes que nous avons dans notre intestin. Nous dépendons d’un certain nombre d’insectes que nous ne voyons même pas. La vie est une chaîne et elle est encore pleine de mystères.

J’espère que la vie humaine sera prolongée, mais je suis inquiet. Il y a beaucoup de fous avec des armes atomiques. Beaucoup de fanatisme. Nous devrions construire des moulins à vent. Pourtant, nous dépensons pour les armes.

L’homme est un animal compliqué. Il est à la fois intelligent et stupide.

Une version de cet article a été publiée le 24 août 2024, section A, page 6 de l’édition de New York avec le titre suivant : « Philosopher President, near His End, on How to Be Truly Free (Le président philosophe , proche de sa fin, sur la façon d’être vraiment libre).

"Ulpiano" et "La Tronca" au temps de la clandestinité et après leur libération en 1985



Deux rebelles armés à la tête d’une nation : une histoire d’amour

Jack Nicas, The New York Times, 23/8/2024

Mauricio Rabuffetti a contribué au reportage depuis Montevideo.

José Mujica et Lucía Topolansky ont longtemps été mariés l’un à l’autre - et à leur cause politique de gauche.

José Mujica, à gauche, et Lucía Topolansky appartenaient à un groupe de guérilla de gauche, les Tupamaros, lorsqu’ils se sont rencontrés au début des années 1970.

Il dirigeait une bande de rebelles armés. Elle était experte en falsification de documents. Ils braquaient des banques, organisaient des évasions de prison et s’aimaient.

Au début des années 1970, José Mujica et Lucía Topolansky étaient membres d’une violente guérilla de gauche, les Tupamaros. Pour eux, leurs crimes étaient justifiés : ils luttaient contre un gouvernement répressif qui avait pris le contrôle de leur petite nation sud-américaine, l’Uruguay.

Il avait 37 ans et elle 27 lorsque, au cours d’une opération clandestine, ils se sont rencontrés pour la première fois. « C’était comme un éclair dans la nuit », se souvient M. Mujica, aujourd’hui âgé de 89 ans, bien des années plus tard, à propos de leur première nuit ensemble, cachés à flanc de montagne.

Au milieu de la guerre, ils ont trouvé l’amour. Mais quelques semaines plus tard, ils ont été jetés en prison, où ils ont été soumis à la torture et aux mauvais traitements. En 13 ans, ils n’ont réussi à échanger qu’une seule lettre. Les gardiens ont confisqué le reste.

En 1985, la dictature uruguayenne a pris fin. Ils ont été libérés le même jour et se sont rapidement retrouvés.

Ce fut un moment crucial dans leur extraordinaire histoire d’amour. Après plus d’une décennie de séparation, leur amour était toujours vivant, tout comme la cause commune qui les avait d’abord unis.

« Le lendemain, nous avons commencé à chercher un endroit où rassembler nos camarades. Nous devions commencer le combat politique », m’a dit Mme Topolansky, 79 ans, lors d’un entretien accordé la semaine dernière dans leur maison. « Nous n’avons pas perdu une minute. Et nous n’avons jamais arrêté, parce que c’est notre vocation. C’est le sens de notre vie ».

Au cours des décennies suivantes, M. Mujica et Mme Topolansky sont devenus deux des personnalités politiques les plus importantes de leur pays, contribuant à transformer l’Uruguay en l’une des démocraties les plus saines du monde, régulièrement louée pour la solidité de ses institutions et la civilité de sa politique.

Mme Topolansky et M. Mujica traversant la rue devant le Palais législatif, siège du parlement uruguayen, en 2000. Photo El País Uruguay

Ils ont tous deux été élus au Congrès uruguayen et se rendaient au travail ensemble sur le même cyclomoteur.

En 2009, M. Mujica, connu sous le nom de Pepe, a été élu président, couronnant ainsi un parcours politique remarquable. Lors de son investiture, comme le veut la tradition, il a reçu l’écharpe présidentielle des mains de la sénatrice qui avait obtenu le plus de voix : Mme Topolansky. Elle lui a également donné un baiser.

M. Mujica a été élu président en 2009 et Mme Topolansky, sénatrice, a remis l’écharpe présidentielle à son mari lors de son investiture.

En 2017, Mme Topolansky a été nommée vice-présidente de l’Uruguay dans une autre administration de gauche. À plusieurs reprises, elle a été présidente par intérim du pays.

Parallèlement, loin des projecteurs, ils ont construit une vie tranquille dans une petite ferme de chrysanthèmes à l’extérieur de Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Ensemble, ils s’occupaient de leurs fleurs et les vendaient sur les marchés. Ils ont souvent été aperçus ensemble dans leur Coccinelle Volkswagen 1987 bleu ciel ou en train d’écouter du tango dans l’un de leurs bars préférés de Montevideo.

Ils ont déclaré que la prison les avait privés de leur chance d’avoir des enfants. Au lieu de cela, ils se sont occupés d’innombrables chiens, dont un cabot à trois pattes nommé Manuela qui est devenu célèbre pour avoir souvent accompagné M. Mujica lorsqu’il était président.

Ils ne sont pas toujours romantiques. En 2005, ils vivaient ensemble depuis 20 ans mais n’étaient toujours pas mariés. Un soir, M. Mujica a accordé une interview à une émission de télévision nationale. « Il a dit au journaliste que nous allions nous marier. Je regardais l’émission et c’est ainsi que je l’ai appris », s’est souvenue Mme Topolansky la semaine dernière, en riant. « À cet âge, j’ai cédé ».

Mme Topolansky a été nommée vice-présidente de l’Uruguay sous une autre administration de gauche (Tabaré Vázquez). À plusieurs reprises, elle a été présidente par intérim du pays.

Ils se sont mariés lors d’une simple cérémonie à la maison. Ce soir-là, ils se sont rendus à un rassemblement politique.

« Nous avons uni deux utopies », a déclaré Mme Topolansky à un documentariste il y a quelques années. « L’utopie de l’amour et l’utopie de la lutte politique ».

Les détails de leur première rencontre sont restés vagues. Mme Topolansky a déclaré avoir fourni à M. Mujica des documents falsifiés. M. Mujica a déclaré que Mme Topolansky faisait partie d’une équipe qui l’avait aidé, lui et d’autres Tupamaros, à s’évader de prison, et qu’il l’avait aperçue pour la première fois lorsqu’il avait sorti la tête d’un tunnel.

Mme Topolansky a déclaré qu’il était difficile de se souvenir de ces détails pour une bonne raison. « ça ressemble beaucoup à ces récits de guerre, où les relations humaines sont déformées par le contexte. Vous fuyez, vous pouvez être arrêté, ils peuvent vous tuer. Il n’y a donc pas les limites habituelles de la vie normale », dit-elle.

Mme Topolansky en 2010, alors qu’elle était à la fois sénatrice et première dame, devant un écran diffusant une image de M. Mujica, alors président nouvellement assermenté. Photo Pablo Porciuncula/Agence France-Presse - Getty Images

Mais ce sont aussi ces conditions difficiles qui ont allumé leur feu. « Quand on vit dans la clandestinité, l’affection est très importante. On abandonne beaucoup. Alors quand une relation et l’amour se manifestent, on gagne beaucoup », avait-elle déclaré au cinéaste il y a plusieurs années.

Aujourd’hui, ils disent être entrés dans l’un de leurs moments les plus difficiles. En avril, on a diagnostiqué à M. Mujica une tumeur à l’œsophage. La radiothérapie l’a affaibli.

La semaine dernière, il s’est assis devant le poêle à bois de la maison qu’ils partagent depuis près de quarante ans, tandis que Mme Topolansky l’aidait à enfiler une couche supplémentaire au coucher du soleil. « L’amour a des âges. Quand on est jeune, c’est un feu de joie. Quand vous êtes un vieil homme, c’est une douce habitude », dit-il. « Je suis en vie grâce à elle ».

Le couple dit être entré dans l’un de ses moments les plus difficiles. En avril, on a diagnostiqué à M. Mujica une tumeur à l’œsophage.

 

06/08/2024

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Uruguay ante el genocidio israelí cada vez más “a la vista del público”

Luis E. Sabini Fernández, Revista Futuros, 4-8-2024

Es sumamente penoso ver el grado de abdicación y sumisión mental (no sabemos si también material, pero con el primero ya tenemos motivos de preocupación) de los referentes y líderes de todo el espectro político principal de nuestro país –porque pese a eso sigue siendo nuestro– ante lo que durante más de un siglo se ha calificado como conflicto palestino-israelí y hoy en día, tras un furioso strip-tease político; se reconoce como el genocidio israelosionista de la población palestina, que se desenvuelve sin tapujos, al menos para quien lo quiere ver.

 

Es indudable que esta dependencia ideológica de los planteles políticos principales respecto de Israel tiene raíces históricas. Uruguay es uno de los poquísimos países (que yo sepa, el único periférico cuando la firma del canciller británico Arthur Balfour a la declaración que lleva su nombre y su entrega a Walter Rothschild como “cabeza” del movimiento sionista, en 1917) presente en la persona de Alberto Guani, a la sazón representante diplomático uruguayo en Europa.

La calidad de uruguayo es significativa dado el grado de identificación con EE.UU. y su destino que varios políticos batllistas entonces tenían. Guani fue autor de un planteo que lleva el nombre de Doctrina Guani (entre 1938 y 1941) que: “inauguró una serie de posiciones intervencionistas impulsadas por EE.UU. a partir de la Segunda Guerra Mundial inspiradas en el concepto de «seguridad continental», con el fin de mantener la unidad de los países latinoamericanos.[1] Unidad bajo el mando norteamericano, obviamente.

Con mucha perspicacia, Francisco Claramunt en su esclarecedora nota “Hora de definiciones” registra la dificultad, vocal, de voceros “de izquierda” para abordar la monstruosidad engendrada por el sionismo en Israel: “Orsi y Cosse parecen tener dificultades para pronunciar la palabra Israel, ni que hablar de Palestina”.[2]

Llama poderosamente la atención que, desde otra configuración ideológica, la Columna del 26 de Marzo, “Palestina y los problemas de no tomar posición”, se señale: “a la coalición progresista le cuesta poner en palabras lo que sucede en [la] realidad; no buscan señalar que existe un genocidio donde claramente hay un genocidio.” [3]

Entiendo la dificultad para procesar la inconmensurable usina de mentiras, atropellos, vejaciones que organizaciones que se consideran de excelencia como el sionismo (de origen laico, pero endiosado), descargan –en este caso y desde hace ya más de un siglo– sobre los palestinos, pero hasta para lograr en algún momento un reencuentro en sendas de humanidad, hay que decir las cosas claras. Como hace Chris Hedges, en sus innumerables notas con que lleva décadas documentando el proceso israelopalestino:

Hay un placer sádico expresado por muchos israelíes por el genocidio y una oleada de llamados al asesinato o la expulsión de palestinos, incluidos aquellos en la ocupada Cisjordania y aquellos con ciudadanía israelí.

El salvajismo de los ataques aéreos y los ataques indiscriminados, el corte de alimentos, agua y medicinas, la retórica genocida del gobierno israelí, hacen de ésta una guerra cuyo único objetivo es la venganza.” [4]

El certero análisis de Hedges nos pone, una vez más, ante la escalofriante advertencia de Blas Pascal: “El hombre no es ni ángel ni bestia, y la desgracia quiere que quien haga el ángel haga la bestia.” [5]

Netanyahu nos dice siempre, como un mantra: “Ésta es una lucha entre civilización y barbarie.” Da por sentado que él, nada menos, encarna la civilización; y que los palestinos, la barbarie: Israel es hoy esa bestia que menciona Pascal.

03/06/2024

ARTURO ALEJANDRO MUÑOZ
Une nuit de terreur, de pipi et de serments (frontière Brésil-Uruguay, 1969)
De l’Institut pédagogique du Chili démocratique au Brésil de la dictature

Arturo Alejandro Muñoz, Politika, 30/5/2024
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ma pire expérience, mon plus horrible cauchemar... J’ai été sauvé par un miracle. Je pleure encore lorsque je me souviens de ces jours tragiques, brisé par ma propre irresponsabilité et mon ignorance naïve de ce à quoi ressemblait réellement une dictature et de comment elle agissait. En 1973, j’allais le découvrir à nouveau, au Chili.

Au début de l’année 1969, je suis arrivé à l’USP (Université de São Paulo) en tant qu’étudiant libre pour participer au cours de troisième cycle "Histoire économique de l’Amérique latine au XXe siècle", dispensé par l'alors réputé Institut pédagogique de l’Université du Chili.

Le centre étudiant de l'Institut Pédagogique en 1970
Photo Fernando Velo

 

 On m’a attribué une chambre dans le pavillon des internes étrangers de l’immense université de São Paulo, que je partageais avec Juan Carlos, un Argentin, et Ricardo, un Philippin. Nous sommes devenus de très bons amis et avons formé le groupe des "trois mousquetaires", même si le "Che" étudiait la médecine et l’Asiatique l’ingénierie.

 

Par ailleurs, des amis qui vivaient à São Paulo m’avaient trouvé un emploi d’assistant d’un patron gringo (en fait, c’était un fils de Suédois né à Memphis, USA) - Mister Johan Erickson - dans une entreprise laitière, ce qui m’a permis, quelques mois plus tard, de quitter l’internat de l’USP et de louer un petit appartement meublé sur l’avenue São Joao, en plus d’acheter - évidemment - une Coccinelle Volkswagen bleue de 64.


 

Je n’ai pas vu mes anciens colocs très souvent, je ne les ai rencontrés qu’occasionnellement dans l’immense Resto U central de l’université, échangeant des mots bon enfant et nous donnant une accolade ou une poignée de main, avant que chacun d’entre nous suive le chemin particulier que ses responsabilités académiques lui indiquaient.

 

Cinq mois plus tard, j’ai terminé mes études de troisième cycle, mais je ne suis pas retourné au Chili en raison de la vie confortable que m’offrait São Paulo, oubliant de poursuivre ma dernière année d’études à l’Institut pédagogique. Mes tripes, à ce moment-là, ont recommandé à mon corps de rester plus longtemps au Brésil.

 

Ricardo - le Philippin - était un fanatique du “Che” Guevara et personne ne pouvait dire du mal du révolutionnaire argentin sans recevoir une avalanche d’arguments et de considérations historico-sociologiques, qui s’échappaient de ses lèvres avec un débit de mitrailleuse.

 

Il était convaincu - comme moi - que les considérations développées par le désormais mythique guérillero constituaient, à elles seules, un héritage politique pour l’Amérique latine qui devait être repris par tous les hommes bien nés de cette partie de la planète.

 

Depuis deux mois, l’Asiatique exprimait son désir irrépressible de lire le Journal de Bolivie* du Che publié au Chili par la revue Punto Final et distribué dans tout le territoire démocratique. Mais au Brésil, c’était plus qu’interdit. Être surpris avec le fameux Journal revenait à se mettre volontairement le dos au mur.

 

 

 

Jusqu’à ce jour, je n’ai pas pu m’expliquer pourquoi j’ai eu la fichue idée de commander un numéro de la revue Punto Final au Chili, sachant qu’elle était publiée, ni plus ni moins, par le Mouvement de la gauche révolutionnaire - le MIR -, un fait qui n’avait pas échappé aux sbires du gouvernement militaire brésilien.

 

Peut-être était-ce l’habitude de défier l’autorité - très typique des étudiants chiliens de ces années-là - ou, peut-être, la confiance en ma bonne étoile. Mais le fait est que j’ai commis une bêtise indigne d’un professionnel mûr, intelligent et prudent parce que, peut-être, je n’avais pas ces trois qualités.

 

Mon cousin Javier, qui est aujourd’hui un banquier prospère basé en Australie, a envoyé le petit magazine de Santiago par avion, en le mêlant à d’autres livres et publications diverses. J’ai récupéré le colis dans les bureaux de VARIG au centre-ville et je me suis rendu directement au dortoir de Ricardo et Juan Carlos à l’internat de l’USP. Ne trouvant ni l’un ni l’autre, j’ai décidé de laisser la publication (dans un emballage cadeau) sous l’oreiller du lit du Philippin, avec une carte que j’y avais écrite pour lui souhaiter un joyeux vingt-sixième anniversaire.

 

J’étais sûr que ce cadeau émouvrait l’Asiatique jusqu’aux larmes, et je ne me suis pas trompé.

 

Je suis convaincu que les vicissitudes du destin sont prévues longtemps à l’avance par la main d’un être très puissant, qui guide nos pas et ouvre la voie - ou l’embrouille, c’est selon - pour que nous avancions vers le but qui nous a été assigné et non pas vers un autre lieu qui serait en dehors des considérations divines.

 

J’ai laissé le magazine Punto Final dans la chambre de Ricardo vers 14 heures, un vendredi après-midi. Je me suis ensuite rendu dans le bureau de Mister Erickson pour effectuer mon travail de routine, tout en réfléchissant à la manière dont j’allais passer le reste du temps qu’il me restait de ce week-end, puisque deux jours plus tôt, j’avais terminé mon travail d’étudiant diplômé à l’USP.

 

À la laiterie, j’ai été surpris par les propos de mon patron, qui m’a informé qu’il prendrait des vacances à partir du lundi suivant et que sa femme avait tout prévu pour un séjour de trente-cinq jours à Memphis, sa ville natale.

 

Le gringo, poli comme à son habitude, m’a remis un chèque juteux auquel il a joint quelques billets de sa poche personnelle.

 

« Revenez dans ce bureau dans quarante jours », m’a-t-il dit avec un sourire affable, « vous méritez aussi quelques semaines de congé ».

 

Nous nous sommes embrassés avec une joie civilisée et nous nous sommes dit au revoir sans plus attendre.

 

Le soir même, j’ai dit à un bon ami, Ademir Texeira, que j’avais plus d’un mois pour paresser à ma guise.

 

« Tu as toujours dit que ton plus grand désir était de parcourir le fleuve Amazone. Maintenant que tu as du temps et de l’argent, pourquoi ne pas te rendre à Manaus et réaliser ton rêve ? »

 

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je lui ai laissé les clés de mon appartement et de la Volkswagen, après avoir acheté un billet d’avion pour la lointaine ville du caoutchouc. Le vol a décollé de l’aéroport de Congonhas à sept heures le lendemain matin, samedi.

 

J’ai passé plus de quatre semaines à Manaus, à faire connaissance avec les délices de l’Amazonie... un sujet qui fait l’objet d’une autre chronique, d’ailleurs. Pour ce qui est de cette histoire, une fois mon séjour dans ces lieux sublimes terminé, j’ai dû utiliser différents types de transport pour retourner dans la ville industrielle de São Paulo. J’ai pris l’avion jusqu’à Brasilia et de là, le bus jusqu’à Rio de Janeiro.

 

Je n’avais plus le temps de tergiverser et de m’amuser, alors à Rio j’ai dû monter dans le premier moyen de transport à ma disposition : le train de nuit pour São Paulo, en classe économique, entouré de Noirs bruyants et dans un wagon sans lumière. Aucun contrôleur ne m’a demandé mes billets, car il était très rare qu’un blanc (ou un demi-blanc, comme le soussigné) s’aventure dans ces wagons.

 

Heureusement, j’ai la peau foncée et j’ai pu passer ni vu ni connu au milieu de ces “s” turbulents. Pour couronner le tout, une femme noire aux lèvres épaisses m’a confié ses deux “crianças” (enfants), qui ont dormi à mes côtés pendant tout le voyage, tandis que la femme guinchait dans le couloir au rythme de la samba chantée par des vieux marrants au visage buriné, munis de boîtes d’allumettes et d’un harmonica. La nuit a été une fête continue, une véritable “escola do samba” qui n’a pas cessé son rythme enjoué tout au long du voyage. À l’aube, la fatigue a fait tomber dans le sommeil la vieille batucada et la maman des “crianças pretinhas” [bambins cuivrés], qui n’avaient même pas eu l’idée de se réveiller au milieu du chahut musical.

 

Entretemps, je me suis juré que je ne ferais plus jamais un tel voyage. Par voie terrestre et sans argent.

 

Ah, ne jurez jamais en vain, car la main de Dieu est plus longue que l’espérance.

 

À la gare, j’ai pris un taxi et je me suis dirigé vers la maison de mon ami Ademir, où se trouvaient ma Volkswagen et les clés de l’appartement.

 

Peur

 

Dès que j’ai franchi la porte du jardin, j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose de grave, car Doña Severa, la mère d’Ademir, m’a regardé comme si elle avait vu apparaître un fantôme. Elle m’a entraîné sans vergogne dans la maison et m’a fait entrer dans l’une des pièces du fond, tandis qu’elle fermait la porte et tirait les rideaux des fenêtres. Puis elle a porté les mains à sa bouche et s’est mise à sangloter.

 

Je l’ai regardée avec le meilleur visage stupide que je pouvais avoir dans cette situation.

 

« Vous devez fuir le pays », a-t-elle à voix haute, en continuant à pleurer.

 

Une fois remise de son étonnement initial, elle m’a raconté ce qui s’était passé pendant mon absence. Et c’était vraiment terrible et déchirant.

 

Mon ami Ricardo, le Philippin, avait été arrêté par les gorilles de la “Sécurité” à São Paulo. La police me cherchait dans toute la ville. On m’accusait d’être un “agitateur étranger et un marxiste avoué”. Mes jours étaient comptés.

 

Doña Severa m’a raconté les événements qui se sont déroulés l’après-midi même où j’ai laissé sous l’oreiller de Ricardo le numéro de Punto Final qui publiait, dans son intégralité, le fameux Journal du Che que le Philippin voulait lire comme s’il s’agissait de la Bible de tous les révolutionnaires.

Un étudiant est arrêté lors d'une marche sur l'Avenida Ipiranga, dans le centre de São Paulo (SP), en 1968.

De manière inattendue, et pour la première fois cette année-là, la police universitaire a effectué une descente de routine dans les pavillons des internes à huit heures du soir.

 

Ils ont trouvé le Journal du Che reposant sur le pyjama de Ricardo, à côté de ma carte de vœux.

En 1968, l'armée a saisi des livres et du matériel contestataire dans les sièges universitaires de Rio de Janeiro. Les noms des étudiants concernés ont été transmis aux services d'information et de répression de la dictature pour enquête et arrestation. Archives nationales brésiliennes, Correio da Manhã

Une opération combinée de la police et de la “Sécurité” a été immédiatement lancée pour traquer Ricardo et Juan Carlos, l’Argentin. Tous deux se trouvaient dans la bibliothèque de l’USP.

 

Ils ont été emmenés dans le sous-sol d’un immeuble près de Guarulhos, où ils ont été “interrogés” avec la férocité et la folie que permettaient les techniques utilisées pour la torture.

Caricature d'Augusto Bandeira, Correio da Manhã, novembre 1964

 

Le lendemain matin - j’avais atterri à ce moment-là à Manaus - ils se sont lancés sur mes traces et ont fouillé mon appartement, le trouvant vide et avec des signes clairs indiquant mon voyage vers un endroit que, par ailleurs, les agents ne connaissaient pas.

 

Ils se sont ensuite rendus à l’entreprise laitière où je travaillais en tant qu’assistant du gringo qui se trouvait également hors du Brésil à l’époque ; Ricardo, dans la salle d’“interrogatoire”, avait mentionné qu’il s’agissait de mon lieu de travail. Bien entendu, ils ne m’ont pas trouvé là non plus.

 

Mais la chasse avait commencé, car mes deux amis, comme seul moyen d’alléger l’ordalie de la torture et des coups, m’ont fait porter la responsabilité de cet acte (« introduction de matériel terroriste dans le pays »), qui était considéré comme « hautement illégal » par la dictature brésilienne.

 

Les aéroports ont été bloqués pour moi cet après-midi-là, et mon nom est apparu très fugitivement dans un journal télévisé.

Prise de fonction du président Costa e Silva le 15 mars 1967

 

 

Effrayé, Ademir a caché ma Volkswagen dans l’arrière-cour de la fabrique de boutons de Gaspar, un neveu de Dona Severa, qui était un partisan déclaré de la droite et participait à des groupes d’analyse politique de partisans déclarés du dictateur Costa e Silva. Personne ne m’a cherché là, et Gaspar a été informé immédiatement par Ademir de la situation, et son entrepreneur de cousin a accepté l’affaire avec courage et solidarité.

 

« Tu dois quitter le Brésil tout de suite », a insisté Dona Severa. » S’ils t’attrapent ici, tu es un homme mort ».


 Caricature de novembre 1968 sur le début des activités de l'Escadron de la mort à São Paulo. Publiée par le journal Correio da Manhã, elle suggère (à juste titre) une coopération entre l'Escadron de la mort (E.M.) et les groupes terroristes Comando de Caça aos Comunistas (C.C.C.) et Movimento Anticomunista (M.A.C.) Archives nationales

 

 

La fuite

 

Ademir est venu me chercher dans l’après-midi et m’a emmené chez Gaspar, caché sur le siège arrière de sa voiture. Je me sentais comme un juif fuyant les SS à Hanovre, sans un sou en poche et empêché d’aller retirer de l’argent à la banque. J’étais à la merci de la volonté de mes amis, dont les visages exprimaient l’inquiétude que seule la peur peut susciter.

 

Gaspar m’a hébergé dans une petite pièce qu’il utilisait pour stocker des outils et du bric-à-brac, le coin le plus obscur de sa maison.

 

À onze heures du soir, ils m’ont fait sortir de la cachette pour me transporter dans un endroit plus sûr. Par l’intermédiaire d’un autre ami, Magrela, qui travaillait à l’APSA (Aerolíneas Peruanas) où il avait atteint le poste de chef du comptoir de la compagnie aérienne à l’aéroport de Congonhas, ils ont réussi à entrer en contact avec le consulat chilien de São Paulo.

 

Le satané consul ne s’est pas intéressé à mon problème et a choisi de laisser l’affaire entre les mains des autorités locales, arguant qu’il s’agissait d’une affaire purement policière.

 

J’ai juré de ne jamais voter pour un candidat démocrate-chrétien au Chili. Le gouvernement d’Eduardo Frei Montalva lésinait sur son soutien à un moment où ma vie était réellement en danger.

 

Ademir et Gaspar m’ont déposé au premier étage de l’immeuble où vivait Pascual, un Espagnol qui occupait le poste de secrétaire administratif au consulat.

 

Cet Espagnol avait sa propre histoire, pleine de dangers passés et de batailles sempiternelles, mais surtout, il connaissait de première main le goût de la défaite et de la fuite, car dans son pays natal, il avait été poursuivi par des éléments carlistes combattant dans la guerre civile aux côtés de Francisco Franco, qui voulaient sa peau.

 

Il avait pu s’échapper par miracle, franchissant la frontière au milieu des Pyrénées. De France, il était passé en Argentine. Pascual avait alors 23 ans. Il avait travaillé dans le port de La Boca comme docker, puis comme répartiteur et obtint enfin le poste d’auxiliaire de service à l’ambassade du Chili à Buenos Aires. Des années de travail acharné et d’études nocturnes lui avaient permis d’accéder au poste de secrétaire.

 

Il avait été détaché au consulat du Chili à São Paulo sept mois auparavant.

 

Heureusement, il voyageait sur APSA, desservie par Magrela lui-même. Ils étaient donc amis.

 

Pascual était célibataire, vivait seul et avait un statut diplomatique. Lui et sa famille bénéficiaient de l’immunité.

 

Je lui ai raconté en détail les événements tragiques et il était prêt à m’aider à quitter le Brésil. Il a parlé en mal des gouvernements sud-américains, les décrivant comme des “arriérés cravatés”. Il a eu une phrase qui m’a fait une forte impression :

« Les fils de l’Espagne n’ont pas été capables d’abandonner leur penchant pour les parades, le garrot et le maître. Regarde le Chili. Ton peuple a toujours été une colonie. D’abord des Incas et de leur empire, puis de l’Espagne et de son roi, puis des oligarques anglais et maintenant des Yankees. Votre pays doit une révolution à son histoire ».

 

Le gars était sympa, et éclairé, en plus. Je devrais ajouter “extrêmement solidaire”, car il s’est occupé de structurer mon évasion étape par étape, en recherchant des horaires et des correspondances de bus pour l’Uruguay. Il a également réussi (je ne sais pas comment) à retirer de l’argent de mon compte bancaire au moyen d’un simple document que j’ai signé dans son appartement.

 

Enfin, un jeudi après-midi, Pascual avait tout préparé. Il avait travaillé dans le dos du consul, mettant en péril un avenir professionnel sûr et confortable, mais il l’avait fait parce que quelqu’un devait le faire.


 

« Tu voyageras par la route, cette nuit même, sur la ligne Pluma jusqu’à Porto Alegre. Là, tu prendras le bus uruguayen de la compagnie Onda qui va à Montevideo. Ils te cherchent dans les aéroports, pas dans les gares routières. Tu passeras la frontière uruguayenne à Chuy, vers minuit après-demain. Tu connais Chuy ? »

 

J’ai acquiescé avec un vague goût de mort possible dans mes muqueuses buccales.

 

Je m’étais rendu dans ce petit village accueillant quelques mois auparavant, lors d’un voyage rapide du côté uruguayen pour revalider ma “Carteira 19”, une sorte de visa que les Brésiliens exigent des étrangers. Je me suis souvenu avec une certaine précision de la vie étrange qui y régnait. Une large rue poussiéreuse séparait l’Uruguay du Brésil. Des boutiques avec des enseignes en espagnol et en portugais bordaient chaque trottoir. Les gens passaient “d’un pays à l’autre” librement, car les deux bureaux de douane se trouvaient à la périphérie de la ville, à l’entrée nord et à l’entrée sud. C’était Chuy. Un ruban sur la pampa, une irruption de couleur dans le vaste paysage plat, un point minuscule au loin.

 

« Eh bien, ça m’évitera de devoir te faire des dessins sur papier », a dit Pascual, ajoutant du mystère à ses paroles suivantes. « Le bus arrivera directement au sud de Chuy, en contournant la ville et en s’arrêtant à vingt mètres de la douane uruguayenne, devant un poste militaire brésilien. Les passagers seront assoupis, l’assistant du chauffeur descendra du car pour que les militaires vérifient et tamponnent la liste avec les noms des voyageurs. Le bus se dirigera immédiatement vers le territoire uruguayen, se garant à la douane où les procédures d’entrée sont plus longues ».

 

Il a fait une pause qui m’annonçait l’arrivée du danger. Il m’a saisi le bras et s’est lancé sur le toboggan d’avertissement qui m’a donné la chair de poule.

 

« Si les militaires ordonnent d’allumer les lumières intérieures du bus et demandent aux passagers de débarquer, ça signifie... »

 

« Oui ? », ai-je demandé affolé.

 

« Qu’ils vont t’arrêter... »  Il me regardait avec un grand sérieux, essayant de connaître le degré de panique que ma lâcheté était capable d’atteindre ; bien que je tremblasse comme un flan, Pascual a continué à m’entraîner pour cet éventuel moment de danger.

 

« Ne fais rien de stupide. Ils n’ont pas ta photo, j’en suis sûr, alors tu peux te fondre dans la masse des passagers. Sors du bus avec un calme absolu et marche lentement vers le poste militaire. Arrête-toi à environ quatre mètres de l’entrée et laisse d’autres personnes entrer. Fais l’idiot. Allume une cigarette ... tu fumes, non ? .... Eh bien, savoure, ou fais semblant de savourer, le goût du tabac et l’air de la nuit ».

 

« Je saisis », ai-je balbutié, « mais, à un moment donné, ils m’obligeront à entrer ».

 

« ça, non. Dès que tu verras les soldats faire de leur mieux pour aider les passagers à entrer dans ce bureau, cours... »

 

« Je cours ? Où ? », ai-je gémi.

 

« Vers la douane uruguayenne, qui se trouve à vingt mètres de là, en ligne droite. Cours comme un fou. Ta vie est en jeu, mon garçon. Dès que tu arrives chez les Uruguayens, demande l’asile politique ».

 

« Ils me le donneront ? » Mon corps tout entier semblait trembler d’effroi.

 

« Tout de suite, putain, tout de suite ».


 

Nuit de fuite et de honte

 

Le voyage vers Porto Alegre a été un cauchemar. Je ne bougeais pas d’un poil et je transpirais comme un gros homme dans un hammam. Chaque fois que le Pluma s’arrêtait quelque part, mes sphincters menaçaient de se relâcher.

 

J’ai fait un transbordement rapide vers le bus Onda et j’ai pris le premier siège près de la porte. Je ne me souviens même pas du visage du passager à côté de moi. J’étais épuisé par les dix-huit heures de voyage depuis São Paulo, et il me restait encore dix-huit heures pour atteindre la frontière.

 

Je crois que je me suis endormi brièvement.

 

Nous sommes arrivés à Chuy à une heure et demie du matin. La ville dormait sous une impressionnante voûte étoilée.

 


 

L’autocar s’est arrêté devant la barrière du poste brésilien. Trois soldats s’approchent de nous. L’assistant du chauffeur leur parle et entre dans le hangar qui sert de bureau. Je transpirais comme un cheval de trait. J’avais envie d’uriner et des vagues de dégoût remontaient dans mon œsophage et dans ma gorge. J’ai pensé au Chili. J’avais la nostalgie de ma rue et de mes parents, tout en maudissant le Che d’avoir écrit un putain de journal de campagne.

 

L’assistant est revenu à vive allure, sans la liste. Il a allumé les lumières et, en tapant des mains, a ordonné à tous les passagers de descendre du bus.

 

J’avais été découvert !!!

 

Je suis descendu en tremblant de panique au milieu des passagers qui protestaient bruyamment d’être obligés de se mettre à découvert dans le froid de la nuit. J’ai laissé sept ou huit d’entre eux entrer dans le poste, encadrés par les militaires.

 

Je me suis arrêté et j’ai allumé une cigarette. Mes mains dansaient dans l’obscurité.

 

Les lumières de la douane uruguayenne étaient clairement visibles à un pâté de maisons. Un pâté de maisons. Cent mètres. « Ils vont me farcir de balles », ai-je gémi intérieurement.

 

L’un des soldats s’est approché rapidement de moi et a fixé son regard sur mes mains. Il m’a attrapé par l’épaule et m’a tiré jusqu’à l’endroit où il y avait de la lumière. J’ai fait dans mon froc.

 

“O senhor tem un cigarro pra’ gente ?” [Vous avez une cigarette, Monsieur ?]

 

Je lui ai passé le paquet de Minister sans vraiment m’en rendre compte, automatiquement. L’homme en uniforme m’a remercié en s’inclinant profondément ; il a placé son fusil sur son épaule et a entamé une conversation sans importance, tandis que j’écoutais un reportage sportif diffusé par la radio que les gardes uruguayens avaient allumée à plein volume dans le bureau des douanes.

 

Je ne suis pas entré dans le poste brésilien car le soldat m’a gardé à côté de lui en train de parler. Je voyais l’assistant du chauffeur monter et descendre du bus avec un seau, des chiffons, un balai et des feuilles de papier journal.

 

Je sentais ma propre urine. J’étais terrifié, attendant d’entendre l’ordre d’arrestation et de recevoir une avalanche de coups et d’insultes.

 

J’ai pensé à Ricardo et Juan Carlos, nus sur le gril, résistant à la mort qui voyageait à l’intérieur d’un câble électrique. Aurais-je pu supporter une telle torture ?

 

« Tous les passagers doivent remonter dans le bus », a crié le chauffeur. « Nous sommes très en retard ».

 

Les gens montaient à bord du car avec un calme qui mettait mes nerfs à vif à rude épreuve. J’ai dit au revoir au soldat et j’ai couru vers le bus. Je me suis assie sur ma propre honte et j’ai enfoui mon visage dans mes mains pour sangloter en silence.

 

Pourquoi nous a-t-on ordonné de descendre du car et nous a-t-on permis de repartir sans problème ?

 

Une petite fille de cinq ou six ans ayant vomi à l’arrière du bus, l’assistant du chauffeur a profité de l’arrêt au poste brésilien pour faire le ménage pendant qu’ils tamponnaient la liste des passagers.

 

Et je m’étais pissé dessus pour rien !!!!

 

L’humidité de ma peur empestant l’ammoniaque, j’ai récupéré ma valise et demandé aux Uruguayens la permission de me doucher dans les toilettes accessibles au public.


 

Baigné, rasé et habillé de vêtements propres, je suis sorti respirer l’air de liberté du Chuy oriental. Je me suis approché de la cabine pour parler aux gardes, à qui j’ai demandé, avec le meilleur visage innocent possible, quel était le match de football retransmis à ce moment-là.

 

« C’est la rediffusion du match entre Peñarol et Flamengo », a dit l’un d’eux, se consolant de quelque chose que je ne pouvais pas comprendre. Ils ont joué hier après-midi, à Rio de Janeiro. Peñarol a fait danser les noirs, ils ont gagné par 3 à 0. Nous avons augmenté le volume pour que nos collègues d’enface souffrent un peu ».

 

J’ai ri avec ces hommes à l’allure robuste et à la moustache épaisse. C’était magnifique de se sentir entier et libre.

 

Vive l’Uruguay, vive Artigas, vive Peñarol !!!!

 

Cinq jours plus tard, valise à la main, je sonnais à la porte de la maison de mes parents, au milieu de l’avenue Vicuña Mackenna, à Santiago du Chili.

 

NdT
*Le (vrai) journal de Bolivie [la CIA en avait publié une version trafiquée] a été publié simultanément en espagnol à Cuba, en italien par Feltrinelli, en allemand par Trikont, en anglais par Ocean Press et en français par François Maspéro en juillet 1968. Réédité par La Découverte en 1995 et par Au Diable Vauvert en 2022.
Ebook

Arturo Alejandro Muñoz (Curicó, Chili, 1945)
Professeur d’histoire et travailleur social formé à l’université du Chili.
Écrivain et chroniqueur

Auteur entre autres de “Señor concejal”, “El honor de un cobarde”, “La casa Roschauffen”, “Con los ojos de mi padre”, “Los hombres de la Cimitarra” et “Tres hilos para una aguja”.

Il a été membre du Commandement national des travailleurs (CNT) en 1983-1985 dans la lutte contre la dictature militaire.

Il vit actuellement à Coltauco, dans la région d’O’Higgins. @artamumu