À l’automne 1949 Kateb Yacine, alors âgé de 20 ans, s’embarque à Alger pour Djeddah sur le paquebot Le Providence des Messageries maritimes pour participer au hajj. De ce pèlerinage organisé et contrôlé par les autorités coloniales françaises et administré par la Banque d’Indochine, il rapporte une série d’articles publiés par le quotidien Alger Républicain en novembre 1949. Dans le dernier article de la série, daté du 22 novembre, intitulé Pas de pèlerinage libre sans séparation du culte et de l’État, il écrit :
« ... La joie du retour en terre natale avait tout effacé. Il n’y avait plus place pour aucun souvenir : nous répondions à l’accueil chaleureux de la population accourue sur les quais dès que le Providence avait été visible au large. Pourtant nous n’avions pas mis pied à terre que déjà on nous interrogeait. Et c’est alors que nous avons compris quel lourd devoir nous incombait : la vérité était si pénible à dire à nos interrogateurs si confiants... Mais nous ne pouvions nous taire sur un tel sujet. En dissimulant les peines endurées, les obstacles et les exploitations, nous n’aurions pas seulement caché la vérité. Nous aurions participé à la tromperie, nous serions entrés, nous, victimes du mensonge, dans le camp des menteurs. Aussi sommes-nous nombre de hadji algériens à avoir décidé de tout révéler, pour aussi difficile que cela le sera, après les contes des Mille et Une Nuits diffusés par les troubadours de M. Naegelen [socialiste, gouverneur général de l’Algérie, nommé en 1948, démissionnaire en 1951]. Non, notre pèlerinage n’a pas été libre, comme nos médersas et nos mosquées ne sont pas libres. Est-ce à dire que nous devons montrer la plaie sans chercher à la guérir, est-ce à dire que nous allons renoncer à notre pèlerinage parce que l’administration le déforme et l’utilise contre nous ? Personne ne peut le croire. Il ne nous reste donc plus qu’une voie pour tenir tête aux falsificateurs : engager la lutte dans l’union pour ne plus permettre de telles usurpations. La liberté du culte en Algérie est la première de nos revendications. Ne pas en comprendre l’importance fondamentale, c’est se résigner à voir toujours notre foi tournée en dérision et la terre sainte livrée aux financiers et aux policiers. Il s’agit de rétablir la décence, de faire reculer le mensonge, de ne plus permettre des mystifications aussi cyniques. C’est notre dignité d’hommes qui en dépend, sans compter les sentiments religieux de toute une population déjà opprimée sur tous les autres plans de la vie. Pour ma part, mon premier souci a été de porter témoignage. Il est de bon augure qu’il se soit trouvé un quotidien en Algérie pour accueillir ce témoignage. Sans reculer devant la haine du gouvernement général pour tout ce qui porte un coup à sa scandaleuse ingérence. Nous pouvons donc considérer un premier pas comme accompli. Il reste maintenant une lutte quotidienne, qui est affaire de toute la population, de toutes les organisations, de tous les honnêtes gens, pour le respect et l’indépendance du culte, pour le pèlerinage libre. Ce dernier doit être et rester l’affaire des [associations] cultuelles musulmanes. »
De la Mauritanie à l’Indonésie, la “gestion du culte musulman” dans les empires coloniaux (français, britannique, italien, néerlandais) et en particulier le contrôle des pèlerinages, a fait l’objet de luttes importantes entre colonisés et prépondérants revendiquant le statut de « puissances musulmanes ». Ironie de l’histoire, la puissance française était loin d’appliquer le principe de base de la laïcité, à savoir la séparation des cultes religieux et de l’État. Dans son reportage, Kateb Yacine donne à voir et à entendre la réalité de ce hajj colonial et comment les pèlerins algériens, marocains, tunisiens, ouest-africains vivaient cette expérience tragi-comique, sous la férule de la Banque d’Indochine et face à la Maison Saoud. Les détails qu’il donne sur les clandestins tunisiens à bord du Providence ne manquent pas de sel.
Luc Chantre, auteur d’une thèse doctorale intitulée Le pèlerinage à La Mecque à l’époque coloniale (v. 1866-1940) : France, Grande-Bretagne, Italie (Poitiers, 2012), a publié en 2018 un livre issu de cette thèse, intitulé Pèlerinages d’empire. Une histoire européenne du pèlerinage à La Mecque(Éditions de La Sorbonne). Nous en reproduisons le chapitre 12, Le retour contesté des pèlerinages dʼempire, qu’il introduit par ces mots : « Le vide laissé par les puissances coloniales pendant les années de [la deuxième] guerre [mondiale] a créé un précédent que ne manquent pas d’exploiter les opposants à la colonisation. Tandis que les puissances européennes entendent restaurer, dès 1945, les organisations d’avant-guerre, le principe de ces pèlerinages officiels organisés par terre, mer ou air est de plus en plus critiqué chez les pèlerins musulmans – y compris chez les élites musulmanes, pourtant choyées durant l’entre-deux-guerres – qui réclament davantage de liberté, quelles qu’en soient les conséquences ».
À l’occasion de l’Aïd, nous offrons ces documents à nos amis musulmans et décoloniaux, pour alimenter leurs combats et leurs réflexions.
La notion de futur s’est considérablement modifiée.
Je suis assez âgé pour le savoir par expérience et pas
seulement intellectuellement.
L’avenir révolutionnaire que le socialisme en général
et le marxisme en particulier, critiquant la religion chrétienne qui plaçait la
félicité dans “l’au-delà” et la revendiquant pour notre en-deçà, pour notre
avenir même sur terre (sur la Terre), malgré son apparente prétention à des
améliorations concrètes de la vie humaine, n’a pas cessé d’être une
revendication post vitam.
Le laboureur rouge, de Boris Zvorykin
(1872-1945), 1920 : “Dans les champs sauvages, sur les décombres du féodalisme
et du capital, nous labourerons notre champ”.
La description même de l’URSS comme “paradis des travailleurs” révèle son
caractère de mauvais coup (comme un jeu de bonneteau). Elle a probablement été
faite en toute mauvaise conscience, car au moins les échelons supérieurs de la
nomenklatura le savaient : en URSS, la condition de la classe ouvrière était un
néo-esclavage. Et de ce côté-là, l’accès au paradis était définitivement
inaccessible.
Mais il y avait tout un peuple qui était plein d’espoir. C’est ainsi que la
présence, l’existence de l’URSS a été vécue, grosso modo, entre les années 1950
et les années 1980 (avant, dans les années 1920, le feu révolutionnaire ne
traversait aucun paradis et plus tard, dans les années 1980, les concessions
tactiques successives à l’establishment ont mis fin à l’espoir du feu et à l’espoir
du paradis).
La référence au futur (“socialiste”) exprimait le caractère d’un alibi
idéologique, bien qu’en général les personnes qui adhéraient à de telles “convictions”
(par exemple tous les membres des partis communistes et même socialistes), ne
se percevaient guère comme l’objet d’une temporalité fallacieuse.
1956 est une année clé pour la “chute de ces engagements”, celle d’un
socialisme naïf et massifié (certainement pas pour l’intelligentsia, qui a
longtemps été impliquée dans des débats et des luttes à la vie à la mort).
Car pendant près de 40 ans, la liturgie officielle soviétique a ignoré les “accidents”
de l’anarchisme, du trotskisme, du conseillisme et autres “malformations”, les
considérant comme des anomalies qui n’altéraient pas le corpus (sacré) révolutionnaire.
Le 20e Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS)
a alors mis en évidence le caractère endogène du mal. D’un certain mal (et non
de tous les maux, comme la droite traditionnelle a immédiatement tenté de l’exploiter
en disculpant, comme s’ils n’existaient pas, le colonialisme, le racisme, le
militarisme classique, bref le capitalisme).
C’est lorsque le 20e congrès du PCUS a révélé que Staline était un assassin,
un dictateur omnipotent.
1956 a été la première démolition de l’aspiration socialiste à l’avenir
(que l’on appelait encore “le futur” [1]).
Le marxisme avait commis un abus intellectuel, un outrage psychique en
logeant les rêves de manumission dans “l’avenir”. Et il a commis, en outre, une
vulgaire répétition de l’appel des prêtres chrétiens à tolérer les iniquités du
présent pour trouver le bonheur dans le futur.
La prétention scientifique à connaître “le futur” a alors fonctionné comme
un alibi idéologique.
Car, stricto sensu, on ne peut pas connaître, ni même percevoir, l’avenir.
C’est le scientisme socialiste qui a imposé cette revendication, en
modifiant notre propre localisation temporelle et spatiale : le passé était
reconnaissable et séparable de toute rêverie passée. Il était certes difficile
de le reconnaître, de le retrouver. Le travail historique, la recherche
documentaire, pouvaient nous rapprocher asymptotiquement de lui, de ce que nous
avions vécu. Notre présent s’évanouissait de seconde en seconde, notre passé
devenait de plus en plus insaisissable.
Mais cette temporalité ne commence pas avec le socialisme. C’est l’optimisme
bourgeois qui a développé l’idée de futur, un futur toujours meilleur.
Edward Bellamy, combinant ses origines usaméricaines et l’expansion
irrésistible des idées socialistes en Occident dans la seconde moitié du XIXe
siècle, a écrit un roman utopique – Cent ans après ou l’An 2000 - d’un
techno-optimisme radical, soutenant une société de rêve basée sur de nouveaux
gadgets technologiques qui rendraient la vie agréable et enviable : véhicules
motorisés tels que les hélicoptères, sermons religieux par téléphone,
lave-vaisselle et autres appareils électroménagers, cartes de crédit. Bellamy l’a
publié en 1892, alors que tous ces nouveaux gadgets, aujourd’hui banalisés, commençaient
à faire leur apparition.
Ce conte utopique, d’une simplicité candide, est l’une des dernières
versions de la grande saga utopique de la modernité avec une charge entièrement
positive. Il est très significatif qu’avec la création de l’Union soviétique en
1917, ce genre ait presque disparu dans sa version optimiste et positive. En
1920, Evgueni Zamiatine écrit Nous autres, dans la toute nouvelle URSS,
qui raconte une société aux habitations vitrées, c’est-à-dire à la vie
quotidienne sans secrets, et à l’esprit plutôt étouffant. Au bout d’un certain
temps, il est emprisonné par son ami Joseph Staline. Mais ce dernier sera “magnanime”
: il sera emprisonné pendant “seulement” 6 ans, puis exilé (de nombreux récalcitrants
et dissidents commenceront dans les années 1930, lorsque Zamiatine sera
finalement condamné, à “payer” leurs “déviations” (ou trahisons de la “dictature
du prolétariat”), d’un emprisonnement beaucoup plus long et sévère, ou carrément
de leur vie.
Notre temporalité, que nous avions l’habitude de
décrire comme passé-présent-futur, comptait tout au plus deux membres ou
instances tangibles, concrètes : notre présent et le passé que nous
construisions ou défaisions au fur et à mesure. L’avenir n’était pas là. Il n’a
jamais existé. Notre réalité a toujours été celle que nous abandonnions, en
entrant dans notre présent, qui devient invariablement un passé continu (les
rythmes, psychologiquement, peuvent varier et l’on peut sentir un présent
continu à certains moments et à d’autres, un présent très fugace).
L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 a porté un coup fatal à l’idée
même de futur. L’option politique a été radicalement rejetée, dans un certain
sens, par Francis Fukuyama [2] dans un essai dans lequel il soutenait que l’avenir
était déjà arrivé et qu’il s’agissait du système démocratique, de libération
des capitaux, sans aucune perspective de changement politique en vue. Même si,
des années plus tard, il tentera de faire l’autocritique de son opinion très
hâtive, il est clair que l’idée d’un futur socialiste est entrée dans une crise
irréversible.
La notion toxique de futur socialiste (qui devait servir d’aspiration, de
stratégie de vie) en tant que “nécessité historique”, en tant qu’avenir
inévitable, a très clairement révélé son invraisemblance, et sa projection
politique a été mortellement blessée.
Le système de pouvoir fonctionnait d’une manière radicalement différente,
dépouillé de cette image politiquement chargée d’un futur socialiste, affirmant
le présent comme source de pouvoir et de satisfaction. Le monde dans lequel
nous vivons, qui nous occupe, nous contraint, nous conditionne par une perpétuelle
présentification, nous façonne. Nous percevons que c’est précisément ce qui est
valable aujourd’hui, dans notre moment historique.
Cette présentification de nos sociétés s’est opérée par le biais d’une hybris
technologique qui a permis à nos sociétés de plus en plus modernisées de
répondre à toutes les nouveautés et possibilités offertes par les déploiements
technologiques : aujourd’hui, on peut voyager plus vite et dans plus d’endroits
; le tourisme est une activité de loisir de plus en plus permanente et
structurée dans nos vies.
Nous avons éliminé les saisons de notre alimentation et nous pouvons manger
(presque) indifféremment, n’importe fruit ou légume, pendant les douze mois de
l’année (l’accès matériel, c’est autre chose...).
Il en va de même pour la couverture énergétique, qui s’étend à de plus en
plus de régions.
Bien sûr, tout cela a un coût, celui d’une usure planétaire de plus en plus
importante. Mais compte tenu de la complexité des interrelations techniques,
économiques, financières et de travail, il est très difficile de percevoir
clairement, par exemple, les coûts environnementaux du fait que presque tout le
monde a “presque tout” (et le téléphone portable en premier lieu, incarnation
de la présentification consumériste de notre monde actuel).
Le téléphone portable : un élément clé de la vie au
présent perpétuel
Le passé et l’avenir ont été mis en crise par une “présentisation” sans
clémence et incessante. Le passé avec ses souvenirs, le futur avec ses projets.
Comment prétendre se souvenir de mon père, de ma sœur, de cette autre
petite amie, de cette maison confortable, alors que nous avons assez de mal à
vivre au jour le jour !
Car notre temporalité ne naît pas d’elle-même. Mais de tout l’attirail
technologique qui est censé nous “assister”.
Toutes les aides, toutes les choses que nous considérons comme des aides,
mais qui en réalité nous conditionnent. Mais, bien sûr, sans nous le dire. L’hétéronomie
devient très claire avec les adolescents, ceux qui sont déjà entrés dans la
roue de la communication cybernétique, soutenue, permanente, mais ils ne sont
que des apprentis et des consommateurs. Mais elle nous concerne et nous
gouverne tous.
Tout le monde a déjà vécu cette anecdote triviale qui consiste à dire à son
amie, à sa cousine ou à son père que l’on a envie d’une pizza et, quelques
heures plus tard, son téléphone portable lui propose un flot de pizzerias
toutes plus alléchantes les unes que les autres.
Cela révèle que le téléphone portable n’est pas comme les anciens objets
technologiques qui nous entouraient de manière inerte. Le téléphone portable
agit.
Il contre-agit (à proprement parler, il contre-attaque). C’est de l’intelligence
artificielle. Et il n’y a même pas de dialogue socratique, celui qui, même sans
être égalitaire, est à la recherche de la vérité. Non, il y a une panoplie
innombrable d’invitations, dont beaucoup sont accessibles pour l’utilisateur du
téléphone portable, ou plutôt c’est lui qui est “accédé”.
La situation actuelle, avec les “formes cachées de propagande” [3], comme le disent les personnes interrogées dans The
Social Dilemma [4], est grave (au sens médical du terme ; elle peut causer
la mort). Il ne s’agit pas ici des prouesses des bots, de la 3G, de la 4G, de
la 5G, des vitesses de transmission, du téléchargement et d’autres inventions
éblouissantes (et toxiques), mais des résultats sociaux qui sont de plus en
plus clairs : les utilisateurs sont modifiés, défiés, interrogés à partir, par
exemple, d’applications mobiles. Le résultat décrit dans The Social Dilemma
(Le dilemme social) est le suivant : « chaos massif, indignation,
manque de civilité, manque de confiance les uns envers les autres, solitude,
aliénation, plus de polarisation, plus de piratage électoral, de populisme, de
diversion et d’incapacité à réfléchir aux vrais problèmes ».
Les personnes interrogées dans cette docufiction, qui ont tous été à un
moment donné des personnes clés des hauts-lieux du numérique actuels (anciens
employés de Google, Twitter, Facebook, etc.), parlent de “monstres numériques
hors de contrôle”. La description d’un futur par Jaron Lanier est
frappante, au vu des affrontements croissants, des difficultés de compréhension
qu’il voit poindre aux USA : “guerre civile, dans 20 ans au max”. “Nous
détruirons notre civilisation par une ignorance délibérée”. Il précise : « nous
pourrions ne pas être en mesure de résoudre la question du climat, nous
pourrions dégrader les démocraties du monde et les faire tomber dans une sorte
d’autocratie dysfonctionnelle, nous pourrions ruiner l’économie mondiale, nous
pourrions ne pas survivre ».
Même l’auto-protagonisme déplaisant que cet USAméricain attribue aux USA et
à leur peuple, ainsi qu’à leur nombrilisme (impérial, délibéré ou non), doit
être considéré comme une part de vérité. Car si les USA ne sont pas seuls et n’ont
pas réalisé leur rêve impérial de 1945, ils s’en sont pas mal rapprochés. Et c’est
particulièrement visible dans les profils technologiques qui nous gouvernent, dans
les modalités consuméristes qui nous ravagent.
Les personnages de cette docufiction posent bien le diagnostic final en
écartant toute attitude de rejet primitiviste et absolu ; l’un des protagonistes
(Tristan Harris) affirme clairement que ce qui a envahi nos vies est “à la fois
une utopie et une dystopie".
Le dilemme social ne donne en tout cas aucune piste
pour sortir du merdier.
Un autre personnage fait remarquer, de manière conciliante, qu’“il faut
accepter que les entreprises veuillent faire de l’argent”, ce qui signifie que
le problème et la solution ne transcendent pas ce que nous appelons le
capitalisme. Mais sa description est essentielle : « le malheur, c’est qu’il
n’y a pas de lois, pas de règles, pas de concurrence et que les entreprises
agissent comme une sorte de gouvernement de facto ». Bref, une dictature.
Parce qu’une entreprise, un dirigeant, une église qui agit pour son seul
intérêt, sans rendre de comptes, c’est de la dictature.
Le problème est que c’est ainsi que le grand capital a agi dans tous les
temps et circonstances “nécessaires” : c’est ainsi que l’extractivisme “originel”
s’est développé à partir de 1492 ; c’est ainsi que la pétrochimie s’est
développée, en pleine hybris, empoisonnant la planète entière ; c’est
ainsi que la médecine, le Big Pharma, s’est développée, au-dessus de toutes les
lois, générant l’iatrogénèse.
Jonathan Cook explique bien l’historique de cette question : « Les
graines de la nature destructrice trop évidente du néolibéralisme d’aujourd’hui
ont été plantées il y a longtemps, lorsque l’Occident “civilisé et
industrialisé” a décidé que sa mission était de conquérir et d’assujettir le
monde naturel en adoptant une idéologie qui fétichisait l’argent et
transformait les humains en objets à exploiter ». [5]
Cook dit bien “néolibéralisme”. Dans toutes les Amériques, comme en Europe, c’est la
catégorie conceptuelle de base, le cadre culturel dans lequel nous évoluons.
Et avec l’effondrement du socialisme, nous n’avons pas seulement perdu un
rêve malheureux, nous avons aussi perdu, semble-t-il, la capacité de rêver, car
je relève ici une autre observation de Cook lui-même, aussi révélatrice que la
précédente : « l’idéologie qui est devenue une boîte noire, une prison
mentale, dans laquelle nous sommes devenus incapables d’imaginer une autre
façon d’organiser notre vie, un autre avenir que celui auquel nous sommes
destinés en ce moment. Le nom de cette idéologie est le capitalisme ». Fukuyama
reloaded. Le dilemme social ne va pas jusque-là.
La notion de futur a donc pratiquement disparu. Et on ne peut que s’s’en
réjouir : les mirages sont toujours de mauvais maîtres.
Sauf que la notion de no-future est si dévastatrice.
Parce que si l’idée d’un futur connaissable devient facilement oppressive, l’idée
de ne pas avoir d’avenir est encore plus radicalement terrifiante.
[1] J’ai connu
les effets du 20ème Congrès dans ma famille. Un oncle très imbu de
lui-même et de son communisme, après avoir d’abord nié l’existence du 20èmecongrès, puis expliqué avec
condescendance qu’il s’agissait de versions de “la presse bourgeoise”, a un
jour pris une cuite qui a duré des mois (ayant retrouvé sa sobriété grâce à des
mains très amicales, il est devenu un antistalinien fervent, comme tout son
parti : il a perdu la plate-forme mais pas la ferveur, désormais “accroché au
pinceau”).
[2] La fin de l’histoire
et le dernier homme, Flammarion, 1992, dans lequel l’auteur considère que
la lutte des classes, et donc, de manière hégélienne, l’histoire - en tant que
lutte des idéologies - est terminée.
[3] Voir ce que
Vance Packard a écrit il y a plusieurs dizaines d’années. Et ce qui s’est passé
depuis.
[4] Docufiction usaméricaine
réalisé epar Jeff Ortowski. Avec Tristan Harris, Jaron Lanier, Shoshana Zuboff
et d’autres. Septembre 2020. Visible sur Netflix ou ici gratuitement
Ha
sobrevenido un cambio sustancial en la noción de futuro.
Tengo
edad suficiente como para conocerlo experimentalmente y no sólo
intelectivamente.
El
futuro revolucionario que auspició el socialismo en general y el marxista en
particular, criticando a la religión cristiana que depositaba la
bienaventuranza en “el más allá” y reclamándola para nuestro más acá, para
nuestro mismísimo futuro en la tierra (en la Tierra), pese a su aparente
reclamo de mejoras concretas en las vidas humanas, no dejó de seguir siendo un
reclamo postexistencial.
El Arador
rojo, por Boris Zvorykin (1872-1945), 1920 : “En los campos salvajes, sobre los
escombros del feudalismo y del capital, araremos nuestro campo”
La
misma calificación de la URSS como “paraíso de los trabajadores” revela su carácter de mala jugada (tipo juego de la
mosqueta). Probablemente hecho con mala conciencia, pues al menos los peldaños
superiores de la nomenklatura lo sabían: en la URSS, la condición obrera era
una neoesclavitud. Y por ese lado, el acceso al paraíso era definitivamente
inalcanzable.
Pero
había todo un pueblo esperanzado. Así se vivió la presencia, la existencia de
la URSS, grosso modo entre los ’50 y los ’80 (antes, en los ’20, el fuego
revolucionario no pasaba por paraíso alguno y después, en los ’80, las
sucesivas concesiones tácticas a lo establecido acabaron con la esperanza del
fuego y la del paraíso).
La
remisión al futuro (“socialista”) expresaba el carácter de coartada ideológica,
aunque en general la gente que adhería a tales “convicciones” (por ejemplo
todos los afiliados de los partidos comunistas y hasta socialistas), difícilmente
se percibieron en su condición de objeto de una temporalidad tramposa.
1956
fue un año clave para la “caída de estas investiduras”; la de un socialismo
ingenuo, masificado (no por cierto para la intelectualidad, hace mucho enzarzada
en debates y luchas de vida y muerte).
Porque
durante casi 40 años la liturgia oficial soviética había sorteado los
“accidentes” del anarquismo, el trotskismo, el consejismo y otras ‘malformaciones”
como anomalías que no dañaban el corpus (sagrado) revolucionario.
El
vigésimo congreso del Partido Comunista de la Unión Soviética (PCUS) puso entonces
sobre el tapete el carácter endógeno del mal. De algún mal (y no de todo el
mal, como la derecha tradicional trató inmediatamente de aprovechar,
exculpando,como si no existiera, el
colonialismo, el racismo, el militarismo clásicos, el capitalismo en suma).
Fue cuando
el vigésimo congreso del PCUS reveló que Stalin era un asesino, un dictador
omnímodo.
1956
fue el primer derribo de la aspiración socialista de lo porvenir (que todavía
se mencionaba como “el futuro”.[1]
El
marxismo había cometido un abuso intelectual, una tropelía psíquica alojando en
“el futuro” los sueños de manumisión. Y había cometido, además, una vulgar
repetición de la apelación de los sacerdotes cristianos a tolerar las
iniquidades del presente para que pudiéramos encontrar la bienaventuranza en
nuestro futuro.
La
pretensión científica de conocer “el futuro” funcionó, entonces, como coartada
ideológica.
Porque,
strictu sensu, no se puede conocer,
ni siquiera percibir, lo porvenir.
Fue el
cientificismo socialista el que forzó esa pretensión, alterando nuestra propia ubicación
témporoespacial: el pasado era reconocible y separable de todo ensueño pasado.
Era por cierto arduo reconocerlo, recuperarlo. El trabajo histórico, la
investigación documentaria, nos podía acercar asintóticamente a él, a lo
vivido. Nuestro presente se esfumaba segundo a segundo, se hacía nuestro pasado
cada vez más inasible.
Esa
temporalidad, empero, no empieza con el socialismo. Fue el optimismo burgués el
que amplió la idea de futuro; el porvenir que auguraba siempre algo mejor.
Edward
Bellamy, conjugando su origen estadounidense y la expansión imparable de las
ideas socialistas en Occidente en la segunda mitad del Siglo XIX, escribe una
novela utópica–El año 2000–,
de tecnooptimismo radical, apoyando una sociedad de ensueño sobre la base de
los nuevos adminículos tecnológicos que harían la vida agradable, envidiable;
vehículos motorizados, como helicópteros,sermones religiosos por vía telefónica, lavavajillas y otros
electrodomésticos, tarjetas de crédito.
Pensemos que Bellamy la publicó en 1892, cuando toda esa ristra de enseres, hoy
cotidianos, apenas si estaban despuntando.
Este
relato utópico, de candorosa simplicidad es una de las últimas versiones de la gran
saga utópica de la modernidad con carga totalmente positiva. Es muy
significativo que con la instauración soviética, 1917, ese género casi
desaparece, en su versión optimista, positiva. En 1920, Yevgeny Zamyatin
escribe Nosotros, en la flamante
URSS, narrando una sociedad con viviendas con paredes de vidrio, es decir con
vida cotidiana sin secretos, y con un espíritu bastante asfixiante. Que le
valdrá, al cabo de un tiempo, una cárcel dictada por su examigo Josef Stalin.
Que será empero, “magnánimo”: estará preso “apenas” 6 años y luego el exilio
(muchos discrepantes y disidentes empezarán en la década del ’30, en que
Zamyatin es finalmente condenado, a “pagar” sus “desviaciones” (o traiciones a
la “dictadura del proletariado”), con prisiones mucho más largas y duras, o con
la vida, directamente.
Nuestra temporalidad, que
acostumbrábamos a calificar como pasado-presente-futuro, tenía a lo sumo dos
miembros o instancias, asibles, concretas: nuestro presente y el pasado que
íbamos construyendo o deshaciéndose a nuestro paso. Lo futuro no estaba. No
estaba nunca. Nuestra realidad siempre ha sido la que hemos ido abandonando
ingresando a nuestro presente, que se va haciendo pasado continuo,
invariablemente (los ritmos, psicológicamente, pueden, variar y uno puede
sentir un presente continuo a veces y otras, uno muy fugaz).
El
colapso soviético, en 1991, dio un golpe mortal a la idea misma de futuro. La
opción política llegó a ser radicalmente descartada en cierto sentido, por
Francis Fukuyama[2]
en un ensayo en que sostenía que el futuro ya había llegado y era el sistema
democrático, de capitales liberados, sin perspectiva de cambios políticos a la
vista. Aunque años más tarde, ensayará una autocrítica ante su apresuradísimo
dictamen, lo que sí quedaba claro era que la idea de futuro socialista había
entrado en crisis, irreversible.
La
tóxica noción de futuro socialista (que quería servir como aspiración, para
nuestras estrategias de vida) como “necesidad histórica”, como futuro inevitable,
reveló tan claramente su inverosimilitud, y su proyección política había sido
herida de muerte.
El
sistema de poder operó de modo radicalmente distinto, deslastrado de esa
imagen, políticamente cargada, de un futuro socialista. Afirmando lo presente como
fuente de poder, y de satisfacción. El mundo que vivimos ocupándonos,
exigiéndonos, condicionándonos mediante una presentización perpetua, fue
configurándonos. Percibimos que es precisamente, lo que tiene vigencia hoy, en
nuestro momento histórico.
Esa
presentización de nuestras sociedades ha operado mediante una hybris tecnológica que ha permitido a
nuestras sociedades cada vez más modernizadas atendertodas las novedades y posibilidades que los
despliegues tecnológicos permiten: hoy se puede viajar más rápido y a más
lugares; el turismo es una actividad de distracción cada vez más permanente,
estructurada en nuestras vidas.
Hemos
suprimido la estacionalidad de nuestros alimentos y podemos comerlos (casi)
indistintamente, cualesquiera de ellos, los doce meses del año (asunto muy
distinto es el acceso material...)
Lo
mismo, la cobertura energética, cada vez mayor y en más ámbitos.
Claro
que todo eso se hace con un costo, un desgaste planetario, cada vez mayor. Pero
dada la complejidad de las interrelaciones técnicas, económicas, financieras,
laborales, se hace muy difícil percibir con claridad, por ejemplo, los costos
ambientales de que casi todos tengamos “casi todo” (y el celular en primer
lugar, epítome de la presentización consumista de nuestro mundo actual).
El celular: pieza clave
del vivir en un presente perpetuo
Con la
presentización inclemente, sostenida, han entrado en crisis el pasado, y lo
futuro. El pasado con sus recuerdos; lo futuro, con sus proyectos.
¡No
damos abasto para vivir cada día!, ¡cómo vamos a pretender recordar a mi padre,
a mi hermana,a aquella otra novia,
aquella casa tan acogedora!
Porque
nuestra temporalidad no nace desde sí misma. Sino de toda la parafernalia
tecnológica que supuestamente “nos asiste”.
Todas
las asistencias, todo lo que nosotros consideramos asistencias, pero que en
realidad nos condicionan. Pero, claro, sin decírnoslo. La heteronomía se hace
muy clara con los adolescentes, aquellos que ya entraron en la rueda de la comunicación
cibernética, sostenida, permanente, pero apenas son aprendices y consumidores.
Pero nos atañe, y nos rige, a todos.
Todos
han experimentado esa anécdota trivial de decirle a tu amiga, a tu prima, o tu
padre, que tiene deseo de comer pizza y a las pocas horas, el celular te ofrece
una chorrera de pizzerías, a cada cual más tentadora.
Eso
revela que el celular no es como los viejos objetos tecnológicos que nos
rodeaban inertes. El celu actúa.
Contraactúa
(en rigor, contraataca). Es inteligencia artificial. Y no hay diálogo siquiera
socrático; aquel que aun sin ser igualitario, está a la búsqueda de la verdad.
No, lo que hay es una panoplia innumerable de invitaciones, a muchas de las
cuales el usuario del celular accede, mejor dicho, es “accedido”.
La
situación actual, con “formas ocultas de propaganda”,[3] como la
explicitan los entrevistados en The
Social Dilemma [4]es
grave (en el sentido médico del término; que puede causar la muerte). No se
trata aquí de los hallazgos de bots, del 3G, 4G, 5G, de las velocidades de
transmisión, carga informativa y otros inventos deslumbrantes (y tóxicos), sino
de los resultados sociales que se ven cada vez más claramente: los usuarios son
modificados, desafiados, interrogados desde, por ejemplo, aplicaciones del
celular. El resultado que transmiten en The
Social Dilemma: ‘caos masivo, indignación, falta de civilidad, falta de
confianza en el otro, soledad, alienación, más polarización, más hackeo de
elecciones, populismo, distracciones e incapacidad de pensar en problemas
reales.’
Sus
entrevistados, todos ellos en su momento personal clave de los actuales
emporios digitales (exempleados de Google, Twitter, Facebook, etcétera) nos
hablan de “monstruos digitales fuera de control”. Llama la atención la
descripción de un futuro que verbaliza Jaron Lanier, a la vista
de los crecientes enfrentamientos, las dificultades de entendimiento que observa
desplegándose en EE.UU.: “guerra civil, en no más de 20 años”.
"Destruiremos nuestra civilización con ignorancia voluntaria".
Explicita: “no podamos resolver la cuestión climática, tal vez degrademos las
democracias del mundo, y las hagamos caer en una especie de autocracia
disfuncional, quizás arruinemos la economía global, quizá no sobrevivamos.”
Hasta
al desagradable autoprotagonismo que este estadounidense atribuye a EE.UU. y a
su gente,y a su nosística (imperial,
voluntaria o no), hay que concederle su cuota de verdad. Porque, aunque los
EE.UU. no están solos ni han logrado cumplir su sueño imperial de 1945, se han
acercado bastante. Y se nota particularmente en el perfil tecnológico que nos
gobierna, la modalidad consumista que nos estraga.
Los
personajes de este semidocumental aciertan en el diagnóstico final desechando
toda actitud de rechazo primitivista y absoluto; uno de los
personajes-protagonistas (Tristan Harris) aclara que lo que se ha encaramado en
nuestras vidas es “una utopía y una distopía al mismo tiempo.”
The Social Dilemma no da, por cierto, pista
alguna para salir del atolladero.
Otro de
los personajes señala, conciliador que “debemos aceptar que las empresas
quieran ganar dinero”, con lo cual el problema y la solución no trascienden lo
que llamamos capitalismo. Pero su descripción es clave: “lo malo es que no haya
leyes ni reglas ni competencia y que las empresas actúen como una especie de
gobierno de facto.” Dictadura, en una palabra. Porque una empresa, un líder,
una iglesia que actúa por sí y ante sí, no rinda cuenta, es dictatorial.
El
problema es que así ha actuado el gran capital en todas las épocas y
circunstancias “necesarias”: así fue el extractivismo “originario” de 1492 en
adelante, así se desarrolló la petroquímica; en plena hybris envenenando todo el planeta; así se ha desarrollado la
medicina, el Big Pharma, por encima de toda ley, generando iatrogenia.
Historiando
esta cuestión, muy bien explica Jonathan Cook: “Las semillas de la naturaleza
destructiva actual del neoliberalismo, algo demasiado obvio, se plantaron hace
mucho tiempo, cuando el Occidente ‘civilizado e industrializado’ decidió que su
misión era conquistar y someter el mundo natural al adoptar una ideología que
fetichizaba el dinero y convertía a la gente en objetos a explotar.” [5]
Cook
dice bien: “neoliberalismo”. En todo el continente americano, como en el
europeo, ésa resulta la categoría conceptual básica; el marco cultural en el
que nos movemos.
Y con
el quiebre del socialismo, no sólo perdimos un sueño nefasto; también perdimos,
aparentemente la capacidad de soñar, porque, aquí señalo otra observación del
mismo Cook, tan reveladora como la anterior: “la ideología que se ha convertido
en una caja negra, una prisión mental, en la que nos hemos vuelto incapaces de
imaginar otra forma de organizar nuestra vida, cualquier otro futuro que al que
estamos destinados en este momento. El nombre de esa ideología es capitalismo.”
–Fukuyama redivivo–. Hasta allí no llega The
Social Dilemma.
De ahí
que la noción de futuro haya virtualmente desaparecido. Y no tendríamos más que
alegrarnos; siempre un espejismo es un mal acondicionador.
Si no
fuera porque la noción de no-futuro (no
future) es tan devastadora.
Porque
la idea de un futuro cognoscible se torna fácilmente opresiva. Pero la de no
tener futuro se nos presenta como mucho más radicalmente aterradora.
[1]Conocí en mi familia los efectos del vigésimo congreso. Un tío muy
pagado de sí mismo y de su comunismo, luego de negar primero la existencia del
vigésimo congreso y explicar luego, condescendientemente, que se trataba de
versiones de “la prensa burguesa”, un buen día inició una borrachera, que le
duró meses (recuperada su sobriedad en base a manos muy amigas, se hizo
antiestalinista ferviente, como todo su partido: perdió la plataforma pero no
el fervor, ahora “colgado del pincel”).
[2]El
fin de la historia y el último hombre, Planeta, Barcelona 1992, en el
que el autor da por concluida la lucha de clases, y por consiguiente,
hegelianamente la historia –como lucha de ideologías.
[3]Véase lo
que escribió Vance Packard hace décadas. Y lo que ha sobrevenido desde
entonces.
[4]Semidocumental norteamericano dirigido por Jeff Ortowski. Con Tristan
Harris, Jaron Lanier, Shoshana Zuboff y otros. Septiembre de 2020. Se puede ver en Netflix o aquí gratis