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20/06/2024

ANNA RAJAGOPAL
Pas besoin de “valeurs juives” dans la lutte pour la Palestine

Anna Rajagopal, Mondoweiss, 13/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Anna Rajagopal, 24 ans, est une auteure usaméricaine de père blanc chrétien et de mère hindoue, convertie au judaïsme à l’âge de 11 ans et une stratège en médias vivant à Houston, au Texas. Anna a obtenu son diplôme avec distinction en recherche et créations artistiques, ainsi qu’avec mention honorable, de l’université Rice en 2023, où elle a reçu une licence en anglais et écriture créative. Anna est une poétesse et une auteure de non fiction publiée, et son travail a été publié localement, nationalement et internationalement. L’ensemble du travail d’Anna se concentre sur les géographies de l’identité de la communauté colonisées par l’empire et en résistance Anna est une coordinatrice de médias numériques qualifiée avec une expérience dans la gestion de médias pour des publications, des institutions et des marques de célébrités. Elle a fait l’objet de violentes campagnes de dénigrement de la part d’une obscure organisation sioniste la qualifiant, vi geventlikh [comme d'habitude en yiddish] d’ “antisémite”. @annarajagopal

Les Juifs n’ont pas besoin d’invoquer les “valeurs juives” pour justifier leur travail en faveur de la libération palestinienne. En fait, le faire renforce l’idéologie même que nous cherchons à démanteler.

La lutte populaire juive pour la libération palestinienne est souvent qualifiée par une invocation des « valeurs juives ». « Mes valeurs juives m’obligent à m’opposer au génocide » (ou des variantes) est une phrase populaire utilisée dans des discours, des déclarations et des slogans — donnant un sceau d’approbation juif légitime à ce qui suit.

« Le génocide n’est pas une valeur juive » : Des militants lors d’une manifestation contre le chanteur pro-israélien Matisyahu à Philadelphie, le 22 mars 2024. (Photo : Joe Piette/Flickr)

C’est ce que disent les fondateurs et les représentants d’organisations juives comme If Not Now, Independent Jewish Voices, Na’amod et Jewish Voice for Peace. C’est ce que disent des politiciens comme politicians such as Alexandra Ocasio-Cortez. Ainsi disent des tweets viraux et des vidéos populaires.

Que ce soit intentionnel ou non, ces organisations, individus et sentiments ont un point commun qui les aligne avec les groupes et mouvements sionistes populaires : un appel à la suprématie juive.

Quelles sont exactement les valeurs juives ? Bien sûr, les valeurs juives, comme celles de toute religion, couvrent un large spectre allant du libérateur au répressif. Mais si vous demandiez à Jonathan Greenblatt, directeur de l’Anti-Defamation League, il dirait probablement que cette notion abstraite de « valeurs juives » se résume à la nécessité de défendre la communauté juive en promouvant une politique pro-israélienne face à la montée des mouvements propalestiniens, ou qu’elle se résume à soutenir le sionisme lui-même. Si vous demandiez aux dirigeants militaires israéliens, ils diraient probablement que même l’attaque génocidaire contre Gaza a été guidée par les valeurs juives.

04/06/2024

ACCRA SHEPP
Celles et ceux qui se sont levé·es
Photographies du campement de solidarité avec Gaza à l’Université Columbia

 Accra Shepp (texte et photos), The New York Review, 21/5/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Accra Shepp (New York, 1962), fils du musicien de jazz Archie Shepp, est un artiste et écrivain basé à New York, enseignant à la School of Visual Arts. Ses images ont été collectées et exposées dans le monde entier et il vient de terminer une bourse Cullman Scholars de travail sur son projetThe Islands of New York, qui consiste à documenter depuis 2008 les 40 îles de New York. @AccraShepp

Anonyme, 2024

J'ai photographié Occupy Wall Street pendant un an, de 2011 à 2012. Près de dix ans plus tard, dans le cadre de mon travail de documentation sur la pandémie de Covid-19, j'ai suivi les manifestations de Black Lives Matter en 2020. Ce n'était jamais mon intention de me concentrer sur la justice sociale, et je continue à réaliser des images plus expérimentales. Mais prêter attention à la culture—c’est-à-dire les gens—est le travail de tout un chacun dans les arts, et mes intentions ont dû se plier à la réalité qui m'entoure, qui nous entoure tous. Le mois dernier, lorsque des étudiants des universités du pays ont commencé à installer des campements pour protester contre la guerre à Gaza, j'ai réalisé que je devrais rendre ce nouveau moment visible. J'ai passé cinq jours à photographier les manifestations à l'université de Columbia, durant les huit jours entre la première vague d'arrestations et la suivante.

Je suis fier des étudiants qui nous ont amenés à affronter notre participation à cette guerre. En même temps, cela me peine que la culture de la surveillance nous ait effrayés, ait effrayé ceux qui se lèvent pour être entendus mais qui ont peur d'être vus. En tant que personne qui voit pour gagner sa vie, je voudrais rendre visibles tous ceux qui se sont levés, en particulier ceux qui se sont levés pour la paix et contre la violence. C'est un terrible paradoxe. Ceux qui ne voulaient pas que leurs images soient publiées m'ont fait savoir combien ils ont à perdre : il y a eu des licenciements, des suspensions, des expulsions, même des menaces de mort. Pourtant, ils m'ont permis de les photographier et m'ont fait confiance. Pour l'instant, leurs images doivent rester privées, mais elles seront vues un jour.

Je suis également troublé par le fait que la manifestation que j'ai photographiée ne soit pas celle que je vois rapportée par la plupart des médias traditionnels. Je n'ai vu aucune adhésion à l'antisémitisme. Au contraire, le nombre de manifestants juifs était impossible à ignorer, tout comme le niveau de coopération entre Juifs et Musulmans. L'image de la chose, même en ce moment de saturation médiatique, conserve son pouvoir. La photographie—le témoignage de cette protestation contre les tueries—est difficile à effacer de l'esprit. Elle parle de notre faim de connaître le monde.

Abbi, 2024

Abbi : Je suis venue au campement en solidarité avec les étudiants, les professeurs et les travailleurs de Columbia qui demandent à leurs institutions de se désinvestir de l'apartheid israélien et du génocide à Gaza. Se rendre à une manifestation organisée est la réponse la plus rationnelle à la violence inconcevable contre les Palestiniens et le moyen le plus direct d'exprimer la douleur, la colère et l'optimisme radical.

30/05/2024

JEAN-LUC MÉLENCHON
Le moment du drapeau palestinien

Jean-Luc Mélenchon, 29/5/2024

C’est d’abord une image. C’est si peu de chose qu’un bout d’étoffe ! Sébastien Delogu, député insoumis de Marseille, est debout, sa grande taille déployée, il tient le drapeau palestinien. C’est un geste symbolique, bien sûr. Mais les symboles portent toujours une force singulière, englobante, surplombante. L’immense hémicycle est soudain tout entier absorbé dans ces pauvres centimètres carrés colorés. 


Alors le cadre explose. Le génocide hurle sa détresse. Les insoumis sont debout et crient leur soutien à la résistance. Rien ne les représente mieux à cet instant que cet homme, l’un des leurs, eux-mêmes en grand, dans ces minutes précieuses. Alma Dufour a dit les mots dans sa question au ministre, Sébastien a montré le chemin. Les vociférations haineuses éclatent sur les bancs de droite jusqu’aux confins de l’extrême droite de l’hémicycle. C’est le monde tel qu’il est, la France comme elle est, pris un instant sous la lumière crue du symbole éclairant les profondeurs de chacun.

 

Yaël Braun-Pivet, à l’Assemblée nationale, le 10 octobre 2023

Et puis il y a le visage convulsé de haine de la présidente de l’Assemblée. Elle explose de rage, les yeux exorbités, vociférant. Quelque chose est débondé chez elle. Bien sûr, elle est indigne de sa fonction. Aux yeux du monde, la présidente de l’Assemblée française, déjà vue en treillis militaire à Tel Aviv, se montre en pleine crise de nerfs devant le drapeau palestinien. Devant ce qu’elle ne supporte pas elle ne sait pas réagir autrement qu’à l’extrême : frapper au maximum de ses forces et de son pouvoir, sans retenue ni mesure. Elle aura sanctionné davantage de députés en trois ans que tous ses prédécesseurs depuis le début de la cinquième République. Elle ressort le fouet.

Elle invente des règles pour couvrir sa violence. Seul le drapeau français aurait sa place dans l’assemblée, dit-elle. Comme si on ne se souvenait pas du drapeau ukrainien installé dans l’hémicycle du Sénat, ni de son président, monsieur Larcher, qui s’en vantait « en signe de solidarité ». Comme si tous ces gens n’étaient pas déjà venus dans l’hémicycle avec des pins Israël. Sa réaction n’est donc pas une réaction normale, conforme au règlement. Alors est-ce juste une haine partisane, à la Meyer Habib ? Je ne crois pas. Je crois que, littéralement, elle ne veut pas voir ce drapeau. À cause de ce qu’il signifie à cet instant où il est brandi, seul et désarmé. Ce drapeau montre tant de choses invisibles sans lui. Il donne à voir les visages du génocide. Ceux que l’on a vus dans ces vidéos venues de la scène de crime. Et cette présidente redevient un être humain terrorisé par les conséquences de ses propres actes. Elle ne veut pas le voir. Sa réaction, c’est comme si elle s’était vue soudain dans un miroir, installée sur un tas de cadavres, dans la boue des camps de réfugiés.

Ce n’est pas le drapeau qu’elle voit. C’est elle-même, en complice d’un crime. Elle s’est vue dans le camp du mal absolu. Celui dont, pour les générations à venir, elle restera l’image de la complicité la plus veule. Elle est la France indigne qui regarde ailleurs quand le génocide est sous ses yeux. C’est pourquoi elle ne se contrôle plus, comme le montrent les images. Car c’est bien un génocide, dit le drapeau !

Netanyahu a bombardé soixante fois depuis que la cour de justice internationale lui a demandé d’arrêter immédiatement tout action militaire à Rafah. Il va encore bombarder. Encore et encore. Ce n’est pas un incident de guerre. C’est délibéré. Des meurtres nécessaires à ses yeux pour pouvoir se réapproprier et coloniser chaque mètre de terrain. Ni incident, ni hasard. Un génocide planifié méthodiquement. Et mené de façon à prouver que rien ni personne ne peut rien contre ses auteurs.

C’est ce qu’avait annoncé Meyer Habib, quand il répétait l’air radieux dans l’hémicycle à l’énoncé de la liste des crimes de son ami très cher Netanyahu qu’égrenait le député insoumis Léaument : « Et ce n’est pas fini ! Ce n’est pas fini ! ». La honte et le déshonneur marchent à ses côtés. Ce n’est pas fini. Netanyahu va encore tuer et tuer. Il a fait de son pays le paria des nations pour des millions d’êtres humains sans a priori. Il fait de tous ceux qui ont un pouvoir d’agir, et qui ne font rien, ses complices connus de tous. Il suffit de les nommer et de les montrer du doigt, sans en faire davantage, pour qu’on les voit comme ils sont, avec le visage de l’inhumanité au-delà de la frontière du mal.

Madame la Présidente est la complice de Netanyahu. Il aura suffi d’un drapeau brandi pour que cela se sache d’un bout à l’autre du pays et de l’Europe. Juste un bout d’étoffe tenu à bout de bras. Il se passe un génocide et elle trouve que brandir le drapeau des victimes pour le dénoncer doit être puni par la sanction la plus sévère. Elle est le mauvais côté de l’histoire.

Au fil des semaines, le Palestinien est devenu la figure de l’opprimé quel qu’il soit. Du méprisé par les puissants, de celui dont l’humanité est niée au point qu’on puisse trouver acceptable de l’éliminer. Au fil des semaines et du génocide, ce drapeau, après celui de Nelson Mandela au temps de l’apartheid, est devenu un message universel de fraternité humaine. Maintenue contre vents et marées, contre l’insulte et les brimades, contre les convocations, les gardes à vue et les interdictions.


Voici Delogu debout et sur ses épaules tous ceux qu’on ne verrait pas sans ses grands bras qui tiennent ce drapeau en hauteur au-dessus de la mêlée. Comme un oiseau sorti de cage qui vole au vent libre. Merci Sébastien.
 

Note de Tlaxcala
➤Signez la pétition 
Exclure Yaël Braun Pivet 15 jours de l'assemblée nationale

 

02/05/2024

GIDEON LEVY
Les universités israéliennes sont vraiment mal placées pour donner des leçons sur les droits humains et la liberté aux Juifs usaméricains

Gideon Levy, Haaretz, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Voilà un nouveau record d’hypocrisie et de manque de conscience de soi : les présidents des universités israéliennes ont publié une lettre [v. texte ci-dessous] dans laquelle ils se disent troublés par les manifestations de violence, d’antisémitisme et de sentiment anti-israélien sur les campus des USA, et ont entrepris d’aider les Juifs et les Israéliens à être admis dans les universités d’ici. En d’autres termes : venez à l’université d’Ariel. Sur cette terre volée, au cœur du district de l’apartheid, vous étudierez l’éducation civique, les droits humains et la liberté. À Ariel, comme dans toute université israélienne, vous verrez ce que sont la liberté et l’égalité. Ici, vous trouverez également un refuge pour les Juifs persécutés en Amérique, dans l’endroit le plus sûr au monde pour les Juifs : Ariel.


L’université d’Ariel dans la colonie d’Ariel, en Cisjordanie. Photo : Moti Milrod

Chers présidents, ceux qui vivent dans des maisons de verre ne devraient pas jeter de pierres. Si vous voulez offrir un refuge aux universitaires juifs des USA, vous n’avez pas grand-chose à leur offrir. Le jour le plus orageux sur le campus de Columbia est plus sûr pour les Juifs que sur le chemin de l’Université hébraïque [à Jérusalem, NdT]. Chaque étudiant arabe se sent moins à l’aise dans vos universités que les étudiants juifs à Columbia. On peut également douter de l’imminence du danger à Columbia.

« En tant qu’étudiante juive israélienne, je ne ressens aucune crainte ou menace pour ma sécurité personnell », a écrit Noa Orbach, étudiante à l’université Columbia, dans l’édition hébraïque de Haaretz du 26 avril. Israël aime exagérer les dangers qui guettent les Juifs dans le monde et s’y complaire. Cela conduit à l’alya, et c’est bon pour la fable d’Israël en tant que refuge. Non pas qu’il n’y ait pas d’antisémitisme dans le monde, mais si tout et n’importe quoi est antisémitisme, alors Israël décroche le gros lot.

Un peu de modestie ne vous fera pas de mal non plus, messieurs les présidents. Vos académies peuvent envier ce qui se passe aujourd’hui sur les campus usaméricains. Voilà à quoi ressemble un campus où l’on fait preuve de civisme et où l’on s’engage politiquement. Voilà à quoi ressemble un campus vivant, actif et rebelle, contrairement aux cimetières idéologiques des campus lugubres et ennuyeux d’Israël. Certes, la protestation anti-israélienne a débordé ici et là sur l’antisémitisme et la violence, même si c’est moins que ce qui est décrit dans Haaretz. Mais quand il s’agit de choisir entre un campus indifférent, rassasié et endormi et un campus turbulent, attentif et radical, le second est plus prometteur.

On ne peut que rêver ici d’un corps enseignant et d’étudiants militants comme aux USA. Eux seuls peuvent assurer la relève. Dans le désert des campus israéliens, aucune promesse sociale ou politique ne se développera.

Les étudiants usaméricains font preuve d’engagement et d’attention, même si leurs manifestations deviennent tumultueuses et dérapent. Il n’y a aucune chance que des manifestations contre une guerre sur un continent lointain éclatent dans une université israélienne. Un bon jour, des protestations éclateront ici pour protester contre le coût des frais de scolarité ou les conditions de vie des étudiants réservistes. Un jour encore meilleur, une poignée d’étudiants israélo-palestiniens se tiendront aux portes de l’université, marquant silencieusement le jour de la Nakba, avec des dizaines de policiers armés autour d’eux.

Les directeurs d’université cachent également la chasse aux sorcières dans leurs établissements, qui s’est intensifiée depuis le début de la guerre. Quelques jours après son déclenchement, le syndicat étudiant de l’université de Haïfa a déjà annoncé qu’il prendrait des mesures pour suspendre les étudiants qui oseraient exprimer leur soutien aux Palestiniens. « La liberté d’expression, à notre avis, est réduite à néant en ce moment », ont-ils écrit. C’est ainsi que le maccarthysme a commencé dans le monde universitaire, culminant avec la suspension et l’arrestation de la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian. L’esprit du temps, dont le monde universitaire est une partie importante, dans lequel un ingénieur israélien est licencié parce qu’il a cité des versets du Coran dans les médias sociaux (Haaretz, 30 avril), inquiète moins les présidents d’université que ce qui se passe en USAmérique.

Les protestations aux USA devraient interpeller et préoccuper Israël. Une partie de la protestation s’est transformée en haine contre Israël et en appel à le rayer de la carte. Comme toujours, nous devons aller à la racine du problème. Les étudiants usaméricains ont vu beaucoup plus d’horreurs de la terrible guerre à Gaza que leurs collègues israéliens complaisants. S’il n’y avait pas eu la guerre, ou l’occupation et l’apartheid, cette protestation n’aurait pas eu lieu.

Shadi Ghanim, The National, ÉAU, 1/5/2024

      Association des directeurs d'université, Israël (VERA)

Déclaration sur les manifestations violentes et l'antisémitisme sur les campus américains - avril 2024

Nous, présidents des universités de recherche en Israël, exprimons notre profonde inquiétude face à la récente flambée de violence, d'antisémitisme et de sentiments anti-israéliens dans de nombreuses grandes universités des États-Unis. Ces événements inquiétants sont souvent organisés et soutenus par des groupes palestiniens, y compris ceux qui sont reconnus comme des organisations terroristes. Cette évolution troublante a créé un climat dans lequel les étudiants et les enseignants israéliens et juifs se sentent obligés de cacher leur identité ou d'éviter complètement les campus par crainte de subir des dommages physiques.

Nous reconnaissons les efforts déployés par nos homologues dans ces établissements pour résoudre ces problèmes. Nous comprenons la complexité et les défis liés à la gestion des groupes incitant à la haine et reconnaissons que des situations extrêmes peuvent nécessiter des mesures allant au-delà des outils conventionnels à la disposition des administrations universitaires.

La liberté d'expression et le droit de manifester sont essentiels à la santé de toute démocratie et sont particulièrement cruciaux dans les milieux universitaires. Nous continuons à défendre l'importance de ces libertés, en particulier en ces temps difficiles. Toutefois, ces libertés n'incluent pas le droit de se livrer à la violence, de proférer des menaces à l'encontre de communautés ou d'appeler à la destruction de l'État d'Israël.

Nous apportons notre soutien aux étudiants et enseignants juifs et israéliens confrontés à ces circonstances difficiles. Nous ferons de notre mieux pour aider ceux d'entre eux qui souhaitent rejoindre les universités israéliennes et y trouver un foyer académique et personnel accueillant.


Arie Zaban, président de l'université Bar-Ilan ; président de l'association des directeurs d'université – VERA

Daniel Chamovitz, président de l'université Ben-Gurion du Néguev

Alon Chen, président de l'Institut des sciences Weizmann

Asher Cohen, Président de l'Université hébraïque de Jérusalem

Leo Corry, président de l'Open University

Ehud Grossman, Président de l'Université d'Ariel

Ariel Porat, président de l'université de Tel-Aviv

Ron Robin, président de l'université de Haïfa

Uri Sivan, Président du Technion-Israel Institute of Technology

02/04/2024

REBECCA RUTH GOULD
“Nouvel antisémitisme” : ces mots qui tuent
Comment le mythe du “Juif collectif” protège Israël des critiques : un livre d’Antony Lerman


Rebecca Ruth Gould, deterritorialization,  30/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans Whatever Happened to Antisemitism ? Redefinition and the Myth of the ‘Collective Jew’ [Qu’est-il advenu de l’antisémitisme ? La redéfinition et le mythe du “Juif collectif”](Pluto Books, 2022), Antony Lerman examine ce qui est arrivé à l’antisémitisme au cours des cinq dernières décennies. Comment l’effort de définition de l’antisémitisme s’est-il aligné sur la réduction au silence des discours critiques à l’égard d’Israël ? L’histoire est complexe et n’a jamais été racontée avec autant de détails et de profondeur que dans ce livre.

Lerman écrit en tant que figure centrale des débats sur l’antisémitisme. En plus d’être un observateur de longue date de la lutte contre l’antisémitisme, il a également participé à l’élaboration de cette histoire. Il a été directeur de l’Institut des affaires juives* à partir de 1991, et c’est à ce titre qu’il a fondé le rapport mondial sur l’antisémitisme, qui a été publié de 1992 à 1998.

 
Anthony Lerman, lors d’une présentation de son livre au Musée juif de Hohenems, en Autriche, en novembre 2022

Lerman décrit et documente les pressions intenses qu’il a subies pour aligner le programme de recherche de son institut sur le projet d’étude de l’antisémitisme de l’université de Tel-Aviv, financé par le Mossad. En fin de compte, le refus de Lerman de s’aligner sur les objectifs sionistes et pro-israéliens des organisations israéliennes et usaméricaines a fait de lui la cible d’attaques de la part de l’establishment. Il a décidé de démissionner de son poste en 2009, afin d’écrire de manière indépendante sur le sujet de l’antisémitisme, libre de toute contrainte institutionnelle.

S’appuyant sur des décennies de recherches empiriques approfondies, Lerman nous guide de manière experte à travers les nombreux changements qui ont eu lieu dans la signification de l’antisémitisme au cours des dernières décennies. Comme il le souligne, même si l’attention du monde s’est déplacée vers le soi-disant « nouvel antisémitisme" »centré sur la critique d’Israël, le « nouvel antisémitisme » n’a pas remplacé l’ancien antisémitisme, qui prospère même à une époque où la quasi-totalité de la censure se concentre sur le « nouvel antisémitisme ».

Lerman rejoint d’autres chercheurs, tels que la théoricienne critique interdisciplinaire Esther Romeyn, pour considérer le nouvel antisémitisme comme « un champ de gouvernance transnational" »qui est « contrôlé par des “acteurs” institutionnels et humains ». Ces acteurs comprennent les Nations unies, l’UNESCO, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la Commission européenne, diverses institutions communautaires, ainsi qu’une foule de politiciens et d’experts en la matière. Ces organisations « définissent, inventent des outils et des technologies de mesure, analysent, formulent des déclarations politiques et des programmes, et élaborent des “interventions” pour traiter et corriger » ce qu’elles considèrent comme le “nouvel antisémitisme”, qu’elles confondent souvent avec l’antisionisme et les critiques à l’égard d’Israël.

En d’autres termes, le discours qui mobilise les sociétés contre le “nouvel antisémitisme” est un outil de gouvernance, et pas seulement - ni même principalement - une praxis antiraciste. Cet outil de gouvernance s’est avéré de plus en plus utile aux États occidentaux ces dernières années dans leurs efforts pour réprimer le discours et l’activisme propalestiniens.

Une perspective historique

En expliquant comment le vieil antisémitisme a été reconfiguré en “nouvel antisémitisme” dans l’imaginaire politique des États et des institutions d’Europe et d’Amérique du Nord, Lerman identifie le 11 septembre comme le tournant décisif. Le 11 septembre marque également un tournant dramatique dans la guerre contre le terrorisme. À partir de ce moment, les attaques disproportionnées menées par les grandes puissances mondiales contre l’Afghanistan, l’Irak, le Xinjiang, le Cachemire et maintenant Gaza ont commencé à être considérées comme nécessaires et acceptables pour le maintien de l’ordre mondial.

Au moment même où l’antisémitisme était redéfini pour englober la critique d’un État-nation spécifique - Israël - les plus grandes puissances militaires du monde affirmaient leur droit à se défendre contre les insurgés terroristes et d’autres acteurs non étatiques sans tenir compte de la proportionnalité. Cette intersection entre la guerre et le discours politique sur l’antisémitisme est révélatrice car, comme l’affirme Lerman de manière lapidaire, « On ne peut pas faire la guerre à une abstraction ».

Les sections historiques (chapitres 3, 5 et 7) comptent parmi les parties les plus convaincantes de l’ouvrage. Elles documentent les défis lancés à l’État d’Israël et à l’idéologie politique du sionisme à l’ONU, ainsi que les institutions qui se sont développées en réponse à ces défis entre les années 1970 et 2000. L’un des principaux enseignements de la trajectoire historique esquissée par Lerman est que le “nouvel antisémitisme” n’est pas aussi nouveau que nous l’imaginons généralement. La tendance à confondre les critiques de gauche à l’égard d’Israël avec l’antisémitisme peut être observée dans les déclarations de responsables israéliens datant des années 1970.

En 1975, les Nations unies ont adopté la résolution 3379, qui qualifie le sionisme de « forme de racisme et de discrimination raciale ». Pourtant, dès 1973, le ministre israélien des Affaires étrangères, Abba Eban, avait perçu le sens de la marche et s’était rendu compte de l’hostilité des pays du Sud et de certains courants de gauche à l’égard d’Israël. « La nouvelle gauche est l’auteur et le géniteur du nouvel antisémitisme », affirmait Eban. Se projetant dans l’avenir, Eban ajoutait que « l’une des tâches principales de tout dialogue avec le monde des Gentils [goyim, non-juifs] est de prouver que la distinction entre l’antisémitisme et l’antisionisme n’est pas une distinction du tout ». Dans cette première déclaration, nous pouvons discerner l’idée maîtresse des débats sur l’antisémitisme qui allaient consumer les institutions communautaires et politiques juives jusqu’à aujourd’hui.

Bien que le livre de Lerman soit aujourd’hui l’étude définitive sur le sujet, il est nécessaire de signaler quelques erreurs de typographie et de translittération. Par exemple, il est impossible de savoir où commence une citation de Romeyn à la page 9 (paragraphe quatre). Plus important encore, nakba est mal orthographié en tant que naqba à la page 3. Espérons que les éditeurs procéderont à une relecture approfondie pour la prochaine édition.

Une prochaine édition sera certainement nécessaire. Les controverses autour de l’antisémitisme en relation avec Israël-Palestine, documentées dans ce livre historique, sont susceptibles de s’intensifier dans un avenir prévisible, alors que la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza se poursuit et que la menace d’un nettoyage ethnique plane sur la Cisjordanie. Nous devrions également être reconnaissants à Lerman d’avoir un livre objectif, fondé sur des principes et érudit pour nous guider à travers ces désastres.

*NdT : fondé en 1941 à New York sous les auspices du Congrès Juif Mondial, l’Institute of Jewish Affairs a déménagé à Londres en 1965 et a été renommé Institute for Jewish Policy Research en 1996

Pour lutter contre le racisme, nous avons besoin d’une approche matérialiste

Sur la politique de définition de l’antisémitisme - et de résistance à l’antisémitisme

Rebecca Ruth Gould, ILLUMINATION-Curated, 20 février 2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pendant la première Intifada (1987-1993), l’artiste palestinien Sliman Mansour a commencé à dépeindre l’érosion des frontières de la Palestine par l’occupation militaire israélienne.

Les artistes palestiniens étaient engagés dans un boycott des produits israéliens, et Mansour n’avait accès qu’aux matériaux locaux qui pouvaient être obtenus sans commerce avec Israël : bois, cuir, boue, henné, teintures naturelles et objets trouvés.

À partir d’un mélange de bois, de boue et de teintures naturelles, il a produit une image tridimensionnelle de la Palestine, qu’il a appelée "Shrinking Object" (objet qui rétrécit). Vu en trois dimensions, le cadre de Mansour s’agrandit à mesure que la Palestine s’éloigne du champ de vision.

 

Shrinking Object ( (شئ متقلص), boue sur bois, 1996 , par Sliman Mansour

Bien qu’elle ait été créée en 1996, l’image d’une Palestine qui se rétrécit est encore plus prégnante aujourd’hui. Au cours des décennies écoulées, les frontières de la Palestine ont encore reculé. Elles ont été recouvertes par des centaines de colonies israéliennes qui ont effectivement effacé la frontière entre la Palestine et Israël et rendu obsolète le concept d’une solution à deux États.

J’ai choisi “Shrinking Object” comme couverture de mon livre, Erasing Palestine. L’image illustre parfaitement le parallèle entre l’effacement des terres palestiniennes par l’expansion du régime de colonisation et la réduction au silence de l’activisme palestinien en Europe et en Amérique du Nord.