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21/08/2024

RIFAT KASSIS
Pourquoi le “camp de la paix” israélien a disparu

 Il appartient avant tout aux Israéliens de rejeter l’occupation coloniale, les lois d’apartheid, le gouvernement actuel et les partis nationalistes. L’alternative signifie la perte de leur humanité.

Rifat Kassis, Mondoweiss, 18/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

 

Rifat Odeh Kassis, Palestinien chrétien né à Beit Sahour, est coordinateur de Kairos Palestine, le plus vaste mouvement œcuménique chrétien palestinien non violent, qui appelle à la paix pour mettre fin à toutes les souffrances en Terre sainte en œuvrant pour la justice, l’espoir et l’amour. Il a fondé en 1991 la section palestinienne de l’organisation internationale de défense des droits de l’enfant Defence for Children International (DCI) et en a été le président. Meta

Depuis sa création en 1948, Israël a été impliqué dans de nombreuses guerres avec les Palestiniens et certains pays arabes. Historiquement, ces guerres ont suscité des débats en Israël, avec des segments non négligeables de la population exprimant leur inquiétude quant au traitement sévère des Palestiniens et plaidant pour le respect de leurs droits humains. Toutefois, la récente guerre contre Gaza a été marquée par une absence frappante de toute dissidence interne significative ou même de débat timide. Cela soulève une question cruciale : Comment la société israélienne s’est-elle transformée au point que les protestations publiques contre les guerres et les violations des droits humains des Palestiniens ont largement disparu ?

Tout au long de l’histoire d’Israël, il y a eu des occasions d’opposition interne aux actions militaires de l’État. Pendant la guerre du Liban de 1982, le mouvement « La paix maintenant » a organisé des manifestations de masse pour dénoncer l’invasion et l’occupation de certaines parties du Liban. La première Intifada, à la fin des années 1980, a également suscité une opposition importante, certains Israéliens ayant été confrontés aux implications morales de l’occupation militaire et aux mesures sévères prises à l’encontre des Palestiniens. Même pendant la seconde Intifada et les guerres ultérieures contre Gaza, certains groupes de la société israélienne ont protesté activement, appelant à une approche plus humaine et à une solution fondée sur la coexistence de deux États.

 Les forces d’occupation israéliennes bloquent des militants pacifistes palestiniens et israéliens qui manifestent à l’entrée de Huwara, en Cisjordanie, le 3 mars 2023 suite à un premier pogrom commis par des colons. Photo : Mohammed Nasser/APA Images

Mais ces dernières années, lorsqu’il s’agit du traitement des Palestiniens par Israël, cette tradition de dissidence s’est affaiblie et, lors de la guerre contre Gaza, elle a pratiquement disparu. Les voix de protestation, autrefois vibrantes, ont été remplacées par un silence glacial.

Pourquoi ?

1. Un glissement politique vers la droite

L’un des facteurs les plus importants de cette transformation a été le glissement constant vers la droite de la politique israélienne. Au cours des deux dernières décennies, le paysage politique israélien a été de plus en plus dominé par des partis de droite, nationalistes et fascistes. Cette évolution s’est accompagnée d’un durcissement des attitudes à l’égard des Palestiniens et d’une importance croissante accordée à la sécurité personnelle. La montée en puissance de dirigeants comme Benjamin Netanyahou, qui a cultivé une propagande de menace perpétuelle et de danger existentiel, a contribué à créer une atmosphère sociétale dans laquelle la dissidence est considérée non seulement comme malavisée, mais aussi comme une trahison potentielle.

2. Normalisation de la guerre et de l’occupation par les colons

Pour de nombreux Israéliens, l’occupation et les escalades périodiques à Gaza font désormais partie de la vie quotidienne, d’un statu quo accepté. Cette normalisation est aggravée par le fait que de nombreux jeunes Israéliens ont grandi sans rien connaître d’autre, ayant été élevés dans une société où la guerre est une constante. Il en résulte un sentiment de fatalisme et de résignation, le changement étant soit impossible, soit indésirable.

Le traumatisme et la peur persistants générés par des années de conflit ne doivent pas être passés sous silence. De nombreux Israéliens ont fait l’expérience directe de la violence de la guerre et des attaques militaires. Ce sentiment permanent de menace a créé une mentalité d’assiégés, où toute mesure prise au nom de la sécurité est considérée comme justifiée.

3. Érosion des libertés civiles et des normes démocratiques

Ces dernières années, on a assisté à une érosion notable des libertés civiles et des normes démocratiques en Israël. Des lois et des règlements ont été introduits pour étouffer la dissidence et limiter la capacité des organisations à critiquer le gouvernement et ses politiques. L’étiquetage des ONG en tant qu’« agents étrangers », la désignation de certaines d’entre elles comme que factions terroristes, le ciblage des activistes et la suppression de la liberté des médias ont contribué à créer un environnement dans lequel il est de plus en plus difficile et dangereux de protester publiquement. Cette érosion a créé un effet de refroidissement, où ceux qui auraient pu autrefois s’exprimer sont aujourd’hui réduits au silence par peur des répercussions.

4. Évolution de la perception du public et du cadrage des médias

Le cadrage du conflit par les médias israéliens a joué un rôle crucial dans l’évolution de la perception du public. Les médias israéliens et, dans une large mesure, les médias internationaux présentent souvent un récit qui met l’accent sur l’agression palestinienne et minimise ou justifie les agressions israéliennes et les violations du droit international. Ce discours, combiné à une couverture nettement unilatérale de la guerre à Gaza et à la présentation du conflit comme un jeu à somme nulle où toute critique du gouvernement est assimilée à un manque de patriotisme, a rendu difficile l’émergence de voix alternatives. Le résultat est une société où la majorité de la population soutient les actions du gouvernement ou reste indifférente.

5. Tendances mondiales et montée du populisme

La montée mondiale du populisme et de l’autoritarisme a eu un impact sur la société israélienne. Les leaders populistes se nourrissent souvent d’un discours « nous contre eux ». En Israël, cela s’est traduit par un sentiment accru de nationalisme et une diminution de la tolérance à l’égard de la dissidence. L’influence des tendances mondiales, où des dynamiques similaires peuvent être observées dans des pays comme les USA et de nombreux autres pays, a renforcé l’évolution vers une société plus autoritaire et moins tolérante.

6. L’industrialisation de l’Holocauste et de l’antisémitisme

L’exploitation de l’Holocauste et de l’antisémitisme a contribué à réduire au silence les dernières forces progressistes au sein de la société israélienne. En Israël, ces tragédies historiques sont parfois utilisées pour créer un récit qui assimile la critique interne des politiques gouvernementales - en particulier en ce qui concerne le traitement des Palestiniens - à de la déloyauté ou à de la haine de soi, voire à de l’antisémitisme. Cela a créé un climat de peur et d’autocensure, où les voix dissidentes sont marginalisées et où le débat ouvert sur des questions cruciales est étouffé. Le poids émotionnel de l’Holocauste et la menace de l’antisémitisme sont des outils puissants qui peuvent être utilisés pour unifier les Israéliens contre leurs ennemis internes et externes, mais au prix de la suppression du discours critique, de la montée de la cruauté entre les gens et de la perte de leur humanité.

Sur la scène internationale, ce récit est également utilisé pour détourner les critiques des politiques israéliennes en les présentant comme intrinsèquement antisémites ou comme un déni de la souffrance juive. Cette stratégie peut réduire au silence les voix internationales qui cherchent à rendre Israël responsable de ses actes, notamment en ce qui concerne les violations des droits humains commises à l’encontre des Palestiniens. En invoquant l’Holocauste et en lançant l’accusation d’antisémitisme, le gouvernement israélien et ses partisans peuvent décourager l’examen et détourner l’attention des réalités actuelles de la région. Non seulement cette attitude entrave les efforts déployés pour lutter contre le nettoyage ethnique et le génocide en cours, mais elle risque également de confondre critique légitime et sectarisme, compliquant ainsi le discours mondial sur la question israélo-palestinienne.

Tout en reconnaissant ces réalités, les dirigeants mondiaux et les membres informés de la société civile savent que l’avenir des Israéliens et des Palestiniens est inextricablement lié. Nous, chrétiens palestiniens, l’avons exprimé dans le document de Kairos Palestine, Un moment de vérité (2009): «Notre avenir et le leur ne font qu’un : ou bien un cercle de violence dans lequel nous périssons ensemble, ou bien une paix dont nous jouissons ensemble. (4.3) ».

Il appartient en premier lieu aux Israéliens de rejeter l’occupation coloniale, les lois d’apartheid, le gouvernement actuel et les partis nationalistes qui perpétuent le conflit et la division. En reconnaissant le destin commun des deux peuples, les Israéliens devraient prendre position contre les politiques et les pratiques qui violent les droits et les vies des Palestiniens, en reconnaissant que la paix et la justice pour tous est la seule voie vers un avenir sûr et harmonieux. Cette compréhension mutuelle et le rejet de l’oppression sont essentiels pour que les deux peuples puissent prospérer ensemble sur la terre qu’ils considèrent tous deux comme sainte.


La Terre sainte, par Darrin Bell

08/10/2023

HILO GLAZER
Après une décennie passée dans les cercles les plus radicaux de l’extrême droite israélienne, Idan Yaron est prêt à tout déballer

Hilo Glazer, Haaretz, 6/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT

L’auteur de cet article, tout comme 99,99% des journalistes israéliens et occidentaux utilise systématiquement le qualificatif de “terroriste” pour désigner les militants et combattants palestiniens et jamais pour désigner les auteurs de crimes sionistes. N’étant pas d’accord avec cette désignation, je la remplace donc par des termes plus objectifs.

L’universitaire Idan Yaron a pénétré la droite radicale israélienne, gagnant la confiance de ses dirigeants, assistant à leurs réunions et même à un pogrom. Il publie aujourd’hui un livre sur l’héritage kahaniste qu’ils perpétuent.

Idan Yaron : « J’ai pris le café avec des gens qui avaient du sang sur les mains, des gens qui avaient commis des crimes graves, parce qu’à mon avis, il est hors de question qu’il y ait un tabou dans le monde universitaire quand il s’agit de certains domaines de la connaissance ». Photo : Sraya Diamant

Le signal du pogrom a été donné quelques heures seulement après une opération de guérilla menée le 21 juin dans une station-service près de la colonie d’Eli, en Cisjordanie, au cours de laquelle quatre Israéliens ont été tués et quatre autres blessés. La cible de ceux qui voulaient prendre des mesures de représailles était le village palestinien voisin de Luban Al Sharqiya. Un grand nombre de jeunes hommes sont arrivés, non seulement du noyau dur de la “jeunesse des collines” de la colonie de Yitzhar, mais aussi des étudiants des yeshivas et des kollels (yeshivas pour hommes mariés) de la région.

Parmi les dizaines de manifestants qui se dirigeaient vers le village et incendiaient les champs en chemin, il était difficile de rater Idan Yaron, un sociologue et anthropologue social qui, à 69 ans, était beaucoup plus âgé que ceux qui l’entouraient.  Yaron, qui mène des recherches approfondies sur l’extrême droite en Israël, en particulier sur le mouvement créé par le rabbin ultranationaliste d’origine usaméricaine Meir Kahane, s’est retrouvé mêlé à la foule en colère.

« J’ai assisté à l’incident avec eux de la manière la plus directe, tout en filmant tout, au grand dam de certains jeunes », raconte aujourd’hui Yaron. « Bien entendu, je n’ai pris part à aucune activité violente ».

Quelqu’un a-t-il tenté d’empêcher les actes de violence ?

« Il y avait des forces [de sécurité], même si elles n’étaient pas nombreuses, dont des soldats, des agents de la police aux frontières et d’autres policiers. Mais elles ne sont pas intervenues de manière particulièrement énergique, si ce n’est en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant en l’air lorsque de jeunes Palestiniens du village se sont approchés. Des dizaines d’yeux ont vu ce qui se passait là-bas ».

Avez-vous envisagé d’intervenir vous-même ?

« J’ai décidé de dépasser la question immédiate de la prévention d’une injustice - et brûler des champs ou l’atelier de menuiserie d’un Palestinien innocent est une injustice absolue à mes yeux - et je me suis demandé si j’étais prêt à dépasser ma limite : infliger une violence réelle ou un dommage physique à une autre personne. Dans l’affirmative, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’empêcher. Mais dans cette situation particulière, j’ai pensé que ma vocation m’obligeait à surmonter le sentiment d’injustice qui prenait forme sous mes yeux, afin d’être présent dans les événements et de les faire connaître en temps voulu. Tendre un miroir, générer un discours et à travers lui, peut-être plus tard, façonner une réalité différente et cohérente avec mes valeurs ».

Lorsque les flammes se sont éteintes, les résultats du carnage sont apparus clairement : cinq des habitants de Luban al-Sharqiya avaient été blessés par des tirs à balles réelles. Une dizaine de maisons avaient été dégradées, des vitrines de commerces avaient été brisées, de vastes terres agricoles avaient été incendiées et une trentaine de véhicules brûlés. L’un d’entre eux, d’ailleurs, était la voiture de Yaron, qu’il avait garée à l’orée du village. En découvrant cela, le chercheur s’est demandé s’il n’était pas allé trop loin en s’accrochant à l’idée d’être un observateur participatif. « La voiture était foutue », dit-il. « Les vitres, les rétroviseurs, les phares, l’extérieur était sérieusement endommagé, tout était cassé. Mais comme le moteur n’était pas endommagé, j’ai réussi à rentrer chez moi ».

Idan Yaron n’était pas présent ce jour-là par hasard. Au cours des dix dernières années, il a tissé des liens, dont certains sont devenus de véritables amitiés, avec des activistes de premier plan parmi les jeunes des collines, dont certains sont des disciples de Meir Kahane. En effet, Yaron est devenu un visage familier dans les cercles d’extrême droite et a acquis un accès quasi total au groupe le plus dur des disciples du défunt rabbin. Par exemple, Yaron a assisté l’année dernière à une cérémonie commémorative en l’honneur d’Eden Natan-Zada, soldat déserteur et auteur d’une fusillade en 2005 qui a tué quatre personnes et en a blessé beaucoup d’autres dans la ville arabe israélienne de Shfaram. Natan-Zada a ensuite été battu à mort. Yaron s’est également joint aux dirigeants du mouvement lorsqu’ils se sont rendus sur les lieux ensanglantés d’attaques palestiniennes, et il était présent lors des événements commémorant le massacre, en 1994, de 29 fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches à Hébron, qui se sont déroulés sur la tombe du “juste et héroïque” Baruch Goldstein, l’auteur de ce massacre.

Cérémonie commémorative en 2020 pour Baruch Goldstein, qui a tué 29 fidèles musulmans à Hébron en 1994. Idan Yaron a assisté à l’événement annuel cette année.  Photo fournier par  Idan Yaron

23/04/2023

YOSSI VERTER
Préparez-vous à une “fête de l’indépendance” d’Israël à la nord-coréenne

Yossi Verter, Haaretz, 21/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si un chef de l’opposition ou un membre de la Knesset envisageait encore d’assister à la cérémonie d’allumage des torches du Jour de l’Indépendance, la conférence de presse pénible de la ministre des Transports Miri Regev a résolu la question. « La cérémonie est organisée par le gouvernement, pas par la Knesset ! Le président de la Knesset est un invité », a-t-elle menti, foulant aux pieds une tradition vieille de plusieurs décennies qui n’a été interrompue que sous l’ère du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Cela fait partie du codex de base de madame la ministre.

Netanyahou, entre Ohana, président de la Knesset, et Herzog, président d’Israël, au Mémorial Yad Vashem il y a quelques jours. Photo Emil Salman

« Un message vidéo du premier ministre, c’est la coutume », a-t-elle déclaré, continuant à déformer la réalité. « Tous ceux qui agissent contre la loi ne seront pas là ». Foutaises. Aucune loi n’interdit de protester lors de cérémonies. Et pourtant. Si cela ne tenait qu’à elle, pour le jour de l’indépendance, il y aurait une loi spécifique prévoyant des peines de prison pour les personnes qui protesteraient lors de son événement, comme elle l’a dit en termes très clairs.

Elle a laissé planer la possibilité que, “dans des circonstances extrêmes”, la diffusion en direct soit interrompue au profit d’une vidéo de la répétition générale. Jusqu’où peut-on aller dans la ringardise ? Cela aurait pu fonctionner en 2004, lorsqu’elle était cheffe de la censure militaire un poste qui constituait dans une large mesure l’apogée de ses capacités. En réalité, il est tentant de la mettre à l’épreuve. Après tout, dès que la diffusion en direct sera interrompue, des centaines de smartphones sortiront et commenceront à filmer. En quelques secondes, les vidéos seront diffusées sur tous les réseaux sociaux, deviendront virales et seront diffusées dans les journaux télévisés en Israël et à l’étranger. Bien entendu, en temps réel, toutes les chaînes de télévision qui se respectent cesseront de diffuser la cérémonie enregistrée. Eh bien, voyons l’ancienne censeure vaincre le progrès.

La ministre des Transports Miri Regev lors d’une célébration de Pourim le mois dernier. Photo David Bachar

Tout·e politicien·ne ou personnalité publique qui s’oppose à la fameuse réforme judiciaire et à l’avilissement continu de la bonne gouvernance doit rester à l’écart de la cérémonie cette année. C’est malheureux, mais c’est le prix de la réalité. La cérémonie d’allumage des torches, sirupeuse et kitsch, fait l’objet d’un extraordinaire consensus israélien. Mais même l’extraordinaire tourne au vinaigre cette année. La coalition qui prend la démocratie en otage et menace de la détruire s’est également emparée de la cérémonie nationale et l’a déshonorée avant même qu’une seule image n’ait été diffusée.

Il n’y a rien non plus dans les tribunes du Mont Herzl pour les juges de la Cour suprême qui sont constamment menacés et calomniés par les ministres du gouvernement et les députés de la coalition. Il n’y a rien non plus pour la procureure  générale en chef. Faites confiance à Regev pour remplir les rangées au centre du balcon avec des membres du comité central du Likoud, qui applaudiront et agiteront des drapeaux chaque fois que la caméra sera braquée sur eux.

Lors de la cérémonie de 2021, Mme Regev a été surprise en train de faire des gestes frénétiques avec ses mains pour diriger le caméraman. Un an plus tard, la raison est revenue sur le Mont. La ministre de la Culture et des Sports, Chili Tropper, a organisé une cérémonie exprimant la beauté, l’ouverture et la tolérance d’Israël [sic]. Le Premier ministre Naftali Bennett a annoncé à l’avance qu’il ne ferait pas d’entrée “impériale” et dandy avec son épouse, qu’il ne prononcerait pas de discours et qu’il n’enverrait pas de vidéo. Il s’assiérait avec sa famille dans le public et rien d’autre.

La cérémonie du Jour de l’Indépendance au Mont Herzl à Jérusalem l’année dernière. Photo Ohad Zwigenberg

Ce fut un rare moment de grâce. Mais au fond de nous, nous savions que le gouvernement avait perdu sa majorité à la Knesset et que pour le 75e anniversaire de l’indépendance de l’État, il y avait de fortes chances que la normalité revienne à North Korea Productions, Inc. la société de production de la famille Netanyahou, et à son mégaphone obséquieux, Miri Regev, l’organisatrice d’événements personnels pour La Familia, les hooligans racistes du Beitar Jérusalem.

Les flambeaux seront allumés à la fin du Jour du Souvenir, qui se déroulera également à l’ombre des “réformes” destructrices et du profond fossé que le gouvernement d’extrémistes et de racistes a creusé dans cette nation. Des milliers de familles endeuillées ont exprimé leur désir de se recueillir auprès de leurs proches sans la participation de politicien·nes. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a refusé ces demandes. Il a comparé la non-présence des politicien·nes à un “pliage du drapeau israélien”. Selon un reportage de Kan 11 News, Gallant a conseillé à une fille endeuillée qui lui demandait, en tant que responsable du ministère qui organise les cérémonies dans les cimetières militaires, d’empêcher la participation des hommes politiques de “venir la veille” du jour du souvenir - comme si la cérémonie appartenait aux ministres du gouvernement et aux membres de la Knesset, et que les familles endeuillées n’étaient que des invités.

Gallant est apparemment en train de se frayer un chemin vers le cœur de la droite, après l’épisode troublant qu’il a vécu avec l’annonce de sa destitution qui n’a pas eu lieu. L’idée qu’une bande de réfractaires [au service militaire], d’ultra-orthodoxes et d’hyper-orthodoxes nationalistes dirigés par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui n’a pas été appelé sous les drapeaux en raison de son passé violent, participeront aux cérémonies, fait froid dans le dos.

Et ils ne seront pas les seuls : La ministre de la Diplomatie publique, Galit Distal Atbaryan, qui a traité les pilotes de lâches, le ministre des Communications, Shlomo Karhi, qui les a invités à aller se faire voir, la ministre des Transports, Miri Regev, qui qualifie les manifestants, y compris les parents, frères et sœurs et enfants endeuillés, de “privilégiés” et d’“anarchistes”, le ministre de N’importe quoi David Amsalem, qui exige que la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, et l’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, soient jugés pour “tentative de renversement du gouvernement"”et qui incite réellement à les blesser physiquement.

Cérémonie du jour du souvenir à Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv, en 2021. Photo Hadas Parush

C’est ce qui a engendré les manifestations en face de la maison de Barak, où les bibiistes et les amsalémites exigent qu’il soit placé devant un peloton d’exécution et lui souhaitent des morts étranges et variées. Ils n’ont aucune raison au monde de manifester en face du domicile d’un juge à la retraite de 86 ans qui a quitté la magistrature en 2006, si ce n’est la diffamation et la délégitimation dont des types comme Amsalem sont responsables.

Jeudi, un obscur député likoudnik, un imbécile parmi tant d’autres, a demandé dans une interview à la radio que Barak “démissionne” déjà.

Il était écœurant de voir le premier ministre qui a nommé Amsalem ministre bis de la Justice serrer la main de Hayut lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste, sans dire un mot sur les propos méprisables de Amsalem. Hayut est déjà suffisamment expérimentée pour le savoir. Elle a encore six mois à subir sa présence hypocrite avant de prendre sa retraite.

Les scènes qui se dérouleront dans tout le pays mardi matin seront difficiles à digérer. Des cimetières, on entendra non seulement le murmure des psaumes, les chants des cantors et les pleurs des cœurs brisés. De certains d’entre eux s’élèvera la voix de la protestation. Il y aura des disputes. Il y aura un cri de douleur à propos d’Israël qui se perdra - et qui, en cours de route, annulera complètement la valeur du sacrifice de nos êtres chers.

Certains pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de crier. Il est difficile de contester ce sentiment. Dans l’équation du pouvoir entre le sujet et l’oppresseur, crier est parfois la seule chose qui reste. Ou comme Yehonatan Geffen l’a dit un jour : « Nous voulions changer le monde, mais il n’était pas d’accord. S’il est impossible de sauver le monde, il est possible d’essayer au moins de sauver le monde d’une personne ».

L’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, devant son domicile de Tel-Aviv, jeudi. Photo Tomer Appelbaum

 Pas d’argent, de la poussière

Avec son retour au pouvoir, Netanyahou a régulièrement ressorti ses discours caractéristiques, mêlant cris de victimes et menaces contre l’Iran. La semaine dernière, c’était lors de la cérémonie de commémoration de la Journée de l’Holocauste. La semaine prochaine, à l’occasion du Jour du Souvenir, nous aurons droit à une nouvelle interprétation. Cela fait plus d’un quart de siècle qu’il met l’Iran en garde, et pendant ce temps, l’Iran a continué à étendre sa portée, à devenir plus puissant et plus avancé dans ses capacités nucléaires. Depuis l’arrivée au pouvoir du dernier gouvernement de Netanyahou, l’Iran a également noué des liens diplomatiques avec les pays du Golfe et avec l’Arabie saoudite, avec laquelle Netanyahou souhaite ardemment signer un accord de normalisation.

Comme toujours, ses discours visent surtout à semer la peur et l’inquiétude dans le cœur des Israéliens, ainsi que la conviction qu’il est le seul à pouvoir nous sauver. Les Iraniens ont depuis longtemps cessé d’être impressionnés par ses absurdités (si tant est qu’ils l’aient jamais été). Ils n’y croient certainement pas en ce moment, alors que les relations entre Israël et les USA sont au plus bas. Sans pouvoir compter sur l’aide de l’USAmérique pendant et surtout après une frappe israélienne, dans la guerre massive qui en résulterait, Netanyahou n’oserait rien faire. Il n’a aucune légitimité aux yeux du public, l’establishment de la défense se méfie de lui, il est faible à tous égards.

Netanyahou lors de l’entretien accordé à la chaîne CNBC mercredi.

Lors d’une interview accordée cette semaine à la chaîne CNBC et truffée d’astuces et d’affabulations, il a déclaré : « 95 % des problèmes au Moyen-Orient émanent de l’Ira ». Ce qui, soit dit en passant, est aussi sa part de responsabilité dans les problèmes qui n’affectent que le petit Israël. Prenons l’exemple de l’économie, un domaine où la Journée de commémoration de l’Holocauste illustre si douloureusement la façon dont les macro-questions créées par le gouvernement affectent les micro-questions des membres les plus faibles de la société. Alors que le parti Shas était occupé à organiser une réduction morbide sur les concessions funéraires pour les survivants de l’Holocauste - ce qu’Aryeh Dery a gazouillé avec enthousiasme, avant d’effacer rapidement son tweet - cette année, le ministère des Finances a oublié de jeter un maigre os aux survivants. Aucun élément économique destiné à leur venir en aide ne figurait dans le budget de l’État qui a été adopté en première lecture. Ce n’est pas si surprenant, peut-être, quand le prix du partenariat dans la coalition étaient des milliards de shekels qui sont distribués de manière si libérale et irresponsable.

Dery a toutefois eu de la chance, car il a été rapidement dépassé par le ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, qui a gazouillé lors d’une visite à Auschwitz, avec une inconscience qui fait froid dans le dos, « Une nation ! Un drapeau ! Un État ! » - une déclaration qui ressemble fort au slogan du parti nazi [“Ein Volk ; ein Reich, ein Führer”]. Cette déclaration rappelle la maladresse entourant le slogan original de la campagne électorale ratée de Netanyahou en 1999 : “Un leader fort pour une nation forte”, un autre slogan qui semblait provenir des pisse-copies du Führer. Ce slogan avait rapidement été remplacé par “Un dirigeant fort pour l’avenir d’Israël”.

Aussi lucide que Netanyahou puisse encore être dans certains moments, il doit comprendre qu’il ne peut compter sur aucun gain diplomatique majeur dans un avenir proche. Même s’il opère une volte-face par rapport à la poussée autocratique, il faudra du temps pour réparer les dégâts au niveau national et pour dissiper l’incertitude avec laquelle le monde éclairé et les milieux d’affaires nous considèrent aujourd’hui.


Le ministre de l’éducation Yoav Kisch et son “Une nation ! Un drapeau ! Un État !”

Dans l’interview susmentionnée, Netanyahou s’est comporté comme un vendeur de poudre de perlimpinpin : ce n’est que de la “poussière” (qui va se déposer), a-t-il déclaré avec dédain à propos de la fuite des investisseurs et de l’argent d’Israël, et de tous les indicateurs économiques négatifs qui s’accumulent. « L’argent moins intelligent suit le troupeau... L’argent intelligent arrive, et il gagnera beaucoup d’argent », a-t-il insisté, s’abstenant à peine d’ajouter un clin d’œil “faites-moi confiance” à la fin de cette phrase creuse. Comme il est déconnecté de la sombre réalité de nos vies. Pas étonnant qu’il n’accorde des interviews qu’aux chaînes étrangères, et à sa chaîne nationale, qui accueille chaleureusement ses mensonges.

Accord de plaidoyer 2.0 ?

Le procès de Netanyahou & Co. qui a repris cette semaine après six semaines d’interruption n’a pas suscité beaucoup d’intérêt. Les reportages sur le contre-interrogatoire de l’enquêteur principal de la police dans deux des affaires de corruption ont été relégués au second plan dans les journaux.

Mais pendant la pause, des événements dont l’importance ne peut être exagérée ont eu lieu, surtout lorsqu’ils sont pris ensemble.

Événement 1 : le 27 mars, il a été rapporté que l’avocat de Netanyahou, Boaz Ben Zur, avait lancé un ultimatum à son client : Si la réforme judiciaire est adoptée, il démissionnera de l’équipe de défense.

Le monde judiciaire a été stupéfait par cette grave violation de l’éthique : un avocat déclarant qu’il ne représentera son client, en l’occurrence un premier ministre, que si ce dernier ne met pas en œuvre sa politique. De plus, les tribunaux ne permettent pas aux avocats de se séparer de leurs clients, même si ceux-ci ne les paient pas ou menacent de leur causer des dommages corporels. Les avocats de la défense ne peuvent démissionner qu’avec l’accord des juges.

La décision de Ben Zur (qu’il n’a pas niée) était tellement inédite que les plus suspicieux d’entre nous se sont demandé si elle n’avait pas été coordonnée avec l’accusé pour justifier un recul par rapport au renversement de la démocratie.

Événement 2 : Le 1er avril, Ilana Dayan a rapporté sur Channel 12 News que l’avocat de Shaul Elovitch a proposé une voie alternative dans la partie d’Elovitch des affaires de corruption de Netanyahou : La “médiation judiciaire”. Les avocats de Netanyahou ont rejeté cette proposition ; ils attendront la décision du procureur général Gali Baharav-Miara.

Elovitch est jugé dans l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou aurait offert des faveurs en échange d’une couverture médiatique positive. La “médiation judiciaire”, quant à elle, est une version aseptisée d’un terme plus explosif : la “négociation de peine” [réduite si l’inculpé plaide coupable, NdT].

Dans ce cas, les négociations sont confiées à un juge à la retraite, avant que la procédure ne revienne au tribunal pour qu’il prenne une décision finale.

 

L’avocat de la défense de Netanyahou, Boaz Ben Zur, au tribunal de district de Jérusalem en janvier.

L’avocat d’Elovitch, Jacques Chen, a-t-il fait cette proposition avec l’accord tacite des avocats de l’accusé n° 1 ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, le sentiment dans le monde judiciaire est qu’une option de plaidoyer a été ressuscitée, après l’accord qui a été presque conclu avec l’ancien procureur général Avichai Mendelblit avant que Mendelblit ne prenne sa retraite en février 2022.

À l’époque, Netanyahou avait accepté de plaider coupable pour deux chefs d’accusation de fraude et d’abus de confiance afin d’éviter une décision de justice pour turpitude morale, qui l’aurait tenu à l’écart de la vie politique pendant sept ans. Le successeur de Mendelblit ne lui aurait jamais proposé un meilleur accord.

Événement 3 : Avant la Pâque, l’accusation et la défense se sont mises d’accord pour réduire considérablement le nombre de témoins de l’accusation - de 300 environ dans l’acte d’accusation à 50 ou 60 environ. Ils ont également convenu de limiter la durée de l’interrogatoire des témoins à une demi-journée ou une journée.

C’est ahurissant. Les avocats de Netanyahou ont utilisé des tactiques dilatoires tout au long du procès et ont scandaleusement fait traîner en longueur l’interrogatoire des témoins. Soudain, un esprit d’efficacité s’est emparé d’eux, comme s’ils étaient pressés de mettre fin à l’affaire.

Quiconque a lu les transcriptions des interrogatoires du Premier ministre par la police, avec leurs nombreuses contradictions et détours, est conscient du danger qui guette Bibi s’il se présente à la barre des témoins.

Les disciples stupides de Channel 14 et de la radio Galey Yisrael essaieront de faire croire que l’accusé a écrasé l’accusation, mais les décisions de justice ne sont pas écrites dans les studios. Et lorsque l’accusé, qui a la réputation d’un menteur avide et manipulateur, devra répondre aux procureurs, son charme douteux s’évaporera.

Après la limitation de la durée des témoignages, combien de temps reste-t-il avant son propre témoignage ? Les observateurs parlent de huit à dix mois. Théoriquement, un accord de plaidoyer coupable pourrait être signé juste une minute avant la décision du tribunal. En pratique, la date limite se situe juste avant que Netanyahou ne soit appelé à témoigner.

Si et quand une négociation de peine revient à l’ordre du jour, la situation sera très différente de ce qu’elle était au début de l’année 2022. L’épée que Netanyahou tient en travers de la gorge du pouvoir judiciaire est encore brûlante. À l’époque, il était le chef de l’opposition. Aujourd’hui, il est non seulement le Premier ministre le plus dangereux de notre histoire, mais aussi le plus imprévisible.

Certains disent que son fils, exilé à Porto Rico en compagnie du milliardaire du jour, veut faire de son père le martyr de la droite et qu’il exploitera le processus à fond. Difficile de savoir ce qui se passe dans ce panier de crabes. Mais conclure un tel accord dans une biosphère aussi démente n’est pas simple du tout.

Le fantôme de Ben-Gourion

Les dirigeants ultra-orthodoxes qui cherchent à protéger la sous-culture consistant à échapper au service national militaire ou civil invoquent souvent David Ben-Gourion. Après la guerre d’indépendance, le premier Premier ministre israélien a exempté 400 étudiants de yeshivas de l’armée à condition qu’ils étudient la Torah.

Ce nombre a fini par atteindre des proportions monstrueuses, et toute prudence a été abandonnée lorsque le Likoud est arrivé au pouvoir en 1977. Aujourd’hui, nous souffrons d’un manque d’égalité honteux et de tentatives de l’inscrire dans la loi.


David Ben-Gourion, qui a fini par regretter sa décision de laisser les ultra-orthodoxes échapper au service militaire. Photo : Daniel Rosenblum/Starphot

Cette semaine, un lecteur m’a envoyé une photocopie d’une lettre que Ben-Gourion a écrite en septembre 1963 à son successeur après son second mandat, Levi Eshkol. Cette lettre est parue moins de trois mois après que le Vieux Lion se fut retiré à Sde Boker, dans le sud du pays.

Le contexte : de violentes émeutes provoquées par des factions extrémistes ultra-orthodoxes. Il ressort de cette lettre que Ben-Gourion n’était pas à l’aise avec sa décision initiale, ou du moins qu’il en mesurait les conséquences pour la société israélienne.

Voici la lettre, avec quelques coupures : « Le comportement sauvage des fanatiques devient complètement incontrôlable, et je pense que j’en suis responsable dans une mesure qui est déjà connue : j’ai exempté les garçons de yeshiva du service militaire.

« Bien que je l’aie fait lorsque leur nombre était faible, ils se multiplient et, dans leur déchaînement, ils représentent un danger pour l’honneur de l’État. ... Je propose que tout garçon de yeshiva âgé de 18 ans et plus qui est pris en train de participer à un rassemblement illégal, de jeter des pierres, de se livrer à une émeute contre des citoyens ou de s’engager dans tout autre acte de violence et d’intimidation soit immédiatement incorporé dans l’armée, où il servira pendant 30 mois comme n’importe quel autre jeune en Israël - non pas dans une position religieuse, mais comme simple soldat.

« De même, il pourrait être nécessaire d’examiner si les étudiants de yeshiva devraient être exemptés d’une obligation militaire. Mais les contrevenants ne méritent absolument pas ce privilège douteux ».

L’historien Michael Bar-Zohar, qui a écrit plusieurs livres sur Ben-Gourion, m’a dit cette semaine que le vieil homme ne regrettait pas sa décision initiale concernant les 400 étudiants de yeshiva. « Nous en avons parlé à plusieurs reprises. Il respectait le monde de la Torah. Le problème, c’est qu’ils ont fait en sorte que ce nombre soit beaucoup plus important ».

Peut-être était-il difficile pour Ben-Gourion de reconnaître son péché originel, qu’il a eu trop peur de corriger pendant une décennie et demie. Mais il ne fait aucun doute qu’il a compris qu’il s’agissait d’une erreur.

Tant qu’il y avait un semblant d’efforts pour remédier à ce problème, même s’il ne s’agissait que de comités et de propositions qui traînaient en longueur - les Israéliens qui servaient dans l’armée et payaient des impôts étaient prêts à l’avaler. Le gouvernement cauchemardesque actuel ne se contente pas d’esquiver une solution au problème, il rend le péché permanent. Il l’aggrave et le légitime.

Le dernier délai fixé par la Cour suprême est le 29 mai. Les ultra-orthodoxes veulent mettre de l’ordre dans ce coin-là une fois pour toutes, sans interférence supplémentaire de la part de la Cour. Netanyahou a des problèmes bien plus graves que les philosophailleries de Ben-Gourion ; il a des acolytes qui réclament du grisbi.

ALLISON KAPLAN SOMMER
Pourquoi Netanyahou a choisi une “fière raciste” pour représenter Israël à New York

Allison Kaplan Sommer,  Haaretz, 20/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si elle avait choisi une autre voie politique, May Golan - la députée d’extrême droite du Likoud à la Knesset que le Premier ministre Benjamin Netanyahou veut nommer consule générale à New York* - aurait pu être considérée par la plupart des Israéliens comme une figure de Cendrillon inspirante : une jeune femme défavorisée qui a réussi.

May Golan et Itamar Ben-Gvir au poste de police de Kafr Qasem en 2021. Photo Moti Milrod

Golan, 36 ans, a commencé son parcours au plus bas de l’échelle socio-économique israélienne, élevée par une mère célibataire dans l’un des quartiers les plus pauvres du sud de Tel-Aviv, gangrené par la drogue et la criminalité.

Elle a fait irruption dans la conscience publique à un jeune âge, en apparaissant à la télévision à une heure de grande écoute en 1996 en tant qu’invitée âgée de 10 ans. Lors de cette émission, elle a parlé de sa vie et a ensuite été sélectionnée pour fréquenter une école secondaire prestigieuse de l’autre côté de la voie ferrée, dans le nord de la ville. C’est là, a déclaré Golan, que sa volonté de devenir une femme politique a été marquée de manière indélébile par le racisme auquel elle a été confrontée de la part de ses camarades de classe ashkénazes privilégiés, qui la “détestaient” et lui “faisaient vivre un enfer”, la qualifiant de “sale et contaminée”. [sa mère est née en Irak, NdT]

Cette expérience n’a cependant pas déclenché de sympathie pour tous les éléments des classes opprimées, et l’a lancée dans la direction de Marjorie Taylor Green [blondasse facho, représentante de Géorgie au Congrès US, NdT] plutôt que dans celle d’Alexandria Ocasio-Cortez [brunette hispanique, membre socialiste démocrate du Congrès]

Lorsque les caméras filment les cris rauques des membres likoudniks de la Knesset attaquant l’opposition, Golan est souvent au centre, augmentant parfois les insultes avec des sons d’animaux - comme lorsqu’elle s’est mise à glousser et à traiter sa collègue députée de “poule caquetante”.

Il y a dix ans, Golan s’est fait un nom en tant que jeune opposante très active sur les réseaux sociaux à ce qu’elle appelait “l’infiltration” de son quartier par des demandeurs d’asile originaires du Soudan et de l’Érythrée. Elle les a qualifiés de violeurs, de voleurs et de “groupe terroriste à tous points de vue” dans ce qu’elle a présenté comme une bataille pour son quartier contre les demandeurs d’asile et les “groupes gauchistes” qui les soutiennent.

Golan a rapidement fait cause commune avec les franges les plus extrêmes de la droite politique, d’abord avec les militants qui allaient devenir le parti Otzma Israel - dont l’actuel ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et ses comparses encore plus à droite, Baruch Marzel et Michael Ben-Ari - où elle a été placée au 10e  rang sur leur liste pour la Knesset en 2013.

Lors d’un rassemblement contre les réfugiés, elle s’est exclamée : « Si je suis raciste pour préserver ma vie, alors je suis fière d’être raciste ». Elle a également déclaré qu’elle ne mangerait pas dans un restaurant qui emploie des travailleurs africains parce qu’ « un infiltré sur trois a le sida ou la tuberculose ». Elle a en outre déclaré que ce fut un “grand honneur” de prendre la parole lors d’un rassemblement à la mémoire du rabbin Meir Kahane et que “le fait d’être qualifiée de kahaniste ne m’insulte pas le moins du monde”.

Sans abandonner ses opinions extrêmes, elle est passée d’Otzma Yehudit au camp droitier et populiste du Likoud et est entrée à la Knesset en 2020. Récemment, elle a été nommée à la tête d’un nouveau ministère pour la promotion de la femme, ce qui a suscité l’hostilité des féministes. La législatrice a en effet déclaré que “le féminisme radical est un mouvement de haine” et a voté contre une loi visant à aider les victimes de viol et à protéger les femmes de la violence domestique. TikTok a retiré la vidéo d’un discours dans lequel elle attribuait aux décisions de la Cour suprême israélienne concernant les demandeurs d’asile le viol d’une jeune femme à Tel-Aviv, qualifiant le pouvoir judiciaire de « dictature la plus dangereuse qui soit dans cette fausse démocratie dans laquelle nous vivons ».

En l’envoyant à New York pour remplacer Asaf Zamir - le précédent consul général qui a démissionné pour protester contre la “révolution judiciaire” - Netanyahou cherche apparemment à soulager un mal de tête politique. Nommer Golan enlèverait un soldat politique au camp du Likoud qui fait pression sur lui pour qu’il ne fasse pas de compromis sur la refonte judiciaire complète qui déchire Israël, en dépouillant la cour qu’elle méprise tant d’une grande partie de son pouvoir.

Mais le message le plus fort, si Golan est nommée, ne sera pas un message de politique intérieure, il reflétera la façon dont. Netanyahou considère les relations d’Israël avec le camp démocrate usaméricain qui domine la région desservie par le consul général de New York - et auquel appartient la grande majorité des juifs usaméricains.

Golan parle couramment l’anglais, comme le soulignent ses défenseurs.

Mais son aisance n’a aucune chance de jeter des ponts avec le grand nombre d’USAméricains - juifs et non juifs - qui regardent l’Israël de Netanyahou avec un niveau croissant de détresse et d’inquiétude.

NdT
* Selon les médias israéliens, Netanyahou aurait finalement renoncé à nommer May Golan consule à New York, pour calmer l’indignation suscitée parmi les notables juifs et démocrates de New York et effacer la grimace saluant sa décision à Washington

04/04/2023

RUTH MARGALIT
Itamar Ben-Gvir, ministre israélien du Chaos

Ruth Margalit, The New Yorker, 27/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que des troubles agitent le pays, une figure controversée de l’extrême droite aide Benjamin Netanyahou à se maintenir au pouvoir.

À la fin de l’année dernière, alors qu’Israël inaugurait le gouvernement le plus à droite de son histoire, une blague désespérante a circulé en ligne. Une image divisée en carrés ressemblant à un captcha - le test conçu pour vous différencier d’un robot - représentait les membres du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou. La légende disait : « Sélectionnez les carrés dans lesquels apparaissent les personnes qui ont été inculpées ». La bonne réponse concernait la moitié d’entre eux. C’était le genre de message qui est devenu typique du centre et de la gauche israéliens ces dernières années : sombre, cynique et finalement résigné.

Quelques semaines plus tard, le cabinet Netanyahou a présenté la première étape d’une refonte judiciaire qui affaiblirait la Cour suprême du pays et rendrait le gouvernement largement imperméable au contrôle. Les députés de droite avaient déjà proposé une mesure similaire, mais elle avait été jugée trop radicale. Ce qui a changé, selon les opposants à Netanyahou, c’est qu’il est désormais accusé d’avoir accordé des faveurs politiques à des magnats en échange de cadeaux personnels et d’une couverture médiatique positive, accusations qu’il nie. En supprimant les contraintes qui pèsent sur le pouvoir exécutif, la refonte menaçait de placer Israël dans les rangs de démocraties peu libérales telles que la Hongrie et la Pologne. Dans un discours extraordinairement brutal, la présidente de la Cour suprême du pays, Esther Hayut, l’a qualifiée de “coup fatal” porté aux institutions démocratiques. Depuis lors, des dizaines de milliers de manifestants se sont déversés dans les rues de Tel-Aviv et d’autres villes chaque samedi. La pancarte d’un manifestant résume le sentiment général : « À vendre : Démocratie. Modèle : 1948. Sans freins ».

Netanyahou dirige le Likoud, un parti qui se définit par des idées conservatrices et populistes. Le Likoud a longtemps adopté des positions dures en matière de sécurité nationale, mais ses dirigeants ont toujours vénéré l’État de droit, maintenu l’équilibre des pouvoirs et défendu la liberté d’expression. Netanyahou avait lui aussi l’habitude de courtiser les électeurs centristes, en tentant de convaincre les indécis. Mais l’échec des négociations de paix avec les Palestiniens et la montée en puissance du nationalisme religieux ont eu pour effet de ratatiner la gauche israélienne et de rendre le parti de Netanyahou plus extrémiste. Récemment, un député du Likoud a présenté une proposition qui interdirait à de nombreux hommes politiques palestiniens de se présenter à la Knesset.

Les manifestants avertissent que les titres des journaux israéliens commencent à ressembler à un manuel pour les futures autocraties, avec des ministres apparemment triés sur le volet pour saper les services qu’ils dirigent. Le nouveau ministre de la Justice a l’intention de priver le système judiciaire de son pouvoir. Le ministre des Communications a menacé de défaire le radiodiffuseur public israélien, espérant apparemment canaliser l’argent vers une chaîne favorable à Netanyahou. Le ministre des Affaires de Jérusalem et des Traditions a qualifié les organisations représentant les juifs réformés de “danger actif” pour l’identité juive.

Ben-Gvir a bâti sa carrière sur la provocation. En tant que ministre de la sécurité nationale, il supervisera ce qu’un fonctionnaire appelle une “armée privée”. Illustration de Yonatan Popper

Cependant, personne n’offense les Israéliens libéraux et centristes autant qu’Itamar Ben-Gvir. Entré à la Knesset en 2021, il dirige un parti d’extrême droite appelé Otzma Yehudit, Pouvoir juif. Son modèle et sa source idéologique sont depuis longtemps Meir Kahane, un rabbin de Brooklyn qui s’est installé en Israël en 1971 et qui, au cours d’un seul mandat à la Knesset, a testé les limites morales du pays. Les hommes politiques israéliens s’efforcent de concilier les identités d’Israël en tant qu’État juif et que démocratie. Kahane a affirmé que « l’idée d’un État juif démocratique est absurde ». Selon lui, les tendances démographiques allaient inévitablement faire des non-Juifs d’Israël une majorité, et la solution idéale était donc « le transfert immédiat des Arabes ». Pour Kahane, les Arabes étaient des “chiens” qui “doivent rester tranquilles ou dégager”. Sa rhétorique était si virulente que les députés des deux bords avaient l’habitude de quitter la Knesset lorsqu’il prenait la parole. Son parti, le Kach (Ainsi), a finalement été exclu du parlement en 1988. Pouvoir Juif est une émanation idéologique du Kach ; Ben-Gvir a été l’un des responsables de la jeunesse du Kach et a qualifié Kahane de “saint”.

Âgé de quarante-six ans, il a été condamné pour au moins huit chefs d’accusation, dont le soutien à une organisation terroriste et l’incitation au racisme. Son casier judiciaire est si long que, lorsqu’il comparaissait devant un juge, « nous devions changer l’encre de l’imprimante », m’a dit Dvir Kariv, un ancien fonctionnaire de l’agence de renseignement Shin Bet. En octobre dernier encore, Netanyahou refusait de partager la scène avec lui, ou même d’être vu avec lui sur des photos. Mais une série d’élections décevantes a convaincu Netanyahou de changer d’avis.

01/04/2023

HAARETZ
Le Ku Klux Klan israélien doit être mis hors la loi

Éditorial, Haaretz, 31/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Nous les entendions crier et nous étions sûrs qu'ils allaient nous tuer d'une minute à l'autre. Nous avons attendu tranquillement dans l'obscurité totale sans bouger d'un pouce. Nous nous sommes ensuite débarrassés de tout ce qui avait trait à la manifestation : pancartes, mégaphone et sacs, et nous nous sommes préparés à fuir. Au bout d'une demi-heure, nous avons ouvert la porte. ... Nous n'avions aucune idée de ce qui se passait à l'extérieur, seulement que quelques instants plus tôt, il y avait eu une marche, qu'ils avaient des couteaux et des gourdins et qu'ils voulaient nous tuer ».

C'est ainsi que Yuval, un adolescent qui a manifesté contre le projet de réforme juridique du gouvernement, a décrit les moments terrifiants que lui et ses amis ont endurés dimanche à Jérusalem, lorsqu'ils ont dû se cacher dans un ascenseur par crainte des voyous de droite (Haaretz, 28 mars).

Un manifestant pro-gouvernemental à Tel Aviv jeudi. Photo : Ilia Yefimovich/dpa

Les descriptions et les témoignages recueillis par les reporters de Haaretz cette semaine sont terrifiants : messages menaçants de militants de droite sur les médias sociaux, appels à s'armer de couteaux, de haches, de gourdins et d'armes à feu, appels à asperger les manifestants de gaz poivré pour leur « donner une leçon sur les trois derniers mois », et descriptions répétées de manifestants contraints de fuir des voyous d'extrême-droite. Comme d'habitude, l'essentiel des violences a eu lieu à Jérusalem, où les voyous ont également agressé des Palestiniens avec une violence choquante, simplement parce qu'ils étaient Palestiniens, et n'ont même pas hésité à tabasser des journalistes. Mais dans le nord également, les partisans de la droite ont barricadé les routes et décidé des personnes à laisser passer en fonction de leur identité politique. Des personnes ont également été battues dans le centre du pays.

Le fil rouge de toutes ces descriptions et témoignages est le niveau de violence utilisé par la racaille d'extrême droite, la peur qu'elle a suscitée parmi les manifestants et l'inaction de la police. Certains des agresseurs n'appartenaient à aucune organisation, mais une organisation était manifestement à l'origine de la grande majorité des agressions. Il s'agit parfois de La Familia [supporters ultras de l’équipe de foot Beutar Jérusalem], parfois de Lehava*. Si ces deux abominables organisations s'étaient comportées de la même manière en Europe, elles auraient été qualifiées d'organisations néo-nazies et mises hors la loi [oui, enfin, pas dans toute l'Europe, pas en Ukraine, par exemple, NdT]. Et c'est ce qu'Israël doit faire aussi. Après des années d'agressions criminelles, il est grand temps de prendre enfin cette mesure contre La Familia et Lehava, les versions israéliennes du Ku Klux Klan.