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29/04/2022

GARY SAUL MORSON
Ce que Soljenitsyne a compris

Gary Saul Morson, The New York Review of Books, 12/5/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Gary Saul Morson (1948) est un critique littéraire et slaviste usaméricain. Il est particulièrement connu pour ses travaux sur les grands romanciers russes Léon Tolstoï et Fiodor Dostoïevski, ainsi que sur le théoricien de la littérature Mikhail Bakhtine. Il est titulaire de la chaire Lawrence B. Dumas des arts et des lettres et professeur au département des langues et littératures slaves de la Northwestern University (Evanston, Illinois). Son dernier livre est Minds Wide Shut : How the New Fundamentalisms Divide Us, coécrit avec Morton Schapiro.

Détectant la même incompétence et la même autosatisfaction chez les libéraux du gouvernement provisoire en 1917 et les réformateurs de l'ère post-soviétique dans les années 1990, Alexandre Soljenitsyne craignait une nouvelle descente vers un régime autoritaire.

Livres recensés :       

March 1917: The Red Wheel/Node III (8 March–31 March): Book 3 [Mars 1917 : La Roue Rouge/Nœud III (8 mars-31 mars) : Livre 3 ]
by Aleksandr Solzhenitsyn, translated from the Russian by Marian Schwartz
University of Notre Dame Press, 684 pp., $42.00

Between Two Millstones: Book 2, Exile in America, 1978–1994 [Esquisses d'exil. Le Grain tombé entre les meules, T. 2]
by Aleksandr Solzhenitsyn, translated from the Russian by Clare Kitson and Melanie Moore, and with a foreword by Daniel J. Mahoney
University of Notre Dame Press, 559 pp., $39.00

 


 Alexandre Soljenitsyne,  par Seth, NYRB

Pour Alexandre Soljenitsyne, aucune forme littéraire n'a jamais été suffisamment vaste. Trois œuvres gargantuesques ont dominé sa vie créative. L'Archipel du Goulag : Une expérience d'investigation littéraire, sur lequel repose principalement sa réputation, relate en trois volumes l'histoire des camps de travail forcé soviétiques. Ce livre lui a valu le prix Nobel de littérature en 1970 et un exil forcé de l'Union soviétique en 1974, la première expulsion officielle depuis la déportation de Léon Trotski vers la Turquie en 1929. Soljenitsyne lui-même considérait La Roue rouge, une série de romans sur la révolution russe, comme sa principale contribution à la littérature. Ces romans posaient une question : Pourquoi et comment l'horreur sans précédent décrite dans L'Archipel du Goulag s'est-elle produite ? Les réponses auxquelles Soljenitsyne est parvenu ont façonné son troisième grand projet, quatre volumes de mémoires.

La Roue rouge est divisée en quatre « nœuds », dont certains contiennent plus d'un volume ; chaque nœud se concentre sur une courte période spécifique regroupant les événements importants qui ont conduit à la catastrophe du régime bolchevique. Les deux premiers nœuds, août 1914 et novembre 1916, superbes œuvres qui débordent la forme conventionnelle des romans historiques, sont suivis de quatre longs volumes consacrés au troisième nœud, mars 1917, qui relate les événements du 8 au 31 mars 1917. Le dernier nœud, avril 1917, toujours non traduit en anglais, englobe deux autres volumes. Le troisième volume de mars 1917, désormais disponible dans une interprétation exceptionnellement fine de Marian Schwartz, est particulièrement captivant. Il constitue un compagnon idéal pour le dernier volume des mémoires de Soljenitsyne, la deuxième partie de Le Grain tombé entre les meules, récemment traduite en anglais, qui présente les années Gorbatchev comme une étrange répétition de 1917.

Ensemble, les deux volumes de Le Grain tombé entre les meule décrivent la vie de Soljenitsyne depuis son expulsion de l'URSS jusqu'à son retour en 1994. (Après avoir envisagé plusieurs endroits en Europe et en Amérique du Nord, il s'est finalement installé à Cavendish, dans le Vermont, qui lui rappelait la Russie et lui offrait l'isolement nécessaire pour travailler à La Roue rouge). Le titre Le Grain tombé entre les meules fait essentiellement référence à la surprenante hostilité et à l'absurde déformation de ses opinions auxquelles l'auteur a été confronté en Occident. Les mêmes cercles intellectuels et médiatiques qui avaient célébré son courage lorsqu'il était en URSS se sont souvent transformés en critiques implacables parce que, explique Soljenitsyne, il ne partageait pas les idées conventionnelles de la gauche usaméricaine, mais défendait des positions qui ne correspondaient pas aux catégories occidentales existantes. Il se trouvait donc pris entre les « meules » soviétiques et occidentales, qui le vilipendaient et lui attribuaient des opinions intolérantes qu'il ne partageait pas.

Soljenitsyne a identifié dans les cercles intellectuels occidentaux la même étroitesse d'esprit suffisante qu'il avait découverte chez les intellectuels russes libéraux avant la révolution. Le moment central de ces volumes se produit lorsque, comme l'écrit Soljenitsyne,

un grand commentateur de la télévision [canadienne] m'a sermonné en disant que j'avais la prétention de juger l'expérience du monde du point de vue de ma propre expérience limitée de l'Union soviétique et des camps de prisonniers. En effet, comme c'est vrai ! La vie et la mort, l'emprisonnement et la faim, la culture de l'âme malgré la captivité du corps : comme c'est limité par rapport au monde brillant des partis politiques, aux chiffres d'hier à la bourse, aux amusements sans fin et aux voyages exotiques à l'étranger !

Soljenitsyne avait lui-même jadis célébré les libéraux et les socialistes russes qui dirigeaient le gouvernement provisoire renversé par les bolcheviks, mais les archives occidentales - et peut- être ses rencontres avec des Occidentaux - l'ont amené à adopter un point de vue entièrement différent. Les membres du gouvernement provisoire et leurs partisans étaient tellement incompétents, satisfaits d'eux-mêmes et prêts à supprimer toute opinion insuffisamment progressiste que la tyrannie ne pouvait que triompher. Soljenitsyne a décelé le même état d'esprit chez les réformateurs russes libéraux dans les années 1990 et a craint une nouvelle descente vers un régime autoritaire.

Il y a eu deux révolutions russes en 1917. En février (mars selon les calculs actuels), le tsar Nicolas II, l'une des personnes les plus stupides à avoir jamais occupé un trône, abdique. La violence populaire, accueillie par les personnes instruites avec l'extase naïve de la « fièvre de février », a déclenché le chaos qui a permis aux bolcheviks de prendre le pouvoir en octobre (aujourd'hui novembre). Contrairement au tsar ou au gouvernement provisoire qui lui a succédé, le parti de Lénine n'a pas hésité à recourir à une violence extrême. La tristement célèbre Tchéka (police secrète, ancêtre du NKVD, de l'OGPU et du KGB) est en activité avant la fin de 1917. Les mauviettes de la Douma se sont révélées aussi ineptes sur le plan stratégique que Lénine était brillant.           :


24/10/2021

Mikhaïl Garine, le communiste juif antisioniste qui voulait entendre la Hatikvah au Goulag

Ze'ev Binyamin Begin, Haaretz, 22/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ze'ev Binyamin « Benny » Begin (Jérusalem, 1943) est un géologue et politicien israélien, qui a été brièvement ministre et député successivement des partis Hérout, Likoud et, actuellement, Tikva Hadasha (Nouvel Espoir). Il est le fils de Mieczysław Wolfovitch Biegun, plus connu sous le nom de Menahem Begin, qui fut le chef du groupe terroriste Irgoun et des partis Hérout et Likoud et Premier ministre d’Israël, revendiquant l’héritage de Vladimir Jabotinsky, le chef de l’aile « révisionniste » (droitière) du mouvement sioniste.

 Dans son livre "Les Nuits blanches", mon père, Menahem Begin, a décrit son amitié avec Mikhaïl Garine, un juif souffreteux et un ardent communiste avec qui il a partagé une couchette dans un goulag soviétique en 1941. On pensait que Garine avait disparu, comme des millions d'autres victimes dans ces camps de travail forcé. Puis, il y a quelques mois, un contact a été établi avec le petit-fils de Garine.

Au printemps 1941, au pied des montagnes de l'Oural, sur les rives de la rivière Pechora, non loin du cercle polaire, dans l'un des nombreux goulags soviétiques, deux prisonniers politiques juifs se rencontrent : un communiste nommé Garine e et un sioniste nommé Begin. Le premier a été condamné pour s'être livré à une "activité trotskyste contre-révolutionnaire" ; le second a été reconnu coupable - en raison de ses activités sionistes - d'être un "élément socialement dangereux pour la société". Tous deux ont été condamnés sans procès, en vertu de l'article 58 du code pénal soviétique, à huit ans dans un "camp de travail correctionnel". Avec d'autres prisonniers, tant politiques que criminels (ces derniers étant connus sous le nom d'Ourki-truands), tous deux ont déchargé des rails de chemin de fer et d'autres équipements des péniches sur la rivière. Ils ont participé à la construction de la ligne ferroviaire du nord de la Russie, longue de 1 000 kilomètres, qui s'étend de Kotlas à Vorkouta, au bord de l'océan Arctique.

Dessin Eran Wolkowski

Begin, maigre et frêle après avoir passé neuf mois dans une prison soviétique à Vilna, puis avoir été transporté au camp de Pechora par train de marchandises sur 2 000 kilomètres, a décrit la santé de son nouvel ami dans "Nuits blanches", un récit de son arrestation et de son incarcération dans le camp de travail et le système pénitentiaire soviétiques : "un mauvais cœur, une température élevée constante et un pouls rapide". Les chances que l'un des deux hommes sorte vivant du camp de travail forcé sont minces.

Le récit de la vie de Garine e a laissé une profonde impression sur Begin ; ses paroles sont restées gravées dans la mémoire de mon père. En effet, il a cité Garine dans son livre de 1950 "La Révolte : L’histoire de l’Irgoun", et plus tard, il a développé leur rencontre dans "Les Nuits blanches"  Les nuits blanches: mes souvenirs des camps soviétiques; traduit de l'anglais par Jacques Hermone et Patricia Lerand, éditions Albatros, 1978), où la description de la vie de Garine est citée en détail :

« Sais-tu quel âge j'avais lorsque j'ai rejoint le Parti ? Je n'avais pas plus de 17 ans quand je suis devenu bolchevik et que j'ai commencé à travailler pour la Révolution. Pendant la guerre civile, j'étais dans la Garde rouge et j'ai pris part à de nombreuses batailles contre les Blancs. J'ai été fait prisonnier. Les Blancs m'ont battu et torturé horriblement, mais ils n'ont pas réussi à obtenir quoi que ce soit de moi... Lorsque la guerre civile s'est terminée, on m'a confié diverses tâches au sein du parti en Ukraine. J'étais encore jeune, mais je travaillais dur et me consacrais corps et âme au Parti. Quelle époque ! Je travaillais pour le parti et j'étudiais à l'université. Lorsque j'ai terminé mes études, on m'a confié des postes encore plus élevés... J'ai travaillé pendant quelques années au secrétariat du Parti en Ukraine. J'ai fini par en devenir le secrétaire général. De ce poste, j'ai été transféré à un poste encore plus élevé. J'ai été convoqué à Moscou et intégré à la rédaction de la Pravda. Je suis devenu rédacteur en chef adjoint du journal du parti.

 

Mikhaïl Davydovitch Garine et sa femme Alexandra Zakharovna Vasilyeva (1902-1938) vers 1921, date de leur mariage. Elle a laissé des mémoires en deux tomes, Punis sans culpabilité et Et les tulipes poussent sur les pierres

« En 1937, l'année où ils sont devenus fous, ma femme a été arrêtée. Je ne t’ai pas parlé de ma femme. Nous nous sommes rencontrés alors que nous étions tous deux étudiants. Ma femme était aussi membre du parti, et un membre très actif. Ma femme n'est pas juive, mais quelle différence cela fait-il ? Notre vie de famille était merveilleuse. Nous avons eu un fils et une fille. Ma femme m'aidait dans mon travail, et je l'aidais. Son principal intérêt était la science. Dans son travail scientifique, elle allait de succès en succès. Elle est devenue maître de conférences à l'université, puis à l'Institut Krasni Professori [Institut du professorat rouge]... Et tout à coup, en 1937, elle a été arrêtée... l'interrogateur l'avait accusée de trotskisme et avait exigé des aveux. Elle n'a pas avoué. Elle n'avait jamais été trotskyste ».