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11/08/2025

LORENZO TONDO
Anas al-Sharif, éminent correspondant d’Al Jazeera, parmi les cinq journalistes tués dans une frappe aérienne israélienne sur Gaza

Israël reconnaît avoir délibérément attaqué le journaliste, connu pour ses reportages sur le front, lors d’une frappe sur une tente à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa

Lorenzo Tondo à Jérusalem, The Guardian, 11/8/2025
Avec Reuters et l’Agence France-Presse
Traduit par Tlaxcala


L’armée israélienne affirme qu’Anas al-Sharif, qui avait fait part de ses craintes d’être tué, était le chef d’une cellule du Hamas. Photo : Al Jazeera

Un éminent journaliste d’Al Jazeera qui avait déjà été menacé par Israël a été tué avec quatre de ses collègues lors d’une frappe aérienne israélienne.

Anas al-Sharif, l’un des visages les plus connus d’Al Jazeera à Gaza, a été tué dimanche soir alors qu’il se trouvait dans une tente réservée aux journalistes à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa, dans la ville de Gaza.

Au total, sept personnes ont été tuées dans l’attaque, dont al-Sharif, le correspondant d'Al Jazeera Mohammed Qreiqeh et les cameramen Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa, selon la chaîne de télévision basée au Qatar.

Les Forces de défense israéliennes ont reconnu avoir mené cette frappe, affirmant que le journaliste « était à la tête d’une cellule terroriste de l’organisation terroriste Hamas et était responsable de la poursuite des attaques à la roquette contre des civils israéliens et les forces de défense israéliennes ».

Elle a affirmé disposer de renseignements et de documents trouvés à Gaza comme preuves, mais les défenseurs des droits humains ont déclaré qu’il avait été pris pour cible en raison de ses reportages sur la guerre à Gaza et que les affirmations d’Israël manquaient de preuves.


La tente devant l’hôpital al-Shifa où Anas al-Sharif et six autres personnes ont été tués par une frappe israélienne. Israël a reconnu avoir mené cette frappe, affirmant qu’il s’agissait d’un militant du Hamas, une affirmation que l’ONU a qualifiée de non fondée. Photo : Ebrahim Hajjaj/Reuters

Qualifiant al-Sharif de « l’un des journalistes les plus courageux de Gaza », Al Jazeera a déclaré que cette attaque était « une tentative désespérée de faire taire les voix en prévision de l’occupation de Gaza ».

Le mois dernier, le porte-parole de l’armée israélienne, Avichai Adraee, a partagé une vidéo d’al-Sharif sur X et l’a accusé d’être membre de la branche militaire du Hamas. À l’époque, la rapporteure spéciale des Nations unies sur la liberté d’expression, Irene Khan, avait qualifié cette accusation d’« infondée » et d’« attaque flagrante contre les journalistes ».

En juillet, al-Sharif avait déclaré au Comité pour la protection des journalistes (CPJ) qu’il vivait avec « le sentiment qu’il pouvait être bombardé et martyrisé à tout moment ».

Après l’attaque, le CPJ s’est dit « consterné » d’apprendre la mort des journalistes.

« La pratique israélienne consistant à qualifier les journalistes de militants sans fournir de preuves crédibles soulève de sérieuses questions quant à ses intentions et son respect de la liberté de la presse », a déclaré Sara Qudah, directrice régionale du CPJ.

« Les journalistes sont des civils et ne doivent jamais être pris pour cible. Les responsables de ces meurtres doivent être traduits en justice. »

Le Syndicat des journalistes palestiniens a condamné ce qu’il a qualifié de « crime sanglant » d’assassinat.

En janvier dernier, après un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, al-Sharif avait attiré l’attention générale lorsqu’il avait retiré son gilet pare-balles pendant une émission en direct, alors qu’il était entouré de dizaines d’habitants de Gaza qui célébraient la trêve temporaire.

Quelques minutes avant sa mort, al-Sharif avait publié sur X : « Dernières nouvelles : des bombardements israéliens intenses et concentrés utilisant des « ceintures de feu » frappent les zones est et sud de la ville de Gaza ».

Dans un dernier message, qui selon Al Jazeera aurait été rédigé le 6 avril et publié sur le compte X d’al-Sharif après sa mort, le journaliste a déclaré qu’il avait « vécu la douleur dans tous ses détails, goûté à la souffrance et à la perte à maintes reprises, mais qu’il n’avait jamais hésité à transmettre la vérité telle qu’elle était, sans déformation ni falsification ».

« Allah sera témoin contre ceux qui sont restés silencieux, ceux qui ont accepté notre massacre, ceux qui ont étouffé notre souffle et dont le cœur est resté insensible devant les restes éparpillés de nos enfants et de nos femmes, sans rien faire pour mettre fin au massacre que notre peuple subit depuis plus d’un an et demi », a-t-il poursuivi.

Âgé de 28 ans, il laisse derrière lui une femme et deux jeunes enfants. Son père a été tué par une frappe israélienne sur la maison familiale dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza, en décembre 2023. À l’époque, al-Sharif avait déclaré qu’il continuerait à informer et refusait de quitter le nord de Gaza.

Un autre journaliste d’Al Jazeera à Gaza, Hani Mahmoud, a déclaré : « C’est peut-être la chose la plus difficile que j’ai eu à rapporter au cours des 22 derniers mois. Je ne suis pas loin de l’hôpital al-Shifa, à seulement un pâté de maisons, et j’ai pu entendre l’énorme explosion qui s’est produite il y a environ une demi-heure, près de l’hôpital al-Shifa.

« Je l’ai vu quand ça a illuminé le ciel et, en quelques instants, la nouvelle s’est répandue qu’il s’agissait du camp de journalistes situé à l’entrée principale de l’hôpital al-Shifa ».

Al-Sharif et ses collègues couvraient le conflit depuis le début à Gaza.

« Il est important de souligner que cette attaque survient une semaine seulement après qu’un responsable militaire israélien a directement accusé Anas et mené une campagne d’incitation à la haine contre Al Jazeera et ses correspondants sur le terrain en raison de leur travail, de leur couverture sans relâche de la famine, de la malnutrition et de la famine », a ajouté Mahmoud.

Israël a tué plusieurs journalistes d’Al Jazeera et des membres de leur famille, dont Hossam Shabat, tué en mars, et Ismail al-Ghoul et son caméraman Rami al-Rifi, tués en août.

La femme, le fils, la fille et le petit-fils du correspondant en chef Wael al Dahdouh ont été tués en octobre 2023 et lui-même a été blessé lors d’une attaque quelques semaines plus tard qui a coûté la vie au caméraman d’Al Jazeera Samer Abu Daqqa.

Israël, qui interdit l’accès des journalistes étrangers à Gaza et qui a pris pour cible des reporters locaux, a tué 237 journalistes depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023, selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza. Le Comité pour la protection des journalistes a déclaré qu’au moins 186 journalistes ont été tués dans le conflit à Gaza. Israël nie avoir délibérément pris pour cible des journalistes.



09/08/2025

AMOS PRYWES
Comment pouvons-nous continuer à savoir que les Gazaouis meurent de faim et que nous, Israélien·nes, restons silencieux·ses ?

La question de la responsabilité ne concerne pas qui nous sommes, mais ce que nous faisons et notre capacité à corriger nos actes. Les Israéliens peuvent s’inspirer de la psychanalyse et essayer de faire le premier pas pour cultiver la compassion.

Amos Prywes, Haaretz, 7/8/2025
Traduit par Tlaxcala


Amos Prywes est un psychologue clinicien israélien, auteur de De Freud au porno (Pardes, 2025, en hébreu)

 


La question ci-dessus ne m’a pas été envoyée, elle a été posée lors d’une récente manifestation en Israël contre la guerre à Gaza. J’ai décidé d’y répondre ici, car j’ai senti qu’elle planait sur bon nombre des questions qui m’ont été envoyées. Cette question est difficile à ignorer, même s’il est presque impossible d’y répondre.

Nous devons être honnêtes et dire que la réponse simple pourrait être « parce que ». La réalité est qu’à côté des nouvelles déprimantes et des images choquantes, nous continuons à nous consacrer sans réserve au drame de nos vies personnelles. Nous embrassons nos enfants, nous nous agaçons du chauvinisme de la version israélienne de « Big Brother » et nous nous disputons pour de l’argent. Alors, si nous mettons de côté notre moralisme, peut-être avons-nous continué comme si de rien n’était ?


Images de Mohammed Y. M. Al-Yaqoubi/Anadolu/AFP photoshoppées par Nadav Gazit

La vérité, c’est que même si nous pensons que c’est le cas, la guerre façonne certains aspects de l’image que nous avons de nous-mêmes et de notre perception de la réalité, de manière subtile. Alors, que signifie vivre face à de telles accusations ?

Bien sûr, chacun réagit différemment. Certains nient qu’il y ait quoi que ce soit à se reprocher, d’autres sont d’accord avec ces accusations, et d’autres encore adoptent une position intermédiaire, du genre « C’est terrible ce que fait à Gaza ce gouvernement pour lequel je n’ai pas voté ».

Quelle que soit notre position par rapport au sentiment de culpabilité, notre réponse repose presque toujours sur un engagement émotionnel circulaire qui ne mène nulle part. En général, la culpabilité nous amène à nous poser la question narcissique « Suis-je mauvais ? » et à engager un dialogue avec une figure parentale imaginaire qui nous réprimande.

En ce sens, il existe un lien fondamental entre la culpabilité et l’auto-victimisation. Les personnes coupables sont toujours confrontées à des forces plus grandes qu’elles et se rabaissent en leur présence.

Dans l’une de ses conférences sur la psychanalyse, Freud a comparé la conscience coupable à une personne qui se fait réprimander après avoir cassé un chaudron qui lui avait été confié pour qu’elle le garde. La personne se défend dans une sorte de boucle logique destinée à semer la confusion, du genre : « Je n’ai jamais emprunté de chaudron, il était cassé quand je l’ai reçu et il  était intact quand je l’ai rendu. » Ce raisonnement fallacieux est désormais connu sous le nom de « logique de la bouilloire ».

La société israélienne s’empêtre également dans ce raisonnement lorsqu’elle affirme qu’« il n’y a pas de famine à Gaza, que le Hamas est responsable de la famine, que tous les habitants sont des terroristes et que nous n’avons d’autre choix que d’être cruels ».

Un regard sur la société israélienne d’aujourd’hui révèle que nous sommes presque tous, à notre manière, enfermés dans une mentalité de victime, que nous nous considérions comme victimes du gouvernement, du système judiciaire, de l’antisémitisme mondial ou du fanatisme religieux. C’est un cercle vicieux paralysant dont il est très difficile de sortir. En ce sens, le silence face à ce qui se passe à Gaza n’est pas seulement un échec moral, mais aussi un schéma mental, une façon de ne pas ressentir et de ne pas savoir.

Alors, que faire ? Face à la culpabilité, la psychanalyse propose la responsabilité. Elle propose de regarder la personne qui se trouve en face de nous et de reconnaître le pouvoir que nous avons d’agir envers elle, même s’il est limité.

Comme la culpabilité traite de questions d’identité (« Suis-je bon ou mauvais ? »), elle laisse très peu de place à l’action créative. Elle esquisse un monde de catégories rigides, divisant les humains en méchants absolus et en victimes éternelles.

En même temps, elle encourage une attention obsessionnelle aux détails et aux définitions des péchés : s’agit-il de faim ou de famine ? De crise humanitaire, de catastrophe ou de génocide ? La personne coupable s’enfonce dans ce débat pédant et la colère s’y enferme.

Contrairement à la culpabilité, la question de la responsabilité ne concerne pas qui nous sommes, mais ce que nous faisons, ce qui se trouve devant nous et notre capacité à y remédier. Elle facilite ensuite des actions complexes telles que cultiver la compassion, reconnaître et admettre ses erreurs et recalculer son itinéraire. C’est une petite différence, mais c’est peut-être un point de départ.

08/08/2025

AMOS HAREL
Le plan de Netanyahou pour prendre le contrôle de la Ville de Gaza engage fermement Israël sur la voie d’une guerre perpétuelle

L’intensification des combats à Gaza n’a fait qu’aggraver la situation d’Israël, et la seule solution du Premier ministre est de s’enfoncer encore davantage dans le bourbier Pendant ce temps, ses ministres tentent déjà de normaliser les inévitables pertes militaires et la mort imminente des otages

Amos Harel, Haaretz, 8/8/2025
Traduit par Tlaxcala


Un drapeau israélien endommagé flotte sur Gaza, vu depuis le côté israélien de la frontière entre Israël et Gaza, le 7 août 2025. Photo : Amir Cohen / REUTERS

La crise entre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le chef d’état-major des Forces de défense israéliennes, Eyal Zamir, au sujet de la prochaine phase de la guerre dans la bande de Gaza est encore plus grave que ce que les médias ont rapporté cette semaine.

Il est plus difficile que jamais de savoir ce que Netanyahou a vraiment l’intention de faire : à ce stade, non seulement parce qu’il garde toutes ses options ouvertes, mais aussi parce qu’il est prêt à tout. Néanmoins, la tension entre les deux hommes est réelle.

Netanyahou a peut-être d’autres objectifs (apaiser l’aile messianique de droite de sa coalition gouvernementale, dissuader le Hamas), mais il semble actuellement se concentrer sur la persuasion de l’armée de se préparer à une occupation totale ou quasi totale de Gaza.

Tôt vendredi matin, après une réunion marathon, le cabinet a approuvé le plan de Netanyahou visant à préparer la prise de contrôle de la ville de Gaza. Zamir pense que cela serait désastreux. Il n’est pas inconcevable qu’il soit poussé à démissionner, ou licencié, en raison de ce différend, ce qui provoquerait de nombreux séismes secondaires au sein de l’armée israélienne.

Le conflit entre les deux hommes découle directement de l’impasse dans laquelle se trouve la guerre. Tout au long de cette guerre, la plus longue de l’histoire d’Israël, les partisans de Netanyahou ont affirmé qu’il mettait en œuvre une stratégie ordonnée qui avait permis d’obtenir des résultats importants (Iran, Liban, Syrie, coups portés au Hamas) malgré quelques accrocs en cours de route. Mais dans la pratique, il a plongé Israël dans de graves difficultés.

De mai à juillet, il y avait une possibilité de parvenir à un accord au moins partiel avec le Hamas sur la libération des otages, ce que Netanyahou prétendait vouloir. Mais sa décision d’étendre la guerre en lançant une vaste opération terrestre en mai, connue sous le nom d’opération « Les chars de Gédéon », après avoir violé unilatéralement un cessez-le-feu, n’a pas donné les résultats escomptés par lui-même et l’armée.

C’est également à ce moment-là que le fiasco de l’aide humanitaire a commencé. La Gaza Humanitarian Foundation, basée aux USA, n’a pas atteint les objectifs ambitieux qui lui avaient été fixés en matière de distribution de l’aide aux Gazaouis – ce qui était prévisible dès le départ – et la fin du contrôle du Hamas sur l’aide n’a pas mis l’organisation à genoux. Au contraire, une nouvelle catastrophe humanitaire s’est développée à Gaza, pire encore que celles qui l’ont précédée. Les propagandistes propalestiniens l’ont ensuite amplifiée par un flot de mensonges et de guerre psychologique.[sic]

La position d’Israël à l’étranger s’est encore détériorée, le gouvernement usaméricain a exercé des pressions et, il y a deux semaines, Netanyahou a été contraint d’ouvrir les portes de Gaza et d’inonder l’enclave d’aide, contrairement à toutes ses déclarations précédentes. Pourtant, les dommages causés à la population de Gaza sont si importants qu’il faudra beaucoup de temps pour les réparer. Et ne parlons même pas de l’attitude de la communauté internationale envers Israël. Ce que les touristes israéliens ont vécu en Grèce n’était qu’un début. Le nombre d’alertes concernant des attaques potentielles contre des Israéliens et des Juifs à l’étranger est en forte augmentation.

Cette semaine, nous avons appris que le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui avait tenté il y a deux mois de refuser l’allocation de 700 millions de shekels (175 millions d’euros) pour sécuriser les centres de distribution de l’aide de la GHF, alloue désormais sans sourciller 3 milliards de shekels supplémentaires à ce projet. « Les Palestiniens ne m’intéressent pas, mais détruire le Hamas, oui », a-t-il expliqué. Pendant ce temps, les Gazaouis qui tentent désespérément d’obtenir de la nourriture pour leurs familles dans les rares centres de distribution continuent de mourir, sous les balles ou piétinés à mort.


Un garçon palestinien mange du tahini cru près d’un centre de distribution de la GHF samedi. Photo Eyad Baba/AFP

À la mi-juillet, avant que la crise alimentaire n’éclate, un accord partiel sur les otages semblait proche. Israël a fait grand cas de l’occupation de deux couloirs dans la région de Morag, au sud de Gaza, afin de pouvoir les céder dans le cadre de l’accord. Les hauts responsables de la défense se montraient prudemment optimistes, comme si le cessez-le-feu initial de 60 jours en discussion allait cette fois déboucher sur un plan plus large pour mettre fin à la guerre. Mais le Hamas a rapidement saisi la nouvelle donne et, depuis lors, il n’a montré aucun signe de flexibilité dans les négociations. Il a même ajouté deux exigences : la libération des membres capturés de sa force d’élite Nukhba, qui a perpétré le massacre du 7 octobre, et le report de la libération du dernier otage jusqu’au début de la reconstruction de Gaza. Il a commencé à mettre en avant la nécessité de reconstruire Gaza, en partie pour signaler son intention de rester au sein du gouvernement du territoire.

Ces exigences ont provoqué la colère de Netanyahou et du président Trump et ont conduit les négociations dans une impasse. En réalité, toute la guerre est au point mort. Les négociations ont été suspendues, les négociateurs israéliens ont été rappelés du Qatar et les combats à Gaza sont plus statiques que jamais en raison de la crise humanitaire et de l’absence de décision sur la suite des opérations militaires. Pour utiliser une analogie sportive, Netanyahou préfère jouer large plutôt que direct. Il ne cherche pas une victoire rapide. Il veut laisser ouvertes autant d’options que possible et gagner du temps tout en évitant toute menace pour sa coalition gouvernementale.


Netanyahou donne l'accolade à Eyal Zamir, au QG de la défense à Tel-Aviv, fin juin. Photo Maayan Toaf/GPO

L’absence de progrès ouvre la voie à une crise avec les hauts responsables de l’armée israélienne, qui pourrait se traduire par un affaiblissement de l’armée et des attaques contre le chef d’état-major. À l’instar de la « ville humanitaire » de Rafah qui n’a jamais vu le jour ou du plan d’émigration des Gazaouis qui n’aboutit à rien, une telle crise donnerait aux médias un nouveau sujet de discussion. L’attente tendue des réunions décisives et des fuites permet de détourner quelque peu l’attention des échecs du gouvernement : la prolongation d’une guerre sans objectif, les cris des familles des otages, le projet de loi scandaleux visant à légaliser l’exemption du service militaire pour les ultra-orthodoxes et les mauvaises performances des ministres. Pendant ce temps, le temps passe et le gouvernement survit.

Une guerre perpétuelle pourrait également aider Netanyahou à atteindre son deuxième objectif : assurer sa victoire aux prochaines élections, même si tous les sondages prédisent sa défaite. Pour ce faire, il suffirait de saper systématiquement le processus démocratique sous le couvert de la guerre et de ses nécessités.

Zamir n’a pas non plus de solution satisfaisante à la crise qui s’est créée. L’offensive terrestre de mai n’a pas atteint son objectif et, selon Zamir, c’est parce que le gouvernement n’a pas tiré parti de ses succès pour mener une diplomatie efficace. Aujourd’hui, incapable de contraindre le Hamas à signer un accord, Israël improvise des solutions alternatives. Zamir a profité de l’accalmie des combats pour réduire les effectifs militaires à Gaza. L’armée a également pris des mesures pour réduire la charge pesant sur les réservistes cette année et a mis fin à sa politique de prolongation automatique du service des soldats appelés sous les drapeaux par des ordres d’appel d’urgence.

Normalisation de l’abandon

Le conflit avec Netanyahou s’est intensifié à la suite d’un article publié vendredi dernier par le journaliste chevronné Nahum Barnea dans le quotidien à grand tirage Yedioth Ahronoth. Barnea a écrit que Zamir envisageait la possibilité de démissionner si les décideurs politiques l’obligeaient à conquérir toute la bande de Gaza. Le cabinet du Premier ministre, suivant son habitude, a tenté de faire pression sur le chef d’état-major pour qu’il se dissocie de l’article, mais Zamir a refusé, même si la formulation sans équivoque du titre l’a apparemment quelque peu surpris.

Les raisons de la frustration de Zamir sont compréhensibles : le cabinet de sécurité ne se réunit pratiquement jamais (à la place, il y a des réunions des chefs des factions de la Knesset, un forum dépourvu de toute autorité légale) ; les rencontres personnelles entre Zamir et le Premier ministre sont rares ; et la guerre est menée à la sauvette, sans qu’aucune politique claire ne soit définie.


Une sympathisante des otages capturés le 7 octobre 2023 brandit des pancartes lors d’une manifestation exigeant la libération immédiate des otages et la fin de la guerre, à Tel-Aviv le 7 août 2025. Photo Ammar Awad/ REUTERS

Pendant ce temps, la famille Netanyahou a lancé une offensive contre Zamir. Alors que le père fait entendre sa voix dans les coulisses, le fils et la mère agissent selon leurs méthodes : via les réseaux sociaux et des fuites dans les médias. Yair Netanyahou a tweeté des accusations infondées contre le chef d’état-major, affirmant qu’il préparait un coup d’État militaire, et s’est dissocié de la responsabilité de son père dans la nomination de Zamir (en réalité, le Premier ministre avait fièrement déclaré lors de la cérémonie de nomination en mars que c’était la troisième fois qu’il voulait Zamir à ce poste).

Sara Netanyahou aurait déclaré avoir averti son mari de ne pas nommer Zamir, car il ne serait pas capable de résister à la pression des médias. Comme dans une république bananière, la presse a rapporté que Netanyahou père voulait en fait Zamir, mais que la mère et le fils avaient fait pression pour la nomination du général David Zini, qui a entre-temps été nommé à la tête du service de sécurité Shin Bet – une décision dangereuse.

Cette semaine, des correspondants diplomatiques et militaires ont reçu des fuites détaillées – d’une manière qui soulève des doutes quant au sérieux de la discussion – sur les plans exigés par Netanyahou : la conquête de la ville de Gaza et des camps de réfugiés au centre de la bande de Gaza. Il s’agit de deux des trois enclaves dans lesquelles l’armée israélienne a contraint la population palestinienne à se réfugier et où sont détenus les otages israéliens (la troisième est la région de Mawasi, sur la côte sud de la bande de Gaza).

De hauts responsables de l’armée israélienne ont averti que cela nécessiterait une opération terrestre de plusieurs mois et des actions visant à passer la zone au peigne fin et à la purger de tout terroriste, ce qui pourrait prendre jusqu’à deux ans. L’opération nécessiterait quatre à six divisions, ce qui représente un nombre astronomique de jours de réserve supplémentaires. Et l’intention est de continuer à pousser la population par la force vers le sud de la bande de Gaza tout en essayant de la contraindre à émigrer. Zamir, en revanche, a proposé d’encercler les enclaves actuelles, d’exercer une pression militaire sur elles depuis l’extérieur et d’essayer d’épuiser le Hamas, sans mettre en danger la vie des otages. Cela ne semble pas non plus être une solution gagnante.

Trump semble avoir donné le feu vert à Netanyahou pour étendre l’opération à Gaza, à condition que les forces agissent rapidement, sans s’attarder inutilement sur place. Dans le même temps, il a contraint le Premier ministre à autoriser l’acheminement de l’aide. Pour l’instant, Netanyahou, avec le soutien de Trump, s’efforce de mener une opération de grande envergure, malgré les risques. Il adhère également à des idées irresponsables qui circulent dans son entourage, selon lesquelles, après avoir occupé la ville de Gaza, il sera possible de gérer la distribution de la nourriture sur place par le biais des clans locaux.

Il existe toutefois une issue : si le Premier ministre évite de présenter un calendrier rigide, il sera toujours possible de brouiller les pistes quant au rythme de mise en œuvre et d’espérer qu’entre-temps, une autre solution émergera grâce à la menace militaire.

Les serviteurs du Premier ministre, les ministres et les députés, s’affairent à normaliser la guerre et à préparer le terrain pour que l’opinion publique accepte d’abandonner les otages à la mort. Cela commence par l’affirmation que les civils qui ont été enlevés chez eux et lors du festival de musique Nova sont en réalité des « prisonniers de guerre », c’est-à-dire des soldats capturés qui doivent attendre la fin de la guerre, à une date inconnue, pour être libérés, et cela se termine par le silence imposé aux familles des otages à la Knesset.

Zamir a un avantage certain : l’armée est toujours derrière lui. La majorité absolue des officiers le croit et partage ses considérations. Netanyahou, dont les partisans envisagent des scénarios de destitution et de remplacement, devra en tenir compte. La combinaison du danger pour la vie des soldats et des otages et d’une confrontation publique entre le Premier ministre et le chef d’état-major pourrait faire basculer l’opinion publique contre Netanyahou.


Réservistes à Gaza, en mars. Photo porte-parole de l’armée israélienne

Si Zamir fait ce qu’Eli Geva a fait pendant la guerre du Liban en 1982 – en tant que commandant de la 211e brigade blindée, il avait démissionné de l’armée pour protester contre la guerre –, nous entrerons en territoire inconnu. Cela risque d’entraîner un refus plus important de servir, en particulier parmi les unités de réserve, et de voir enfin naître un nouveau mouvement des Quatre Mères, efficace et plus virulent, à l’image de celui qui avait vu le jour en 1997 contre la guerre au Liban.

L’état réel de l’armée, qui combat à Gaza depuis 22 mois, peut être déduit d’un message publié par un major de réserve, commandant d’une unité qui utilise du matériel de génie lourd. « Au cours des trois dernières semaines, j’ai pu constater de près la gravité du problème », écrit-il. « Le manque d’organisation, l’incertitude et l’absence d’objectif opérationnel clair – des sentiments qui reviennent dans tous les cadres... Le résultat sur le terrain : les forces se déplacent sans contexte, sans continuité et sans objectif clair. Les troupes de combat le ressentent également, non seulement dans la charge, mais aussi dans un sentiment de mépris total pour les opérations. »

Lorsque les choses sont clairement énoncées, et non par des sources anonymes, les médias sont obligés de les rapporter de manière directe. Mais la plupart du temps, ils s’efforcent de brouiller les événements à Gaza sous une épaisse couche de patriotisme, de camaraderie guerrière et d’édulcoration.

6 août 2025 : une fillette palestinienne devant le centre de santé Sheikh Radwan, dans le nord de la ville de Gaza, après sa destruction lors d'une frappe nocturne. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

HAARETZ
Se taire, c’est se rendre

Éditorial, Haaretz, 8/8/2025
Traduit par Tlaxcala

 


Le cabinet de sécurité s’est réuni jeudi soir pour discuter d’une nouvelle extension de la guerre à Gaza, un maillon supplémentaire dans une longue chaîne qui finira certainement par avoir son propre nom. Les noms changent, mais le refrain reste le même : occupation, destruction et transfert forcé de dizaines de milliers de Palestiniens. D’autres soldats seront sacrifiés sur cet autel, et les otages israéliens restants seront perdus. Le gouvernement Netanyahou a fait de ces deux groupes des dommages collatéraux.

Face à cette vision cauchemardesque, motivée par des considérations personnelles et messianiques juives, nous ne pouvons rester indifférents. Nous ne devons pas rester silencieux. C’est pourquoi plus de 2 000 artistes et personnalités culturelles ont signé une pétition appelant à la fin de la guerre, intitulée « Stop à l’horreur à Gaza ». Celle-ci a tendu un miroir important au public, même si de nombreux Israéliens préfèrent le briser ou détourner le regard.

La pétition des artistes reflétait une vérité humaine fondamentale que le gouvernement cherche à étouffer : il est immoral de faire du mal à des innocents. Par conséquent, selon la pétition, il est impossible d’accepter « le meurtre d’enfants et de civils, les politiques de famine, les déplacements massifs et la destruction sensible de villes entières ». Les ordres illégaux ne doivent pas être donnés, et s’ils le sont, ils ne doivent pas être obéis, ajoute la pétition, réitérant ce qui devrait être évident. Mais pas en Israël sous le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou.

Depuis la publication de la pétition, une campagne systématique a été menée pour faire taire les signataires. Parmi les participants figurent des ministres et des politiciens hors du gouvernement, des collaborateurs des médias, des militants d’extrême droite et de nombreuses autres personnalités culturelles. Des maires ont également annoncé qu’ils ne commanderaient pas de spectacles aux artistes ayant signé la pétition, qu’ils accusent d’« incitation à la haine contre les soldats de l’armée israélienne ». Il est devenu évident que dans l’Israël d’aujourd’hui, une seule opinion peut être exprimée entre l’opposant Yair Lapid et le rappeur d’extrême droite Yoav (« l’Ombre ») Eliasi. Ce consensus frauduleux est un chœur qui chante à l’unisson.


Alon Oleartchik et Assaf Amdursky

La pression exercée sur les signataires de la pétition n’a été que partiellement couronnée de succès. Certains d’entre eux (Assaf Amdursky, Alon Oleartchik) n’ont pas résisté à la pression et aux menaces et ont retiré leur signature. Dans le cas d’Oleartchik, sa rétractation publique a porté ses fruits : une de ses représentations qui avait été annulée a été rétablie. Cela montre non seulement le pouvoir de la censure, officielle et officieuse, mais aussi le fait que certaines personnes choisissent de collaborer avec elle.

Face à cette campagne de musellement, nous ne devons pas céder. Le plan que Netanyahou est en train de mettre en œuvre conduira à la destruction totale de Gaza, mais aussi des fondements moraux d’Israël. En s’opposant à la guerre et à ses crimes, les personnalités culturelles se sont jointes à des personnes partageant les mêmes opinions dans le monde universitaire, les organisations non gouvernementales et même au sein de l’armée elle-même. Toutes sont essentielles pour forger une alternative au culte de la mort prôné par le gouvernement.

Aujourd’hui plus que jamais, après tant de jours de tueries sans précédent et alors qu’Israël est à deux doigts de sombrer dans une guerre perpétuelle, chaque Israélien doit s’élever haut et fort contre cette situation. Se taire, c’est se rendre.

04/08/2025

SARAH B.
Tontons flingueurs en croisade : comment des extrémistes évangéliques et d’anciens membres des forces spéciales ont détourné l’humanitaire à Gaza

À Gaza, l’humanitarisme a été détourné par des croisés armés de fusils, d’exorcismes et d’une mission divine visant à refaire le champ de bataille à l’image de Dieu.

Sarah B., DD Geopolitics , 31/7/2025
Traduit par Tlaxcala

Sommaire

I. Le retour de la croisade…………………………………………………….2

II. Une nouvelle race de mercenaires : rencontrez les croisés……......4

III. La doctrine de la délivrance……………………………………………..15

IV. Les enfants : la lutte contre la traite comme couverture………......20

V. Gaza : un champ de bataille pour l’âme………………………………..23

VI. Au-delà de Gaza, un réseau de domination…………………………..26

VII. L’ombre des complots et des fronts du renseignement………..…29

VIII. Conclusion : l’instrumentalisation de la foi………………………....31


Écouter résumé audio (6:52)



David Grossman : misère du sionisme de gauche
“Notre cœur est au bon endroit : il bat dans une réalité qui est sans cœur”

Le 1er août, le quotidien italien la Repubblica a publié un entretien avec l’écrivain David Grossman reconnaissant qu’Israël est en train de commettre un génocide à Gaza. Les médias francophones se sont contentés de publier une dépêche de l’Agence France-Presse résumant le contenu de l’entretien. Il nous a semblé utile de le traduire in extenso pour que tout un chacun comprenne l’état d’esprit lamentable dans lequel se trouve une grande partie de la vieille “gauche sioniste” censée être pacifiste. On lira, après l’entretien, le commentaire d’un blogueur militant italien.-FG, Tlaxcala


David Grossman : “À Gaza, c’est un génocide, ça me brise le cœur, mais je dois le dire maintenant”

Francesca Caferri, la Repubblica, 1/8/2025

« Pendant de nombreuses années, j’ai refusé d’utiliser ce mot. Mais aujourd’hui, après les images que j’ai vues, ce que j’ai lu et ce que j’ai entendu de la bouche de personnes qui étaient là-bas, je ne peux plus m’empêcher de l’utiliser », explique l’écrivain israélien.

Entre le moment où nous avons pris contact pour cette interview et le moment où elle a effectivement eu lieu, soit moins de 24 heures, 103 personnes sont mortes à Gaza : 47 alors qu’elles tentaient d’accéder à l’aide alimentaire, sept de faim, les autres lors de différentes opérations militaires israéliennes. David Grossman a lu, comme moi, les chiffres publiés dans Haaretz : c’est de là que part cette conversation. Elle est dictée, nous explique-t-il, par un sentiment d’« inévitabilité. Je ressens une urgence intérieure de faire ce qui est juste, et c’est le moment de le faire, explique-t-il. Parfois, on ne parvient à vraiment comprendre les choses qu’en en parlant ».

Commençons par les chiffres : quand vous lisez les chiffres des morts à Gaza, que pensez-vous ?

« Je me sens mal. Même si je sais que ces chiffres sont contrôlés par le Hamas et qu’Israël ne peut être le seul responsable de toutes les atrocités dont nous sommes témoins. Malgré ça, lire dans un journal ou entendre dans des conversations avec des amis en Europe l’association des mots « Israël » et « famine » ; le faire en partant de notre histoire, de notre prétendue sensibilité à la souffrance humaine, de la responsabilité morale que nous avons toujours dit avoir envers chaque être humain et pas seulement envers les Juifs... tout ça est dévastateur. Et ça me trouble : non pas d’un point de vue moral, mais personnel. Je me demande : comment avons-nous pu en arriver là ? À être accusés de génocide ? Le simple fait de prononcer ce mot, « génocide », en référence à Israël, au peuple juif : cela suffirait, le fait qu’il y ait cette association, pour dire qu’il se passe quelque chose de très grave. Un juge de la Cour suprême israélienne a dit un jour que le pouvoir corrompt, et que le pouvoir absolu corrompt absolument. Et voilà, c’est ce qui nous est arrivé : l’occupation nous a corrompus. Je suis absolument convaincu que la malédiction d’Israël est née avec l’occupation des territoires palestiniens en 1967. Les gens en ont peut-être assez d’en entendre parler, mais c’est ainsi. Nous sommes devenus très forts sur le plan militaire et nous avons succombé à la tentation générée par notre pouvoir absolu et l’idée que nous pouvons tout faire ».

Vous avez utilisé le mot interdit : « génocide ». Dans un article publié il y a quelques jours dans Haaretz, la juriste israélienne Orit Kamir a qualifié ce qui se passe à Gaza de « trahison des victimes de l’Holocauste ». Dans le New York Times, l’historien israélien Omer Bartov a écrit : «Je suis un spécialiste du génocide. Quand j’en vois un, je le reconnais Un génocide est en cours à Gaza ». Êtes-vous d’accord ?

« Pendant des années, j’ai refusé d’utiliser ce mot : « génocide ». Mais aujourd’hui, je ne peux plus m’empêcher de l’utiliser, après ce que j’ai lu dans les journaux, après les images que j’ai vues et après avoir parlé à des personnes qui étaient là-bas. Mais vous voyez, ce mot sert principalement à donner une définition ou à des fins juridiques : moi, je veux parler en tant qu’être humain né dans ce conflit et dont toute l’existence a été dévastée par l’occupation et la guerre. Je veux parler en tant que personne qui a fait tout ce qu’elle pouvait pour ne pas en arriver à qualifier Israël d’État génocidaire. Et maintenant, avec une immense douleur et le cœur brisé, je dois constater que cela se passe sous mes yeux. « Génocide ». C’est un mot qui fait l’effet d’une avalanche : une fois prononcé, il ne fait que grossir, comme une avalanche justement. Et il apporte encore plus de destruction et de souffrance.

Où allons-nous à partir de là ?

« Nous devons trouver un moyen de sortir de cette association entre Israël et le génocide. Tout d’abord, nous ne devons pas permettre à ceux qui ont des sentiments antisémites d’utiliser et de manipuler le mot « génocide ». Ensuite, nous devons nous poser la question suivante : sommes-nous capables, en tant que nation, sommes-nous assez forts pour résister aux germes du génocide, de la haine, des massacres ? Ou devons-nous nous abandonner au pouvoir que nous confère le fait d’être les plus forts ? J’entends des gens comme Smotrich et Ben Gvir (deux ministres israéliens d’extrême droite, ndlr) dire que nous devons reconstruire des colonies à Gaza : mais que disent-ils ? Ne se souviennent-ils pas de ce qui se passait quand nous étions là-bas, avec le Hamas qui tuait des centaines de civils israéliens, des femmes et des enfants, sans que nous puissions les protéger ? Nous n’avons pas quitté Gaza par générosité, mais parce que nous ne pouvions pas protéger notre peuple. La grande erreur des Palestiniens est qu’ils auraient pu en faire un endroit prospère : au lieu de cela, ils ont cédé au fanatisme et l’ont utilisé comme rampe de lancement pour des missiles contre Israël. S’ils avaient fait un autre choix, cela aurait peut-être poussé Israël à céder également la Cisjordanie et à mettre fin à l’occupation il y a des années. Au lieu de cela, les Palestiniens n’ont pas su résister à la tentation du pouvoir : ils nous ont tiré dessus, nous leur avons tiré dessus et nous nous sommes retrouvés dans la même situation. Si nous avions été plus mûrs politiquement, plus courageux, la réalité aurait pu être complètement différente. »

Pourquoi n’y a-t-il pas des millions de personnes dans les rues en Israël pour mettre fin à tout cela ? La faim, les massacres... Pourquoi n’y a-t-il toujours qu’une minorité du pays dans les rues ?

« Parce qu’il est plus facile de ne pas voir. Et il est très facile de céder à la peur et à la haine. Encore plus après le 7 octobre : vous étiez ici à cette époque, vous pouvez comprendre quand je dis que ça a été horrible, beaucoup de gens ne comprennent toujours pas ce que ça a signifié pour nous. Beaucoup de personnes que je connais ont abandonné depuis ce jour-là nos valeurs communes de gauche, ont cédé à la peur ; et soudain, leur vie est devenue plus facile, ils se sont sentis acceptés par la majorité, ils n’ont plus eu besoin de réfléchir. Sans comprendre que plus on cède à la peur, plus on est isolé et détesté en dehors d’Israël. La vie est l’histoire que nous nous racontons : ça vaut pour tout le monde. Mais quand on est Israël, entouré de voisins qui ne veulent pas de vous dans cette région, comme la Syrie, et qu’on commence à perdre le soutien de l’Europe, l’isolement s’accroît et on se retrouve dans un piège de plus en plus profond, dont il est difficile de sortir. Au contraire, vous risquez de ne pas pouvoir en sortir ».

Le silence de la majorité risque d’emporter tout le monde sans distinction, Israéliens et Juifs, y compris ceux qui ne sont pas d’accord. Vous savez ce qui s’est passé ces derniers jours dans un restaurant Autogrill près de Milan [un touriste français juif y aurait été agressé, NdT], puis il y a eu le navire qui n’a pas été autorisé à accoster en Grèce. Des artistes et des écrivains israéliens ont vu leurs invitations à l’étranger annulées pour avoir critiqué le gouvernement : pensez-vous que cela puisse vous arriver aussi ?

« Bien sûr que j’y pense : ce serait le signe des temps dans lesquels nous vivons. Ce serait regrettable. Mais cela ne m’empêchera pas de dire ce que je pense : je crois qu’il est essentiel d’écouter des idées comme les miennes en ce moment. Pour Israël et pour ceux qui aiment Israël ».

Vous avez dit que tout a commencé avec l’occupation. Vous l’avez écrit dans « Le Vent jaune », en 1987. Parlons de la Cisjordanie à l’époque : en Europe, on parle encore de deux États, mais il suffit de sortir de Jérusalem pour voir qu’il n’y a plus, physiquement, de place pour deux États. Les colonies sont en train de manger la terre des Palestiniens...

« Je reste désespérément fidèle à l’idée de deux États, principalement parce que je ne vois pas d’alternative. Ce sera complexe et nous devrons, tout comme les Palestiniens, faire preuve de maturité politique face aux attaques qui ne manqueront pas de se produire. Mais il n’y a pas d’autre plan ».

Que pensez-vous de la reconnaissance de l’État palestinien proposée par Macron ?

« Je pense que c’est une bonne idée et je ne comprends pas l’hystérie qui l’a accueillie ici en Israël. Peut-être qu’avoir affaire à un véritable État, avec des obligations réelles, et non à une entité ambiguë comme l’Autorité palestinienne, aura ses avantages. Il est clair qu’il devra y avoir des conditions très précises : pas d’armes. Et la garantie d’élections transparentes dont seront exclus tous ceux qui envisagent d’utiliser la violence contre Israël ».

À la fin de cette conversation, j’aimerais vous demander de répondre à ceux – et ils sont nombreux – qui disent que vous, les intellectuels israéliens, n’avez pas dit ou fait assez pour mettre fin à ce qui se passe à Gaza.

« Je pense qu’il est injuste de s’en prendre à ceux qui ont combattu l’occupation pendant 70 ans, qui ont consacré la majeure partie de leur vie et de leur carrière à cette lutte. Lorsque cette guerre a commencé, nous étions dans un état de désespoir total, car nous avions perdu tout ce en quoi nous avions cru et tout ce que nous aimions : je pense que notre réaction lente était naturelle et compréhensible. Il nous a fallu du temps pour comprendre ce que nous ressentions et ce que nous pensions, puis pour trouver les mots pour le dire. Ceux qui cherchaient une réaction en temps réel devaient la chercher ailleurs : je parle pour moi et pour ceux que je vois chaque semaine dans les manifestations, depuis des années maintenant. Notre cœur est au bon endroit : il bat dans une réalité qui est sans cœur ».

L’aveu de Grossman sur le génocide commis par Israël est la preuve qu’Israël ne rendra jamais justice

Alessandro Ferretti, 1/8/2025

Chercheur en physique à l’Université de Turin et blogueur

L’interview de David Grossman dans laquelle le gourou du sionisme de gauche se décide enfin à admettre qu’Israël est en train de commettre un génocide n’est pas un repentir dicté par l’empathie pour les horreurs indescriptibles que sa patrie a infligées et continue d’infliger aux Palestiniens, mais un condensé d’autoréférentialité absolue, une tentative pathétique et cynique de sauver Israël des conséquences de ses crimes.

Bien qu’il avoue savoir qu’Israël commet des crimes innommables, il n’exprime jamais de douleur pour les victimes, mais seulement de l’inquiétude pour Israël et pour l’impasse dans laquelle il s’est fourré, en essayant de sauver tout ce qui peut être sauvé de l’entreprise sioniste. Cette priorité est évidente dans tous les points de l’interview : « Je veux parler comme quelqu’un qui a fait tout ce qu’il pouvait pour ne pas en arriver à qualifier Israël d’État génocidaire ». À la question « que faire », sa réponse n’est pas « arrêter le génocide et rendre liberté et justice aux victimes », mais « nous devons trouver un moyen de sortir de cette association entre Israël et le génocide. Avant tout, nous ne devons pas permettre à ceux qui ont des sentiments antisémites d’utiliser et de manipuler le mot « génocide » ».

En outre, il réitère sans vergogne des récits totalement faux et tendancieux, comme celui selon lequel le Hamas aurait eu la possibilité de transformer Gaza en un jardin des délices, et tout en se déclarant à contrecœur favorable à la solution à deux États comme « seule possibilité », il a l’arrogance d’ajouter : « Il est clair qu’il devra y avoir des conditions très précises : pas d’armes. Et la garantie d’élections transparentes dont seront exclus tous ceux qui envisagent d’utiliser la violence contre Israël ». En pratique, sa solution est un bantoustan sans défense, sous tutelle et à souveraineté limitée, présenté de surcroît comme un cadeau généreux.

En somme, si l’on pouvait auparavant justifier son attitude par le doute qu’il n’ait pas compris ce qui se passait, il est désormais malheureusement incontestable que Grossman est une personne émotionnellement lobotomisée, dépourvue d’empathie, horrible et corrompu jusqu’à la moelle, et si Grossman est représentatif de la grande majorité de l’opposition à Netanyahu, alors nous avons une nouvelle confirmation qu’il n’y a aucun espoir à court terme qu’Israël reconnaisse de lui-même ses crimes et rende leur dignité et leur indépendance aux Palestiniens. Au lieu de démontrer qu’Israël comprendra et reviendra sur ses pas, cette interview prouve le contraire : seules des sanctions politiques, diplomatiques et économiques pourront mettre fin au massacre et rétablir la justice, et le seul moyen d’y parvenir est d’agir à la base contre les gouvernements (comme celui de l’Italie) qui continuent de rendre possible l’horreur.

31/07/2025

TikTok recrute une ancienne instructrice de l’armée israélienne comme responsable de la lutte contre les “discours de haine”, suscitant de vives réactions

 MEE, 29/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Erica Mindel, ancienne contractuelle du département d’État usaméricain, dirigera la politique de TikTok en matière de discours de haine, en se concentrant sur les contenus antisémites

La nouvelle recrue de TikTok chargée de superviser les politiques de lutte contre les discours de haine sur l’application entretient des liens de longue date avec l’armée israélienne, a confirmé lundi l’entreprise à Jewish Insider.

La plateforme de médias sociaux a annoncé qu’Erica Mindel, une ancienne contractuelle du département d’État usaméricain qui a travaillé pour l’ambassadrice Deborah Lipstadt, envoyée spéciale de l’administration Biden pour surveiller et combattre l’antisémitisme, rejoindra l’équipe chargée des politiques publiques et des discours de haine de TikTok aux USA.

Selon la description officielle du poste partagée par TikTok, Mme Mindel sera chargée de « développer et de promouvoir la position de l’entreprise sur les discours de haine », d’« influencer les cadres législatifs et réglementaires » et d’« analyser les tendances en matière de discours de haine », en mettant particulièrement l’accent sur les contenus antisémites.

Elle a indiqué sur sa page que son nouveau poste chez TikTok était celui de « responsable des politiques publiques, discours de haine, chez TikTok ».

 


Avant sa carrière au département d’État, Mindel était instructrice dans le corps blindé de l’unité des porte-parole de l’armée israélienne, selon les informations qu’elle a fournies lors de son passage dans un podcast de l’American Jewish Committee.

Dans le podcast, Mindel explique qu’elle s’est portée volontaire et s’est enrôlée dans l’armée israélienne, où elle a servi pendant deux ans.

De nombreux utilisateurs des réseaux sociaux ont critiqué la décision de TikTok, suggérant que la plateforme vise à faire taire les discours propalestiniens.

Par ailleurs, il semble que ce poste ait été créé à la suite d’une « réunion de haut niveau » coordonnée l’année dernière par l’Anti-Defamation League (ADL), selon Dan Granot, directeur national de la politique vis-à-vis de ‘lantisémitisme de l’ADL.

Dans une déclaration à Jewish Insider, M. Granot a déclaré que ce rôle était apparu comme « une recommandation clé pour toutes les plateformes de réseaux sociaux » lors de cette réunion.

L’année dernière, les éditeurs de Wikipédia ont voté pour déclarer l’ADL « généralement peu fiable » sur Israël et la Palestine ainsi que sur la question de l’antisémitisme, ajoutant l’organisation à une liste de sources interdites, selon un rapport de la Jewish Telegraph Agency.

L’ADL a une longue histoire d’attaques contre les mouvements de défense des droits des Palestiniens, qu’elle qualifie d’antisémites, et a déjà collaboré avec les forces de l’ordre usaméricaines pour espionner des groupes arabo-usaméricains. Elle a également facilité et financé des voyages de formation de la police usaméricaine en Israël.

L’ADL a publié un tweet de célébration sur X, suggérant qu’elle se réjouissait de cette décision.

De nombreux utilisateurs des réseaux sociaux ont suggéré que TikTok avait « cédé à la pression » de l’ADL, laissant entendre que TikTok « se conformait à ces exigences de censure pour tenter d’éviter une interdiction » aux USA.

En 2024, un projet de loi visant à interdire l’application a été adopté à une écrasante majorité au Congrès usaméricain. Le projet de loi, qui a été adopté à la Chambre des représentants par 352 voix contre 65, exigeait que TikTok soit vendu à une entreprise usaméricaine sous peine d’être interdit aux USA.

TikTok a été brièvement interdit aux USA après l’adoption d’une loi obligeant son propriétaire chinois, ByteDance, à le vendre pour des raisons de sécurité nationale ou à faire face à une interdiction le 19 janvier.

Bien que le président Donald Trump ait temporairement annulé l’interdiction de TikTok le lendemain de son entrée en fonction, l’avenir de l’application dans le pays, ainsi que le statut de son contenu propalestinien, restent incertains.

En février, des membres du Congrès ont révélé que la principale raison derrière la volonté des USA d’interdire TikTok était l’image d’Israël sur la plateforme plutôt que la crainte d’une infiltration chinoise.

La semaine dernière, les représentants Josh Gottheimer (Démocrate-New Jersey) et Don Bacon (Républicain-Nebraska), ainsi que le PDG de l’ADL, Jonathan Greenblatt, ont annoncé la réintroduction du STOP HATE Act, un projet de loi visant à lutter contre la propagation de l’antisémitisme sur les réseaux sociaux tels que TikTok.

Plusieurs parlementaires usaméricains et personnalités éminentes ont attaqué la plateforme en raison de la prétendue prééminence de contenus propalestiniens, notamment le sénateur républicain et ancien candidat à la présidence Mitt Romney.