Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a approuvé cette opération secrète visant à soutenir une milice palestinienne pour garder l’aide humanitaire - tout en cachant la vérité au public
“Quel mal il y a à ça ?”
“Quel mal il y a à ça ?” Avec ces quatre mots soi-disant innocents, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a causé des dommages supplémentaires à toute chance de mettre fin à la guerre à Gaza et de restituer les otages. C’est ainsi qu’il a réagi la semaine dernière à la révélation du député Avigdor Lieberman selon laquelle les services de sécurité israéliens géraient une milice armée à Gaza, dont le personnel était affilié à Daech. Le chef de cette milice est Yasser Abou Shabab, membre d’une grande famille bédouine de Rafah.
Netanyahou
a accusé Lieberman de révéler un secret d’État, mais en confirmant l’information,
le premier ministre s’est lui-même rendu complice. Cela pourrait entraver les
efforts futurs des services de renseignement israéliens pour recruter des
agents et des collaborateurs.
Selon Tamir Hayman, ancien chef
de la direction du renseignement militaire et actuel directeur exécutif de l’Institut
d’études de sécurité nationale de Tel-Aviv, « toute la force de cette idée
réside dans la dissimulation de toute action de ce type, de manière à la faire
paraître authentique et populaire, motivée par la souffrance des habitants de
Gaza des
habitants de Gaza qui en ont assez du régime du Hamas ».
L’idée d’armer
le clan Abou Shabab n’est pas nouvelle - elle a été évoquée peu après
le massacre du 7 octobre. Cette décision a été prise par défaut, dans les deux
sens du terme. En déclarant que Gaza « ne sera ni le Hamastan ni le
Fatahstan », Netanyahou a condamné l’Autorité palestinienne et a rejoint
le programme d’annexion et de transfert de population de Bezalel Smotrich, non
seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie.
Le vide créé à Gaza par la perte
de gouvernance du Hamas suite aux succès des Forces de défense israéliennes sur
le champ de bataille a également été renforcé par le refus du gouvernement
Netanyahou d’autoriser les forces des pays arabes modérés tels que l’Égypte, la
Jordanie, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite à pénétrer dans la bande
de Gaza. C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé désespérément à la recherche d’une
alternative pour nourrir 2,2 millions de bouches affamées.
Face à ces contraintes imposées
par Netayahou et son gouvernement d’extrême droite, le ministre de la défense
Yoav Gallant, qui a démissionné il y a quelques mois, a eu l’idée de mettre en
place un régime des milices et des clans dans la bande de Gaza. Gallant avait
déclaré qu’Israël devrait utiliser des éléments locaux, affiliés à Ramallah et
coordonnés avec l’(in)Autorité palestinienne. En d’autres termes, Gallant
essayait d’introduire l’(i)AP par des moyens détournés.
Troisième tentative
Gallant et l’establishment de la
défense ont tenté d’exécuter ce mouvement pour la première fois en février
2024. Cependant, lorsque des camions transportant de l’aide humanitaire sont
entrés dans l’enclave, ils ont
été attaqués par le Hamas et la tentative de les protéger a échoué. Un
autre échec s’est produit lorsqu’Israël a tenté de mettre en place une milice
armée issue du même clan dans les camps de réfugiés du centre de Gaza. C’est la
troisième fois qu’Israël tente le même coup, cette fois-ci après l’occupation
de Rafah par ses troupes.
Il y a environ un an, des agents
de terrain du district sud du service de sécurité Shin Bet ont reformulé l’idée
en action opérationnelle. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a soutenu le plan,
qui a été approuvé par Netanyahou et le ministre de la défense, Israel Katz.
Les ministres du gouvernement ont été tenus dans l’ignorance. À cette époque,
le chef de district, A., a pris sa retraite du Shin Bet après avoir assumé la
responsabilité de l’échec du 7 octobre. Il a été remplacé par S., qui a
commencé à faire avancer le plan et, en octobre 2024, il a été décidé de le
mettre en pratique.
Soldats des FDI de la brigade Golani opérant dans la zone de Rafah, à Gaza.
Le plan a été soutenu par les
FDI, à l’époque sous le commandement du chef d’état-major Herzl Halevi, par le
nouveau chef de la direction du renseignement militaire, le général de division
Shlomi Binder, et par le coordinateur des activités gouvernementales dans les
territoires, le général de division Ghassan Alian. Un autre grand partisan de l’initiative
était le général de division Roman Gofman, secrétaire militaire de Netanyahou.
Les instructeurs du Shin Bet ont
formé les membres du clan Abou Shabab et les ont équipés d’armes légères -
fusils d’assaut Kalachnikov et armes de poing - saisies au Hamas depuis le
début de la guerre de Gaza. Après que l’organisation non gouvernementale
Hatzlaha a menacé de saisir la justice, les FDI ont fourni des données
partielles sur le nombre d’armes à feu légères saisies depuis le début de la
guerre : quelque 2 500 fusils et armes de poing. Israël verse également des
salaires aux miliciens, grâce à l’argent confisqué depuis le début de la guerre
- les FDI ont saisi plus de 100 millions de shekels (environ 24 millions d’€)
en différentes devises.
La tâche principale de la milice
est de sécuriser le transfert de l’aide humanitaire vers les centres d’approvisionnement
alimentaire et d’empêcher le Hamas de la piller [sic; lisez : la
distribuer]. La question de l’aide humanitaire est également entourée de
mystère et se déroule de manière détournée, caractéristique du gouvernement de
Netanyahou depuis le début de la guerre. Israël a décidé de mettre fin aux
activités de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA,
parce que certains de ses employés palestiniens étaient des activistes du Hamas
ou coopéraient avec l’organisation. Israël a également eu du mal à mobiliser
les organisations d’aide internationale parce qu’elles refusaient de coopérer
avec lui. En outre, certains ministres du gouvernement, principalement ceux
contrôlés par l’extrême droite messianique, ont appelé à
affamer les habitants de Gaza.
C’est ainsi qu’Israël s’est
retrouvé pris au piège. En raison de la pression exercée par l’administration Trump,
qui a promis qu’il ne laisserait pas les habitants de la bande de Gaza mourir
de faim, Israël a dû proposer une solution de type “Israbluff”. Netanyahou et
ses ministres se sont engagés à ce que le contribuable israélien ne finance pas
l’acheminement de nourriture et de médicaments aux habitants de Gaza, mais très
vite ils n’ont pas
tenu leur promesse.
Afin de cacher la vérité au
public et de minimiser l’embarras des ministres d’extrême droite, il a été
décidé de dissimuler le fait que le ministère des finances avait déjà alloué
quelque 700 millions de shekels [=168 M€] à cette entreprise. Au lieu de cela,
le gouvernement présente faussement l’argent comme provenant d’une d’une
organisation non gouvernementale basée en Suisse. Cette
organisation a engagé une société de sécurité usaméricaine qui emploie des
vétérans de l’armée et d’agences de sécurité US.
Mais une fois de plus, c’est
Lieberman qui a démasqué le mensonge. Il a déclaré que le Mossad, spécialisé
dans la création de sociétés écrans anonymes, était à l’origine de l’organisation
suisse et de son enregistrement à l’étranger (le Mossad s’est refusé à tout
commentaire). Il a également été affirmé que des magnats juifs usaméricains
affiliés à la droite israélienne ont contribué aux activités de l’organisation
et lui ont peut-être aussi fourni un financement provisoire.
Cet exercice détourné du
ministère des finances, qui manque de transparence et frise la criminalité,
découle de la volonté de contourner la loi sur les procédures d’appel d’offres.
Selon cette loi, le ministère aurait dû annoncer un appel d’offres
international, afin que plusieurs entreprises puissent concourir pour le
contrat.
Mercenaires
Abou
Shabab, le chef de la milice, qui est âgé d’une trentaine d’années,
était à la tête d’une bande criminelle composée de trafiquants d’armes et de
drogue et de voleurs de nourriture et d’équipement. Bien qu’il soit douteux qu’Abou
Shabab, âgé d’une trentaine d’années, ait une idéologie politique ou
religieuse, son nom et celui de plusieurs de ses hommes ont déjà été associés à
Daech.
Certains membres de la milice
étaient auparavant des partisans du Fatah qui s’opposaient au Hamas et étaient
emprisonnés dans les prisons de la bande de Gaza. Dans le chaos créé par la
guerre, des centaines d’entre eux ont réussi à s’échapper. Avant et pendant la
guerre, le Hamas a exécuté certains membres du clan Abou Shabab pour avoir
coopéré avec Israël. Abou Shabab a également fait des allers-retours dans les
prisons du Hamas. Il est donc plus probable que la milice ait également des
liens avec les agences de sécurité de l’Autorité palestinienne, qui continuent
à coopérer étroitement avec Tsahal et le Shin Bet.
Il s’agit d’une milice mercenaire
similaire à celles mises en place par les régimes coloniaux. La France y a eu
recours en Algérie et en Syrie, les Britanniques dans leurs colonies d’Afrique
et d’Asie, et les USA par l’intermédiaire de la CIA au Vietnam, en Afghanistan
et en Irak. Israël a agi de la même manière dans les années 1970 lorsqu’il a
mis en place les ligues villageoises palestiniennes en Cisjordanie, les
Phalangistes et l’Armée du Sud-Liban au Liban, ainsi que des vigies
villageoises sur les hauteurs du Golan syrien, à proximité de la frontière
israélienne. Dans la plupart des cas de ce phénomène en Israël et dans le
monde, la création de milices composées de
collaborateurs et de mercenaires a échoué.
3J’ai du mal à comprendre la
logique qui sous-tend cette expérience vouée à l’échec », dit Michael
Milshtein, chercheur au centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et
africaines de l’université de Tel-Aviv, ancien colonel et chef du département
des affaires palestiniennes au sein de la division de recherche des services de
renseignement de l’armée. « Nous ne devons pas oublier la nature de ce
gang et éviter d’imaginer un Robin des Bois gazaoui - ce qui a déjà été dit
dans certains cercles - et nous devons nous souvenir des précédents historiques
amers où nous avons fait des affaires avec des éléments douteux qui se sont
rapidement retournés contre nous, comme les phalangistes au Liban ».
« En général, il vaut mieux
s’abstenir de tenter d’influencer la pensée de nos ennemis et de jouer les
faiseurs de roi. Le Hamas est en effet blessé comme jamais auparavant, mais il
vaut mieux éviter les éloges funèbres prématurés (comme ce fut le cas à de
nombreuses reprises au cours de cette guerre, lorsque les signes de l’effondrement
du groupe semblaient évidents). Même si nous supposons que le Hamas finira par
s’effondrer, il vaut mieux penser à ce qui se passerait si Gaza se remplissait
de groupes semblables à celui d’Abou Shabab - une réalité qui nous rappelle la
Somalie ».
Bien que Hayman ait également des
doutes quant au succès de cette initiative, il est prêt à lui donner une
chance. « Je ne suis pas un puriste. L’Autorité palestinienne est faible
et dépourvue de tout cadre politique sérieux, et toutes les initiatives et
possibilités visant à stabiliser Gaza doivent être poursuivies », dit-il. « Toutefois,
ajoute-t-il, je suis conscient que toute tentative israélienne de façonner le
Moyen-Orient, à l’instar des efforts israéliens au Liban dans les années 1970
et 1980 et en Syrie pendant la guerre civile il y a dix ans, est vouée à l’échec.
Seules les superpuissances peuvent le faire. Nous sommes trop petits pour le
faire ». L’ancien chef de la direction du renseignement militaire estime
que la création de la milice « est une mission tactique qui permet une
activité opérationnelle, et rien de plus ».
Le bureau du Premier ministre n’a
pas répondu à la demande de Haaretz. Les porte-parole de Tsahal et du
Shin Bet se sont refusés à tout commentaire.