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13/08/2025

TIGRILLO L. ANUDO
La mort de Miguel Uribe Turbay en Colombie : changeons le discours

Tigrillo L. Anudo, La Pluma, 13/8/2025
Original
Traduit par Tlaxcala

 La Colombie est une collision permanente d’astéroïdes narratifs. Ils viennent du spectre électromagnétique, de sources inconnues mais connues, ils sont apportés par les vents, poussés par les tempêtes, s’alignent sur des idéologies, s’installent dans les esprits et les cœurs.

Tout n’est pas le fruit du hasard. Les ondes des mots génèrent des échos et des résonances. Des niches accueillantes. Les échos mobilisent les volontés qui partagent leurs énergies. Ils se transforment en événements.

Chaque assassinat politique en Colombie est précédé d’un processus déclencheur avec des déterminants. Les assassinats politiques sont des chroniques de morts annoncées.

La mort de Miguel Uribe Turbay nous attriste, nous démocrates, car aucun Colombien ne devrait mourir pour ses opinions, son affiliation politique ou ses croyances. Tout comme ont été douloureux, à leur époque, les assassinats de Rafael Uribe Uribe en 1914, de Jorge Eliécer Gaitán en 1948, de Héctor Abad Gómez en 1987, de Jaime Pardo Leal en 1987, de Luis Carlos Galán en 1989, celui de Carlos Pizarro en 1990, celui de Bernardo Jaramillo en 1990, celui de Manuel Cepeda en 1994, celui d’Álvaro Gómez Hurtado en 1995, celui de Jesús María Valle en 1998, celui de Jaime Garzón en 1999, celui de plus de 6 000 membres de l’Union patriotique – 1984-2004 -, celui de milliers de leaders sociaux, paysans et syndicaux.

La mort politique est décrétée dans les paroles quotidiennes, lors des déjeuners de travail, dans les réunions entre amis et camarades de parti, lors des fêtes et des moments de détente, dans les récits des médias capitalistes. La mort et le crime se promènent tranquillement dans les esprits animés par des idéologies erronées, c’est-à-dire fanatiques.

Nous attirons également la mort vers nous par les mots que nous utilisons, par la manière dont nous parlons des autres, par les idéologies que nous professons.

Il est temps de nous solidariser avec la famille de Miguel Uribe Turbay, avec l’incertitude et la douleur qu’elle n’aurait pas dû ressentir. Il est temps de rejeter toute forme de violence contre tout Colombien. Il est temps d’invoquer la prudence, le respect des différences politiques, la promotion d’une liberté d’expression responsable, la protection de la vie humaine avant toute autre cause. Il est également temps de demander aux médias capitalistes de changer leur discours.

La violence en général est un phénomène structurel dans la société colombienne. Le modèle de développement économique est violent, la façon de faire de la politique est violente, les pratiques de gouvernance sont violentes, les institutions sont violentes. Tout cela conduit à des réponses et à des issues désespérées et violentes. Il s’agit purement et simplement d’une question d’action-réaction, de réflexe, de comportements conditionnés.

C’est pourquoi, dans un contexte où le fil qui sépare la coexistence pacifique de l’explosion violente est imperceptible, il est nécessaire d’être prudent dans ses propos, de s’exprimer librement mais de manière responsable ; en fin de compte, il est urgent de changer le discours.

REINALDO SPITALETTA
Colombie: le soldat Chvéïk et le condamné Uribe

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de Mago, El Espectador, 2/8/2025

Traduit par Tlaxcala

 


Dans le roman inachevé Les Aventures du brave soldat Chvéïk, de Jaroslav Hašek, il est fait mention d'anciennes tortures et punitions infligées aux personnes accusées d'une faute, telles que boire du plomb fondu, marcher sur des fers rougis au feu, porter les très douloureuses « bottes espagnoles » (qui n'ont rien à voir avec les crocs), d'être brûlés avec des torches, écartelés, empalés, bref, d'un vaste répertoire de souffrances pour le malheureux prisonnier.

L'œuvre, comme on le sait, s'est imposée comme une satire contre l'absurdité (et aussi contre la barbarie) de la guerre. « Se faire arrêter aujourd'hui, c'est un jeu », dit le brave soldat, car, selon lui, on te donne un lit de camp, une table, de la soupe, du pain, un petit pot d'eau, et les toilettes sont juste là, sous ton nez. J'ai entendu quelque chose de similaire ces derniers jours, après la condamnation de l'ancien président Álvaro Uribe, qui purgera sa peine dans une maison de luxe et à qui on ne dira pas, cela aurait été le comble du « progrès », « nous avons décidé que demain, vous serez écartelé ou brûlé, selon ce que vous préférez », car, comme le disait le Tchèque Chvéïk, la situation s'est améliorée en ce qui concerne les détenus.

Le cas du premier ancien président colombien condamné a suscité toutes sortes de réactions dans un pays d'extrêmes, où, heureusement, il reste encore des traces d'humour, notamment noir, mais aussi d'autres nuances. Au-delà de cette affaire retentissante, qui a donné lieu à des prises de position divergentes, à des spéculations, à une créativité populaire, à des rires et des larmes, elle a été pour les plus jeunes l'occasion d'en savoir un peu plus sur l'histoire contemporaine d'un pays marqué par les massacres, les déplacements forcés, les « faux positifs », les réformes du travail défavorables aux travailleurs, le néolibéralisme sauvage et les oppositions tant à la paix qu'à la guerre.

On pourrait réduire à l'absurde absolu l'organisation de certaines marches en faveur du condamné, mais, d'un autre côté, il faudrait souligner comment la situation a débordé la créativité populaire (même si le peuple a toujours été victime de tous les outrages, tortures et punitions, y compris ceux promus par l'accusé). Nous sommes, comme on le sait, un peuple (ni naïf ni ignorant, rien de tout cela, sans prétention) doté d'un sens inné de l'humour. Sans gaspillage. Et enclin aux présages, aux coups du sort, aux jeux de hasard (et non de ahazar, comme l'a dit il y a des années un gouverneur d'Antioquia).

Le numéro qui a été attribué à Uribe en tant que prisonnier, condamné à la prison domiciliaire – même si l'on a également entendu dire : « la prison, c'est la prison » – a été joué dans des billets de loterie, des paris, des tombolas, des “chances” [type de loterie où on peut parier des petites sommes sur un, deux , trois ou quatre chiffres, NdT], des « cantarillas » [loteries de quartier où on peut gagner en général un appareil électroménager, NdT], comme s'il s'agissait du chiffre miraculeux qui apparaît dans un poisson de Pâques. Un humoriste de la faculté de droit a suggéré de revenir à la typologie criminelle de Cesare Lombroso pour voir si le condamné y trouvait sa place. De plus, à l'ère des réseaux sociaux et autres « passe-temps », les memes se sont multipliés, certains, il faut le noter, ingénieux et pugnaces.


Dans l'un de ces nombreux memes (il y a d'ailleurs eu une occasion en or pour les caricaturistes, enfin, pour ceux qui ne sont ni des mercenaires ni des béni oui-oui), Uribe apparaît dans un lit, la tête sur l'oreiller, couvert d'une couverture. Et il dit : « Je n'aurais pas dû dénoncer Iván Cepeda ». D'autres, faisant également référence à celui qui fut l'un des politiciens les plus puissants et influents du pays, le montraient en uniforme de prisonnier, orange pour certains, rayé pour d'autres, derrière les barreaux avec un béret marqué du numéro 82 (le même que celui avec lequel les USA l'ont associé à une liste de collaborateurs du cartel de Medellín).


Ainsi, grâce au procès et à la condamnation, on est soudainement passé des cris « des balles, c'est tout ce qu'il y a et des balles, c'est tout ce qui viendra », propres à certains de ses acolytes et partisans, à des expressions populaires moqueuses, qui laissaient entendre que « tout s'écroule », que tout pouvoir s'évanouit. De nouveaux cercles de l’enfer sont apparus, dans une reconstruction contemporaine de Dante, où le « seigneur des ténèbres » a été envoyé pour se rafraîchir. « Je te parle depuis la prison », était un autre mème savoureux et plein de piquant.

Il semble – ou c'est une façon de parler – que nous ayons quelque peu progressé en matière de confrontation politique civilisée, celle qui se déroule dans le domaine des idées, de la dissidence raisonnée, de la discussion sans coups de feu, car avant le verdict, les échos laissaient présager une véritable tornade si l'ancien président était condamné. Cela n'a pas été le cas, du moins jusqu'à présent. Il est donc encore temps pour les blagues et les plaisanteries.

Dans le roman inachevé de Hašek, au brave soldat Chvéïk qui chantait « rivières de sang, batailles que je loue... », un médecin a prescrit une dose de bromure pour calmer son « enthousiasme patriotique » et lui a recommandé de ne pas penser à la guerre. Cela pourrait être une bonne formule pour ces jours-ci, en particulier pour ceux qui ont les toilettes sous le nez.



09/08/2025

REINALDO SPITALETTA
Colombie : le “messie” s’est enfoncé dans sa propre boue

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, El Espectador, 5-8-2025
Traduit par Tlaxcala

Les astérisques revoient aux notes du traducteur en fin de texte


Le patriarche à son automne lance à ses partisans voulant manifester contre sa condamnation : « Allez-y, défilez, moi, je ne peux pas »

Une tension à couper le souffle, incomparable même à celle qui peut régner parmi les supporters en délire lors d’une finale de championnat du monde, a envahi la salle lors du « procès du siècle », présenté avec une touche de marketing sportif. L’intouchable, le maître du téflon*, celui qui, pendant son mandat de président réélu grâce au « petit article* », se croyait le « messie », le « tout-puissant », celui qui, sans aucune considération, a déclaré que les jeunes assassinés par l’armée dans les « faux positifs *» n’avaient été vraiment pas en train de cueillir du café, celui dont presque tous les collaborateurs étaient en prison, a entendu, après un procès de 475 jours, le verdict sans appel : coupable !

La condamnation à 12 ans de prison domiciliaire, avec des fuites préalables, des menaces à l’encontre de la juge de la part de malfrats, a révélé toute l’ampleur de la décadence de l’automne d’un patriarche désolé par sa chute vertigineuse. Même son discours d’appel, dans lequel il n’a guère évoqué les crimes pour lesquels il a été condamné, était un retour sans saveur à son style de politicien traditionnel.

Je pense qu’outre le fait que justice ait pu être rendue dans un procès très médiatisé (au cours duquel il y a eu « des stratégies dilatoires systématiques pour empêcher le déroulement du procès ») qui a commencé il y a des années, et au cours duquel l’ancien président s’est enfoncé dans sa propre boue, victime de l’effet boomerang, le plus important est la figure singulière d’une juge comme Sandra Heredia, que les médias de propagande (déguisés en médias d’information) ont tant dénigrée.

Ni les pressions, ni la presse prosternée devant les intérêts criminels de l’accusé, ni les menaces ne l’ont perturbée. Au contraire, cela semble l’avoir remplie d’un sentiment héroïque et d’une sérénité dans l’application de la justice. Elle a pris la position de Thémis, a clairement énoncé des principes fondamentaux tels que « le droit ne peut trembler devant le bruit et la justice ne s’agenouille pas devant le pouvoir ». Elle a été catégorique en affirmant que « la toge n’a pas de genre, mais elle a du caractère », et c’est une évidence : cette dame de la magistrature, qui sait que la justice ne peut être ni soumise ni génuflexe devant les puissants, a du caractère à revendre.

Dompté et apprivoisé
“La justice ne s'agenouille pas devant le pouvoir"

Elle savait, et elle l’a prouvé, qu’elle ne jouait pas un rôle historique (même si elle fera sans aucun doute partie de l’histoire judiciaire de la Colombie), mais un rôle de justicière. Elle donnait parfois l’impression de ressembler, par exemple, à des juges d’un courage formidable, comme cet Italien, Giovanni Falcone, magistrat légendaire qui a traqué la mafia sicilienne, la Cosa Nostra. Elle n’a pas reculé, ni faibli au milieu d’une affaire qui, comme on s’en souvient, a cherché à obtenir des non-lieux avec des procureurs à la solde du pouvoir, comme Gabriel Jaimes.

La juge, qui a certainement pu à un moment donné se sentir comme sur une corde raide entre les pressions et les intimidations, a déclaré que son action était conforme à la loi et aux preuves et non motivée par des « sympathies ou antipathies ». Ce n’était pas l’avis des partisans d’Uribe, et encore moins celui du secrétaire d’État usaméricain, Marco Rubio, qui, sans rougir, s’est ingéré dans les affaires intérieures de la Colombie. Il connaissait les bons offices rendus par le condamné, fidèle vassal de la politique usaméricaine, partisan de l’invasion de l’Irak et fidèle exécutant des préceptes de la doctrine néolibérale et des ordres de Washington.

En tout état de cause, ce qui est ressorti de ces audiences, c’est que la juge n’a pas toléré les manipulations de la part de l’accusé et de sa défense, et qu’elle a préservé l’autonomie et l’indépendance judiciaires. Elle a mis en avant l’ensemble des membres de son bureau, toutes des femmes. Celui qui était (et qui peut en partie l’être encore) le citoyen tout-puissant, l’autoritaire, celui qui, selon les accusations, a parrainé la création du paramilitarisme, du Bloque Metro de las autodefensas*, celui qu’une sénatrice a qualifié de « vermine qui se glisse dans les égouts », a dû se taire, après avoir crié, face aux paroles énergiques et convaincantes de la juge. « Taisez-vous, M. Uribe », lui a-t-elle dit à un moment où l’accusé a élevé la voix.

La condamnation en première instance de celui qui reste aux yeux de la Colombie et du monde entier l’instigateur des « faux positifs », nombre de personnes assassinées qui a servi à ce jour à faire des jeux de chiffres avec la peine de douze ans, a réveillé l’humour noir populaire et le souvenir d’une période néfaste de répression, de persécutions, de dénonciations, de harcèlement et d’autoritarisme.

« Trinquons avec un petit rhum de 12 ans », « tentons la chance avec le 6.402 » et même une tendance singulière à la numérologie s’est réveillée. Il y a également eu des lectures d’extraits de L’automne du patriarche, de García Márquez, ou de El gran Burundún Burundá ha muerto et La metamorfosis de su excelencia, de Jorge Zalamea. « Pendant le week-end, les vautours se sont introduits par les balcons de la présidence... ».

Des foules chantaient des hymnes de joie et on a dit que du côté de Llanogrande* et de l’Ubérrimo*, il y avait une « mer de larmes » salée.

NdT

Téflon : pendant 30 ans, Uribe a été réputé intouchable, inoxydable,

Petit article : adopté en 2004, cet article de la Constitution a permis la réélection d’Uribe en 2006

Faux positifs : jeunes hommes, généralement prolétaires ou marginaux, victimes d’exécutions extrajudiciaires de la part de militaires assoiffés de primes, et présentés après coup comme des guérilleros ou des criminels. Officiellement, il y en eu 6 042.

Bloque Metro de las autodefensas : groupe de paramilitaires dirigé par d’anciens militaires, chargé de combattre la guérilla dans le département d’Antioquia.

Llanogrande : propriété luxueuse d’Uribe à Riogrande (Antioquia), dans laquelle il devrait purger sa peine.

Ubérrimo : hacienda de 1500 hectares, propriété d’Uribe et haut lieu de son activité politico-mafieuse

04/08/2025

TIGRILLO L. ANUDO
Notre pire ennemi en Colombie : la stupidité

 Tigrillo L. Anudo, 4/8/2025
Original
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


« La stupidité n’est pas une fatalité,
mais la surmonter nécessite une prise de conscience
et une action critique»
Dietrich Bonhoeffer

 

Ton héritage est si sordide – Innommable que tu es –, tant de mépris et d’infamie ont été laissés par ton ombre maléfique, que notre héritage sera d’effacer tout ton héritage.

C’est ainsi que raisonnent les jeunes Colombiens qui ont subi la répression brutale lors de l’explosion sociale de 2021, ordonnée par Iván Duque, alors président, inspiré par les pièges tendus aux jeunes pauvres apparus avec des bottes en caoutchouc sous les deux gouvernements du seigneur des écuries.

Effacer tout un héritage fondé sur la stupidité des masses est un engagement non seulement des jeunes, mais aussi de tous les démocrates qui ressentent le besoin de réparer des blessures si profondes qui continuent de bénéficier de l’impunité. La première condamnation du grand propriétaire foncier [Álvaro Uribe] ouvre une porte vers une oasis de pudeur. 

Mais la cour est encore tellement infestée qu’il faut beaucoup de ferveur. Pour effacer l’héritage exécrable du louchebem, plusieurs tâches doivent être entreprises :

1. Traduire à nouveau en justice le promoteur de la tronçonneuse, pour les massacres d’El Aro et de La Granja, pour avoir transformé les Convivir en blocs paramilitaires, pour les plus de 6 402 personnes tombées lors d’exécutions extrajudiciaires, pour l’assassinat de Tito Díaz, maire d’El Roble (Sucre), pour « l’accident » de Pedro Juan Moreno, son secrétaire au gouvernement d’Antioquia, pour ses méfaits à l’Aerocivil, pour le vol continu d’essence dans la ferme Las Guacharacas, pour d’autres larcins.

2. Démanteler les récits mensongers des médias et des personnalités de la sphère politico-patronale. Diffuser le récit de la vérité. La vérité dans les conversations, la vérité sur les lieux de travail, la vérité dans les rues, la vérité dans les salles de classe. La vérité, la vérité et rien que la vérité. C’est ce qu’ils craignent le plus. Ils la dissimulent à travers leurs entreprises de communication propagandistes.

3. Dénoncer et poursuivre sans relâche tous les politichiens et fonctionnaires corrompus. Ainsi que toutes les personnes qui, sur les réseaux sociaux, menacent la vie de ceux qui sont du côté de la vérité.

Ils ne veulent pas que justice soit faite. Ils veulent que l’impunité continue. L’extrême droite est en train de monter des coups judiciaires et de discréditer la juge Sandra Liliana Heredia, la procureure Marlene Orjuela, le sénateur Iván Cepeda et l’avocat Miguel Ángel del Río. Ils sont en train de faire passer l’idée que le procès d’Uribe n’était pas judiciaire mais politique. Ils la diffusent dans le monde entier, la reprennent dans les médias business yankees.

Ils se font passer pour des avocats renommés afin de demander l’ouverture d’une enquête contre Cepeda et del Río, les liant au trafic de drogue. L’un des fils du sinistre sycophante serait derrière tout ça, afin de se venger de Cepeda, le sénateur qui a fait condamner son père. Ils bénéficient du soutien de membres républicains du Congrès et de hauts fonctionnaires du gouvernement usaméricain, ainsi que de membres de la DEA et du FBI.

« Effacer tout ton héritage sera notre héritage »: ce slogan chilien est devenu colombien, Uribe remplaçant Pinochet. Image d’Agustina Scliar

La Colombie vit un moment d’accouchement culturel. La condamnation du génocidaire psychopathe a révélé qu’il n’y a plus d’intouchables sur le territoire colombien. L’opinion publique comprend que le Ténébreux de Salgar [lieu de naissance d’Uribe] n’a pas travaillé main dans la main avec la société civile pour trouver des solutions pertinentes aux problèmes sociaux, mais qu’il a collaboré avec les groupes paramilitaires et les éléments pourris de l’armée et de la police.

C’est le moment historique pour commencer à mettre de l’ordre dans la maison commune. Proclamer des règles générales pour le respect efficace de l’éthique et de la responsabilité. Revenir au discernement et à la compréhension. Pour sortir de la stupidité qui a légitimé un régime de terreur et d’ignominie. Une grande partie de la société s’est rendue complice d’actes fréquents contre la dignité humaine, la moralité et la démocratie. La stupidité est dangereuse car elle combine l’incapacité de raisonner de manière critique avec une tendance pernicieuse à accepter sans les remettre en question les dogmes, les ordres ou les croyances. L’émotivité a pris le dessus lors de la prise de décisions importantes. La solidarité de corps a transformé la société en meurtrière d’une autre partie de la société, désignée et transformée en « ennemi commun à vaincre ».

La stupidité s’est emparée de la Colombie au cours des 25 premières années de ce siècle. Elle est toujours là, vivante, ardente, avide de plus de sang. Elle prépare déjà une marche nationale pour défendre « l’innocence du Grand Cafard ». La stupidité a été plus puissante que la méchanceté elle-même. Et le monstre des écuries s’en est servi. Il a mis à genoux tout un peuple émotif, religieux, grégaire, obéissant, désorienté. Avec ce soutien stupide, il a réussi ce que Pablo Escobar n’avait pas pu faire. La stupidité ne répond ni à la logique, ni aux arguments, ni aux preuves. Une personne stupide agit sans comprendre les conséquences de ses actes, convaincue de sa droiture.

 

Mural à l’effigie de Dietrich Bonhoeffer sur le mur du lycée portant son nom à Wertheim en Allemagne

Dietrich Bonhoeffer, martyr de la résistance allemande contre le nazisme, dit que la stupidité fleurit sous les structures du pouvoir autoritaire. Lorsqu’un groupe ou un individu se soumet au pouvoir, il a tendance à renoncer à son autonomie critique, non pas parce qu’il est incapable de penser, mais parce qu’il cesse de l’utiliser. Ce processus se produit tant chez les individus que dans des sociétés entières, où le pouvoir utilise la propagande, l’intimidation ou la manipulation émotionnelle pour instaurer un conformisme acritique. C’est ce qui s’est passé dans notre société. Une masse qui ne s’intéressait pas à l’actualité réelle est tombée dans le piège des « récits messianiques » d’un maboul devenu « le papa des poussins », le père d’une société avide de faits grandiloquents qui promettaient la rédemption.

La stupidité, selon Bonhoeffer, n’est pas principalement un phénomène individuel, mais collectif. Une personne isolée peut faire preuve d’une plus grande capacité critique, mais en groupe, les dynamiques sociales et les pressions de l’environnement ont tendance à réduire cette capacité. Ce phénomène peut être observé dans les mouvements de masse, où le comportement des individus s’homogénéise et où les décisions sont prises davantage par imitation que par réflexion. La peur est un élément central dans la perpétuation de la stupidité. Une société soumise à la terreur – physique ou psychologique – a tendance à chercher refuge dans des simplifications, des clichés et des figures d’autorité qui promettent la sécurité, même si ces promesses sont illusoires ou destructrices. Comme ils ont applaudi le seigneur des ténèbres lorsqu’il semait la douleur et la mort dans les campagnes colombiennes. Tuer, tuer, tuer, telle était sa formule clichée pour résoudre les problèmes structurels qui exigeaient analyse, réflexion critique, impartialité, philosophie, discernement, compréhension.

La stupidité ne se corrige pas avec des arguments logiques ou des preuves. Les personnes stupides ne s’intéressent pas à la vérité ; elles sont prisonnières d’une bulle idéologique qui ne contredit pas leur vision du monde. La stupidité conduit à une dangereuse délégation de responsabilité. Ceux qui y succombent justifient leurs actions ou leur inaction en disant qu’ils ne font qu’obéir aux ordres ou qu’ils ne pouvaient rien faire. Ce sont ces justifications que nous avons entendues à la JEP [Juridiction Spéciale pour la Paix]de la part des militaires qui ont participé aux « faux positifs ». Pour Bonhoeffer, cette irresponsabilité a des conséquences éthiques dévastatrices. La stupidité réduit la complexité du monde à des formules simplistes. Tout se résume à « nous contre eux », « le bien contre le mal » ou « la vérité contre le mensonge », sans place pour les nuances ou les doutes.

Le régime nazi est l’exemple le plus évident de la stupidité en action. Des millions de personnes ont aveuglément adopté une idéologie fondée sur la violence, le racisme et la suprématie, ignorant délibérément les crimes qui étaient commis. Il en a été de même et il en est toujours ainsi en Colombie : une majorité de la population a approuvé ces anti-valeurs en votant deux fois aux élections présidentielles pour le roi du mensonge. La manipulation des masses par la propagande est un autre exemple de stupidité. Ceux qui méprisent toute information révélant la vérité deviennent des instruments du pouvoir, sans réfléchir aux implications de leurs actes. C’est le cas de millions de Colombiens qui ont voté pour Rodolfo Hernández lors de l’ élection présidentielle de 2022, simplement parce que c’était celui que le propriétaire de l’hacienda avait désigné. La passivité face aux injustices, sous prétexte de « ne pas vouloir s’impliquer », est une autre forme de stupidité collective. Ici, l’ignorance n’est pas innocente, elle est complice.

Heureusement, dit Bonhoeffer, la stupidité n’est pas une fatalité, mais la surmonter nécessite un travail éthique et éducatif en profondeur. La clé réside dans le développement de l’esprit critique et du courage moral. Une véritable éducation encourage la pensée critique et la responsabilité éthique. Les individus doivent apprendre à remettre en question les normes, les idéologies et les figures d’autorité lorsque c’est nécessaire. La stupidité ne peut être combattue directement, mais elle peut être minimisée en résistant aux structures de pouvoir qui la favorisent. Cela nécessite une citoyenneté active, engagée en faveur de la vérité et de la justice. Face à la stupidité collective, Bonhoeffer prône des communautés fondées sur des valeurs éthiques solides, où la vérité et la responsabilité sont centrales. Comment distinguer la stupidité de l’ignorance ? L’ignorance peut être corrigée par l’éducation, tandis que la stupidité implique un refus actif de la réflexion critique. Quel rôle joue la technologie moderne dans la perpétuation de la stupidité ? Bien que Bonhoeffer ait écrit à une autre époque, la propagation de la désinformation et la polarisation sur les réseaux sociaux pourraient être considérées comme de nouvelles formes de stupidité collective. Nous vivons dans un état universel de désinformation, les médias d’entreprise mentent tout le temps, imposant des récits qui altèrent les réalités et favorisent la progression du fascisme. Comment pouvons-nous briser le cycle de la stupidité dans les sociétés contemporaines ? La réponse semble résider dans l’éducation et le renforcement des institutions démocratiques qui promeuvent la responsabilité éthique.

La tâche est donc ardue et demande un engagement à plein temps. Pour mettre fin à cette horrible nuit, il n’y a pas d’autre alternative que de soustraire des gens à la stupidité en passant à l’offensive pour diffuser la vérité, pour obtenir de nouveaux procès contre les criminels en col blanc qui continuent à sévir. Il faut également neutraliser les personnages qui constituent un danger pour la coexistence pacifique et la sécurité de ceux qui sont du côté de la vérité. Des personnages grossiers qui incitent à la violence politique, à des formes stupides de faire de la politique, comme Andrés Julián Rendón, Fico Gutiérrez, les conseillers municipaux de Medellín Gury Rodríguez et Sebastián López, le conseiller municipal de Cali Andrés « El pistolero » Escobar, les sénatrices María Fernanda Cabal, Paloma Valencia, Paola Holguín et autres.




28/07/2025

TIGRILLO L. ANUDO
Le procès d’Uribe en Colombie : le début de la fin de l’impunité

Tigrillo L. Anudo, 28 juillet 2025, à quelques heures du prononcé de la sentence pour fraude procédurale et subornation de témoins. Traduit par Tlaxcala

Posez votre petit fondement sur le tabouret
Mettez-vous à l'aise, Monsieur l'inculpé

Nous sommes un pays très jeune. À peine en train d’apprendre à cohabiter, à définir un cap, à instaurer les notions de justice judiciaire, à poser les premières briques dans la construction d’une maison collective, tiraillés entre la haine et l’amour, nous étreignant dans le désespoir et l’utopie.

Le pays n’avance pas de manière significative parce que les pouvoirs stratégiques restent entre les mains de la canaille, protégés par des médias canailles, blindés par des appareils canailles, légitimés par des serviteurs canailles.

Nos institutions ne sont pas aussi solides qu’on nous l’a raconté. Notre démocratie n’a jamais existé telle qu’on nous l’a présentée. La Colombie est un simulacre de maison qui abrite ses citoyens avec des droits inégaux. Certains oui, d’autres non. La vérité a toujours été souillée, voire défenestrée. Parmi toutes les carences de la Colombie, l’absence de vérité est l’une des plus paralysantes pour ses dynamiques de développement humain.

Le début du XXIe siècle fut marqué par l’obscurité, la douleur et l’ignominie avec les deux gouvernements successifs d’Álvaro Uribe Vélez (2002–2010). Ce qui le différencia des présidents précédents, c’est qu’Uribe ne cacha pas son penchant pour le crime et l’aporophobie, sa soif de terres et d’argent mal acquis, sa faim de pouvoir et de manipulation des masses ignorantes.

La principale signification d’une sentence de condamnation que pourrait prononcer la juge Sandra Liliana Heredia dans le procès d’Uribe est la proclamation d’une vérité : un président a utilisé sa fonction pour commettre des délits. Une vérité qui ouvrira la voie à d’importantes déductions.


Cette vérité, dans l’histoire d’un pays rempli d’idoles aux pieds d'argile, contribue à sortir de la naïveté, à dépasser l’adolescence politique, à abandonner l’analphabétisme politique. Elle pousse aussi à une révision collective du type de société grégaire et acritique que nous avons construite, à l’apprentissage de nouvelles valeurs pour remplacer les antivaleurs. C’est une brique de plus dans la construction d’une maison aux colonnes dignes.

Si une condamnation d’Álvaro Uribe Vélez devait être prononcée, un mythe aux multiples significations s’effondrerait. Tomberait le Messie de papier qui ne nous a sauvés d’aucune guérilla. Il ne serait plus le “Grand Colombien”. Ni l’efficace pacificateur. Encore moins le gardien des trois “petits œufs”*. Sa “sécurité” antidémocratique serait discréditée. Lui, qui a gouverné pour favoriser les plus riches. Lui, qui a persécuté les pauvres avec des lois liberticides et des décrets martiaux extrajudiciaires.

On nous a menti : les politiciens, les industriels, les grands propriétaires terriens, les entrepreneurs, les commerçants, les juges, les gouvernants, les acteurs armés, les universitaires, les prêtres. Il y a des exceptions. Les artistes aussi ont menti, mais leurs mensonges ont servi à révéler la vérité à travers leurs œuvres — de beaux mensonges qui dévoilent d’effroyables vérités.

Dans un pays rempli de mensonges, ce serait une grande victoire qu’une juge de la République condamne pour corruption un politicien présenté comme “le plus ferme au cœur grand”. La Colombie a besoin de vérité et de réparation pour les victimes. La contribution à la vérité est, entre autres, l’un des grands enjeux du procès du sociopathe et mythomane Álvaro Uribe. L’idée commence à s’imposer que personne n’est au-dessus de la Loi. Ce serait le début de la fin de l’impunité qui a avili la Colombie.

 NdT

*Lorsque le président Uribe a passé le relais au président Santos en août 2010, il lui a confié la tâche de préserver son héritage, qu'il a résumé en trois piliers, trois "petits oeufs" : la confiance des investisseurs, le progrès social et la sécurité. Dans son discours d'investiture de 2010, le président Santos a promis de préserver ces "petits oeufs".

24/11/2024

ARMANDO PALAU ALDANA
La Cour constitutionnelle de Colombie et la voie du racisme structurel
Dissertations crépusculaires

Armando Palau Aldana, CIRPA, Cali, 24/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La défense du Parc naturel de l’île Gorgona a été entreprise au début des années 1980 par des biologistes marins (dans le cadre du programme de biologie de l’université de Valle, qui en était à sa première décennie), des plongeurs comme Gonzalo Concha et des défenseurs des droits de l’homme comme Cecilia Castillo de Robledo, entre autres, et a abouti en décembre 1983 lorsque l’Institut national des ressources naturelles renouvelables (Inderena) de l’époque l’a déclaré parc national et a entamé le processus de fermeture de la prison dégradante, qui a été fermée en 1984.


La lutte contre l’autorisation de construire des ouvrages militaires (radar, quai et hangars) dans la station de garde-côtes autorisée (31 décembre 2015), a été un objectif indéfectible de la bicentenaire et prestigieuse Académie des sciences exactes, physiques et naturelles, visible dans la lettre de sa Commission permanente des zones protégées au directeur de l’autorité d’autorisation de l’époque (mai 2017), puis le Comité technique scientifique du parc naturel national de Gorgona se joindrait à sa lettre de protestation au président Santos ces jours-là.

Nous sommes arrivés à cette cause judiciaire il y a seulement deux ans (novembre 2022), lorsque nous avons demandé une audience publique à l’Autorité nationale des licences (Anla), ce qui a été délibérément et systématiquement refusé par le directeur subordonné (Rodrigo Negrete M), qui était le directeur juridique de María Susana Muhamad G. à l’époque où elle était secrétaire à l’environnement de la mairie de Bogota lorsque Petro en était maire, ce qui confirme le refus de la participation des citoyens par la porte-parole ministérielle de l’environnement du gouvernement qui proclame la paix avec la nature.

Le 9 avril, alors que l’on se souvenait de l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán (1948) à l’origine du soulèvement dit Bogotazo, deux courageux magistrats de la Cour supérieure de Bogota ont décrété la protection constitutionnelle de la consultation préalable de la communauté noire Guapi Abajo et la suspension de la licence pour les travaux militaires susmentionnés, expliquant que le territoire ethnique provient d’une construction culturelle, indépendamment du fait que les communautés soient géographiquement situées dans ces zones, lésées sans analyse technique, anthropologique et culturelle des communautés.

Les juges de la Cour de Bogota ont précisé que dans ces cas de doute sur d’éventuels dommages environnementaux, tels que la migration de la faune marine ou le déversement de substances toxiques dans le milieu aquatique, la possibilité de suspendre l’application d’actes administratifs qui représentent un danger pour les ressources naturelles est légitime, en interprétant comme il se doit la Convention 169 de l’OIT de 1989 et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965).

Cependant, la septième chambre de révision de la Cour constitutionnelle, sur le rapport de la juge Andrea Meneses (promue à cet honorable corps judiciaire par l’ancien président Iván Duque), a révoqué la protection de la consultation préalable du Conseil des communautés noires, arguant qu’aucune preuve n’avait été fournie pour établir que le projet de construction du poste de garde-côtes était incompatible et affectait les activités de pêche menées par la communauté à l’extérieur du parc de Gorgona, où elles sont interdites.

L’arrêt T-470 a ensuite établi que la protection du droit à la consultation préalable ne pouvait être accordée que si « l’affectation directe » de la communauté concernée était attestée par « l’impact positif ou négatif » de la licence de construction des ouvrages militaires du poste de garde-côtes sur les conditions sociales, économiques, environnementales ou culturelles qui constituent la base de la cohésion sociale de la communauté ethnique, distincte du conseil sous Bajo Tapaje et la mer, qui a souscrit à l’accord d’utilisation avec l’administration des parcs nationaux.

La septième chambre de révision a estimé qu’il n’était pas possible de déduire raisonnablement l’existence d’une affectation directe de la communauté Guapi Abajo, sans tenir compte du fait qu’en plus de la pêche, les bateliers Guapi Abajo transportent des touristes et des plongeurs au parc de l’île Gorgona, et qu’ils sont également des voyagistes qui proposent des hôtels et de la gastronomie dans la municipalité de Caucan, dont les habitants ont une interconnexion dans les usages des territoires d’ afro-descendant avec les unités de chagras [éclaircies dégagées dans la forêt et destinées à la polyculture, NdT] de logement-fleuve par le biais de stratégies polyphoniques (ICANH).

Après la reconnaissance par la Cour, dans la sentence C-169 de 2001, de ces organisations ethniques comme bénéficiaires des droits de la Convention sur la consultation préalable, car elles constituent un groupe social qui partage une identité culturelle distincte de la société dominante, le T-470 fait un pas en arrière, ignorant les accords avec les parcs nationaux du Mouvement social des communautés afro-colombiennes et les conseils communautaires du Pacifique colombien (2002) et avec les organisations et autorités ethniques et territoriales des peuples noirs du Pacifique (2020), afin de décider de leurs propres priorités.

La décision T-470 de 2024 a ignoré les quatre éléments de preuve fournis par le Conseil Guapi Abajo et n’a pas évalué les éléments de preuve, ce qui a entraîné un vice de fait. Documents probants délivrés par l’Académie des sciences exactes, physiques et naturelles sur les études d’impact environnemental précaires de la marine ; Comité scientifique de Gorgona sur la faune marine ; Institut colombien d’anthropologie et d’histoire nationale (ICAHN) sur les peuples afro-descendants ; et Ingénieur électricien Luis Carlos Orejarena Morales sur la contamination par le radar prévu.

La septième chambre de la Cour a contribué à la consolidation du racisme structurel, car son arrêt T-470 contient une limitation du droit à la consultation préalable, ce qui dénote un traitement qui vise - consciemment ou inconsciemment - à annuler les droits des communautés noires, entraînant la violation de leurs garanties fondamentales en imposant une restriction qui annule et compromet la reconnaissance d’un traitement spécial pour la protection de leurs libertés dans les domaines politique, économique et culturel.

La décision T-470 a balayé la jurisprudence constitutionnelle relative au renversement de la charge de la preuve sur le titulaire du permis environnemental et non sur les communautés, une garantie de la preuve dans les scénarios de discrimination. Il a ignoré la doctrine de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Elle a transgressé la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle constitue un acte d’exclusion sociale en révoquant la consultation préalable établie dans la Convention 169 de 1989 avec statut de bloc constitutionnel.

La Convention 169 sur la consultation préalable ordonne aux gouvernements de veiller à ce que des études soient réalisées, en coopération avec les peuples concernés, afin d’évaluer l’impact social, spirituel, culturel et environnemental que les activités de développement prévues peuvent avoir sur ces peuples, sachant que, contrairement à la théorie des dommages certains et vérifiables, la précaution opère sur le risque de développement et impose le principe de précaution transversal au droit de l’environnement, sans exiger de certitude quant aux dommages possibles.

Après avoir été reconnu comme un pays pluriculturel et pluriethnique par l’Assemblée constituante de 1991, il est inacceptable qu’une mentalité politique et juridique rétrograde nous conduise, par le biais d’une phrase constitutionnelle, sur la voie ignominieuse du racisme en tant que discrimination structurelle de l’État, accentuant les différences sociales et économiques, provoquant la consternation des hommes et des femmes descendants de la culture bantoue, forgerons de notre histoire colombienne avec un héritage ancestral de protection de la Pachamama (la Terre mère).

Au cas où ces idées pourraient provoquer une action disciplinaire contre le soussigné, je le réaffirme et l’exprime dans l’exercice constitutionnel de ma liberté d’expression et de conscience, qui me fait fredonner le tango Cambalache [Bric-à-brac] (Santos Discépolo 1934) :

Aujourd’hui, ça revient au même
d’être loyal ou traître,
ignorant, savant ou voleur,
généreux ou fripouille !
Tout est pareil !
Rien ne l’emporte !
C’est la même chose, un âne
ou un grand professeur !
Il n’y a plus de recalés
ni de promotion,
Les gens immoraux
sont à notre niveau
.


10/11/2024

ARMANDO PALAU ALDANA
Bilan des délibérations de la COP16
Dissertations au crépuscule


Armando Palau Aldana, Cali, 10/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Armando Palau Aldana, avocat colombien expert en législation , gestion et droit de l'environnement, est le fondateur et le directeur de la Fondation Biodiversité (1991), pour la promotion et la protection des droits de l'environnement. Il est actuellement directeur de la branche colombienne de l'Association américaine des juristes (1975), ONG dotée d'un statut consultatif auprès du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Conseilleur juriidique de la Corporation des journalistes et ancien membre du conseil d'administration de la Corporation autonome régionale de la Valle duCauca (2004-2006) et membre et président du conseil municipal de planification de Cali (2008-2015). Secrétaire à l'environnement de Jamundí (2018-2019). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'environnement : Derechos Colectivos y Acciones Populares (1994), Defensa Legal del Ambiente (1998), El Basuro de Navarro (2006), Educación Ambiental - La óptica legal (2003), Política y Medio Ambiente (2011), Reflexiones en Política y Medio Ambiente (2016), Transforma lo Público (2017), Intervención del Bosque Seco Tropical y Humedal El Cortijo Cali (2019) et Disertaciones Ambientales del Crepúsculo (2019). 

Dans un effort pour faire avancer l’objectif central de la 16ème Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), la Présidente a convoqué la plénière de clôture à 19 heures le vendredi 1er novembre (le dernier jour de la COP16) et les délibérations se sont tenues jusqu’à 9 heures le samedi matin, lorsque plusieurs pays ont demandé l’ajournement de la session en raison de l’absence de quorum, sans que l’objectif central ne soit atteint : approuver les mécanismes de mise en œuvre et de suivi des objectifs du Cadre mondial pour la Biodiversité, qui restent de simples aspirations volontaires.

La plupart des dispositions relatives au suivi restent facultatives, limitant la précision des évaluations, laissant le cadre mondial à l’état d’actions discrétionnaires et répétant les erreurs des objectifs d’Aichi (COP10, Japon) avec son plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020, qui visait à stopper la perte de nature, révélant l’échec cuisant de la communauté internationale à tenir ses engagements et s’avérant être une mise en scène pour un grand nombre de spectateurs non avertis.

Bien que la communauté internationale, y compris notre ministère (colombien) de l’environnement et un conglomérat d’organisations environnementales locales (sous-traitantes), estime que seules des ressources financières permettront de mettre en œuvre des mesures de conservation, le manque de liquidités ne permet pas de financer les actions prévues dans les plans nationaux pour la biodiversité (seuls 40 des 194 pays membres de la CDB ont signé), tandis que quelques pays ont proposé des fonds spécifiques pour entreprendre la mise en œuvre de programmes environnementaux.

L’évaluation mondiale de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, une agence des Nations unies) indique que l’intégration des objectifs de biodiversité dans les politiques sectorielles (mainstreaming) est fondamentale pour s’attaquer aux causes de la perte de biodiversité, une crise causée par des secteurs tels que l’agriculture, la pêche, l’exploitation minière et la sylviculture (en plus de la guerre, ajoutons-nous), des facteurs qui ne figurent dans aucun des rapports des gouvernements nationaux (présidence et ministère de l’environnement).

Ainsi, il va sans dire que le rapport magnifié du Ministère de l’Environnement « Principales réalisations du Gouvernement du Changement à la COP16 » (10 pages) avec 12 points connexes et 41 hors contexte, cherche à grossir la vérité des faits pour cacher l’échec prolongé de la CDB. Comme le dit l’adage populaire, « des paroles aux actes, le chemin est long », privant l’accès à l’information environnementale d’objectivité, contrairement aux postulats du Traité d’Escazú, qui ordonne la publication d’informations d’intérêt public avec une transparence active.

En ce qui concerne le long rapport « Principales réalisations du gouvernement du changement à la COP16 », dans lequel ministre de l’Environnement s’attribue le mérite de la reconnaissance du rôle des Afro-descendants en tant qu’acteurs fondamentaux dans le soin et la protection de la biodiversité ; le site officiel de la CDB indique que pour la mise en œuvre de l’article 8j elle « Invite les Parties » à envisager, reconnaître et/ou accueillir, sur une base volontaire, les contributions des personnes d’ascendance africaine (comprenant des collectifs incarnant des modes de vie traditionnels), la possibilité de fournir un soutien financier et d’améliorer le renforcement des capacités pour protéger ces pratiques et connaissances, sans préjudice du fait qu’une telle reconnaissance peut être interprétée comme diminuant ou éteignant les droits que les peuples indigènes ont actuellement.

En ce qui concerne le programme « Diversité biologique marine et côtière et biodiversité insulaire » en cours d’élaboration lors des COP tenues entre 2006 et 2022 et de l’Assemblée générale des Nations unies sur les océans et le droit de la mer (2023), le ministère de l’Environnement se réfère uniquement à la conservation des zones marines d’une grande importance écologique dans les eaux internationales, en essayant d’exclure l’île Gorgona en tant que parc naturel, alors que le document officiel de la CDB parle de zones situées à l’extérieur et à l’intérieur de la juridiction nationale, malgré le fait que nous ayons demandé au président Petro de révoquer la licence environnementale pour intervenir sur l’île de la Science*.

Le président Gustavo Petro et sa ministre de l'Environnement Susana Muhamad, candidate à la candidature à la prochaine élection présidentielle (mars 2026)

L’instrument sur les Zones marines d’importance écologique ou biologique, en tant que processus scientifique et technique visant à contribuer à la mise en œuvre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer pour la conservation de la diversité biologique marine, couvre plus de 300 zones marines dans le monde, selon les critères suivants : exclusivité ou rareté ; cycle de vie des espèces ; espèces ou habitats menacés, en voie de disparition ou en déclin ; vulnérabilité, fragilité, sensibilité ou lenteur de la reconstitution ; productivité biologique ; diversité biologique ; et naturalité.

Pour l’examen des zones marines d’importance biologique par la Conférence des Parties à la CDB, il est suggéré pour leur identification, dont les informations sont basées sur les connaissances traditionnelles, de mener des consultations avec les peuples autochtones et les communautés locales, cependant, le rôle des Afro-descendants, en tant que collectifs qui incarnent des modes de vie traditionnels, n’a pas été inclus dans ces rôles de manière textuelle dans la mise en œuvre de la CDB, malgré le fait que la COP16 ait été présidée par la ministre de l’Environnement et qu’elle soit proclamée l’architecte de cette inclusion.

En d’autres termes, l’obstination du président Petro et de la ministre de l’Environnement Muhamad à continuer de défendre les travaux militaires pour la station de garde-côtes dans le parc naturel de l’île Gorgona, en refusant de consulter les conseils des communautés noires et des réserves indigènes de la côte pacifique du Cauca et du Nariño, malgré le fait que nous ayons réussi à obtenir du tribunal de Bogota qu’il ordonne la suspension de la licence environnementale, indique, pour citer la conférence de presse des ministres de la défense et de l’environnement (février 2024), au cours de laquelle nous avons été accusés d’être des mythomanes, que selon l’adage : « le voleur croit que tout le monde est de son métier ».

Ainsi, Petro et Muhamad nous obligent à leur dédier à nouveau « Camouflage », le tango de Francini et García (1947), qui dit : « Camouflage, / apparences trompeuses / qui ne permettent pas de voir les choses / telles qu’elles sont. / Camouflage, / embuscade perfide / dans laquelle n’importe qui tombe / avec une naïveté fatale. / Ruses / qui sont mort-nées, / parce qu’elles sont mises à nu / par la lumière de la vérité ».

 *Appelée ainsi du fait du grand nombre de scientifiques qui l’ont visitée et étudiée


31/10/2024

COP DiverGente
Manifeste à la Colombie et au monde

COP DiverGente-Sommet environnemental citoyen et autonome, Cali, 26-27 octobre 2024

Original espagnol
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Réunis à l’occasion de la « COP DiverGente - Sommet environnemental, citoyen et autonome », nous reprenons les mots du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, à l’occasion de la COP16 : « Les pays en développement sont pillés.  L’ADN numérisé de la biodiversité est à la base des découvertes scientifiques et de la croissance économique.  Mais les pays en développement ne bénéficient pas équitablement de ces avancées, alors qu’ils recèlent des richesses extraordinaires ».

La COP 16 est loin de résoudre ces déséquilibres.   Malgré les discours enflammés sur le thème « Paix avec la nature », la COP 16 corrobore qu’elle est une phase de plus de la marchandisation de la nature et de notre diversité culturelle et biologique, contre les droits exclusifs de souveraineté de nos peuples.

Les déclarations de la ministre colombienne de l’Environnement sont révélatrices : « Ce que nous proposons en substance, -dit-elle-, c’est un nouveau pacte financier, nous invitons donc le secteur privé à construire main dans la main un modèle durable qui place le soin de la nature au centre et valorise les opportunités qui en découlent ; nous espérons que ce portefeuille sera une incitation en matière de de capital et de progrès pour tous les secteurs ; surtout, pour mobiliser le développement régional et le leadership mondial ».   Elle ajoute : « Ce portefeuille doit être traduit en trois monnaies : la biodiversité, le carbone et des devises fortes », qualifiant la COP16 de « Foire des économies » (El Tiempo, 28 Septembre 2024).

 Nous réaffirmons que la COP 16 est la marchandisation de la diversité biologique et culturelle de nos peuples, nous sommes en désaccord avec cette conférence et déclarons que nous sommes contre la biopiraterie, en tant qu’appropriation par les entreprises transnationales des bénéfices financiers de l’utilisation de l’information des séquences numériques sur les ressources génétiques ;  l’apport des sociétés transnationales à la biotechnologie pharmaceutique, au marché agrochimique, ainsi qu’aux armes biologiques et aux agents pathogènes contre les luttes des peuples de la part des grandes puissances du Nord. La Colombie, deuxième pays le plus riche en biodiversité de la planète, est victime, comme nos pays de « second ordre », du pillage de l’information sur ses ressources génétiques, sans aucun bénéfice pour nos peuples, puisque les grandes entreprises se sont déjà approprié ces ressources et ont créé des banques d’information sur l’ADN à des fins secrètes.

Contexte. L’action de notre COP divergente ne commence ni ne se termine aujourd’hui.    Elle a pour toile de fond, entre autres, la plus puissante mobilisation environnementale des citoyens existant en Colombie, à savoir la défense de l’eau et du biotope du Páramo de Santurbán, qui rejoint la lutte pour une politique de l’eau autonome où la gestion des sources d’approvisionnement par les communautés soit respectée ;    la lutte contre la mafia de la canne à sucre dans la vallée du Cauca ; la défense du Massif colombien [Nœud d’Almaguer] et des fleuves colombiens tels que le Magdalena, le Cauca et l’Atrato ; et des forêts, telles que l’Amazonie et le Chocó Biogeográfico [ensemble Tumbes-Chocó-Magdalena], en union indissoluble avec leurs habitants, soumis à l’ethnocide et à l’écocide.

Une place sans aucun doute centrale est occupée dans le contexte le plus immédiat de ce processus, par la défense de l’île Gorgona, pour empêcher les travaux militaires de construction d’une station de garde-côtes, qui transgresse la méga-biodiversité de cet écosystème fragile, inclus dans la liste verte de l’Union internationale pour la conservation de la nature ; des travaux qui portent atteinte au droit de souveraineté exclusive des peuples ancestraux (sans consultation préalable et informée), ce qui pourrait conduire à un écocide.   Nous avons obtenu le 9 avril dernier devant le Tribunal de Bogota, la défense de ces droits collectifs, par le biais d’un ordre judiciaire de suspension de la licence environnementale contestée.  Nous exigeons que le gouvernement, sans plus attendre, procède à la révocation de celle-ci.

Notre action alternative est animée par la conscience des droits.  Notre perspective rejoint d’autres pensées selon lesquelles il existe une union indissoluble entre les êtres humains et la nature.  La nature est la source des biens indispensables à la vie.    C’est pourquoi nous sommes écologistes : une civilisation ou une société dépourvue de solidarité, qui ne respecte pas la vie humaine et son environnement naturel, peut-elle conclure un pacte de « paix avec la nature » ? Une civilisation marquée par la faim, la misère et la destruction de la nature !

 L’ « échange de la dette extérieure contre la nature » (formulé en 1989 par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, CEPALC) est offert à nos peuples comme source de rédemption environnementale.   C’est la principale bannière du gouvernement colombien face au Nord global, ce qui équivaut à dire : « qui pollue paie et qui paie pollue ».   Nous affirmons que l’essentiel, ce sont les peuples indigènes, afro-colombiens, raizales, rroms et paysans, avec leurs droits inaliénables, individuels, collectifs, territoriaux et d’autodétermination. Par conséquent, nous affirmons qu’il n’y a pas de solution sans les peuples.   Ce sont eux, les protagonistes irremplaçables, qui peuvent en premier lieu défendre la nature et leurs propres droits contre le colonialisme et le néocolonialisme.

Dans le bassin amazonien, stratégique pour l’équilibre climatique de la planète, l’offensive brutale des propriétaires terriens et des éleveurs de bétail, des mégaprojets des transnationales extractives, avec la déforestation et la destruction de la jungle, se poursuit à l’encontre des peuples autochtones. Nous sommes d’accord sur la défense de l’unité transfrontalière de tous les peuples, afin que la souveraineté populaire exclusive soit internationaliste.

La sécurité et la souveraineté alimentaire et nutritionnelle doivent s’inscrire dans le cadre des politiques de survie dans la dignité de l’humanité, en axant leurs plans, programmes et activités sur l’amélioration continue des conditions d’existence dans le cadre du droit à une vie digne. Les peuples doivent définir leurs propres politiques agraires, de production, de distribution et de consommation ; avec la capacité d’autosuffisance, ils doivent approvisionner leurs communautés de manière autonome et adéquate ; les activités, dans le monde associatif paysan et ethnique, doivent promouvoir l’éducation et la formation permanentes, liées et orientées vers le développement de l’économie solidaire, base fondamentale pour la construction du pouvoir populaire. Notre option en matière de développement rural et agraire est la voie des paysans et des peuples ethniques.  Leurs propres économies favorisent la souveraineté et la sécurité alimentaires dans nos pays.

Le contexte national et international.   Dans le contexte de la nouvelle révolution technologique et énergétique du capitalisme, face au déclin des énergies fossiles, les puissances impérialistes et géopolitiques se disputent bec et ongles les zones d’influence et les ressources naturelles de la planète.     L’une des causes du déploiement d’importantes forces militaires dans le monde et en Amérique est le contrôle des « ressources naturelles » et de leurs sources, dans le cadre de relations néocoloniales d’extractivisme qui, avec la participation des classes dirigeantes locales, conduisent à la destruction de la nature et à des injustices sociales qui portent atteinte aux droits des peuples.  Dans la transition énergétique, le grand capital n’abandonne pas ses méthodes brutales d’accumulation et de reproduction.  Le capitalisme n’a pas vocation à « sauver la planète », ni à cesser sa prédation des êtres humains et de la nature.

Les mers sont, à plus de 90%, le moyen fondamental de communication, de relations commerciales et de relations militaires dans le monde ; par conséquent, les routes interocéaniques et les voies navigables, actuelles ou potentielles, occupent une place privilégiée dans la « stratégie maritime » et militaire des USA.   Dans le « Corridor marin du Pacifique tropical oriental » - qui comprend l’archipel équatorien des Galápagos, Malpelo et Gorgona en Colombie, Coiba au Panama et Coco au Costa Rica -, l’US Southern Command promeut un projet régional avec une extension régionale qui comprend les îles Galápagos en Équateur, Malpelo et Gorgona en Colombie, Coiba au Panama et Coco au Costa Rica.   A Gorgona, comme partout ailleurs, ce projet viole les droits territoriaux des peuples ancestraux, leur souveraineté exclusive et conduit à l’écocide.

Notre alignement et notre solidarité s’adressent à tous les peuples, comme c’est le cas aujourd’hui avec le peuple palestinien soumis à un génocide.  Quelques actions diplomatiques plausibles, comme la rupture des relations avec le gouvernement d’Israël pour le génocide du peuple palestinien, ne suffisent pas, pas plus que les discours et les déclarations pour la paix.    La cohérence est indispensable et la Colombie doit quitter l’OTAN, quitter la subordination au Southern Command, renoncer à la Combined Maritime Force qui opère aujourd’hui sous commandement américain au Moyen-Orient et exclure toute possibilité d’accord militaire avec les puissances géopolitiques mondiales.

Face aux tentatives inquiétantes de l’ultra-droite de déstabiliser et de mettre en œuvre un projet fasciste, est du côté de l’alternative gouvernementale représentée par le Pacte historique, sans abandonner nos approches critiques, notamment dans le domaine des politiques environnementales.  Nous défendons essentiellement le mandat populaire exprimé dans les urnes et exigeons la cohérence.

Objectifs immédiats.  Notre objectif immédiat est de construire une alliance citoyenne, autonome par rapport au gouvernement et à ses insꢀtutions.  Nous exigeons des gouvernements qu’ils remplissent leurs obligations sociales et qu’ils garantissent effectivement les droits de la société civile.   Notre action cherche à relier les expressions environnementales et sociales organisées existantes pour renforcer la défense des droits de l’homme, des droits des peuples indigènes, afro-colombiens et paysans et des droits de la nature.    Nous cherchons à construire un processus pour unir les volontés et les pouvoirs citoyens, pour atteindre un consensus sur les objectifs et pour convenir d’initiatives de mobilisation autour de propositions issues du débat et du consensus, au milieu d’une dissidence créative. Nous proposons aujourd’hui de renforcer un processus de mobilisation, de débat et d’action.  Dans une perspective de lutte contre les modèles économiques prédateurs de la nature et des êtres humains. Un effort culturel de premier ordre doit être réalisé en direction des enfants et des jeunes, pour dépasser les paradigmes dominants qui nous ont conduits à la crise et à la guerre. Notre lutte est pour la vie et pour les droits !

Ce Manifeste, a pour bases initiales l’"Appel" et la "Déclaration préliminaire" de cette COP Divergente Environnementaliste, Citoyenne et Autonome.   Il rassemble les contributions des forums précédents et de cet événement tenu à Cali, les 26 et 27 octobre 2024, avec un groupe représentatif de dirigeants environnementaux et sociaux.

Organisations invitantes : Indepaz ; Poder Negro ; Fondations :  Biodiversidad, Pangea, Multipropaz, et Huella de Agua ; EkoInc ; Fraternales y Revolucionarias ; Corporación Compromiso ;   Movimiento Cívico Conciencia Ciudadana, Comité para la Defensa del Agua y el Páramo de Santurbán, Instituto para la Igualdad de Oportunidades, avec une participation de 120 dirigeants environnementaux et sociaux réunis à l’Institución Educativa Multipropósitos.

 


29/10/2024

FABER CUERVO
Une femme présidente pour la Colombie

Faber Cuervo, La Pluma, 27/10/2024
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Faber Cuervo (El Cerrito, Vallée du Cauca) est un économiste environnemental, chercheur et essayiste colombien, diplômé de l’université d’Antioquia. Il a publié des essais dans le supplément littéraire d’El Colombiano, dans les revues « Lecturas de Economía », « Estudios Políticos », « Oikos » et « Debates », de l’université d’Antioquia, et dans le journal « La Piedra » de la ville d’Envigado. Papiers de recherche : « Recreación histórica de Envigado alrededor de la quebrada La Ayurá » (1993 - 1994), « Justicia Distributiva y Liberalismo Político en John Rawls » (1997), « El desarrollo local desde la Economía de las Realizaciones Humanas - Los casos de Envigado, Caldas, Segovia y Betulia » (1998 - 1999), « Historia del periodismo envigadeño » (2000) et « La prehistoria de Fernando González » (2001). Il a publié « ¿Cómo nos ve el Reino Animal ? » (nouvelles, 2001), « La frágil tolerancia de Occidente » (essais, 2003), « El Sol nació de la Luna » (essais, 2003), « Locos por las Amazonas » (roman, 2005) et « Cometas y peñascos » (poèmes, 2007). Il vit à Envigado depuis 1973. Il est également peintre.

On dit que la Colombie n’élira pas de femme présidente. Le Mexique l’a fait, pourquoi pas nous ? Les préjugés ne sont pas éternels. Nous ne sommes pas condamnés à un état éternel de machisme, de racisme et de classisme. Il y aura toujours des moments de rupture avec des conditions culturelles enracinées dans l’inconscient collectif.

       

Le terrain est devenu fertile pour qu’une femme convaincante, réfléchie et intelligente accède au poste de premier magistrat de l’État. L’élévation de la conscience politique et sociale déterminée par l’explosion sociale, l’élection du premier gouvernement progressiste et populaire et la pédagogie permanente du chef d’orchestre de la symphonie démocratique fertilisent le sol pour que le yin germe comme une pointe complémentaire dans l’ensemencement. Le yin est l’énergie féminine qui peut diriger le destin de la société colombienne avec des directives renouvelées. Le moment est venu pour la force de la terre nourricière incarnée par la figure féminine de faire irruption dans le pouvoir gouvernemental et de canaliser les eaux déséquilibrées de la nation. Les femmes au pouvoir rendront possible le slogan [lancé par le président Gustavo Petro, NdT] « Colombie puissance mondiale de la vie ».

Carolina Corcho, ancienne ministre de la Santé et de la Protection sociale, possède les qualités professionnelles, éthiques et humaines pour devenir la première femme présidente de Colombie. Les secteurs de la politique ploutocratique ne veulent pas d’elle, les hommes d’affaires sans scrupules du secteur de la santé ne veulent pas d’elle, les personnes qui ne votent que pour les blancs et les noms de famille traditionnels qui sont les héritiers des postes publics concernés ne veulent pas d’elle. Corcho est un nom de famille de la province, un de ceux qui sont invisibles dans les récits officiels. Ils ne veulent pas voir Corcho flotter parmi les fleurs de lotus qui poussent. Elle a été chassée du ministère par les propriétaires des EPS (Entités de promotion de la santé) et de la presse achetée par des intérêts mesquins.

Mais les secteurs progressistes, démocratiques et populaires le veulent. Les universités indépendantes et réfléchies le veulent, les organisations à l’esprit critique le veulent, les zones rurales dépourvues de soins de santé le veulent, les quartiers marginalisés des villes le veulent, les jeunes étudiants et les travailleurs le veulent. Les femmes autonomes et les personnes âgées qui aspirent à de meilleurs services le réclament. Jamais dans l’histoire de la Colombie une telle occasion en or ne s’est présentée pour qu’une femme aux capacités aussi remarquables devienne présidente pour la première fois.

          

Des femmes remarquables ont peuplé le territoire de jardins. Mais nous ne les voyons pas. Les pouvoirs dominants les ont rendues invisibles, voire stigmatisées. Depuis les femmes indigènes qui ont résisté au patriarcat espagnol pendant la conquête et la colonie, les héroïnes de l’indépendance Policarpa Salavarrieta, Antonia Santos, Manuelita Sáenz, jusqu’aux dirigeantes ouvrières María Cano et Betsabé Espinal ; les paysannes qui ont mis en œuvre des projets agricoles et de paix, l’artiste dérangeante Débora Arango, les poètesses María Mercedes Carranza et Meira Delmar, la chanteuse Totó la Momposina et bien d’autres encore.

              

Les femmes colombiennes n’ont pas cédé à la discrimination, elles ont ouvert des sillons pour briller de leur puissante énergie, ont poussé avec fermeté et joie, sont devenues au cours du XXe siècle les architectes et les protagonistes de la construction de la culture, de la science, de l’université, de la lutte sociale et environnementale, et de l’urbanisme. Aujourd’hui, au XXIe siècle, elles sont autonomes et indépendantes. Elles ont déjà surmonté de nombreux stéréotypes de machisme. Elles sont déjà présentes dans la leadership communautaire. Elles sont déjà un bastion dans toutes les sphères de l’entreprise publique et privée. Elles brillent déjà dans le sport, dans les arts et la littérature, dans les sciences exactes, humaines et sociales. L’une d’entre elles est Ana Patricia Noguera, philosophe de l’environnement, qui propose de réenchanter le monde, c’est-à-dire d’abandonner les visions qui divisent et séparent l’intégralité de la vie, de la culture, des êtres humains et des écosystèmes. La préoccupation de Noguera explore les plus grands défis auxquels la Colombie est confrontée : allons-nous continuer à miner la nature ? Comment allons-nous habiter la terre ? Comment pouvons-nous atténuer le changement climatique ?

           

L’écologie, l’anthropologie et l’ethnologie - considérées comme des sciences faibles et soft- jouent un rôle important dans ce nouveau scénario de poursuite des réformes et des transformations initiées par un gouvernement de changement culturel, social, économique et environnemental. L’anthropologie s’intéresse aux êtres humains dans leur contexte culturel, dans leurs coutumes, leurs croyances, leurs rites, leurs traditions, leurs artefacts et leurs multiples formes de connaissance. En d’autres termes, elle traite de leurs relations avec les autres êtres vivants et avec la terre. Trois femmes pionnières des études anthropologiques en Colombie nous ont montré l’énorme valeur de cette science pour comprendre les pouvoirs culturels de notre société et, par conséquent, les possibilités de nous améliorer et de devenir des communautés solidaires et prospères.

Virginia Gutiérrez de Pineda (1921-1999) était l’une d’entre elles ; une anthropologue, précurseure des études sur la famille en Colombie. Elle a étudié les fondements historiques de la formation des familles, le matriarcat et le patriarcat, les influences de la religion et de la colonisation sur le comportement, ainsi que les problèmes rencontrés par les enfants. Ses recherches approfondies sont aujourd’hui très utiles, car la Colombie est confrontée à l’immense défi de bien traiter cette population, les fruits des familles, les futurs piliers de la société. Il est impératif que la Colombie concentre son attention sur les enfants. Pour qu’ils progressent, qu’ils soient renforcés dans leurs vocations, pour que la cristallisation de leurs droits devienne une réalité. Pour répondre aux traumatismes, aux conflits et aux manques qui les affligent, causés par la violence endémique, les abus familiaux, la malnutrition, le travail des enfants, l’exclusion sociale, le manque de connectivité, le manque de scolarisation, les routes précaires pour aller à l’école. Qu’ils ne souffrent pas de la faim, que personne ne se vende à des groupes armés parce qu’il ne trouve pas d’autres options pour développer sa vie. Qu’aucune famille ne se sente abandonnée à son sort dans des territoires où l’État n’est arrivé qu’avec des armes. Heureusement, l’histoire commence à tourner, à Argelia (Cauca) et dans son village d’El Plateado, ce n’est pas seulement l’armée qui arrive, mais aussi des semences, de l’aide alimentaire, la construction d’hôpitaux, des crédits, l’achat de feuilles de coca, et des ministres à l’écoute des habitants.


Alicia Dussán de Reichel Dolmatoff (1920) est anthropologue, archéologue et ethnologue. Elle est l’une des premières femmes scientifiques de notre pays et d’Amérique latine. Alicia a rendu visibles les communautés indigènes et les familles paysannes de la région caraïbe. Elle a critiqué la prolétarisation des indigènes, le déracinement et l’atteinte à leur dignité. Elle a également observé qu’un monde divisé entre une pensée « moderne » qui instrumentalise les ethnies et la nature, et un autre monde dominé et exploité pour le « développement » et le « progrès », conduit au vide spirituel et au chaos matériel, ce qui est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Le grand défi aujourd’hui serait de garantir les droits de tous les peuples indigènes, de leur garantir de rester sur leurs terres, sans être contraints de les abandonner pour devenir des mendiants ou des travailleurs informels sur les trottoirs et aux feux rouges des villes. Les peuples indigènes ont d’autres types de connaissances ancestrales, abstraites, botaniques, linguistiques, spirituelles, rituelles, très élaborées et culturellement complexes ; ils n’ont pas besoin d’un changement culturel dirigé par une « culture supérieure » techno-scientifique. Essayer de les « intégrer » dans le système socio-économique dominant revient à les sortir de leur culture, à en faire un instrument de la civilisation occidentale ethnocentrique. La modernisation pourrait les aider à renouveler leurs infrastructures, à les connecter au cyberespace, à améliorer leurs services de santé, à leur fournir des outils technologiques. Ils disposent des autres éléments depuis des siècles. Leurs méthodes de production alimentaire sont encore largement utilisées dans les temps modernes. Leur médecine botanique est toujours leur moyen de guérison.


Nina S. de Friedemann (1930-1998), une autre anthropologue, est une pionnière des études afro-colombiennes. Elle a décrit les mémoires culturelles des populations noires marginalisées dans l’histoire de la Colombie. Elle a documenté la diaspora africaine forcée par l’esclavage, les siècles de résistance pour faire de la dignité une coutume. À l’aide de photos et de films, elle a montré les liens entre l’environnement physique et la culture et l’histoire noires du littoral colombien. Fêtes, folklore, gastronomie, coutumes, ponts culturels, patrimoine esclavagiste, métiers, tout ce qui a trait à la résistance et aux traces de l’africanité. Que de choses les négritudes ont donné à la patrie ! Tant de gloire et de contributions dans le sport, la littérature, les arts, l’université, la construction des villes, l’embarquement et le débarquement dans les ports, la production alimentaire, l’extraction des minerais, les services médicaux, les postes publics, les forces armées. Nina ouvre la voie à l’approfondissement de la reconnaissance, du respect et de l’acceptation de nos frères et sœurs afro-descendants.

Marta Rodríguez 

Toutes ces femmes colombiennes exceptionnelles ont contribué à ouvrir la voie à de nouvelles valeurs dans la culture colombienne, des valeurs antagonistes des anti-valeurs semées depuis des siècles par les élites économiques et politiques. Des valeurs et des pratiques de coopération, de solidarité, d’empathie, de tolérance, de respect d’autrui, de résolution décente des conflits, de critique constructive, de pédagogie et d’information véridique ont brillé au firmament de la société. Et nous ne faisons référence qu’à quelques-unes de ces femmes brillantes qui honorent les femmes colombiennes. Elles sont nombreuses. Mentionnons en passant d’autres qui méritent les hommages les plus mérités : Marta Rodríguez (1933), pionnière du film documentaire anthropologique en Amérique latine ; Ángela Restrepo Moreno, microbiologiste et chercheuse en maladies fongiques ; María Teresa Uribe de Hincapié, sociologue et chercheuse en violence régionale ; les architectes et professeures María Clara Echavarría, Cecilia Moreno et Zoraida Gaviria, qui ont proposé de démocratiser l’élaboration des plans d’occupation des sols afin de créer des villes où il fasse bon vivre, et non des villes dortoirs, des villes casinos, des villes parkings ou des villes gentrifiées.


Les femmes colombiennes ont été des bastions dans la construction de la République, de la démocratie, des universités, des institutions, de l’économie industrielle et agricole, des services, des transports, des arts, des sports, de l’urbanisme, des luttes sociales, politiques, culturelles et environnementales.

Médecin, psychiatre et politologue, Carolina Corcho Mejía est la continuation de l’œuvre des femmes qui l’ont précédée dans l’histoire du pays. Elle a hérité, conquis et développé d’autres connaissances et compétences. Elle a mené la lutte politique pour les droits professionnels des travailleurs de la santé et contre les orientations mercantiles des EPS. Elle a également réussi à construire un diagnostic détaillé des soins de santé en Colombie, accompagné d’une proposition de transformation de leur état critique. Ses arguments véhéments, solides et convaincants lui ont valu la sympathie de nombreux Colombiens qui sentent que leur malaise face au pillage institutionnalisé du système de santé du pays a été compris. Sa position ferme, intransigeante, inébranlable et courageuse lui a valu la diabolisation et l’animosité des opposants à tout changement dans l’administration et la politique publiques.

Outre la maîtrise des questions relatives à des soins de santé adéquats pour la population, elle possède également une connaissance approfondie de la question du financement des soins de santé. Elle a présidé des organisations nationales et latino-américaines de femmes et des organisations médicales nationales. Elle a mené des recherches en psychiatrie. En d’autres termes, elle s’est consacrée à la promotion du bien-être intégral de ses semblables. La réforme qu’elle a présentée au Congrès a touché le point sensible de la crise sanitaire, en demandant l’élimination de l’intermédiation des ressources envoyées par l’État aux EPS, ce qui lui a valu des diatribes furieuses de la part des pilleurs de ces ressources. Comme le poète Ruben Darío, Carolina a su dire : « Cuando los perros ladran es señal que cabalgamos” [quand les chiens aboient, c’est signe que nous chevauchons, équivalent de : les chiens aboient, la caravane passe, NdT]. Cependant, le président Petro a été contraint de la démettre de son poste ministériel pour éviter son lynchage, ne pas la sacrifier et permettre aux eaux troubles de se calmer. Carolina était réservée pour de plus grandes actions.

La tradition misogyne qui associe ce qui est faible et répréhensible aux femmes a perdu du terrain dans la société colombienne. Les phrases antiques qui remerciaient les dieux d’être nés homme et non femme (Thalès de Milet), qui affirmaient qu’une femme n’était qu’une moitié d’homme incapable de participer à l’agora (Aristote), qui affirmaient que celui qui n’affronte pas la vie est une femme (Sénèque), sont restées dans les livres. Les événements de l’histoire postérieure ont montré que c’est le contraire qui est vrai. Être une femme signifie être porteuse de vie, être intelligente et déterminée, être plus forte qu’un homme dans les situations extrêmes. La femme inspire l’homme guerrier ou, pour reprendre les vers du poète surréaliste chilien Vicente Huidobro

Femme, le monde est meublé par tes yeux

Le ciel s’élève en ta présence

La terre s’étend de rose en rose

Et l’air s’étend de colombe en colombe