Yossi
Melman, Haaretz, 25/10/2022
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Jusqu'à présent, le Mossad ne s'est écarté de ses
méthodes d'opérations spéciales qu'à l'égard de l'Iran. Exploiter une cellule
malaisienne pour enlever un expert en informatique palestinien serait un
changement pour la « brigade internationale » de l'agence
L'arrestation de ressortissants malaisiens qui,
selon des informations locales, ont enlevé un homme de Gaza à Kuala Lumpur au
nom du Mossad en septembre et l'ont interrogé sur ses liens avec la branche
armée du Hamas, est une erreur embarrassante qui pourrait affecter les plans et
les futures opérations d'espionnage israéliennes en Asie du Sud-Est.
Cette
affaire a attiré beaucoup d'attention en Malaisie. Plusieurs conclusions
peuvent être tirées de cette info. La première, et la plus importante, est que
l'opération est apparemment une expansion du recours à
l'externalisation [outsourcing] par
le Mossad.
Si, dans un passé récent, l'agence a utilisé des
agents étrangers principalement pour recueillir des informations et seulement
rarement pour des opérations spéciales – la plupart des actions
« difficiles » et violentes étant aussi « bleues et
blanches » que le drapeau israélien – dans ce cas, des Malaisiens ont
apparemment été embauchés pour une opération locale d'enlèvement et
d'interrogatoire.
Il s'agit d'un détail important, car jusqu'à
présent, il a été signalé que le Mossad ne s'écartait de ses méthodes de
fonctionnement et de recrutement que dans le cas de l'Iran.
Le chef du Mossad de l'époque, Yossi
Cohen, a laissé entendre en juin 2021, dans une interview d'adieu à
l'émission de télévision d'investigation israélienne « Uvda », que
des agents étrangers opéraient en Iran pour le Mossad dans son opération de vol
des archives nucléaires de Téhéran. Cependant, des informations étrangères ont
également attribué des actes de sabotage et des assassinats dans la République islamique
au Mossad.
On peut supposer que cette « brigade
internationale » subit une formation approfondie, et que les experts du
Mossad leur enseignent les secrets de la profession – mais à un niveau
inférieur à celui des agents israéliens.
La rigueur du « travail israélien »
n'est pas seulement une question de fierté nationale. Le Mossad traitait
toujours avec respect les agents étrangers qu'il recrutait ou exploitait, et ne
les voyait jamais comme des « traîtres » ou des « mouchards ».
De grands efforts ont été déployés pour les convaincre d'être motivés à
travailler pour Israël en raison de valeurs, d'intérêts et d'idéologies
communs, ainsi que pour établir des liens de fraternité et de solidarité, et
non pour exploiter leurs faiblesses. La communauté du renseignement n'a jamais
aimé le terme « shtinker » [“puant”, collaborateur, informateur,
importé en hébreu israélien de l’allemand stinken, puer, NdT] )pour décrire ses
agents étrangers.
D'un autre côté, il est tout à fait logique de
compter sur des étrangers dans des États ennemis ou hostiles. La principale
considération ici, bien sûr, est de minimiser le risque de capture pour les
Israéliens opérant sous des identités étrangères, avec la peine de mort ou d'emprisonnement
prolongée que cela impliquerait. De là, il n’y a qu’un pas au recrutement de
mercenaires. Le hic est que quelqu'un qui s'enrôle pour une poignée de dollars
est susceptible de devenir agent double et d'aller travailler pour l'adversaire
si celui-ci paie plus.
En outre, l'utilisation d'étrangers dans des
opérations complexes réduit les capacités du Mossad et entrave la pleine
exploitation de son potentiel technologique et humain – en raison de la
nécessité de ne pas révéler des moyens et des méthodes de fonctionnement
avancés à ceux dont la loyauté peut être mise en cause.
Fonctionnement similaire
Selon les médias malaisiens, le Palestinien qui a
été enlevé et interrogé est
un expert en informatique qui peut pirater des smartphones et est soupçonné
de travailler pour le département de cyber-guerre du Hamas.
Toujours sur la base de ces infos, il y a environ
quatre ans, le Mossad a recruté une femme locale dans la trentaine, qui a été
formée en tant qu'enquêteur privé et en renseignements commerciaaux. On peut
supposer que les recruteurs se sont présentés à elle comme les propriétaires
d'une entreprise et lui ont offert un emploi – dans ce qui est connu comme
« recrutement sous un drapeau étranger ». Selon les infos, elle a
ensuite été envoyée en Europe pour y suivre une formation complémentaire.
Pour l'enlèvement, qui aurait eu lieu à 22 h le 28
septembre près des tours Petronas dans la capitale Kuala Lumpur, la femme a
recruté 11 personnes localement. La tentative d'enlèvement a été faite lorsque
le Palestinien est monté dans la voiture avec un autre programmeur informatique
palestinien, mais n'a été que partiellement réussie : la cellule a réussi
à attraper un seul d'entre eux dans la voiture, selon les infos locales. Le
second s'est rendu à un poste de police dans un délai de 40 minutes et a déposé
une plainte.
Selon les rapports, la personne enlevée a été
emmenée dans une cabane éloignée, battue et interrogée sur vidéo par deux
Israéliens au sujet de ses activités pour le Hamas. Dans de tels cas, les
agents du Mossad sont responsables de l'opération tandis que le service de
sécurité de Shin Bet est responsable de l'interrogatoire.
La police et les services de sécurité malaisiens
ont agi efficacement. Selon les rapports, ils ont localisé la cabane dans les
24 heures, l'ont perquisitionnée, ont libéré la personne enlevée et ont arrêté
les personnes impliquées.
Al Jazeera a cité une « source malaisienne bien
informée » disant qu'une enquête avait « découvert une cellule du
Mossad » dans le pays qui était impliquée dans l'espionnage de sites
importants, y compris les aéroports, et qui cherchait à « pénétrer les
entreprises électroniques gouvernementales ». La source a également
déclaré que deux membres du Hamas avaient quitté la Malaisie immédiatement
après l'incident.
Il est clair que si les ravisseurs l'avaient
désiré, ils auraient tué la personne enlevée. Cependant, il semble que leur
objectif était de l'interroger sur ses compétences et ses connexions, et sur
les plans du Hamas.
Il y a quelques mois, il y a eu une opération
similaire attribuée au Mossad dans laquelle des inconnus ont enlevé un agent
des Gardiens de la Révolution en Iran, l'ont amené en Israël pour l'interroger
et l'ont ensuite relâché. Certaines parties de l'interrogatoire ont été
divulguées à la chaîne d'opposition londonienne Iran International, considérée
comme un porte-voix du Mossad.
La Malaisie est un pays à majorité musulmane qui
n'entretient pas de relations diplomatiques avec Israël. Ses dirigeants ont
souvent fait des déclarations antisémites [sic], mais on a signalé de
légers changements d'attitude ces dernières années. Des touristes de Malaisie
se sont rendus en Israël ; des diplomates et des hommes d'affaires
israéliens ont rencontré leurs homologues malaisiens ; et certains liens
commerciaux se développent également entre les pays. Par le passé, il a
également été rapporté que le Mossad avait essayé d'établir des liens avec les
services de sécurité malaisiens, mais qu'il avait reçu une fin de non-recevoir.
En même temps, un nombre relativement important de
Palestiniens étudient en Malaisie, principalement dans les domaines de la
science, de l'informatique et de l'ingénierie – offrant ainsi une réserve
potentielle pour le Hamas afin d'améliorer ses capacités dans des domaines tels
que les roquettes, les missiles, les drones et la cyber-guerre. Dans le passé,
le Shin Bet révélait que des militants du Hamas pratiquait du parapente en
Malaisie.
En outre, selon des informations étrangères, c'est
là que
des membres du Mossad ont assassiné Fadi al-Batsh, un ingénieur électrique
palestinien de Gaza qui appartenait au Hamas. Deux inconnus à moto l'ont abattu
alors qu'il se rendait à une mosquée locale en avril 2018 – la même année où,
selon les rapports, le Mossad a recruté la femme qui était à la tête de la
cellule qui a effectué la dernière opération à Kuala Lumpur. Le Hamas a affirmé
en
janvier dernier avoir arrêté un suspect dans l'assassinat d'al-Batsh.
Aussi embarrassantes soient-elles, les erreurs du
type de celles qui se seraient produites en Malaisie portent atteinte à la
réputation du Mossad mais constituent un danger professionnel. Lorsqu'un tel
événement se produit, des protocoles d'urgence visant à minimiser les dommages
et à couvrir les pistes sont activés immédiatement – y compris l'annulation
d'opérations similaires en Malaisie ou dans les pays voisins. En d'autres
termes, plusieurs années de travail et d'investissements considérables passent
à la trappe. [les pauvres, on est bien tristes pour eux, NdT]
Le Cabinet du Premier Ministre, dont relève le
Mossad, a refusé de commenter cette affaire.
Deux sons de cloche