Jorge Majfud, Escritos Críticos, 28/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
C’est une tragique ironie de l’histoire
que ceux qui, dès le début, ont condamné les actions belliqueuses du Hamas et
du gouvernement israélien soient accusés d’être en faveur du terrorisme par
ceux qui ne font que condamner le Hamas et justifier le terrorisme massif,
historique et systématique du gouvernement israélien.
Heureusement, des centaines de
milliers de Juifs (surtout dans l’hémisphère nord) ont eu le courage que les
évangéliques ou les laïques politiquement corrects et prévisibles n’ont pas eu
de descendre dans la rue et dans les centres du pouvoir mondial pour clarifier
que l’État d’Israël et le judaïsme ne sont pas la même chose, une confusion
fondamentale, stratégique et fonctionnelle qui se trouve au cœur du conflit et
ne profite qu’à quelques-uns avec la complicité fanatique et ignorante de
beaucoup d’autres.
En fait, des dizaines de milliers
de studieux juifs des livres saints du judaïsme, tels que la Torah, ont affirmé
que le judaïsme était antisioniste. Beaucoup diront que c’est une question d’opinion,
mais je ne vois pas pourquoi leur opinion devrait être moins importante que
celle du reste des charlatans bellicistes.
Ce sont ces Juifs, qui savent que
leur coexistence avec les musulmans a été, pendant des siècles, bien meilleure
que cette tragédie moderne, qui ont crié à Washington et à New York “Pas en
notre nom”, “Arrêtez le génocide de l’apartheid” et qui, dans bien des cas, ont
été arrêtés pour avoir exercé leur liberté d’expression, qui, dans les
démocraties impériales, a toujours été la liberté de ceux qui n’étaient pas
assez importants pour défier le pouvoir politique, comme le montre, par
exemple, la liberté d’expression à l’époque de l’esclavage. Mais c’est à eux
que reviendra la dignité conférée par l’histoire.
Quand la lumière reviendra à Gaza
et que le monde apprendra ce qu’une des plus puissantes armées nucléaires du
monde, avec la complicité de l’Europe et des USA, a fait à un ghetto sans armée
et à un peuple qui n’a droit qu’à respirer, quand il le peut, il apprendra que
ce ne sont pas des milliers mais des dizaines de milliers de vies aussi
précieuses que les nôtres, écrasées par la haine raciste et mécanique de
malades, dont quelques-uns disposent d’un grand pouvoir politique,
géopolitique, médiatique et financier, qui, en fin de compte, gouvernent le
monde.
Naturellement, la propagande
commerciale tentera de le nier. L’histoire ne le pourra pas. Elle sera
implacable, comme elle l’est généralement lorsque les victimes ne dérangent
plus.
Beaucoup se tairont, tremblant
devant les conséquences, devant les listes noires (journalistes sans travail,
étudiants sans bourses, hommes politiques sans dons, comme l’ont même rapporté
des médias comme le New York Times), devant l’opprobre social dont
souffrent et souffriront ceux qui oseront dire qu’il n’y a pas de peuples ni d’individus
choisis par Dieu ou par le Diable, mais de simples injustices d’une puissance
déchaînée.
Qu’une vie vaut autant et de la
même manière qu’une autre.
Que le peuple palestinien (avec une
population huit fois supérieure à celle de l’Alaska, quatre ou cinq fois
supérieure à celle d’autres États usaméricains), coincé dans une zone
invivable, a les mêmes droits que n’importe quel autre peuple à la surface de
la sphère planétaire.
Que les Palestiniens, hommes,
femmes et enfants écrasés par les bombes aveugles, ne sont pas des “animaux à
deux pattes”, comme le prétend le Premier ministre Netanyahou (s’ils étaient
des chiens, ils seraient au moins mieux traités). Les Israéliens ne sont pas
non plus “le peuple de la lumière” combattant “le peuple des ténèbres”.
Que les Palestiniens ne sont pas
des terroristes parce qu’ils sont nés Palestiniens, mais l’un des peuples qui a
le plus souffert de la déshumanisation et du siège constant, du vol, de l’humiliation
et du meurtre en toute impunité depuis près d’un siècle.
Mais
ceux qui osent protester contre un massacre historique, un parmi tant d’autres,
sont, comme par hasard, ceux qui sont accusés de soutenir le terrorisme. Il n’y
a là rien de nouveau. C’est ainsi que les terroristes d’État ont toujours agi
dans toutes les parties du monde, tout au long de l’histoire et sous des
drapeaux de toutes les couleurs.
Arcadio Esquivel, Costa Rica, 2017