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05/11/2024

Les sionihilistes au pouvoir veulent couler le journal Haaretz et mettre son patron en prison pour 20 ans (il pourrait fêter son centenaire en liberté)


NdT

Non, vous ne rêvez pas. Les informations cauchemardesques ci-dessous sont le pain (azyme) quotidien de la politique israélienne. Un homme de 80 ans, patron d’un groupe de presse prestigieux, libéral, bastion du sionisme à visage humain, hérité de son père et de son grand-père, fait des remarques anodines relevant d’un simple bon sens. Et cela provoque une tempête, avec un ministre qui souhaite une loi permettant de condamner à 10 ans de prison -et 20 ans en temps de guerre – de tels propos. Martin Buber, réveille-toi, ils sont vraiment devenus fous. -FG, Tlaxcala

Lors de la conférence de Haaretz à Londres, Amos Schocken a déclaré, entre autres, qu’Israël était en train de réaliser une seconde Nakba. En réponse, plusieurs ministres et services gouvernementaux ont annoncé des mesures contre Haaretz et exprimé leur intention de proposer de nouvelles restrictions à la liberté d’expression.

Ido David Cohen, Haaretz, 31/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le ministre israélien de la communication, Shlomo Karhi, a lancé une nouvelle campagne de boycott de Haaretz par le gouvernement à la suite des remarques faites par l’éditeur de Haaretz, Amos Schocken, lors d’une conférence à Londres dimanche 27 octobre.

Dans son discours à la conférence, co-organisée par Haaretz, Schocken a déclaré : « Le gouvernement Netanyahu ne se soucie pas d’imposer un cruel régime d’apartheid à la population palestinienne. Il ne tient pas compte des coûts supportés par les deux parties pour défendre les colonies tout en faisant la guerre aux combattants de la liberté palestiniens, qu’Israël qualifie de terroristes ».

Après la publication du discours, le ministre Karhi a cherché à relancer une initiative qu’il avait lancée il y a un an : mettre fin à la publicité gouvernementale dans le journal et annuler tous les abonnements des employés de l’État, y compris ceux de Tsahal, de la police, de l’administration pénitentiaire, des ministères et des entreprises d’État.

Dans son discours en anglais, qui a été diffusé mercredi sur la Chaîne 14 et qui a ensuite circulé dans les médias israéliens, Schocken a ajouté : « Dans un sens, ce qui se passe actuellement dans les territoires occupés et dans certaines parties de Gaza est une deuxième Nakba. [….] Un État palestinien doit être créé et le seul moyen d’y parvenir, je pense, est d’appliquer des sanctions contre Israël, contre les dirigeants qui s’y opposent et contre les colons ».

Mercredi 30 octobre, Schocken a clarifié ses propos. « Compte tenu des réactions suscitées par le fait que j’ai qualifié les Palestiniens qui commettent des actes de terrorisme de combattants de la liberté, j’ai reconsidéré mes propos. De nombreux combattants de la liberté dans le monde et au cours de l’histoire, peut-être même ceux qui ont lutté pour la création d’Israël, ont commis de terribles actes de terrorisme, blessant des innocents pour atteindre leurs objectifs.

« J’aurais dû dire : des combattants de la liberté qui recourent également à des tactiques de terreur – qui doivent être combattues. Le recours à la terreur n’est pas légitime.

« Quant au Hamas, il n’est pas un combattant de la liberté puisque son idéologie dit essentiellement : « Tout est à nous, les autres doivent partir ». J’ai déclaré, non pas dans le discours de la conférence mais dans un article, que les organisateurs et les auteurs des attentats du 7 octobre devraient être sévèrement punis ».

Schocken a ajouté : « Il existe des combattants palestiniens de la liberté qui ne recourent pas au terrorisme. Mahmoud Abbas, lorsqu’il a pris ses fonctions à la tête de l’Autorité palestinienne, a déclaré qu’il renonçait à la terreur et qu’il ne poursuivait que la voie diplomatique. C’est peut-être pour cette raison que Netanyahou a évité d’établir une relation avec lui et a choisi le Hamas à la place.

« Dans mon discours, j’ai réitéré ce que j’ai écrit dans plusieurs articles pendant la guerre : La victoire à long terme d’Israël passera par la libération de tous les otages et la création d’un État palestinien, mettant fin à la fois à l’apartheid et au terrorisme.

« Le discours que j’ai prononcé à Londres s’est conclu sur ce point : Le sionisme est toujours une idée justifiée pour le peuple juif, mais la conduite des gouvernements israéliens successifs a déformé sa signification au point de la rendre méconnaissable. Israël doit être remis sur le droit chemin ».

La diffusion de Channel 14 avait omis la première partie de la déclaration de Schocken : « Si nous voulons assurer la survie et la sécurité d’Israël, et aussi aider à la normalisation de la vie des Palestiniens, nos voisins, [un État palestinien doit être établi] ».

Dans une proposition soumise jeudi par le bureau de Karhi, le ministre a demandé que « le gouvernement ne conclue pas de nouveaux contrats avec Haaretz, y compris des abonnements individuels pour les employés de l’Etat, ni ne renouvelle les contrats existants ; tous les accords actuels avec Haaretz, y compris les abonnements personnels, seront annulés dans la mesure où cela est légalement possible. Le Bureau gouvernemental de la publicité demandera à Haaretz de cesser toute publicité, y compris les avis statutaires, quel que soit le statut du paiement, et de demander le remboursement de tous les paiements existants. Aucune autre publicité ne sera placée dans la publication ».

La proposition actuelle de Karhi est identique à celle soumise au secrétaire du cabinet Yossi Fuchs le 23 novembre 2023. À l’époque, Karhi avait accusé Haaretz de « propagande défaitiste et mensongère » en temps de guerre.

La proposition stipule également que « le gouvernement, ses ministères, ses employés et toutes les entités financées par l’État ne seront en aucun cas en contact avec Haaretz, y compris par le biais d’abonnements ».

Depuis le début de la guerre, de nombreuses plaintes ont accusé Haaretz d’adopter une position néfaste, de saper les objectifs de la guerre et d’affaiblir à la fois nos efforts militaires et notre résilience sociale. Certaines publications peuvent même franchir le seuil criminel défini dans des sections du code pénal, réservées exclusivement au temps de guerre. Bien que le caractère délictueux de ses publications soit examiné par les autorités compétentes, il convient de noter que Haaretz est généreusement financé par le public israélien par le biais de publicités et d’abonnements achetés par le gouvernement ».

La proposition a été soumise sans avis juridique de la procureure générale, qui devrait s’y opposer.

Jeudi, le directeur général du ministère de l’intérieur, Ronen Peretz, a demandé au service des médias et de la communication de son bureau de cesser immédiatement toute publicité et toute collaboration avec Haaretz, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du Bureau gouvernemental de la publicité.

Peretz a écrit : « Ces remarques provoquent le dégoût et reflètent un grave détachement des valeurs fondamentales, en particulier à un moment où Israël est engagé dans une guerre juste à la suite de l’attaque meurtrière du Hamas du 7 octobre. Compte tenu de la gravité de ces remarques […] nous ne pouvons pas et n’avons pas l’intention de rester silencieux face aux atteintes portées aux soldats de Tsahal et aux efforts déployés par l’État pour protéger ses citoyens ».

De même, le maire de Nesher, une ville du nord d’Israël, a écrit sur X : « J’ai demandé au porte-parole et au trésorier de la ville de cesser toute publicité dans Haaretz ou dans toute autre publication qui lui est associée. Seul un boycott des consommateurs, utilisant des fonds publics, sera efficace ».

L’avocat Michael Sfard a déclaré à Haaretz que les actions menées par le gouvernement étaient illégales. « Les budgets publicitaires appartiennent au public ; Karhi et Moshe Arbel (ministre de l’intérieur) ne peuvent pas les distribuer à leur guise. Il s’agit de tentatives éhontées de refuser des budgets à Haaretz pour des raisons idéologiques, et ils n’essaient même pas d’en cacher le caractère illégal. Il s’agit d’un exemple flagrant de discrimination fondée sur les opinions politiques et de politisation des ressources publiques pour réduire au silence un camp politique et délégitimer le discours de gauche. Les remarques de Schocken sont familières dans le discours de gauche ».

Sfard, qui représente les organisations Zulat, Movement for Fair Regulation et Democratic Bloc dans leur appel à une enquête criminelle sur Canal 14 pour incitation au génocide et aux crimes de guerre contre les Palestiniens, a ajouté : « Pour une raison quelconque, Canal 14 ne figure pas sur la liste des sanctions israéliennes, bien qu’il ait diffusé des déclarations criminelles sur lesquelles Israël s’est engagé à enquêter et à les traiter devant la Cour internationale de justice de La Haye ».

En réponse aux remarques de Schocken, le ministre de la justice, Yariv Levin, a envoyé jeudi une lettre à la procureure générale, Gali Baharav-Miara, pour lui demander d'oeuvrer à une législation limitant la liberté d’expression.

« Je vous demande de me fournir d’urgence un projet de loi stipulant que les actions de citoyens israéliens visant à promouvoir ou à encourager des sanctions internationales contre Israël, ses dirigeants, ses forces de sécurité et ses citoyens constitueront un crime passible de dix ans de prison », a-t-il écrit.

Levin a ajouté : « Je demande en outre qu’une telle infraction en temps de guerre soit considérée comme une circonstance aggravante, permettant de doubler la peine ». Levin a également écrit que « les appels à des sanctions contre Israël (…) constituent une grave violation du devoir fondamental de loyauté d’un citoyen envers son pays. De telles actions encouragent une démarche visant à priver Israël de son droit à l’autodéfense ».


17/08/2024

RYAN GRIM
Alors qu’Elon Musk se bagarre avec le Royaume-Uni et l’UE à propos de la censure des médias sociaux, Israël emprisonne des citoyens pour des posts Instagram

Ryan Grim, Drop Site News, 14/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Elon Musk et sa légion de défenseurs de la liberté d’expression sur Twitter se sont récemment retrouvés dans une bataille avec le gouvernement britannique, ainsi qu’avec l’Union européenne, à la suite des émeutes raciales qui ont secoué le pays ce mois-ci. Le premier ministre britannique Keir Starmer et d’autres membres du gouvernement ont attaqué la plateforme de médias sociaux de Musk pour avoir diffusé de fausses informations sur les immigrés, tandis que Musk a riposté vigoureusement et averti que les menaces de censure de la parole conduisaient inévitablement à l’autoritarisme.

“One two three, votre haine c’est mon grisbi !”
Ben Jennings, The Guardian

Malgré toutes ses préoccupations concernant la liberté d’expression au Royaume-Uni, Musk n’a rien dit de la campagne de censure bien plus agressive actuellement menée en Israël, un pays dont il soutient bruyamment les dirigeants. La répression est le résultat de l’application grossière d’une loi israélienne qui peut criminaliser des actes aussi inoffensifs que l’affichage d’un drapeau palestinien sur les médias sociaux.

À la suite de l’attaque du 7 octobre réalisée par le Hamas, le procureur général d’Israël, Amit Isman, a modifié la procédure légale pour permettre à la police de mener des enquêtes pour incitation ou soutien au terrorisme sans l’approbation des procureurs. La Knesset a ensuite élargi la loi en la modifiant de manière à ce que la simple consommation de médias particuliers ou de médias sociaux soit considérée comme un délit, plutôt que la simple publication ou distribution de ces médias. Dans les mois qui ont suivi, une répression véritablement draconienne s’est abattue sur la liberté d’expression en ligne en Israël.

Selon Adalah, le centre juridique pour les droits des Arabes en Israël, plus de 400 personnes, dont de nombreux citoyens arabes d’Israël, ont été arrêtées et placées en détention pour des motifs liés à leur activité sur les médias sociaux. Environ 190 d’entre elles ont été maintenues en détention tout au long de la procédure judiciaire qui, dans de nombreux cas, peut durer des mois et inclure des conditions d’enfermement brutales au sein du système pénal israélien.

Il est difficile d’obtenir des données complètes. Mais selon les données de la police citées par l’organisation de surveillance Shomrim, également connue sous le nom de Centre pour les médias et la démocratie en Israël, en mai de cette année, le procureur de l’État avait autorisé la police à ouvrir des enquêtes sur 524 messages publiés sur les médias sociaux. Ce chiffre est probablement sous-estimé, car il n’inclut pas les enquêtes sur les activités des médias sociaux ouvertes indépendamment par la police, ni d’autres poursuites qui ont été rapportées publiquement, mais qui n’apparaissent pas sur la liste de Shormin.

L’un des premiers posts arrêtés est celui d’un certain Yarmuk Zuabi, propriétaire du restaurant Al Sheikh à Nazareth. En octobre dernier, Zuabi a remplacé sa photo de profil sur WhatsApp par un drapeau palestinien et a publié la caricature suivante sur son compte :


La caricature, qui visait à critiquer les différences de réaction internationale aux conflits ukrainien et palestinien, ne parlait pas de terrorisme ni de justification de la violence. Il n’en fallait pas plus pour que la police s’en prenne violemment à Zuabi.

« Deux voitures de police se sont arrêtées avec huit officiers », a déclaré plus tard Zuabi à Shomrim, dans un rapport publié cette année sur la liberté d’expression en Israël. « Lorsqu’ils m’ont emmené, je n’étais pas menotté. Je connais la plupart des policiers de Nazareth, alors quelqu’un m’a appelé pour que je sorte et m’a dit que j’étais convoqué pour un interrogatoire au commissariat. Un autre policier a saisi mon téléphone, qui était sur la table, et l’a confisqué. Au poste et pendant l’interrogatoire, j’ai été menotté ».

07/06/2023

MICHAEL SFARD
Protestataires israéliens, au lieu de “Démocratie”, scandez “Apartheid” !

Michael Sfard, Haaretz, 7/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Michael Sfard (Jérusalem, 1972) se définit comme « avocat israélien des droits de l’homme, et pourtant, optimiste ». Fils de dissidents polonais chassés de Pologne en 1968, petit-fils du sociologue Zygmunt Bauman, il travaille principalement à la défense des droits humains dans les territoires occupés par Israël depuis 1967. Il contribue aussi à divers journaux, dont Haaretz et le New York Times, qui l’a appelé en 2012 “le principal avocat de la gauche en Israël”. On peut lire de lui en français Le dernier espion (avec Marcus Klingberg, Nouveau monde 2015) et Le mur et la porte — Israël, Palestine, 50 ans de bataille judiciaire pour les droits de l’homme (Zulma 2020).

Cette semaine marque la fin de la 56e année d’occupation. Le fait que tant de temps se soit écoulé signifie que la grande majorité des millions d’êtres humains qui vivent sous l’occupation israélienne ont grandi sous celle-ci.

Willem, 2017

Ils n’ont jamais vécu un seul jour sans répression ni dépossession, et ne connaissent pas une réalité dans laquelle ils seraient des citoyens participant à la prise des décisions qui affectent leur vie.

Certains d’entre eux ont déjà des petits-enfants, qui sont eux aussi nés dans un monde où un Israélien armé décide de tout : s’ils pourront aller à l’étranger, s’ils seront autorisés à accéder au verger familial, s’ils pourront aller prier à Jérusalem, si le fils de Gaza sera autorisé à dire au revoir à sa mère mourante qui vit en Cisjordanie.

Mais le soldat n’est pas le seul problème pour les personnes vivant sous l’occupation. Car à côté de l’Israélien armé en uniforme, il y a aussi un Juif armé d’un fusil, d’un gourdin ou d’une pierre, qui ne porte pas d’uniforme. Et le Juif sans uniforme vole leurs terres, déracine ce qu’ils ont planté, s’en prend à leurs troupeaux, brûle leurs maisons, les blesse et même les tue. Le Juif sans uniforme mène une guerre totale pour anéantir la vie des Palestiniens dans les zones ouvertes de la Cisjordanie.

Voici un aperçu incomplet des événements qui se sont déroulés en l’espace de quatre jours il y a une semaine. Il montre que les Juifs sans uniformes ont une productivité qui ne ferait pas honte aux bandes antisémites de notre histoire.

Lundi, des colons sans foi ni loi ont achevé le nettoyage ethnique de la petite communauté bédouine d’Al-Samia, au nord-est de Ramallah. Ces 27 familles avaient loué la terre et s’y étaient installées il y a 40 ans, après avoir subi une série de déplacements forcés, dont le dernier pour permettre l’établissement de la colonie de Kochav Hashahar.

Je leur ai rendu visite il y a environ un an et demi avec des membres de l’organisation humanitaire Comet-ME, qui a installé un système d’électricité solaire et les a ainsi aidés à vivre avec un minimum de dignité. Au cours de cette visite, ils nous ont raconté que les colons violents de deux avant-postes agricoles érigés au sommet de collines voisines les empêchaient, par des actes de violence graves, de faire paître leurs troupeaux, vandalisaient leurs champs et profanaient leur espace de vie à l’aide de gourdins et de chiens.

Au cours des deux dernières années, les attaques étaient devenues plus sauvages et incessantes. Ce lundi-là, ils en ont eu assez. Une nouvelle attaque nocturne sur leurs maisons et la crainte pour la sécurité de leurs enfants les ont amenés à décider de démonter eux-mêmes leurs maigres cabanes et tentes et de partir, le diable seul sait où. Alors qu’ils étaient encore en train de charger leurs affaires dans un camion, un colon avait déjà commencé à faire paître son troupeau dans leur champ de blé.

Le mercredi de la même semaine, des colons ont perpétré un mini-pogrom dans le village de Burqa, sur les terres duquel se trouve l’avant-poste de Homesh. Ils ont incendié une caravane et quelques maisons en représailles au fait que les habitants du village avaient accueilli une délégation de l’Union européenne.

Jeudi, des colons ont commencé à aplanir illégalement les terres de Burqa, dans le cadre de leur plan de reconstruction de Homesh et pour empêcher les propriétaires palestiniens de ces terres d’y retourner. Le gouverneur de facto de la Cisjordanie, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, a ordonné aux autorités de ne pas appliquer la loi et de ne pas arrêter les travaux.

Le lendemain, les colons ont incendié des voitures et des terres agricoles dans deux villages au nord-est de Ramallah. Ils ont également tiré sur un Palestinien, le blessant grièvement.

Et c’est ainsi que l’un en uniforme et l’autre sans uniforme dépouillent les Palestiniens, couche par couche, de tout ce qui rend la vie humaine : la capacité de maintenir une vie de famille, de gagner sa vie, de jouir de la sécurité et de faire les choix qui constituent le parcours de chaque personne vers la réalisation de ses talents et l’atteinte de son bonheur. Que quiconque est prêt à vivre ainsi lève la main.

Un autre événement s’est produit cette semaine-là. Les éditeurs de l’édition hébraïque de wikipédia ont rejeté une proposition visant à rétablir l’entrée sur la “violence des colons”. Cette entrée a été supprimée en 2019 (elle existe toujours dans la version anglaise, sous le nom de "Israeli settler violence" [et arabe, sous le nom de عنف المستوطنين”, mais dans aucune autre langue, NdT]), au motif qu’elle reflète “une segmentation arbitraire de la population et un parti pris politique”, et parce que la violence en question “n’est pas caractéristique des seuls colons”.

Réjouissez-vous, chantez et dansez, il n’est pas nécessaire d’éradiquer le phénomène qui salit l’image d’Israël chez les Gentils ! Il suffit de l’effacer de wikipédia.

Mais contrairement aux films de science-fiction, dans la vie réelle, l’effacement de cette entrée ne ramènera pas les habitants d’Aïn Samia dans leur village, n’enlèvera pas la balle du corps du blessé, ne replantera pas les dizaines de milliers d’oliviers que les colons ont déracinés au fil des ans et ne remettra pas les voitures, les maisons et les magasins de Huwara dans l’état où ils se trouvaient avant cette orgie nocturne de violence raciste et fasciste, en février dernier.

C’est peut-être un cliché, mais on ne peut résister à la tentation de dire que les éditeurs de wikipédia en hébreu sont comme ce bébé qui se cache les yeux et qui est certain que le monde n’existe plus. Sauf que le bébé est innocent, et qu’eux ne le sont pas. Il ne fait que se voiler les yeux, alors que les éditeurs de wikipédia essaient de voiler les yeux de tout le monde.

En fin de compte, ce ne sont que d’autres juifs israéliens, cette fois avec des claviers, qui participent à l’effacement de la vie des Palestiniens. Non pas avec des gourdins ou des bidons d’essence, mais avec un acte politique offensif d’effacement - et donc de négation - du statut de victime de ceux-ci.

Néanmoins, il y a une part de vérité qui se cache derrière la suppression de l’entrée sur la “violence des colons”, même si ce n’est pas pour les raisons invoquées par ces rédacteurs nationalistes. Car ce n’est pas seulement la suppression, mais aussi l’accent excessif mis sur les colons en tant que source de la violence à l’égard de la nation occupée qui déforme une caractérisation correcte du mal de l’occupation.

La violence israélienne à l’égard des peuples vivant sous notre domination est une violence d’État. Il s’agit d’un projet national - une entreprise commune à toutes les composantes de la nation, chacune selon ses capacités et ses talents.

Les centaines de colons qui ont incendié Huwara l’ont fait avec l’aide des milliers de policiers qui n’étaient pas là et des bataillons de soldats qui étaient là mais n’ont rien fait. Le vol des champs d’Aïn Samia s’est produit grâce à une armée et à une police qui n’ont ni empêché le vol, ni arrêté les coupables par la suite, et qui, par principe, ne jugent pas les voleurs juifs.

Mais fermer les yeux n’est que le petit péché des autorités. La quantité de terres volées aux Palestiniens et transférées aux colons par le biais des mécanismes officiels d’expropriation et d’attribution est mille fois supérieure à la quantité volée par le biais de la violence “privatisée”. Les ressources pillées dans le territoire occupé par les entreprises israéliennes sont mille fois plus importantes que celles pillées par les avant-postes agricoles violents. Les avocats et les juges, tant militaires que civils, ont davantage contribué à l’élimination des droits fondamentaux de millions de personnes que tous les abus des “jeunes des collines” réunis.

Les Juifs israéliens armés de fusils, de gourdins, de claviers, de stylos et de portefeuilles sont les occupants ultimes. Et même si nombre d’entre eux se retrouvent parmi les manifestants qui protestent contre le bouleversement juridique prévu par le gouvernement dans la rue Kaplan à Tel-Aviv, là-bas, dans le royaume de l’occupation, ils ne sont pas vraiment en faveur de la “démocratie”, comme ils le scandent à Tel-Aviv. Là-bas, ils pérennisent, renforcent et appliquent l’apartheid.

Bienvenue dans la 57e année.

14/01/2023

MORAN SHARIR
Le journaliste Israel Frey : « Si j’étais palestinien, j’aurais été arrêté et on m’aurait fait disparaître »

Moran Sharir, Haaretz, 13/1 /2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il a été arrêté pour ne pas s’être présenté à un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté. La droite israélienne l’a catalogué comme un ennemi de l’État, pour d’autres, il est le héros du jour. Qui est le journaliste ultra-orthodoxe juif Israel Frey ? Qu’est-ce qui le motive et pourquoi ne regrette-t-il pas ses actes malgré le prix élevé qu’il paie ?

 

Israel Frey. « Comment ces franges ésotériques sont-elles devenues celles qui gèrent tous nos systèmes de vie ? Par une seule chose : la haine des Arabes, le racisme, le fascisme - dont les fondations sont posées dans les territoires ». Photo Ilya Melnikov

Israel Frey attend devant une shul [synagogue] au nord de Tel Aviv. La rue tranquille exhale un parfum de laïcité israélienne : vieilles maisons dans le quartier de Ramat Hahayal, villas dans le quartier huppé de Tzahala, bureaux de haute technologie et de communication dans le complexe de Kiryat Atidim ; tours d’habitation dans le quartier autrefois pauvre, aujourd’hui embourgeoisé, de Neve Sharett.

Au milieu de tout cela se niche une petite île ultra-orthodoxe, ou haredi. Des maisons basses d’une teinte rosée, des synagogues, des affiches mettant en garde contre les dangers d’Internet. Dans les rues voisines, les gens promènent leurs chiens ; ici, ils marchent avec des sacs à phylactères en velours. La tradition a préservé le caractère de ce micro-quartier comme dans du formol.

Israel Frey a grandi ici avec trois frères et sœurs dans une famille affiliée à la secte hassidique Gur. Non loin de la shul, il y a une petite allée qui porte le nom de son grand-père, le rabbin Yehuda Meir Abramovicz, qui a été maire adjoint de Tel Aviv et membre de la Knesset pour le parti Agudat Israel. Frey vit aujourd’hui à la frontière entre Ramat Gan et Bnei Brak, une ville majoritairement haredi, mais il vient prier dans cette shul qu’il connaît depuis son enfance.

En ce jour particulier de mi-décembre, il était toujours recherché pour un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté deux mois plus tôt. Frey avait fait l’éloge de Mohammed Minawi, originaire de Naplouse, qui avait éveillé les soupçons de la police et avait été arrêté par celle-ci à Jaffa alors qu’il allait commettre un attentat à Tel Aviv. Selon les rapports de l’époque, Minawi - porteur d’un engin explosif et d’une arme improvisée - avait pour objectif de tuer des soldats israéliens mais pas de blesser des civils.Haut du formulaire

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« Regardez quel héros il est », a gazouillé Frey dans son désormais célèbre message. « Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille ».

Ce tweet a finalement conduit Frey à être licencié de son poste de journaliste sur la chaîne internet DemocraTV (le prétexte exact de son licenciement est contesté ; nous y reviendrons plus tard). En outre, il a fait de lui une personne recherchée par la police, et à la fois la cible d’une aversion généralisée dans le pays et un symbole de courage et de liberté d’expression aux yeux des autres.

Le fait que Frey ait été convoqué pour être interrogé au sujet d’un tweet politique moins d’un mois après les élections du 1er  novembre a conduit à la conclusion logique qu’il s’agissait simplement de l’ouverture de la persécution des journalistes et de la réduction au silence des opinions de gauche. Il est vrai que le tweet de Frey était très inhabituel, puisqu’il apportait essentiellement un soutien implicite au meurtre de soldats en plein cœur de Tel Aviv. Fin décembre, il a été placé en garde à vue par la police pour avoir refusé de se présenter à un interrogatoire, après avoir été accusé d’incitation présumée au terrorisme et à la violence.

L’histoire de Frey est inquiétante et suscite de réelles craintes quant à la politique de répression du nouveau gouvernement de droite dure. Immédiatement après l’arrestation de Frey, Rogel Alpher, chroniqueur au Haaretz et critique de télévision, a établi un parallèle entre cette arrestation et celle des opposants au régime en Russie ; Anat Kamm a averti dans sa chronique que « demain, cela pourrait être chacun d’entre nous ».

Frey, qui aura 36 ans le mois prochain, a attiré beaucoup d’attention. Il est impossible de l’ignorer, mais il est facile de le considérer comme une sorte d’anomalie. Avec ses opinions de gauche que le courant dominant en Israël ne peut tolérer, Frey, barbu et portant la kippa, est perçu par beaucoup comme "farfelu", "hors norme", "bizarre", "extraterrestre" et autres termes péjoratifs. Certains affirment, à tort, qu’il appartient à la secte hassidique antisioniste Satmar ou au groupe Neturei Karta, qui ne reconnaît pas l’État d’Israël. D’autres le considèrent comme faisant partie d’un nouveau courant de jeunes haredim de gauche. La vérité est que Frey est un homme-orchestre, totalement individualiste au sein d’une communauté hassidique homogène qui ne sait pas quoi faire de lui.

Ses papillotes sont repliées derrière ses oreilles et il porte des lunettes à monture moderne. C’est une personne calme et affable qui ne semble pas s’énerver ; il est poli et parle avec raison. Il aime s’exprimer, mais il est manifestement stressé par l’exposition qu’il reçoit dans ce journal et ailleurs.

Le tweet qui a fait que Frey a été convoqué pour un interrogatoire : « Regardez quel héros il est. Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille ».

« Je suis très vigilant à propos de ma vie privée », dit Frey, tout en conduisant et en fumant une cigarette électronique, une jambe rebondissant nerveusement.

« Pour tous ceux qui me voient de l’extérieur, il semble que j’aime vraiment être l’histoire », note-t-il. « Je me distingue parce que je suis un Haredi et que je me retrouve de temps en temps dans des tempêtes comme celle-ci. J’essaie vraiment de ne pas être l’histoire. Je veux faire passer mes idées. C’est terriblement intéressant de faire de moi une curiosité. Pas dans le sens négatif, mais pour être le journaliste courageux, courageux, courageux, courageux, courageux et toute cette merde ».

Frey se gare au cœur du quartier aisé de Tzahala, qui était autrefois principalement habité par d’anciens officiers des Forces de défense israéliennes et qui est aujourd’hui caractérisé par des hôtels particuliers. Le café est bondé à l’heure du midi. Le menu n’est pas casher, la clientèle est très clairement laïque. Frey hésite, il n’est pas sûr de se sentir à l’aise ici. Il propose de s’asseoir pour l’instant et commande un grand cappuccino. Quand il arrive, il n’oublie pas de réciter la bénédiction appropriée.

Pourquoi refuses-tu de te présenter pour un interrogatoire ?

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« Parce qu’ils n’ont aucune raison de me convoquer. J’ai écrit un tweet, j’ai exprimé une idée très simple, très légitime, très importante. Dans le nouveau climat, qui devient de plus en plus fasciste, les gens pensent qu’il est normal de convoquer [d’autres personnes] pour les interroger parce qu’elles ont exprimé une opinion qui, en fin de compte, est une simple perception de la réalité ici. Quiconque n’accepte pas qu’il y ait une différence entre attaquer des innocents et attaquer des soldats ne veut pas parler du fait qu’il y a un conflit ici. Sans parler de la base des faits : que nous vivons dans un endroit où un côté est plus haut et un autre côté est plus bas. Que veulent-ils de ma vie ? C’est vous tous qui êtes le problème - je ne suis pas le problème ».

Est-ce qu’ils continuent à te convoquer ?

« Hier matin, le policier m’a encore appelé et m’a dit... » - au milieu de la phrase, le smartphone de Frey sonne. C’est un numéro non identifié. Frey : « C’est peut-être eux. Bonjour. Oui. Salutations ».

Il y a une lutte de personnes sous oppression active contre un oppresseur. Cela doit faire partie de notre définition, c’est ce que je veux exprimer. Il y a une différence entre blesser des innocents et blesser des soldats en uniforme.

Israel Frey

La voix à l’autre bout de la ligne : « Je t’ ai convoqué pour un interrogatoire le 19 à 9 heures à la station Lev de Tel Aviv ».

« Ok ».

07/12/2022

MOHAMMED ABDEL QADER
Farha,un film sur la Nakba, donne des boutons aux ministres israéliens du gouvernement de “changement” sortant

Mohammed Abdel Qader, Haaretz, 6/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L'auteur est étudiant en droit à l'Université Bar-Ilan, à Ramat Gan (Tel Aviv).

Lundi soir, le film jordanien Farha a été projeté au théâtre Alsaraya de Jaffa. Le film contient une scène dans laquelle un nouveau-né est laissé à mourir de faim afin de « ne pas gaspiller une balle sur lui ». En réponse, le gouvernement sortant s'est prononcé contre le film et le cinéma qui l'a projeté, affirmant qu'il ne présente pas les FDI sous un jour positif. Le ministre de la Culture Hili Tropper et le ministre des Finances Avigdor Lieberman ont déjà annoncé qu'ils examineraient la possibilité de révoquer le budget du théâtre.

La productrice Deema Azar et l'acteur Ashraf Barhom présentent Farha lors du festival des Journées du cinéma palestinien, dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, en novembre. Photo : FILM LAB PALESTINE/ REUTERS

Le film n'est pas flatteur pour les FDI, mais la solution n'est pas de le faire taire, mais plutôt de parler sérieusement de ce qui s'est réellement passé pendant la guerre de 1948. Nous devons nous rappeler à quoi ressemblait une guerre « sans la Haute Cour et sans B'Tselem », et avoir une discussion publique de fond sur la guerre et ses victimes, et pas seulement un débat mesquin sur « qui a commencé », comme si la réponse justifiait de faire du mal à des innocents. Mais selon les ministres Tropper et Lieberman, une telle discussion n'est pas nécessaire, et toute personne qui soulève ces questions devrait se voir retirer son financement.

La productrice du film affirme que Farha est une œuvre artistique qui ne prétend pas être un documentaire, et que les critiques à son encontre et à l'encontre du cinéma qui a choisi de le projeter sont donc étranges. Sommes-nous censés accepter l'idée qu'une œuvre culturelle qui ne plaît pas à quelqu'un n'a pas le droit d'exister ? Cette conception est particulièrement troublante car elle est le fruit d'une attitude qui nie les faits et insiste pour dire que la Nakba et le peuple palestinien, ça n’existe pas. La réaction des ministres au film fait écho à l'amendement sur la “loyauté culturelle” que Miri Regev a essayé de promouvoir autrefois, mais alors que l'initiative de Regev s'est immédiatement attirée les foudres des artistes et d'une grande partie des médias, aucune critique de Tropper et Lieberman ne se fait entendre.

Tropper et Lieberman, ministres du gouvernement sortant de “guérison et de changement”, ont essentiellement montré que rien n'a changé et qu'ils souhaitent perpétuer les politiques de Regev et du gouvernement précédent. Ils n'incarnent pas une alternative intellectuelle et idéologique, mais choisissent plutôt d'être une imitation du gouvernement de droite de Netanyahou. Il n'est donc pas surprenant que le public choisisse l'original plutôt que la copie.

La critique du ministre de la Culture n'est pas cohérente avec la position d'unité et de conciliation qu'il est censé soutenir. Par exemple, lors de la remise des Ophir Awards l'année dernière, il a déclaré : « Lorsque les choses sont clarifiées de manière appropriée et respectueuse, c'est bienvenu ». Et aussi : « Pour ma part, j'ai une identité claire. Entre autres choses, elle inclut le fait d'être juif, sioniste et patriote israélien, c'est mon identité. J'en suis heureux, j'en suis fier, mais précisément parce que j'en suis si sûr, je n'ai aucun problème à écouter et à accepter la critique ».

Si vous n'avez aucun problème avec la critique, ministre Tropper, je m'attendrais à ce que vous soyez le premier à faire la queue pour voir le film. Mais vous demandez la suppression du financement sans même l'avoir vu. Ce n'est pas ainsi que l'on exprime une identité sûre.

Je suis allé au théâtre Alsaraya de nombreuses fois. Je peux témoigner de la grande qualité des films qui y sont projetés et du fait que ce cinéma présente une véritable coexistence fondée sur l'égalité intellectuelle et culturelle.

 L'un des films que j'y ai vu était Tantoura, un documentaire sur les crimes de guerre présumés commis par des combattants des FDI dans le village dont le film porte le nom. Ce film n'est pas non plus flatteur pour les FDI, et il a également été projeté à la Cinémathèque de Tel Aviv. Mais, bien sûr, Hili Tropper et Avigdor Lieberman ne sont pas sur le point d'arrêter le financement de la Cinémathèque de Tel Aviv.

Ce qu'ils veulent faire à Alsaraya donnera une base et une légitimité à la politique du gouvernement Netanyahou-Ben-Gvir, qui pourrait effectivement chercher à supprimer le financement de la Cinémathèque. Et alors, avec le recul, nous comprendrons que non seulement la gauche [sic] a perdu dans les urnes, mais qu'elle n'a même pas fait l'effort d'être un acteur sur le terrain.

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Farha, un film de Darin Sallam : l'histoire de la Palestine à travers le regard d’une adolescente

 NdT

Le film devait être diffusé sur Netflix à partir du 1er décembre 2022, mais il ne l'est pas à ce jour. On peut donc le voir ici :

05/10/2022

BARBARA CROSSETTE
Une campagne israélienne en Allemagne bloque l'attribution d'un prix à Navi Pillay, une défenseure renommée des droits humains

Barbara Crossette , PassBlue, 2/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il devait s'agir d'une cérémonie grandiose organisée par l'Association allemande pour les Nations unies (Deutsche Gesellschaft für die Vereinten Nationen e.V.) pour décerner la médaille de la paix Otto Hahn, décernée tous les deux ans, à Navi Pillay, en reconnaissance de ses décennies de travail novateur dans le domaine des droits humains et du droit pénal international, notamment dans le cadre des Nations unies.


La cérémonie du 28 septembre devait avoir pour cadre l'Hôtel de ville rouge (Rotes Rathaus) de Berlin, datant du XIXe siècle, ainsi nommé en raison de sa façade en briques. L'hôtel, endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale, a été reconstruit et est devenu un point de repère symbolique dans la capitale allemande.

L'ANU-Allemagne s'attendait à une salle comble pour la remise du prix, les réponses positives aux invitations ayant afflué. La mairesse élue de Berlin, Franziska Giffey, devait présider la cérémonie.

Rien de tout cela n'est arrivé.

Si la chronologie exacte de la mise en place d'une campagne israélienne contestant l'attribution du prix à Pillay en Allemagne laisse certaines questions sans réponse, la cause et l'effet ne sont pas contestés.

« Le maire de Berlin torpille l'événement honorant le chef de l'enquête de l'ONU sur Israël », peut-on lire à la une du Times of Israel, un journal en ligne publié en anglais et dans d'autres langues occidentales et du Moyen- Orient. Il a commencé à fonctionner en 2012.

Publiquement, la campagne de lobbying en faveur d'Israël a débuté par un article paru dans le tabloïd allemand pro-israélien Bild, qui reprenait des allégations israéliennes de longue date selon lesquelles Mme Pillay, ancienne haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme et juge sud-africaine, était pro-palestinienne - ou, du moins, qu'elle critiquait les politiques et actions israéliennes en Cisjordanie et à Gaza, ainsi qu'à Jérusalem-Est.

Cependant, depuis 1975, Mme Pillay est également présidente du conseil consultatif de l'Académie internationale des principes de Nuremberg, une fondation allemande qui promeut le droit pénal mondial. Son rôle indique que tous les Allemands ne sont pas d'accord sur son bilan présumé, comme le confirmerait le prix décerné par l'ANU-Allemagne.

Le papier du Bild se concentrait principalement sur le poste le plus récent de Mme Pillay à la tête de la Commission internationale indépendante d'enquête sur Israël et le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, composée de trois membres. Cette commission a été créée par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

La cible actuelle de l'ire israélienne est dirigée vers les remarques sévères d'un des membres du panel sur Israël. Dans une interview accordée en juillet à Mondoweiss, un journal d'actualités et d'opinions sur la Palestine, Israël et les USA, le membre, Miloon Kothari (Inde), un militant des droits humains spécialisé dans les droits au logement et à la terre, qui a fait rapport au Conseil des droits de l'homme sur l'occupation israélienne du territoire palestinien, a déclaré :

« J'irais même jusqu'à me demander pourquoi [Israël] est membre des Nations unies. ... le gouvernement israélien ne respecte pas ses propres obligations en tant qu'État membre de l'ONU [parce que], en fait, il essaie constamment, soit directement, soit par l'intermédiaire des USA, de saper les mécanismes de l'ONU ». Il a fait référence à un “lobby juif” et à des ONG non précisées comme supervisant les opinions pro-israéliennes.

Pillay, éminente juriste sud-africaine d'origine indienne, est également accusée par les Israéliens, sans preuve, de faire partie du mouvement Boycott-Divestment-Sanctions (BDS), une initiative palestinienne visant à miner l'économie israélienne. Lorsque le mouvement BDS de 2017 a attiré l'attention en Allemagne, où il a été dénoncé comme antisémite, certains gouvernements locaux ont tenté de l'arrêter par des moyens répressifs ou punitifs. Un habitant de Munich, soutenu par les défenseurs de la liberté d'expression, a intenté une action contre le conseil municipal, qui est finalement arrivée devant un tribunal fédéral malgré les premiers revers.

Au début de l'année, le 20 janvier, le tribunal administratif fédéral de Leipzig a statué que la loi allemande « garantit à chacun le droit d'exprimer et de diffuser librement son opinion ». Le tribunal a ajouté que le conseil municipal de Munich ne pouvait pas violer ce droit en refusant l'autorisation d'un événement parce qu'il n'était pas d'accord avec les opinions exprimées dans le cadre de la campagne BDS.

Le Conseil des droits de l'homme, basé à Genève, n'est pas - malgré ce que le grand public peut penser - une partie intégrante de l'organisation des Nations unies ou sous le contrôle du secrétaire général. Il a été créé en tant qu'organe indépendant en 2005-2006 pour remplacer la Commission des droits de l'homme, discréditée. Les 47 nations membres du Conseil sont nommées par les gouvernements au niveau régional. Sa présidence tourne autour des blocs géographiques désignés par l'ONU.

Le Conseil nomme des dizaines d'observateurs et de groupes d'experts sur toute une série de sujets liés aux droits. La commission d'enquête sur Israël et la Palestine occupée s'inscrit grosso modo dans ce système. Il s'agit de l'action controversée la plus récente concernant Israël, qui a suscité des divisions souvent amères entre les nations et les régions.

Peu après la publication du papier de Bild en septembre, une semaine à peine avant la cérémonie de remise des prix prévue, l'ambassadeur d'Israël en Allemagne, Ron Prosor, a demandé à Giffey, la mairesse de Berlin - membre du parti social-démocrate - d'annuler la cérémonie, ce qu'elle a fait. Elle a également interdit à l'association UNA-Allemagne d'utiliser l'Hôtel de ville rouge pour sa cérémonie.


Franziska Giffey à son retour d’un voyage en Israël en 2018, lors qu’elle était ministre des Affaires familiales, des personnes âgées, des femmes et des jeunes. Ella a démissionné de ce poste en juin 2021, après avoir vu son doctorat de 2010 annulé par l’Université libre de Berlin pour plagiat. Mais notre blonde a rebondi : six mois plus tard, elle était élue mairesse de la capitale.