Ronen Bar (né Berezovsky)
L’influence grandissante de l’actuel
chef du Shin Bet, Ronen Bar, a entraîné une divergence notable entre l’agence
de sécurité israélienne et l’armée.
Ce fossé stratégique - récemment
mis en évidence par le raid de l’armée israélienne à Jénine le 19 juin - se
concentre sur deux questions : l’approche vis-à-vis de l’(In)autorité palestinienne
(AP) et la question des incursions dans les villes palestiniennes, en
particulier dans la zone nord de la Cisjordanie.
Le Shin Bet est favorable à l’invasion
des villes palestiniennes et à la destruction de toute nouvelle formation de
groupes de résistance. Cependant, son incapacité à détecter les menaces
potentielles avant le raid militaire a conduit à des attaques surprise
palestiniennes et à la destruction de véhicules blindés par des bombes
artisanales placées en bord de route.
Les militaires israéliens, quant à
eux, ont émis des réserves quant à la conduite de raids en Cisjordanie. Selon
eux, contrairement à la situation de 2003, où l’AP avait soutenu la seconde
Intifada, déclenchant l’invasion israélienne des villes de Cisjordanie, l’AP a
depuis fait volte-face.
Les militaires estiment qu’une AP
forte joue un rôle essentiel dans le maintien de la sécurité d’Israël et le
contrôle des activités palestiniennes. C’était également la position du Shin
Bet jusqu’à récemment.
Mohamed Sabaaneh
Les colons
se déchaînent
Depuis l’arrivée au pouvoir du
gouvernement d’extrême droite, la politique israélienne à l’égard de la
Cisjordanie s’est nettement infléchie. Hormis les affaires militaires, toutes
les questions concernant le territoire occupé relèvent de la compétence du chef
du parti Sionisme religieux et ministre des Finances, Bezalel Smotrich.
Ce changement est conforme aux
accords de coalition, qui déterminent l’ordre du jour du gouvernement.
Smotrich, personnalité influente du
gouvernement israélien, a pour objectif stratégique de dissoudre l’(In)autorité
palestinienne. Conformément à sa doctrine stratégique consistant à établir la “souveraineté
juive” sur l’ensemble de la terre de Palestine, il préconise l’invasion des
villes et des camps afin d’obtenir des résultats décisifs.
Les colons israéliens agissent sous
la direction de Smotrich, un leader d’extrême droite, qui, à son tour, s’efforce
de façonner les politiques gouvernementales en fonction de la volonté des
colons.
Le Shin Bet surveille les
mouvements et les projets des colons et dispose même d’un département dédié à
cette fonction. Appelé à l’origine “département non arabe”, il est aujourd’hui
appelé “département juif” (dans toutes les institutions de l’État et dans la
littérature officielle, le terme “non-juifs” est utilisé, alors qu’au Shin Bet,
on utilise “non-arabes”). Cependant, aucune mesure n’est prise pour
contrecarrer leurs activités ou leur violence.
L’incapacité du Shin Bet à
contrôler les colons suggère qu’il voit un rôle dans leur violence : établir
une domination sur les Palestiniens, agir comme un moyen de dissuasion et
briser tout soutien populaire aux organisations armées qui résistent à l’occupation.
La récente sauvagerie des colons
est donc le résultat d’une stratégie mesurée et calculée plutôt que d’une “frénésie
sanglante”. Il s’agit d’une tactique visant à faciliter les objectifs plus
larges d’Israël, à savoir l’intimidation et le nettoyage ethnique des
Palestiniens.
Parmi les exemples récents, on peut
citer les incendies criminels de Huwwara, Turmus Ayya et Um Safa, qui n’étaient
pas le fruit du hasard, mais plutôt des attaques préméditées.
L’annonce par le gouvernement
israélien de la construction de 1 000 unités de logement dans la colonie
illégale d’Eli - à la suite de l’opération armée palestinienne qui s’y est déroulée
- met encore plus en évidence ses objectifs coloniaux en Cisjordanie.
Affaiblissement
de l’AP
Il y a trois mois, alors que la
discorde dans les rangs de l’armée s’intensifiait en raison de leur opposition
à un éventuel coup d’État judiciaire, des voix importantes de l’armée
israélienne se sont fait entendre. Parmi elles, le commandant militaire et
ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman. Leur position est sans ambiguïté : si
les politiques gouvernementales sont en conflit avec l’État de droit, l’allégeance
de l’armée ira à ce dernier.
Cependant, les actions de l’armée
semblent aujourd’hui en contradiction avec sa position précédente. Plutôt que d’adhérer
à la lettre de la loi, l’armée semble agir en accord avec les décrets du
gouvernement.
Ce changement est particulièrement
évident dans le cas de l’avant-poste illégal d’Evyatar en Cisjordanie, qui a
été évacué sur ordre d’un tribunal israélien. Au mépris de cet ordre, les
colons sont revenus et ont repris leur occupation, apparemment sans entrave de
la part de l’armée, malgré le statut de zone militaire de la région.
Cette évolution est en
contradiction avec la position et les évaluations de l’armée. L’armée a exprimé
sa réticence à envahir les villes palestiniennes, comprenant que cela l’obligerait
à jouer un plus grand rôle de maintien de l’ordre après l’invasion.
En outre, elle a ajouté qu’une
telle action épuiserait les ressources actuellement mobilisées contre l’Iran,
la Syrie et le Hezbollah.
C’est pour ces raisons que presque
tous les anciens chefs militaires, rejoints par toutes les anciennes agences de
sécurité, s’opposent à l’affaiblissement (ou à l’effondrement total) de l’(In)autorité
palestinienne. Au contraire, ils perçoivent cet affaiblissement comme une perte
stratégique pour Israël, qui ne propose aucune solution tangible pour la paix.
Pourtant, un changement de position
significatif peut être observé dans les rangs du Shin Bet, même si ce
changement ne représente pas un consensus au sein de l’organisation.
Le directeur du Shin Bet reconnaît
qu’une invasion du nord de la Cisjordanie pourrait potentiellement déstabiliser
l’(In)autorité palestinienne, mais il plaide en faveur d’une invasion à court
terme qui ne prévoit pas ce qui se passerait par la suite. Reconnaissant l’incertitude
inhérente à la guerre, il admet qu’il ne peut dicter la durée d’une invasion.
Bar reconnaît en outre que l’incendie
criminel de Turmus Ayya a porté un coup terrible à la crédibilité de l’(In)autorité
palestinienne - un avantage pour le Shin Bet. Les communautés palestiniennes
ont critiqué la “négligence” de l’AP et son incapacité à les protéger des
attaques des colons, en particulier dans la zone C, qui est entièrement
contrôlée par Israël.
Dans une rare dérogation à la
norme, le Shin Bet a envoyé un représentant à la commission de la Knesset
chargée des projets de colonisation. Ce représentant, qui s’exprimait derrière
un rideau, a exprimé le soutien de l’agence à une proposition de loi visant à
étendre la présence juive dans les villes à majorité palestinienne d’Israël, comme
celles de Galilée.
Ce représentant a affirmé que la “judaïsation”
de la Galilée est en fait une question de sécurité nationale. Il a ajouté : « Le
niveau de colonisation dans la région s’accompagne d’un renforcement des forces
de police et d’application de la loi, de l’éducation, du développement des
routes, etc. »
Il a également laissé entendre que
le Shin Bet s’efforcerait de protéger les communautés juives contre les menaces
potentielles, considérées comme des adversaires de l’État. Cette politique
comprend des stratégies visant à diluer l’importante présence arabe en Galilée
et à en perturber la continuité.
Les objectifs du projet de loi
soutenu par l’agent du Shin Bet sont décrits comme des principes de l’accord de
la coalition gouvernementale, concernant la “judaïsation” non seulement de la
Galilée, mais aussi du Naqab [Néguev], de la zone C de la Cisjordanie et
de Jérusalem.
Enfin, le
représentant du Shin Bet, qui a choisi de rester anonyme, a corroboré ce point
de vue comme étant celui de Bar, le chef de l’agence. Cette révélation pourrait
signaler l'orientation potentielle de l'organisation de renseignement vers les
politiques ministérielles ou, à tout le moins, suggérer une convergence
croissante de leurs évaluations stratégiques.
Divergence
À la suite de l’incendie criminel
de Turmus Ayya, le 21 juin, les forces israéliennes ont affirmé qu’elles n’avaient
pas été informées au préalable des intentions des colons d’envahir la ville.
Habituellement, ces renseignements proviennent du Shin Bet.
Cependant, certains segments de l’armée,
notamment le bataillon de Cisjordanie (officiellement appelé la division de
Judée et Samarie), sont fortement influencés par l’idéologie du sionisme
religieux. Ces soldats et officiers n’adhèrent pas strictement aux ordres de l’état-major
et se considèrent comme un corps unifié avec les colons, comme l’a déclaré l’année
dernière leur commandant, le colonel Roi Zweig.
Le chaos interne s’est manifesté
lorsque des gangs de colons terroristes ont perpétré l’incendie criminel sous
le parapluie protecteur de l’armée et sous son œil vigilant. Cela s’est produit
après que la ville a été mise en état de siège, tous les points d’accès étant
bloqués. Cette tactique renvoie à une tactique sioniste historique qui a été
associée à d’autres massacres tragiques.
La divergence entre l’armée
israélienne et le Shin Bet menace de rompre un équilibre de longue date entre
les principales institutions de sécurité d’Israël - l’armée, le Shin Bet et le
Mossad - et le gouvernement. Qu’il s’agisse de questions concernant l’Iran ou
la Palestine, le facteur décisif a toujours été le consensus entre ces trois
agences de sécurité.
Il est intéressant de noter que le
Shin Bet semble se rapprocher de la position d’extrême droite du gouvernement,
en s’alignant spécifiquement sur Smotrich. Ce dernier semble convaincu que l’affaiblissement
de l’AP est une étape nécessaire pour faciliter les projets du parti au pouvoir
qu’il dirige. (Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est
devenu une voix que personne n’écoute lorsqu’il s’agit de questions de
sécurité).
Le débat au sein de l’appareil de
sécurité de l’État occupant sur la question de savoir s’il faut déstabiliser l’AP
n’est pas encore tranché. Malgré des années de siège de l’AP, la volonté d’Israël
de provoquer son effondrement total est incertaine.
Toutefois, le soutien à cette
stratégie semble s’accroître au vu des nombreuses évaluations concernant l’ère
qui suivra le président Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans. La question du paysage
post-Abbas est une question qui préoccupe profondément tous les rouages de la
machinerie de l’État occupant.
Au fur et à mesure que la situation
évolue, il devient de plus en plus évident que le Shin Bet cherche non
seulement à rompre les liens et les attentes qui existent entre les
Palestiniens vivant dans la zone C et l’(In)autorité palestinienne, mais aussi
à exacerber les plaintes des résidents locaux à l’encontre de l’organe dirigeant.
L’AP,
inhibée par les restrictions israéliennes, n’est pas en mesure d’assurer une
quelconque forme de protection ou d’agir dans la région. Ces réalités feront
probablement pencher la balance en faveur de ceux qui, en Israël, souhaitent l’affaiblir encore plus
- ou carrément la détruire.