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08/07/2024

YANIV KUBOVICH
Le 7 octobre, l’armée israélienne a ordonné la mise en œuvre de la directive Hannibal pour empêcher le Hamas de capturer des soldats

Yaniv Kubovich, Haaretz, 7 /7/2024
Traduit par Alain Marshal, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala 

« Il y a eu une hystérie démente et on a commencé à prendre des décisions sans vérifier les informations » : des documents et des témoignages obtenus par Haaretz révèlent que l’ordre opérationnel Hannibal, qui ordonne l’utilisation de la force pour empêcher la capture de soldats, a été appliqué dans trois bases de l’armée israéliennes infiltrées par le Hamas, mettant potentiellement en danger des civils israéliens également.


Attaque du Hamas sur les communautés frontalières de Gaza dans le sud d'Israël, le 7 octobre. Photo Hani Alshaer, Anadolu Agency

Les opérations de la Division de Gaza et les frappes aériennes des premières heures du 7 octobre étaient basées sur des informations limitées. Les premiers longs instants qui ont suivi le lancement de l’attaque du Hamas ont été chaotiques. Des rapports étaient reçus, dont la signification n’était pas toujours claire. Lorsqu’ils ont été compris, on s’est rendu compte que quelque chose d’horrible s’était produit.

Les réseaux de communication ne parvenaient pas à suivre le flux d’informations, pas plus que les soldats qui envoyaient ces rapports. Cependant, le message transmis à 11h22 sur le réseau de la Division de Gaza a été compris par tous. L’ordre était le suivant : « Pas un seul véhicule [de combattants palestiniens] ne doit retourner à Gaza ».

À ce stade, les FDI ne connaissaient pas l’ampleur des enlèvements le long de la frontière de Gaza, mais elles savaient que de nombreuses personnes étaient impliquées. La signification de ce message et le sort réservé à certaines des personnes enlevées étaient donc parfaitement clairs.

Ce n’était pas le premier ordre donné par la division dans le but de déjouer un enlèvement, même au détriment de la vie des personnes kidnappées, une procédure connue dans l’armée sous le nom de « procédure Hannibal ».

Des documents obtenus par Haaretz, ainsi que des témoignages de soldats et d’officiers moyens et supérieurs de l’armée israélienne, révèlent une multitude d’ordres et de procédures établis par la Division de Gaza, le commandement sud et l’état-major général de Tsahal jusqu’aux heures de l’après-midi de ce jour-là, montrant à quel point cette procédure était répandue, dès les premières heures suivant l’attaque et en divers points le long de la frontière.

Haaretz ne sait pas si, ni combien de civils et de soldats ont été touchés à cause de ces procédures, mais les données cumulées indiquent que de nombreuses personnes kidnappées étaient en danger, exposées aux tirs israéliens, même si elles n’étaient pas la cible.

À 6h43, alors que des tirs de barrage de roquettes étaient lancés sur Israël et que des milliers d’hommes du Hamas attaquaient les bastions de l’armée et les équipements d’observation et de communication de la division, le commandant de la division, le général de brigade Avi Rosenfeld, a déclaré : « les Philistins ont envahi ».

C’est la procédure à suivre lorsqu’un ennemi envahit le territoire israélien. Un commandant de division peut alors assumer une autorité extraordinaire, y compris le recours à des tirs nourris à l’intérieur du territoire israélien, afin de bloquer un raid ennemi.

Une source très haut placée de l’armée israélienne a confirmé à Haaretz que la procédure Hannibal avait été utilisée le 7 octobre, ajoutant que le commandant de la division n’y avait pas eu recours. Qui a donné l’ordre ? Cela, a déclaré la source, sera peut-être établi par des enquêtes menées après la guerre.

En tout état de cause, selon un fonctionnaire de la défense qui connaît bien les opérations du 7 octobre à la division de Gaza, dans la matinée, « personne ne savait ce qui se passait à l’extérieur ». Il affirme que Rosenfeld était enfermé dans la salle de guerre, « alors qu’à l’extérieur une guerre mondiale faisait rage ».

« Tout le monde était choqué par le nombre de terroristes qui avaient pénétré dans la base. Même dans nos cauchemars, nous n’avions pas prévu une telle attaque. Personne n’avait la moindre idée du nombre de personnes enlevées ni de l’endroit où se trouvaient les forces armées. Il y a eu une hystérie démente, avec des décisions prises sans aucune information vérifiée », poursuit-il.

L’une de ces décisions a été prise à 7h18, lorsqu’un poste d’observation de l’avant-poste de Yiftah a signalé qu’une personne avait été enlevée au poste frontière d’Erez, à côté du bureau de liaison de Tsahal. Le quartier général de la division a donné l’ordre suivant : « Hannibal à Erez, envoyez un Zik ». Le Zik est un drone d’assaut sans pilote, et la signification de cet ordre était claire.

Ce n’était pas la dernière fois qu’un tel ordre était entendu sur le réseau de communication. Au cours de la demi-heure suivante, la division s’est rendu compte que les terroristes du Hamas avaient réussi à tuer et à enlever des soldats postés au point de passage et à la base adjacente. Puis, à 7h41, l’incident s’est reproduit : Hannibal à Erez, un assaut sur le point de passage et la base, juste pour que plus aucun soldat ne soit enlevé. De tels ordres ont également été donnés plus tard.

Le poste frontière d’Erez n’est pas le seul endroit où cela s’est produit. Les informations obtenues par Haaretz et confirmées par l’armée montrent que, tout au long de la matinée, la procédure Hannibal a été appliquée à deux autres endroits pénétrés par les terroristes : la base militaire de Re’im, où se trouvait le quartier général de la division, et l’avant-poste de Nahal Oz, où se trouvaient des guetteuses militaires. Cela n’a pas empêché l’enlèvement de sept d’entre elles et l’assassinat de 15 autres guetteuses, ainsi que de 38 autres soldats.

Au cours des heures suivantes, le quartier général de la division a commencé à rassembler les pièces du puzzle, réalisant l’ampleur de l’attaque du Hamas, mais manquant l’invasion du kibboutz Nir Oz, que les premières forces de l’armée n’ont atteint qu’après le départ des terroristes. En ce qui concerne la fréquence d’utilisation de la procédure Hannibal, il semble que rien n’ait changé. Ainsi, par exemple, à 10h19, un rapport est parvenu au quartier général de la division indiquant qu’un Zik avait attaqué la base de Re’im.

Trois minutes plus tard, un autre rapport de ce type est arrivé. À ce moment-là, les commandos de l’unité Shaldag [unité des forces spéciales sous le commandement de l'armée de l'air israélienne] se trouvaient déjà sur la base et combattaient les terroristes. À ce jour, on ne sait pas si l’un d’entre eux a été blessé lors de l’attaque du drone. Ce que l’on sait, c’est qu’un message a été diffusé sur le réseau de communication, demandant à tout le monde de veiller à ce qu’aucun soldat ne se trouve à l’extérieur de la base, car les forces de Tsahal étaient sur le point d’entrer et de chasser ou de tuer les terroristes restants.

Selon un haut fonctionnaire de la défense, la décision de mener des attaques à l’intérieur des avant-postes hantera les commandants toute leur vie. « Quiconque prenait une telle décision savait que nos combattants dans la zone pouvaient également être touchés. »

19/11/2023

ALAIN MARSHAL
De l’extermination des Palestiniens
Pastiche de Montesquieu (De l'esprit des lois, « De l'esclavage des nègres »)

 Alain Marshal, Mediapart blog, 19/11/2023

Si j’avais à soutenir le droit d’Israël à se « défendre » face à la population palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, voici ce que je dirais :

Le territoire israélien étant trop exigu et trop vulnérable, et en déficit démographique face aux populations arabes indigènes, il est nécessaire de l’agrandir par de nouvelles guerres de conquête, d’expulser toujours davantage de Palestiniens, et de défricher & purifier leur territoire au phosphore blanc.

L’économie mondiale n’étant pas au beau fixe, une bonne guerre permet de relancer l’industrie de l’armement du parrain américain d’Israël, tout en détournant le regard de la débâcle en Ukraine.

Les Palestiniens sont basanés depuis les pieds jusqu’à la tête ; et certains ont le nez si épaté, qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’esprit que D.eu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps basané.

Il est si naturel de penser que c’est l’appartenance à la race juive qui constitue l’essence de l’humanité, que certains passages du Talmud, autorité incontestable pour les intégristes religieux, placent les Goyim au rang des animaux.

Même si le récit des 40 bébés israéliens décapités par le Hamas a été rétracté, il a placé le monde dans un tel émoi qu'il justifie toutes les actions possibles et imaginables contre la population palestinienne à Gaza ; quant aux dizaines de bébés palestiniens prématurés morts à l'hôpital Al-Shifa lorsqu'Israël l'a pris d'assaut et a délibérément coupé l'électricité indispensable au fonctionnement de leurs couveuses, bien que ces décès soient avérés, ils ne sauraient prétendre susciter ne serait-ce qu'une fraction de l'indignation mondiale pro-israélienne consécutive au 7 octobre. Au taux de change en vigueur entre vies israéliennes et vies palestiniennes, ce serait absolument inconcevable, la preuve d'un mépris inouï pour la valeur des vies humaines blanches.

Une preuve que les Palestiniens n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils sont prêts à se sacrifier ainsi que toute leur famille et tous leurs biens pour leur cause, et à rester dans des camps de réfugiés des pays voisins pendant des décennies, ce génération après génération, au lieu de tourner la page de la Nakba (1948) et de la Naksa (1967). Le progrès de la civilisation ne peut pas s’accommoder d'un tel ancrage passéiste, pas plus qu'il ne s'est accommodé des tipis Amérindiens. De leur côté, les Israéliens vivent avec leur temps : ceux qui le peuvent prennent l’avion dès que les hostilités éclatent, et quant à ceux qui restent et sont déplacés à l’intérieur d’Israël, ils exigent d’être hébergés dans des hôtels étoilés et de ne pas être importunés par la guerre, mal nécessaire à l’avancée de l’humanité des ténèbres de l’archaïsme et de l’ignorance vers la lumière du progressisme et de la modernité. 


Rappelons que d'après la Bible, Pharaon, maître des Égyptiens, a fait périr tous les nouveau-nés juifs de sexe masculin afin d’empêcher l’avènement du Sauveur des Hébreux, Moïse. Si les musulmans ont vraiment un D.eu protecteur comme Ya.vé, il leur enverra un Sauveur, le prétendu « Mahdi », pour les secourir et réaliser un miracle tel qu’ouvrir les flots de la Mer rouge. Le projet de déportation des 2,5 millions d'habitants de Gaza dans le Sinaï est justement une occasion rêvée pour éprouver la véracité de l'islamisme, religion des Palestiniens, et de les émanciper de leurs vaines superstitions (tout en hâtant la venue du vrai Messie, le Machia'h).

Les Juifs ayant été persécutés tout au long de leur histoire, si les habitants de Gaza étaient pleinement des hommes et non des « animaux humains », on commencerait à croire que les Israéliens ont la cruauté d'infliger à un peuple les sévices qu’ils ont eux-mêmes subi, et que les occidentaux et européens, qui soutiennent inconditionnellement Israël, bafouent le droit international, les droits de l’homme et l’humanité la plus élémentaire, alors qu'ils s'en affirment les champions, et perpétuent aveuglément les crimes de leur passé colonialiste et génocidaire.

Des petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux femmes, enfants et bébés palestiniens, qui meurent par milliers : car si leur vie à Gaza, immense camp de concentration, est de toute façon vouée à être misérable, et qu’aucun des 57 pays arabo-musulmans ne veut les accueillir ni même lever le petit doigt pour les secourir  (si ce n'est les exceptions notables du Liban et du Yémen, autres candidats à l'annihilation), preuve que ce peuple est maudit et honni même par les siens, abréger leur existence par des bombardements massifs et indiscriminés n’est pas un acte de barbarie mais un acte de miséricorde et de pitié, qualités incarnées de manière exemplaire par Netanyahou et son gouvernement fasciste, de même que par la fine fleur des dirigeants occidentaux (Biden, Trudeau, Shunak, Macron).

 


18/07/2023

ALAIN MARSHAL
14 juillet : ni apaisés, ni résignés, ni intimidés, mais plus déterminés que jamais!

 Alain Marshal, 14/7/2023

Le 17 avril, trois jours après la promulgation à la schlague de l’infâme réforme des retraites, via le recours antidémocratique au 47.1, au 49.3 puis à l’article 40, autant de signes d’un véritable « ensauvagement » des institutions françaises, le Président le plus impopulaire de la Ve République tentait de calmer le vent de révolte que ses deux mandats avaient soulevé dans le pays. La mobilisation nationale contre la réforme des retraites, qui faisait suite au mouvement mémorable des Gilets Jaunes, a en effet rassemblé des millions de personnes durant plusieurs mois, dans un mouvement sans précédent en France depuis plus d’un demi-siècle, et qui a suscité l’admiration bien au-delà de nos frontières.

Pour faire taire le son des casserolades qui martelaient régulièrement le rejet massif de ses politiques régressives, le Méprisant de la République s’est lancé dans une manœuvre de diversion. Dans une allocution solennelle, Emmanuel Macron annonçait le « grand projet » de « reconstruire et retrouver l’élan de notre nation » à travers « trois grands chantiers » : « le chantier du travail »,  le chantier « de la justice et de l’ordre républicain et démocratique » et le chantier « du progrès, progrès pour mieux vivre » afin que chaque Française et Français « retrouve la certitude que nos enfants pourront bâtir une vie meilleure. » Il concluait sa déclaration en fanfare : « Le 14 juillet prochain doit nous permettre de faire un premier bilan. Nous avons devant nous 100 jours d’apaisement, d’unité, d’ambitions et d’actions au service de la France. ».

09/07/2023

MOUIN RABBANI
L’attaque contre Jénine fait partie d’un programme d’accélération de la colonisation de la Cisjordanie, débouchant sur son annexion

 Mouin Rabbani, Jadaliyya, 4/7/2023
Traduit par
Alain Marshal

Mouin Rabbani est un analyste néerlando-palestinien du Moyen-Orient spécialisé dans le conflit israélo-arabe et les affaires palestiniennes. Basé à Amman, en Jordanie, il a été analyste principal pour l’International Crisis Group, responsable des affaires politiques au bureau de l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, directeur pour la Palestine du Palestine American Research Center, directeur de projet pour l’Association des municipalités néerlandaises, bénévole et rédacteur en chef pour Al Haq. Rabbani est actuellement chercheur principal à l’Institut d’études palestiniennes, co-rédacteur en chef de Jadaliyya et rédacteur en chef adjoint du Middle East Report.  @MouinRabbani

Le dernier assaut d’Israël contre le camp de réfugiés de Jénine, le plus important depuis l’invasion de 2002 qui avait détruit une grande partie du camp, a été conçu pour atteindre un certain nombre d’objectifs militaires et politiques. Considérés ensemble, ils visent à rendre la Cisjordanie sûre pour l’intensification de la colonisation israélienne et, à terme, l’annexion formelle.

Un bulldozer militaire israélien nivelle des routes et détruit le centre du camp de réfugiés de Jenine lors d’un raid sur le camp près de la ville de Jenine en Cisjordanie, le 3 juillet 2023. Photo : Nasser Ishtayeh/Sopa Images via Zuma Press Wire/Apa Images

 Comme les précédentes opérations israéliennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, celle-ci est susceptible de dégrader considérablement l’infrastructure organisationnelle palestinienne et, ce faisant, d’infliger délibérément un coût énorme à sa population civile. Pourtant, le succès au niveau stratégique restera flou et insaisissable : il y a peu de raisons de croire qu’Israël réussira aujourd’hui là où il a échoué non seulement en 2002, mais à plusieurs reprises au cours des années qui ont suivi. En effet, l’attaque effective d’Israël, et la réalité qui se déchaîne contre un adversaire palestinien qui s’est enhardi et sophistiqué, démontrent la nature passagère de ses succès antérieurs.

Dans le même temps, la faiblesse d’un mouvement national palestinien en proie à la fragmentation et à la désintégration l’empêche de traduire les échecs d’Israël en avancées. La doctrine de l’ « unité des arènes », proclamée à maintes reprises, reste jusqu’à présent un slogan plutôt qu’un accord de défense collective et, au début de l’année, elle ne s’est pas concrétisée, même dans la bande de Gaza, lorsqu’Israël a assassiné un certain nombre de cadres supérieurs du Jihad Islamique et que le Hamas s’est abstenu de s’impliquer directement dans le processus. La campagne israélienne visant à transformer les Palestiniens d’un peuple unifié en une simple présence démographique politiquement insignifiante se poursuit donc.

Il est tentant de considérer l’invasion israélienne de Jénine comme un produit de la composition et de l’agenda extrémistes du gouvernement israélien actuel. Pourtant, les plans opérationnels correspondants ont été formulés il y a un an sous ses prédécesseurs Bennett-Lapid, ce qui prouve que la politique israélienne à l’égard des Palestiniens est avant tout caractérisée par la continuité et mise en œuvre par des institutions plutôt que par des caprices individuels.

Le catalyseur de cette opération a été l’évolution du paysage de la résistance palestinienne dans le nord de la Cisjordanie. N’étant plus dominés par les factions ou les initiatives individuelles, de nouveaux groupes tels que la Tanière des Lions à Naplouse, recrutés dans toutes les couches de la société et libérés des calculs politiciens des dirigeants établis, ont commencé à lancer des attaques régulières et croissantes contre l’armée d’occupation et les colons israéliens. Leurs activités leur ont valu non seulement une reconnaissance populaire, mais ont également inspiré l’émergence d’autres groupes militants locaux, tels que les Brigades (ou Bataillon) de Jénine. Au fil du temps, ces formations ont à la fois tissé des liens entre elles et avec des groupes paramilitaires affiliés à des organisations établies. 

Agissant en étroite collaboration avec Israël, l’[In]Autorité palestinienne ([I]AP) a intensément œuvré à éradiquer ces groupes. Mais, complètement émasculées par Israël et jamais déployées pour défendre les Palestiniens contre les raids nocturnes de l’armée israélienne ou les pogroms des colons, les forces de sécurité de l’[I]AP n’avaient ni la légitimité, ni l’assentiment de la population, ni souvent la motivation pour accomplir cette tâche. En 2004-2005, le refus catégorique d’Israël de coordonner son redéploiement à Gaza avec l’[I]AP a réduit cette dernière à l’insignifiance politique et a contribué à jeter les bases de la prise de pouvoir ultérieure du Hamas. En Cisjordanie, sa détermination à réduire l’[I]AP à un sous-traitant de l’occupation, associée à l’incapacité du chef de l’[I]AP, Mahmoud Abbas, à dépasser le rôle de collabo obéissant, a eu un impact similaire sur le sort de ceux qui donnaient la priorité à la défense armée de leur peuple.

Alors que les militants palestiniens menaient des attaques de plus en plus audacieuses en réponse aux empiètements incessants d’Israël sur leurs terres et leurs vies, Israël a mené une série d’incursions de plus en plus violentes dans les centres de population palestiniens pour les éliminer. Les forces d’occupation ne faisaient que rarement des prisonniers et tuaient régulièrement et sans discrimination des civils non combattants, tout en infligeant des destructions considérables.

Plusieurs facteurs ont conduit Israël à mettre en œuvre ses plans pour une démonstration de force massive à Jénine. Non seulement ses efforts intensifs dans la ville et son camp de réfugiés avaient rencontré beaucoup moins de succès qu’à Naplouse, mais les Brigades de Jénine et d’autres montraient des signes de sophistication croissante. Plus récemment, en juin de cette année, elles ont installé des bombes en bordure de route nouvellement conçues contre une unité israélienne qui avait envahi le camp de réfugiés de Jénine et immobilisé sept véhicules blindés israéliens, blessant au moins sept soldats. L’unité est restée bloquée pendant des heures et n’a pu être secourue que lorsque des hélicoptères Apache fournis par les USA ont lancé les premières frappes aériennes sur la Cisjordanie depuis deux décennies. Quelques jours plus tard, quatre Israéliens ont été abattus près de Ramallah par deux hommes armés affiliés au Hamas, en représailles au meurtre de sept Palestiniens et à la blessure d’une centaine d’autres lors du raid sur Jénine.

En Israël, la « dissuasion » a un statut sacré, et son application pratique – maintenir les Arabes à leur place – est une obsession depuis l’arrivée des premiers colons sionistes en Palestine à la fin du XIXe siècle. Sa désintégration visible en temps réel représentait un défi politique de taille pour le Premier ministre Benyamin Netanyahou : l’incapacité à assurer la sécurité du projet colonial israélien ne se traduirait pas seulement par un retournement décisif contre lui d’une population israélienne déjà en colère contre son programme législatif autocratique, mais aussi par l’implosion de sa coalition gouvernementale, sans laquelle sa capacité à échapper à une condamnation pour divers actes de corruption s’évaporerait. 

Le maintien de la dissuasion est également important pour les fascistes installés dans son cabinet, tels que le ministre des finances Bezalel Smotrich et le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. Eux-mêmes des colons fanatiques de Cisjordanie qui réclament sans cesse plus de sang palestinien, ils ont de plus en plus de mal à rejeter la responsabilité de la « détérioration de la situation sécuritaire » sur les Palestiniens ou les autres Israéliens. Compte tenu de leur rôle de premier plan au sein du gouvernement, leur démagogie n’a qu’une portée limitée et est de moins en moins payante.

La politique israélienne à l’égard du peuple palestinien est généralement le fruit d’un consensus institutionnel et d’une planification méticuleuse. Pourtant, à cette occasion, il est tout à fait possible que des considérations partisanes aient joué un rôle et que Netanyahou ait considéré l’assaut contre Jénine en partie comme un apaisement politique pour les partenaires de la coalition opposés à sa récente volonté de reporter certains éléments de son programme autocratique.

Quoi qu’il en soit, l’assaut contre Jénine fait en fin de compte partie intégrante d’un programme politique plus large, qui consiste à rendre la Cisjordanie sûre pour l’accélération rapide de la colonisation israélienne, conduisant finalement à une annexion formelle. Pour ce faire, Israël doit écraser non seulement la résistance des Palestiniens, mais aussi leurs aspirations nationales. Comme l’a formulé Netanyahou fin juin devant la commission des affaires étrangères et de la défense de son parlement, « Nous devons éliminer leurs aspirations à un État ». Ben-Gvir l’a exprimé ainsi : « La terre d’Israël doit être colonisée et.... une opération militaire doit être lancée. Démolissez les bâtiments, éliminez les terroristes. Pas un ou deux, mais des dizaines et des centaines, et même des milliers si nécessaire ». Dans le langage israélien, en particulier dans des cercles comme celui de Ben-Gvir, « terroriste » est un raccourci pour désigner le Palestinien, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un enfant, d’un civil ou d’un combattant.

La dernière invasion de Jénine a suivi un schéma prévisible. Des destructions énormes et délibérées, des tirs aveugles, l’utilisation de civils non-combattants comme boucliers humains, l’obstruction délibérée aux soins médicaux pour les blessés, le bombardement intensif d’un hôpital avec des gaz lacrymogènes et le déplacement forcé d’au moins 3 000 habitants. Cette opération a été menée par un millier de soldats d’élite, soutenus par quelque 150 chars et véhicules blindés et par une force aérienne.

Reste à savoir s’il s’agit d’un coup de massue qui sera suivi d’une série de raids moins importants, ou de la première étape d’une offensive plus vaste qui s’étendra à d’autres régions de Cisjordanie et potentiellement à la bande de Gaza. Quoi qu’il arrive, Israël proclamera sa victoire et affirmera qu’il a exécuté l’opération exactement comme prévu et sans le moindre accroc.

Ce que l’on peut d’ores et déjà confirmer, c’est qu’une fois de plus, il existe une forte divergence entre la communauté internationale et l’Occident. En tête de ce dernier, les USA, qui se sont empressés de proclamer qu’ils considéraient l’invasion par Israël d’un camp de réfugiés étrangers comme un acte de légitime défense qu’ils soutenaient pleinement, et de dénoncer comme « terroristes » ceux qui défendaient leur camp en ripostant à des tirs de soldats armés en uniforme. À Londres, le gouvernement et l’opposition ont réagi de manière unifiée aux derniers crimes d’Israël en adoptant une loi parlementaire qui rend illégal le boycott d’Israël ou de ses colonies illégales par les autorités locales. À Bruxelles, l’Union européenne est probablement en train de débattre des dernières touches d’une déclaration exprimant sa profonde inquiétude avant de commander une nouvelle enquête sur les manuels scolaires palestiniens [pour s’assurer qu’ils ne véhiculent pas d’idées de « haine » contre les Juifs – NdT].

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, n’est pas moins lâche. Avec le style d’un petit fonctionnaire du département d’État, il a une fois de plus ondulé à travers une série de platitudes pour éviter de condamner Israël pour des actions qu’il dénonce instantanément si elles sont commises ailleurs. Il convient de rappeler qu’à son poste précédent, M. Guterres a exercé deux mandats successifs en tant que Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et qu’il ne cesse de faire référence à cette décennie de sa carrière, au point que c’en est barbant. Pourtant, face au bombardement aérien d’un camp de réfugiés densément peuplé et au déplacement forcé de milliers de ses habitants, il n’a apparemment rien vu qui mérite d’être dénoncé.

 Osama Hajjaj