Jeremy Scahill & Jawa Ahmad, Drop Site News, 23/11/2025
Traduit par Tlaxcala
ملخص المقال باللغة العربية في نهاية الوثيقة
Resumen del artículo en español al final del documento
L’ONU vient d’apposer un sceau de légitimité sur le plan colonial du président Donald Trump pour Gaza. Dans ce reportage exclusif de Drop Site, des dirigeants de la résistance palestinienne évaluent l’état actuel de la guerre.
Introduction
Israël
poursuit le siège de Gaza malgré le « cessez-le-feu » officiellement entré en
vigueur le 10 octobre. Jour après jour, les forces israéliennes attaquent les
Palestiniens dans l’enclave, tuant plus de 340 personnes depuis que Donald
Trump a présenté son plan de « paix » comme un accomplissement monumental
ouvrant une nouvelle ère. La majorité des morts sont des femmes et des enfants.
Durant la
semaine écoulée, les forces israéliennes — qui occupent toujours plus de 50 %
du territoire de Gaza — ont avancé encore davantage au-delà de la « ligne jaune
». Israël menace de reprendre son siège total si le Hamas ne désarme pas et ne
se rend pas. L’État israélien refuse par ailleurs d’autoriser l’entrée des
quantités de nourriture, de médicaments et de produits essentiels convenues
dans l’accord.
Le 17
novembre, dans un geste sans précédent, le Conseil de sécurité des Nations
unies a approuvé le plan néocolonial de Trump pour Gaza, incluant le
déploiement d’une force internationale qui n’opérerait pas sous commandement
onusien, mais sous la direction d’un conseil privé contrôlé par Trump. Selon ce
dernier, cette force serait chargée de désarmer la résistance palestinienne et
de démilitariser Gaza, afin de priver le peuple palestinien de son droit à
l’autodéfense.
Dans le
cadre de la série de Drop Site consacrée à la résistance palestinienne
depuis le 7 octobre, des responsables de haut rang du Hamas et du Jihad
islamique analysent le chemin qui a mené à la situation actuelle. Nous avons
mené une série d’entretiens en personne avec ces dirigeants, qui y décrivent
les événements ayant précédé l’accord de cessez-le-feu d’octobre, leur position
sur le désarmement et sur le plan Trump, ainsi que leur vision de la lutte
actuelle pour la libération nationale palestinienne.
Ce rapport
de Jeremy Scahill et Jawa Ahmad est long et détaillé, mais nous pensons qu'il
vaut vraiment la peine d'être lu.
L’incapacité
de la plupart des médias occidentaux à relayer la perspective de la résistance
palestinienne constitue une faute professionnelle et nuit profondément à la
compréhension du public.
Des membres des Brigades Al-Qassam du Hamas près de la rue Bagdad, dans la ville de Gaza, le 5 novembre 2025. Photo Hamza Z. H. Qraiqea / Anadolu via Getty Images.
La frappe de Doha
Peu après
15h46, heure de Doha, le 9 septembre, Osama Hamdan — un dirigeant de haut rang
du Hamas — reçut l’appel d’un journaliste lui demandant s’il avait entendu
parler d’une explosion qui venait de secouer la capitale qatarie. Hamdan se
trouvait alors à une réunion, à l’autre bout de la ville, loin des bureaux du
mouvement islamique de résistance, situés dans le quartier huppé de Legtaifiya,
rue Wadi Rawdan. Il n’avait entendu aucun bruit.
« Il y a eu
une explosion à Doha », se souvient-il que le journaliste lui a dit. « Je crois
que vos gens ont été ciblés. »
Hamdan commença à appeler d’autres responsables du Hamas. « Personne ne
répondait. Tous les téléphones étaient hors service », se remémore-t-il. « Au
bout de cinq minutes environ, un des frères est venu me voir et m’a dit : “Il y
a eu une frappe aérienne contre le bureau.” »
La
tentative d’assassinat à Doha et le récit d’Osama Hamdan
Alors qu’il
se rendait sur les lieux, Hamdan apprit par les médias que des responsables
israéliens confirmaient une série de frappes visant à assassiner plusieurs
dirigeants de haut rang du Hamas.
L’armée israélienne déclara que les membres de la direction visés « dirigeaient
depuis des années les activités terroristes », qu’ils avaient « planifié et
supervisé le massacre du 7 octobre » et « dirigeaient la guerre contre Israël
».
Selon
Israël, la frappe avait pour objectif d’assassiner le chef du Hamas à Gaza, le
Dr Khalil Al-Hayya. « Nous attendons de voir les résultats », déclara un responsable israélien.
Au moment
des frappes, Benyamin Netanyahou participait à un événement organisé par
l’ambassade usaméricaine à Jérusalem.
Il s’en vanta immédiatement : « Au début de la guerre, j’ai promis qu’Israël
atteindrait ceux qui ont perpétré cette horreur. Aujourd’hui, c’est fait. »
Ces frappes
israéliennes représentaient une escalade spectaculaire, d’autant qu’elles
furent menées sur le territoire du Qatar, pays allié des USA, qui abrite le
CENTCOM, l’un des principaux centres névralgiques militaires USaméricains au
Moyen-Orient.
Les bureaux
du Hamas à Doha avaient été établis en 2011 à la demande directe du
gouvernement usaméricain, précisément afin de maintenir une voie de
communication diplomatique ouverte avec le mouvement. Le Qatar, avec l’Égypte,
joue depuis longtemps un rôle crucial de médiateur dans les conflits et
négociations régionales.
Pour Hamdan,
l’objectif israélien était clair : « C’était un message politique évident :
Netanyahou ne voulait ni cessez-le-feu ni solution.
Il voulait éliminer la délégation qui négociait. En frappant au Qatar, il a
montré qu’il ne respectait même pas ceux qui cherchent à obtenir un accord. »
Désinformation et bilan humain
Quelques
minutes après les frappes, les réseaux sociaux furent inondés de comptes
pro-israéliens affirmant que : Khalil Al-Hayya avait été tué, ainsi que Khaled
Mechaal et Zaher Jabbarin.
Netanyahou
se félicita publiquement de frappes visant « les chefs terroristes du Hamas ».
Mais Hamdan découvrit rapidement qu’aucun dirigeant majeur n’avait été tué. « Ils ont concentré les frappes sur l’endroit où ils pensaient que la réunion se tenait », explique-t-il. « Mais ils ont échoué. »
En
réalité, les frappes tuèrent Hammam Al-Hayya, fils du Dr Khalil Al-Hayya, son
secrétaire personnel, trois assistants et gardes du corps ainsi qu’un officier
de sécurité qatari.
L’armée
israélienne tira entre 10 et 12 missiles sur le complexe, détruisant les
bureaux administratifs et l’appartement de la famille Al-Hayya. L’épouse du dirigeant, sa belle-fille et ses petits-enfants furent blessés.
Hamdan dut
annoncer lui-même la mort de son fils à Al-Hayya. Ce dernier, qui avait déjà
perdu un autre fils — Osama — tué dans une frappe israélienne en 2014, a perdu
de nombreux membres de sa famille dans le génocide en cours.
Dans une
déclaration publique empreinte de dignité, Al-Hayya affirma ensuite : « La
douleur de perdre mon fils, mon compagnon, le directeur de mon bureau et les
jeunes autour de moi, c’est une douleur immense. Nous ne sommes pas faits de fer ou de pierre. Nous pleurons nos martyrs, nos familles, nos frères. Mais ce que je vois chaque
jour — les tueries, la tyrannie, les assassinats, la destruction à Gaza — me
fait oublier ma douleur personnelle. Parce que je sens qu’ils sont tous comme mes propres enfants. »
Une
frappe motivée par les négociations
Bien
qu’Israël justifie publiquement la frappe de Doha au nom du 7 octobre, la
réalité était toute autre : Il s’agissait d’éliminer l’équipe de négociation du
Hamas au moment exact où elle examinait une nouvelle proposition usaméricaine.
Dans les
jours précédant les frappes, l’administration Trump avait transmis au Hamas,
via les médiateurs qataris, un texte présenté comme une nouvelle initiative de
cessez-le-feu.
Ce document exigeait notamment la remise immédiate de tous les captifs
israéliens — vivants et morts — détenus à Gaza.
Du
point de vue du Hamas, cette “offre” ressemblait à un piège : elle était vague,
elle n’engageait pas clairement Israël à mettre fin au génocide, elle ne
garantissait aucune levée du siège ou retrait militaire.
Le Hamas se
souvenait aussi qu’en mai, Trump avait renié une promesse similaire faite lors
d’un échange visant à libérer le soldat usaméricano-israélien Edan Alexander.
Funérailles
à Doha
Les
funérailles furent organisées dès le lendemain, dans la capitale qatarie. Elles
rassemblèrent une foule nombreuse : diplomates, responsables politiques,
membres de la diaspora palestinienne, journalistes, et figures du mouvement
national.
Le cercueil
du fils de Khalil Al-Hayya — Hammam — fut porté en tête du cortège, suivi de
ceux des quatre membres du Hamas tués dans la frappe, ainsi que celui de
l’officier de police qatari. Les dirigeants du Hamas, visiblement éprouvés,
prononcèrent des discours de deuil et de résilience.
Ils insistèrent sur le fait que l’attaque ne briserait pas la volonté
palestinienne de poursuivre les efforts diplomatiques pour mettre fin à la
guerre — malgré l’évidence que l’objectif israélien était précisément
d’éliminer la délégation chargée de négocier.
Le Hamas
avait accepté un accord avant les frappes israéliennes
Le 18 août —
soit trois semaines avant la tentative d’assassinat de Doha — les factions
palestiniennes avaient déjà accepté un accord de cessez-le-feu élaboré par les USA
et Israël.
Cet accord,
appelé “cadre Witkoff”, du nom de l’émissaire spécial usaméricain Steve
Witkoff, comportait 13 points. Il incluait :
- un cessez-le-feu de
60 jours,
- la reprise de l’aide
humanitaire,
- la libération de la
moitié des captifs israéliens, vivants ou morts,
- la possibilité de
prolonger la trêve pendant que les négociations se poursuivaient.
Pour les dirigeants palestiniens, il s’agissait d’un compromis difficile, mais acceptable, afin de stopper l’hécatombe à Gaza. Mohammad Al-Hindi, chef de la délégation du Jihad islamique, raconte : « Trump pensait que le Hamas ne remettrait jamais vingt captifs d’un seul coup. Nous avons consulté toutes les factions et décidé d’accepter l’accord Witkoff. »
Des
concessions palestiniennes majeures
Dans
l’accord du 18 août, les Palestiniens avaient accepté :
- la libération
immédiate de huit captifs le premier jour,
- l’absence de
calendrier clair pour le retrait israélien du corridor de Philadelphie,
- une zone tampon
israélienne plus profonde que ce qu’ils avaient exigé,
- la possibilité d’un
accord même sans garantie que la guerre cesserait complètement.
Selon un
haut responsable qatari, le Hamas avait accepté 98 % de ce que les USA et
Israël réclamaient.
Pourtant…
Israël ne
répondit jamais. Les USA firent porter la faute au Hamas
Lorsque les
Palestiniens annoncèrent qu’ils acceptaient l’accord, Israël ne donna aucune
réponse officielle.
Au lieu de
cela :
- les responsables usaméricains
déclarèrent que le Hamas bloquait les négociations,
- l’armée israélienne accéléra
les bombardements,
- Israël annonça une nouvelle
offensive terrestre imminente,
- les médias israéliens
affirmèrent que les Palestiniens « refusaient la paix ».
Al-Hindi : « Ils ont donné à Israël une excuse pour intensifier les frappes et prétendre que nous refusions un accord — alors que nous l’avions accepté. »


