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31/08/2024

HANNA ALSHAYKH
Comment fonctionne la direction du Hamas ? Il faut en finir avec les bobards des médias dominants

Les médias et leurs sources ont mal compris le fonctionnement de la direction du Hamas, en établissant des schémas binaires simplistes entre le « modéré » Ismail Haniyeh et l’« extrémiste » Yahya Sinwar. En réalité, le processus décisionnel du Hamas est beaucoup plus institutionnalisé.

Hanna Alshaikh, Mondoweiss, 30/8/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Hanna Alshaikh (1993), est née à Chicago dans une famille originaire du village palestinien de Yalu, près de Latroun, nettoyé ethniquement partiellement en 1948 et entièrement en 1967, les sionistes le rasant entièrement. Elle est chercheuse en histoire intellectuelle arabe et palestinienne dans le cadre du programme de doctorat conjoint d’histoire et d’études du Moyen-Orient de l’Université de Harvard (Cambridge, USA). Ses recherches portent sur le rôle de la diaspora palestinienne dans le discours politique du monde arabe, et plus particulièrement sur les Palestiniens des USA et leur participation transnationale à la formation du mouvement national palestinien. Son travail se situe à l’intersection de l’histoire intellectuelle arabe et palestinienne, de l’histoire des activistes, des études sur la diaspora, des études arabo-usaméricaines et de l’histoire des mouvements sociaux usaméricains. Hanna est titulaire d’une maîtrise du Center for Middle Eastern Studies de l’université de Chicago, où elle a rédigé un mémoire sur l’histoire sociale palestinienne à la fin de la période ottomane. Auparavant, Hanna était professeure adjoint d’études religieuses à l’université DePaul (Chicago), où elle a donné un cours sur l’islam et un cours sur la religion et la politique au Moyen-Orient. Elle est aussi la coordinatrice du projet Palestine à l’Arab Center Washington DC. @yalawiya

Après l’assassinat à Téhéran d’Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, l’organe consultatif suprême du mouvement, le conseil de la Choura, a rapidement et unanimement choisi Yahya Sinwar pour lui succéder. Au moment de son assassinat, Haniyeh dirigeait les efforts du Hamas dans les négociations de cessez-le-feu avec les médiateurs, et de nombreux analystes ont affirmé que l’ascension de Sinwar marquait une rupture totale avec les politiques de Haniyeh et d’autres membres importants du bureau politique.

Une grande partie de cette analyse est mal informée.

Elle trahit une compréhension superficielle non seulement des dirigeants du Mouvement de résistance islamique (Hamas), mais aussi du Mouvement plus large dans son ensemble. L’hypothèse selon laquelle le leadership de Sinwar constitue une rupture avec le passé suit une tendance de l’analyse occidentale à considérer les dirigeants palestiniens à travers des couples binaires vagues et simplistes tels que « faucon contre colombe » ou « modéré contre partisan de la ligne dure ». Ces étiquettes cachent plus qu’elles ne révèlent.

Yahya Sinwar (à droite) et Ismail Haniyeh (à gauche) assistant aux funérailles d’un responsable du Hamas, Mazen Foqaha, dans la ville de Gaza, le 25 mars 2017. Photo : Ashraf Amra/APA Images

La fixation sensationnaliste sur la psychologie de Yahya Sinwar ne fait qu’aggraver ce défaut d’analyse. Cette approche réduit la complexité de la politique à des personnalités et suppose que la prise de décision du Hamas est largement dictée par la personnalité plutôt que le produit de débats internes et d’élections robustes, de délibérations et de consultations complexes et d’une responsabilité institutionnelle.

Malgré ces failles dans la conversation générale, il est néanmoins intéressant d’explorer la mesure dans laquelle le mandat de Sinwar sera différent de celui de Haniyeh à la tête du Bureau politique. S’agit-il d’un signe de rupture ?

Défier l’isolement

Pour évaluer la question de la rupture, il convient d’examiner certains parallèles dans les trajectoires de Haniyeh et de Sinwar. Au niveau le plus évident, chacun d’entre eux a fini par devenir le chef de la direction de Gaza, puis le chef du bureau politique du Hamas. Nés dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza au début des années 1960, Haniyeh et Sinwar sont entrés dans le monde en tant que réfugiés, ce qui impliquait une existence fondée sur l’exclusion, la dépossession et la marginalisation. Au mépris de ces conditions, les deux dirigeants ont rejoint le mouvement islamique à Gaza et se sont retrouvés encore plus isolés et disloqués : Haniyeh a été exilé dans la ville libanaise de Marj al-Zouhour en 1992, et Sinwar a été emprisonné en 1988 et condamné à une quadruple peine de prison à vie l’année suivante. Ces difficultés n’ont pas empêché ces deux dirigeants de développer non seulement leurs propres connaissances politiques, mais aussi de jouer un rôle dans le développement du Hamas lui-même.

Dans les conditions difficiles de son exil à Marj al-Zouhour, Haniyeh a acquis de l’expérience dans la coordination des efforts avec les Palestiniens en dehors du Hamas, dans le renforcement des liens avec le Hezbollah et dans l’engagement avec les États arabes et la communauté internationale - ce qui a abouti à l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant leur retour, qu’ils ont pu obtenir un an plus tard. Cette expérience de la diplomatie et de la négociation avec les groupes palestiniens suivra Haniyeh plus tard dans sa carrière. En 2006, Haniyeh est devenu le premier Premier ministre palestinien démocratiquement élu. Alors que la mise en échec de ce gouvernement d’unité palestinienne a conduit à des combats brutaux entre factions et au début du blocus israélien de Gaza, il a passé des années à travailler à la réconciliation et à l’unité nationales, en plus de ses efforts sur le plan diplomatique.


Yahya Sinwar (à gauche), Ismail Haniyeh (au milieu) et Khalil al-Hayya (à droite) arrivent du côté palestinien du poste-frontière de Rafah, le 19 septembre 2017, avant de recevoir un gouvernement d’unité palestinienne. Photo : Yasser Qudih/APA Images

Depuis sa prison, Sinwar a continué à développer les capacités de contre-espionnage du Mouvement, un processus qu’il a entamé avec la création de l’« Organisation de sécurité et de sensibilisation » connue sous le nom de « Majd » en 1985, dans le but de fournir une formation en matière de sécurité et de contre-espionnage et d’identifier les collaborateurs présumés. Lorsque Sinwar est arrêté en 1988, un mois seulement après le début de la première Intifada, il est accusé d’avoir exécuté douze collaborateurs. En tant que prisonnier, Sinwar a poursuivi ses efforts pour renforcer le contre-espionnage du mouvement et investir dans les capacités des prisonniers palestiniens. Il parle couramment l’hébreu et est un lecteur passionné. Cette expertise a eu un impact sur le développement du Mouvement au fil du temps et a contribué à consolider la place de Sinwar en tant qu’autorité du Mouvement en prison.

Un chapitre important et plus connu de l’expérience politique de Sinwar est le rôle clé qu’il a joué dans les négociations qui ont conduit à la libération de plus de 1 000 prisonniers palestiniens en 2011, dont Sinwar lui-même, en échange de Gilad Shalit, un soldat israélien capturé par des combattants des Brigades Ezzeddine Al Qassam en 2006. Un aspect moins connu du temps passé par Sinwar en prison est l’habileté avec laquelle il s’est engagé et a rallié les Palestiniens au-delà des lignes de faction dans le cadre des grèves et des manifestations dans les prisons. Immédiatement après sa libération, il a été en mesure d’utiliser ces compétences pour créer un effet de levier auprès d’Israël et trouver des points d’unité avec les Palestiniens d’autres factions.

Négociations après la prison

Peu après son retour à Gaza, Sinwar a été élu au bureau politique du Hamas en 2012. En 2017, il a été élu à la tête de la direction du Hamas à Gaza, succédant à Ismail Haniyeh. Les premières années de Sinwar à Gaza sont souvent évoquées comme une période au cours de laquelle le Hamas a resserré les rangs en interne et s’est engagé dans des campagnes publiques contre la collaboration avec Israël, bien que sous une forme assez différente des premiers jours du Majd.

Moins sensationnel et moins propice aux histoires dramatiques, Sinwar s’est également engagé dans plusieurs négociations complexes qui ont changé la trajectoire du mouvement en tant que chef de la direction basée à Gaza.

Dix ans après le début du blocus israélien sur Gaza, les luttes quotidiennes de deux millions de Palestiniens étaient sur le point d’empirer en 2017, lorsqu’une série de décisions de Mahmoud Abbas a intensifié l’impact économique de l’isolement de Gaza. En mars 2017, l’Autorité palestinienne (AP) basée à Ramallah a réduit les salaires des employés de l’AP à Gaza jusqu’à 30 %, et en juin, les salaires des prisonniers palestiniens « déportés » à Gaza en 2011 ont été complètement supprimés. Ensuite, dans un geste controversé considéré comme une mesure de punition collective, Abbas a effectivement coupé l’approvisionnement en carburant de Gaza en annulant une exonération fiscale, provoquant une crise énergétique qui a réduit l’approvisionnement en électricité disponible pour les Palestiniens de Gaza d’environ huit à quatre heures par jour. Par la suite, la seule centrale électrique de Gaza a été contrainte de fermer.

Dans un geste qui a pris de nombreux observateurs par surprise, Sinwar a conclu un accord avec l’ancien chef des forces de sécurité préventive de l’Autorité palestinienne, Mohamed Dahlan, pour faire face aux crises provoquées par les changements de politique de Ramallah. Dahlan, comme Sinwar, est né dans le camp de réfugiés de Khan Younès, est devenu un dirigeant clé du Fatah jusqu’à ce qu’il se brouille avec la direction du parti en 2011, et s’est ensuite installé aux Émirats arabes unis. L’idée d’un accord entre le Hamas et l’homme qui a mis en œuvre les souhaits de l’administration Bush de perturber le gouvernement d’unité palestinienne dirigé par le Premier ministre récemment élu, Haniyeh, était inconcevable au début de la scission entre Gaza et la Cisjordanie, il y a dix ans. Les questions intérieures et régionales exigeaient cependant que les dirigeants du Mouvement s’adaptent, et Sinwar était prêt à discuter.

L’accord Hamas-Dahlan a connu un succès limité, mais il a mis en évidence deux aspects essentiels du mandat de Sinwar à la tête de la bande de Gaza : aplanir les divergences avec d’autres segments de la politique et de la société palestiniennes et équilibrer les relations extérieures dans un nouveau paysage régional. Plus précisément, grâce à ses liens étroits avec les gouvernements des Émirats arabes unis et de l’Égypte, Dahlan a obtenu l’entrée de carburant par le point de passage de Rafah. Ce point est important, car les relations entre l’Égypte et le Hamas étaient les plus tendues au début du premier mandat de Sinwar à la tête de la bande de Gaza.


Yahya Sinwar avec des partisans alors qu’il visite le quartier d’Al Rimal dans la ville de Gaza, le 26 mai 2021. Photo : Ashraf Amra/APA Images

Au fil du temps, Sinwar a pu continuer à apaiser les tensions avec l’Égypte dans les mois et les années qui ont suivi. En s’appuyant sur les mobilisations populaires palestiniennes indépendantes connues sous le nom de Grande Marche du retour (2018-19) et sur une tentative ratée du Mossad d’infiltrer et de placer des équipements de surveillance à Gaza en novembre 2018, la direction du Hamas a obtenu un certain nombre de concessions qui ont atténué l’impact du blocus israélien sur Gaza, notamment l’assouplissement des restrictions sur les déplacements au point de passage de Rafah avec l’Égypte, l’augmentation du nombre de camions transportant des marchandises et de l’aide entrant quotidiennement à Gaza, et de l’argent liquide pour payer les salaires des fonctionnaires.

Il est largement reconnu que Sinwar a joué un rôle majeur dans l’amélioration des relations du Hamas avec les autres composantes de l’« axe de la résistance » après que la direction du Hamas a quitté Damas en 2012 au milieu du soulèvement et de la guerre civile en Syrie. Le rôle de Sinwar dans l’amélioration et la renégociation des conditions des relations du Hamas avec d’autres acteurs régionaux en dehors de ses alliances étroites n’est pas aussi largement reconnu. L’accent mis sur ses liens avec l’« axe » limite la discussion sur le leadership de Sinwar à l’intérieur d’un certain courant idéologique, mais sa volonté de négocier signale une approche plus sophistiquée de l’équilibre des pouvoirs régionaux que ces étiquettes arbitraires ne le permettent.

Sinwar et ses prédécesseurs

Deux concepts opérationnels du lexique politique du Hamas - l’accumulation et la consultation - sont essentiels pour comprendre le fonctionnement du mouvement et de ses dirigeants. Toute compréhension du Mouvement en général, ou du règne de Sinwar sur Gaza en particulier, doit prendre en compte ces composantes indispensables du dynamisme institutionnel et du pouvoir en constante évolution du Hamas.

L’accumulation est couramment utilisée pour décrire les avancées militaires au fil du temps. Il est également utile de considérer l’accumulation en termes de compétences et d’expérience politiques que les dirigeants du Hamas apportent à la table pour gérer les questions difficiles de la gouvernance sous blocus, de la satisfaction des besoins humanitaires sous le siège, des moments d’isolement régional, des moments de construction et d’étalonnage d’alliances régionales et de la réconciliation nationale avec d’autres factions palestiniennes. Poser les bases des succès politiques et de l’accumulation militaire se prête plus souvent à la continuité qu’à la rupture.

La consultation décrit les meilleures pratiques et structures au sein du Hamas. Le mouvement dispose d’organes consultatifs à différents niveaux qui fonctionnent comme des structures de responsabilité et de conseil pour la direction politique. Les membres sont élus et représentent les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, de la diaspora et des prisons. L’organe consultatif de haut niveau, le Conseil général de la Choura, nomme les membres d’un organe indépendant qui coordonne et supervise les élections du Bureau politique afin de garantir la transparence. Bien que peu d’informations sur ces structures soient rendues publiques, un scénario d’urgence comme l’assassinat d’Ismail Haniyeh a révélé que le Conseil général de la Choura pouvait nommer un successeur dans des circonstances exceptionnelles (Sinwar a été choisi à l’unanimité).

La pratique et la structure de la consultation ne se limitent pas à l’aile politique du Hamas. L’aile militaire du mouvement, les Brigades Al Qassam, dispose également de procédures de consultation - en fait, Sinwar a joué le rôle de coordinateur entre l’aile militaire et l’aile politique après avoir rejoint le Bureau politique. Zaher Jabareen, qui a créé les Brigades Qassam dans le nord de la Cisjordanie, a expliqué que les récits sur la centralisation de l’appareil Majd sont inexacts, car les décisions concernant les suspects ne sont pas entre les mains d’une seule personne - elles font l’objet de procédures en plusieurs étapes, ainsi que d’enquêtes supplémentaires menées par un « appareil professionnel » distinct. Jabareen a fait remarquer qu’il existe de sérieuses mesures de responsabilisation en cas de mauvaise gestion d’une affaire par le personnel de sécurité.

Suivant cette même dynamique, lorsqu’un dirigeant comme Sinwar ou Haniyeh prend une décision majeure, non seulement il y parvient après avoir consulté des personnalités expérimentées, mais il est également responsable devant les groupes d’intérêt au sein du mouvement ou de la société en général qui font pression sur lui pour qu’il prenne des mesures. En tant que chefs de la direction et du bureau politique de Gaza, Sinwar et Haniyeh ont travaillé ensemble et ont souvent participé à des réunions publiques avec divers groupes d’intérêt afin de les rallier à la réconciliation nationale. Pour eux, la réconciliation nationale ne consistait pas seulement à faire amende honorable auprès du Fatah et à unir le corps politique palestinien, mais aussi à combler d’autres formes de fossés politiques, ainsi qu’à résoudre les problèmes sociaux et socio-économiques de la bande de Gaza. Tout cela pour se préparer à la bataille à venir, pour accumuler la force militaire nécessaire, le soutien populaire et l’unité politique. Il semble que la consultation se fasse à la fois du haut vers le bas et du bas vers le haut.

Les déclarations de Sinwar et de deux de ses prédécesseurs montrent comment l’accumulation de forces et de réalisations a favorisé la continuité entre chaque nouvelle ère. Khaled Meshaal a exposé les priorités de son dernier mandat lors d’une interview en mai 2013 : la résistance ; le centrage de Jérusalem comme cœur de la cause palestinienne ; la libération des prisonniers ; la lutte pour le droit au retour et la promotion du rôle de la diaspora dans la lutte ; la réconciliation nationale entre les factions palestiniennes qui unit et rassemble le corps politique palestinien autour de la résistance ; l’engagement de la nation arabe et islamique ; l’engagement de la communauté internationale aux niveaux populaire et officiel ; et le renforcement des institutions internes du Hamas, l’extension de son pouvoir et l’ouverture du mouvement vers d’autres formations palestiniennes, et vers d’autres Arabes et Musulmans en général.

La remarque de Meshaal concernant les prisonniers est remarquable. Il les a décrits comme la « fierté de notre peuple ». Lorsqu’on lui a demandé des détails sur le plan visant à garantir leur liberté et s’il impliquait la capture d’autres soldats israéliens, Meshaal a refusé de s’étendre sur le sujet. Deux mois plus tard, le renversement du gouvernement Morsi en Égypte allait complètement changer la formule des opérations du Hamas, ce qui a probablement entraîné un recalibrage de la direction du Bureau politique. Malgré les défis que cela représentait pour le Hamas, juste un an plus tard, lors de la guerre israélienne de 51 jours contre Gaza en 2014, des combattants de Qassam ont pénétré en Israël, visant ses bases militaires à au moins cinq reprises, et ont capturé les corps de deux soldats au cours de la guerre. Aujourd’hui, cette accumulation et cette continuité se retrouvent dans les déclarations des dirigeants du Hamas qui expliquent que l’objectif de l’opération du 7 octobre était de capturer des soldats israéliens en vue d’un échange de prisonniers.

Au début du dernier mandat de Meshaal, lui et Haniyeh ont publiquement rejeté les rumeurs de tensions entre eux. Ces rumeurs ont persisté tout au long des années, sans que l’on accorde suffisamment d’attention aux messages cohérents de chaque dirigeant, qui indiquent des priorités communes.

La vision, les messages et les priorités partagés se sont poursuivis avec Haniyeh à la tête du Bureau politique. Après la guerre israélienne de 2021 contre Gaza, surnommée « la bataille de l’épée de Jérusalem » par les Palestiniens - qui a coïncidé avec un soulèvement palestinien connu sous le nom d’« Intifada de l’unité », qui s’est étendu de Jérusalem à la Cisjordanie, aux citoyens palestiniens d’Israël et aux communautés de réfugiés palestiniens au Liban et en Jordanie - Ismail Haniyeh a prononcé un discours de victoire qui souligne le rôle central de la continuité et de l’accumulation au sein du Mouvement.

Haniyeh a qualifié la bataille de « victoire stratégique » et a déclaré que la suite « ne ressemblera pas à ce qui l’a précédée », ajoutant qu’il s’agit d’une « victoire divine, d’une victoire stratégique, d’une victoire complexe » au niveau de la scène nationale palestinienne, de la nation arabe et islamique, au niveau des masses mondiales et au niveau de la communauté internationale. Le discours a mis l’accent sur l’accumulation des forces et l’engagement envers les priorités et les efforts des époques précédentes du Mouvement qui ont permis d’aboutir à cette victoire. Il préfigurait également les changements majeurs à venir.

Dans la période précédant le 7 octobre, Sinwar a prononcé un discours dans lequel il déclarait :

« Dans une période limitée de quelques mois, que j’estime ne pas devoir dépasser un an, nous forcerons l’occupation à faire face à deux options : soit nous la forçons à appliquer le droit international, à respecter les résolutions internationales, à se retirer de la Cisjordanie et de Jérusalem, à démanteler les colonies, à libérer les prisonniers et à assurer le retour des réfugiés, pour parvenir à la création d’un État palestinien sur les terres occupées en 1967, y compris Jérusalem ; soit nous plaçons cette occupation dans un état de contradiction et de collision avec l’ensemble de l’ordre international, nous l’isolons de manière extrême et puissante, et nous mettons fin à son intégration dans la région et dans le monde entier, en nous attaquant à l’état d’effondrement qui s’est produit sur tous les fronts de la résistance au cours des dernières années ». »

Dans ce contexte, il convient de se demander si Sinwar est vraiment aussi imprévisible que le prétendent les experts. Ses déclarations remettent également en question la présentation de l’ascension de Sinwar comme une rupture totale avec le passé du mouvement.


Yahya Sinwar (à droite) et Ismail Haniyeh (à gauche) assistent à un service commémoratif pour le représentant du Hamas Mazen Foqaha, qui a été abattu par des tireurs inconnus, dans la ville de Gaza, le 27 mars 2017. Photo : Ashraf Amra/APA Images

Le Hamas en tant que médiateur

La personnalité de Yahya Sinwar a fait l’objet d’un sensationnalisme dans les médias occidentaux (et même arabes). D’une manière générale, ces discussions sur le Hamas ont souvent été basées sur des rumeurs, des insinuations et des affirmations non fondées qui tendent à souligner les désaccords entre les segments de sa direction, étiquetant les dirigeants selon des lignes telles que « les modérés qui favorisent la diplomatie et les négociations » par rapport aux « faucons militants ». En examinant certains aspects des carrières de Sinwar et de Haniyeh, il devrait apparaître plus clairement que si les personnalités et les spécificités du parcours de chaque dirigeant ont un impact sur leur prise de décision, ce n’est qu’une partie de la manière dont ces dirigeants, et le Mouvement dans son ensemble, prennent des décisions.

Au fil des ans, le Hamas a démontré sa capacité à tirer parti de la diversité des parcours de ses dirigeants pour renforcer ses capacités sur les fronts militaire, politique, diplomatique et populaire. Enraciné dans les principes de consultation et d’accumulation, le Hamas est à la fois un mouvement horizontal et un mouvement d’institutions. Des institutions efficaces telles que le Conseil de la Choura ont aidé le mouvement à traverser des moments d’incertitude, comme l’assassinat d’Ismail Haniyeh.

Il s’agit là du dernier exemple en date de la démonstration par le Hamas de niveaux inégalés de dynamisme et de flexibilité institutionnels par rapport à l’histoire du renforcement des institutions au sein des factions palestiniennes.

Dans ce contexte, ce qui pourrait apparaître comme des différences importantes entre les dirigeants peut devenir une source de force pour le mouvement, lui permettant de trouver un équilibre entre les demandes parfois contradictoires de divers groupes, en particulier lorsqu’il prend des décisions dans un contexte de haute surveillance, de menace constante d’assassinat et d’emprisonnement de ses dirigeants, et d’attaques permanentes contre ses structures et ses institutions.

Il ne s’agit pas de nier qu’il existe parfois des désaccords entre les dirigeants du mouvement. Ce facteur est en jeu depuis la fondation de l’organisation en 1987. Cependant, le Hamas est aussi un mouvement d’institutions, de procédures et de mécanismes de responsabilité. La règle générale a été la consultation, l’accumulation et l’équilibre entre les besoins des différents groupes d’intérêt. La preuve en a été donnée publiquement et de manière cohérente dans les messages des dirigeants de l’organisation, non seulement tout au long de la guerre génocidaire en cours, mais tout au long de ses 37 ans d’histoire.

À la suite de l’opération « Déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre 2023 et du génocide qui s’en est suivi à Gaza, de nouvelles questions ont été soulevées au sujet du Hamas en général et de la personnalité de Yahya Sinwar en particulier. Nombreux sont ceux qui considèrent encore Sinwar comme le cerveau imprévisible de l’opération, insistant sur un récit dans lequel Sinwar aurait eu à lui seul le pouvoir de mener une opération sans précédent contre Israël, avec toutes les implications locales, régionales et internationales complexes qui résulteraient d’un tel événement. Il ne s’agit pas de rendre service au Hamas, ni de rejeter la faute sur une « pomme pourrie » pour permettre le retour d’un Hamas « démilitarisé » à la tête de l’État. Pour certains experts autoproclamés, l’utilisation de cette explication découle d’une compréhension superficielle du mouvement. Pour d’autres, il s’agit de couvrir Israël pour ses échecs militaires au cas où il capturerait Sinwar et de substituer cela à la « victoire totale ». Si Sinwar est le Hamas et si le Hamas est Sinwar, l’élimination de l’un mettrait fin à l’autre.

En réalité, ce que nous pensons savoir de la planification et de l’exécution de l’offensive du 7 octobre - et des opérations ultérieures du Hamas face à la guerre génocidaire d’Israël - n’est probablement qu’une goutte d’eau dans l’océan. Mais les éléments accessibles au public dont nous disposons nous indiquent que Yahya Sinwar n’est pas si imprévisible que cela. À l’instar de ses prédécesseurs, il s’est montré très ouvert et clair sur la direction que prenait l’organisation. Les signes étaient partout depuis au moins deux ans, tant au niveau officiel qu’au niveau de la base. Les grandes puissances ont été choquées parce qu’elles ont sous-estimé et ignoré le mouvement, et non parce qu’elles ont été trompées. Le récit autour de Sinwar fournit également une couverture aux « experts » pour expliquer leur connaissance superficielle du mouvement, au mieux, ou leur analyse fallacieuse, au pire.

Ce que les analystes auraient dû savoir, c’est que le Hamas est un mouvement d’institutions et que, comme tout autre mouvement de masse, il rassemble différents courants et orientations politiques qui peuvent être en désaccord sur la tactique, mais pas sur la stratégie. La règle de l’organisation a été celle de la continuité malgré la fragmentation géographique et les différentes écoles de pensée sur la façon d’aller de l’avant. Il y a eu des moments de débats acharnés et de désaccords publics, mais ils ne sont pas secrets et se déroulent parfois dans des lieux publics. Cela correspond à la dynamique d’une organisation dont les élections internes sont robustes et concurrentielles.


Ismail Haniyeh assiste aux funérailles du prisonnier libéré Majdi Hammad dans le nord de la bande de Gaza, le 19 mars 2014. Majdi, le frère du ministre palestinien de l’intérieur de la bande de Gaza, Fathi Hammad, était l’un des prisonniers libérés dans le cadre de l’accord d’échange de prisonniers Gilad Shalit entre le Hamas et Israël. Photo : Mohammed Asad/APA Images

Les informations attribuées à des « sources anonymes proches du Hamas » sur les désaccords internes au sein du Hamas ou sur la restructuration du mouvement par Sinwar sont très peu étayées. Il est possible que les opérations du mouvement changent en raison de la guerre en cours et que ses institutions se transforment en conséquence. Toutefois, tant que des preuves tangibles ne seront pas disponibles, les analystes seraient bien avisés de fonder leurs réflexions sur les nombreux écrits, discours et interviews qui mettent en lumière des aspects inutilement mystifiés du Hamas et de ses dirigeants. Il n’existe aucune preuve crédible suggérant que Sinwar ait totalement remanié la structure du mouvement et centralisé le pouvoir autour de sa personne. Cependant, de nombreux éléments montrent que Sinwar n’est pas seulement un produit du mouvement, mais quelqu’un qui a passé des décennies à le construire et qu’il est peu probable qu’il ait négligé les personnes avec lesquelles il a grandi politiquement et les processus qu’il a contribué à mettre en place.

Un jour, après la fin de cette guerre génocidaire, il est possible que de nouveaux détails apparaissent qui modifieront la compréhension du Hamas et contrediront les hypothèses qui circulent actuellement. Dans ce cas, il sera judicieux de replacer les nouveaux éléments dans leur contexte historique et d’exiger des « experts » qui n’ont pas fait leur boulot qu’ils respectent des normes plus strictes.

 

MICHEL MUJICA
Venezuela : La commune ou rien !

Michel Mujica, 30/8/2024

Lune des choses que jai apprises dans ma vie et dans les sociétés qui ont subi les assauts du néolibéralisme avec son zèle destructeur vis-à-vis des biens et des services publics, sous le prétexte de la privatisation, puisque, selon ses adeptes, la privatisation génère une plus grande efficacité et a été un processus de destruction globale des peuples et des États.

De nombreux pays ont pu faire face à ces circonstances avec des éléments de base : un système de santé public, efficace et complet pour lensemble de la population, sans exclusion.... Dautre part, la garantie de transports publics décents et dune éducation publique de qualité, du jardin denfants à lenseignement universitaire le plus sophistiqué. Sans oublier un système de collecte dimpôts non régressif...

La consultation des citoyens sur les questions qui affecteront de manière significative leur vie quotidienne devrait être lobjectif de tout gouvernement, et plus encore dun gouvernement bolivarien. Je noublie pas les paroles de Chávez lors de son dernier conseil des ministres : « La commune ou rien ! » Certains me diront que jignore les sanctions, les interventions et la destruction de notre souveraineté nationale, entendue comme la capacité à résoudre nos problèmes parmi nos compatriotes, et comprenant lexercice de la souveraineté non seulement sur un espace territorial, mais aussi culturel, politique et éducatif entre autres. Un gouvernement bolivarien ne peut se détacher des sentiments, des aspirations et des frustrations dun peuple. Au contraire, il doit devenir le guide et le militant qui, den bas, ressent les problèmes du peuple dans son travail quotidien. Je sais que les sanctions affectent, que lintervention impériale détruit, mais si nous sommes en communion avec le peuple, si nous parlons clairement, si le débat est permis ouvertement, si le droit à la critique et au débat est restauré comme une valeur fondamentale, nous serons sur la bonne voie  et on arrêtera daffronter les moulins à vent. Écouter pour agir, agir en écoutant et nous pourrons faire face à ladversité et lintervention impériale et construire le pays que nous méritons...

Note : évitons par tous les moyens que lespoir disparaisse de nos actions et du cap fixé, si nous nous habituons et subordonnons aux tâches quotidiennes, sans construire et nous associer pour un avenir supérieur et plus digne, nous nous abandonnerons au plus terrible de tous les actes : limpuissance.

30/08/2024

MICHEL MUJICA
Venezuela: ¡¡¡comuna o nada!!!

Michel Mujica, 30-8-2024

 Una de las de las cosas que he aprendido en mi vida y en sociedades que han sufrido los embates del neoliberalismo en su afán destructor de los bienes y servicios públicos, con el pretexto de la privatización, ya que, según ellos, la privatización genera mayor eficiencia y ha sido un proceso de destrucción mundial de pueblos y estados. Muchos países han sabido enfrentar esas circunstancias con elementos que son básicos: un sistema de salud público, eficiente e integral para toda la población, sin exclusiones ... Y por otro lado, la garantía de un transporte público decente y de una educación pública de calidad desde los jardines de infancia hasta la educación universitaria más sofisticada.

Sin olvidar, un sistema de recaudación impositiva no regresivo…

La consulta con los ciudadanos de aquellos temas que van a afectar notablemente su vida cotidiana, debe ser el norte de cualquier gobierno y mucho más de un gobierno bolivariano. A mí no se me olvidan las últimas palabras de Chávez en su último consejo de ministros: ¡¡¡comuna o nada!!! En pocas palabras, estaba enviando un mensaje donde la revolución bolivariana se construye desde abajo y no desde arriba…

Algunos y algunas me dirán que estoy obviando la sanciones, la intervención y destrucción de nuestra soberanía nacional, entendida como la capacidad de resolver entre nuestros connacionales, nuestros problemas y entendiendo la soberanía no solamente como un espacio territorial, sino también cultural, político y educativo. Un gobierno bolivariano no se puede divorciar del sentir, de las aspiraciones y de las frustraciones de un pueblo. Todo lo contrario, debe convertirse en el guía y también en el militante que desde abajo sienta los problemas de la gente en su quehacer cotidiano. Sé que la sanciones afectan, que la intervención imperial destruye, pero si estamos en comunión con la gente, si se habla claro, si se permite abiertamente el debate, si se restaura como un valor fundamental, el derecho a la crítica y al debate, iremos por buen camino y los molinos de viento no serán el objeto del enfrentamiento… Escuchar para actuar, actuar escuchando y estaremos en capacidad de enfrentar las adversidades y la intervención Imperial y construir el país que merecemos…

Nota. Evitemos por todos los medios que la esperanza desaparezca de nuestro actuar y de nuestro norte, si nos acostumbramos y nos subordinamos al quehacer cotidiano, sin construir y asociarse para un futuro superior y más digno, nos estaremos abandonando al más terrible de los actos: la impotencia.

GIDEON LEVY
Pour avoir un peu d’air, la députée palestinienne Khalida Jarrar s’allonge sur le sol, près de la fente sous la porte de la cellule

Gideon Levy, Haaretz, 30/8/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

La députée palestinienne Khalida Jarrar* a été de nouveau arrêtée après le déclenchement de la guerre et est emprisonnée depuis lors sans inculpation. Elle est maintenant totalement isolée, dans des conditions inhumaines.


Ghassan Jarrar, le mari de Khalida, chez lui à Ramallah cette semaine. Il est très inquiet du sort de sa femme, comme devrait l’être tout défenseur des droits humains en Israël et ailleurs. Photo Moti Milrod

Après avoir été emprisonnée lors des arrestations massives de Palestiniens de Cisjordanie par Israël quelques mois après le déclenchement de la guerre à Gaza, Khalida Jarrar a reçu l’ordre de rester derrière les barreaux pendant encore six mois, toujours en détention administrative - sans inculpation et sans procès.

La prisonnière politique palestinienne n° 1 - dont Israël affirme qu’ elle est membre de la direction politique du Front populaire de libération de la Palestine, qu’il considère comme un groupe terroriste - a été enlevée à son domicile il y a huit mois et est incarcérée depuis lors. Jusqu’à il y a deux semaines et demie, elle était détenue avec d’autres prisonnières de sécurité dans la prison de Damon, sur le mont Carmel, à l’extérieur de Haïfa. Puis, soudainement, sans aucune explication, elle a été transférée à Neve Tirza, une prison pour femmes dans le centre d’Israël, jetée dans une minuscule cellule de 2,5 x 1,5 mètres et laissée dans un isolement total 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Sa cellule n’a pas de fenêtre. Il n’y a pas d’air, pas de ventilateur, seulement un lit en béton et un mince matelas, ainsi que des toilettes, sans eau la plupart du temps. Cette semaine, elle a dit à son avocat que pour respirer un peu, elle s’allongeait sur le sol et essayait d’aspirer un peu d’air par la fente située sous la porte de la cellule. Elle ne boit pas beaucoup, afin d’éviter d’avoir à utiliser les toilettes, qui dégagent une odeur nauséabonde.

C’est ainsi qu’Israël détient ses prisonniers politiques : sans inculpation ni procès, dans des conditions inhumaines qui sont illégales, même selon les décisions de la Haute Cour de justice (comme celles relatives à la surpopulation des cellules, que les autorités pénitentiaires ignorent).


Jarrar célèbre sa libération après 14 mois d’emprisonnement, en 2016. Photo Majdi Mohammed / AP

Parfois, la féministe et militante politique de 61 ans appelle pendant des heures un garde pour qu’il l’assiste - Jarrar est malade et prend des médicaments - sans aucune réponse. Lorsque j’ai demandé à son mari, Ghassan, cette semaine, ce qu’il pensait qu’elle faisait pendant toutes ces heures d’isolement inhumain, il s’est tu et ses yeux sont devenus humides. Khalida et Ghassan ont une longue expérience de l’incarcération : lui a passé une dizaine d’années de sa vie en prison, elle environ six. Mais son emprisonnement actuel est sans aucun doute le plus dur et le plus difficile de tous, sous la poigne de fer de l’administration pénitentiaire israélienne d’Itamar Ben-Gvir.

Elle est imprégnée de souffrance : au cours de chacune de ses précédentes incarcérations - toutes sauf une étant également des détentions administratives - un proche parent est décédé, et Israël l’a empêchée de participer aux funérailles ou aux rituels de deuil. En 2015, lorsque son père est décédé, elle était en détention ; en 2018, lorsque sa mère est décédée, elle était en détention ; en 2021, l’une de ses deux filles, Suha, est décédée à l’âge de 31 ans, et même dans ce cas, Israël a été dur et a refusé d’autoriser la mère endeuillée à assister à l’enterrement. Khalida Jarrar a été libérée trois mois après la mort de sa fille et s’est rendue directement de la prison de Damon à la tombe de Suha. « Vous pensez que nous n’avons pas de sentiments », m’a-t-elle dit à l’époque.[Libérée d’une prison israélienne, Khalida Jarrar fait le deuil de sa fille mais ne va pas cesser de batailler contre l'occupation]

Et maintenant, pendant sa détention actuelle, son neveu, Wadia, qui a grandi chez elle comme un fils, est mort d’un arrêt cardiaque à l’âge de 29 ans.

Les catastrophes qui ont frappé Khalida dépassent l’entendement : les tragédies se succèdent et elle y fait face héroïquement, du moins en apparence ; elle est derrière les barreaux pour la cinquième fois de sa vie et pour la quatrième fois depuis 2015. Le fait que, à l’exception d’un cas, elle n’ait jamais été condamnée pour quoi que ce soit (et même cette seule condamnation était pour un délit politique, « appartenance à une association illégale », et non pour avoir commis des actes de terrorisme ou de violence), sans qu’Israël n’ait jamais présenté la moindre preuve contre elle lors d’un procès - cela devrait choquer toute personne en Israël ou à l’étranger qui croit en la démocratie. À cinq reprises, Haaretz a demandé sa libération dans des éditoriaux, mais en vain.

Jarrar, qui s’oppose au régime, au régime d’occupation, est membre du Conseil législatif palestinien, qui ne fonctionne pas actuellement, mais cela devrait lui conférer l’immunité parlementaire. Elle est prisonnière de conscience en Israël. Lorsque nous parlons de prisonniers d’opinion au Myanmar, en Russie, en Iran ou en Syrie, nous ne devons pas non plus oublier Jarrar. Lorsque nous parlons d’Israël en tant que démocratie, nous avons l’obligation de nous souvenir de Jarrar.

La dernière fois que nous avons visité la belle maison en pierre des Jarrar dans le centre de Ramallah, c’était après sa libération de sa précédente peine de prison, directement dans la période de deuil de la mort de Suha. C’est à cette occasion qu’elle a vécu son retour de prison le plus douloureux. La Jeep rouge neuve que son mari lui avait achetée deux ans plus tôt et qu’elle avait à peine réussi à conduire avant d’être arrêtée était garée en contrebas.

Cette semaine, la Jeep rouge est restée silencieuse dans l’allée. Mais la maison est plus vide et plus triste que jamais : Suha est morte, Khalida est en prison et l’autre fille, Yafa, l’aînée du couple, vit à Ottawa avec son mari canadien et leur fille de deux ans, qu’ils ont appelée Suha en mémoire de sa tante. Seuls Ajawi (datte mûre) et Asal (miel), deux chats roux, errent encore ici.


Khalida Jarrar tient une photo de sa fille Suha, décédée alors qu’elle était emprisonnée en Israël, en 2019. Elle a appris sa mort par la radio. Photo Alex Levac

Un cerf-volant a volé cette semaine dans le ciel de Ramallah, bien au-dessus des lugubres embouteillages autour du point de contrôle de Qalandiyah. De l’autre côté de la fenêtre de la maison des Jarrar, le bruit des hélicoptères se fait soudain entendre : Le président palestinien Mahmoud Abbas revient apparemment après une nouvelle mission diplomatique - la Jordanie lui a fourni deux hélicoptères.

Il y a deux mois, Ghassan a fermé son usine de Beit Furiq, au sud-est de Naplouse, qui fabriquait des animaux en peluche. L’épreuve des points de contrôle à l’aller et au retour - Beit Furiq est verrouillée par les autorités israéliennes depuis le début de la guerre de Gaza - et la situation économique, dans laquelle les jouets captivants et colorés fabriqués à partir d’une fourrure synthétique spectaculaire n’ont aucune chance, l’ont contraint à fermer son entreprise. De nombreux Palestiniens ont subi le même sort en Cisjordanie, où les revenus se sont taris parce que les travailleurs ne sont plus autorisés à entrer en Israël.

Ghassan, 65 ans, est actuellement membre du conseil municipal de Ramallah, à la tête d’une faction indépendante de quatre personnes. Depuis l’enlèvement le plus récent de Khalida à leur domicile, il s’est lancé dans un régime sportif vigoureux, courant 10 kilomètres par jour et nageant.

Les ravisseurs sont arrivés le 26 décembre 2023 à 5 heures du matin, forçant discrètement la porte d’entrée en fer et faisant irruption dans la chambre à coucher au deuxième étage. Ghassan, qui dormait profondément et n’a rien entendu au début, a été réveillé en sursaut par des coups de crosse et des coups de poing au visage donnés par des soldats, dont certains étaient masqués. Il se souvient avoir instinctivement essayé de protéger son visage, sans comprendre ce qui se passait, jusqu’à ce qu’il entende l’un des soldats dire : « Il a essayé d’attraper l’arme ». Ghassan s’est réveillé brusquement. Il a entendu les fusils être armés et a senti les rayons laser rouges de leurs viseurs passer sur son visage. C’est l’instant où il a le plus frôlé la mort, dit-il. Il a immédiatement levé les mains en signe de reddition et a sauvé sa vie.

Les soldats n’ont pas fait de mal à Khalida. On lui a ordonné de s’habiller, de prendre quelques vêtements et ses médicaments, et de descendre avec les soldats. Là, dans l’allée, elle a été menottée et on lui a bandé les yeux. Les ravisseurs n’ont rien dit sur les raisons de sa détention et sur le lieu où elle était emmenée.

Elle a été placée en détention administrative pendant six mois sans subir d’interrogatoire. Le 24 juin, cette détention a été prolongée de six mois, comme d’habitude, sans inculpation ni explication. Les conditions de détention à la prison de Damon sont pires que celles de la prison de Hasharon, près de Netanya, où elle avait été incarcérée la fois précédente. En outre, depuis le début de la guerre, la situation des prisonniers de sécurité s’est considérablement aggravée grâce au duo sadique formé par le ministre de la sécurité nationale Ben-Gvir et son chef de cabinet et laquais, Chanamel Dorfman.

À Damon, il y avait entre 73 et 91 prisonnières et détenues palestiniennes lorsque Khalida s’y trouvait, rapporte Ghassan, qui ajoute qu’elle s’y est montrée plus prudente et n’a pas essayé de jouer le rôle de cheffe de ses codétenues, comme elle l’avait fait auparavant. Depuis décembre, bien sûr, son mari ne l’a pas rencontrée et ne lui a même pas parlé - toutes les visites aux prisonniers palestiniens ont été interrompues par Ben-Gvir. En 2021, Khalida a appris la mort de sa fille par la radio, mais aujourd’hui, il n’y a ni radio, ni bouilloire électrique, ni plaque chauffante, ni aucun autre appareil susceptible d’améliorer son sort. Rien non plus ne peut être acheté dans les cantines des prisons de l’ère Ben-Gvir.

Le 13 août, un avocat qui avait rendu visite à une autre détenue a signalé que Khalida n’était plus à Damon. Naturellement, personne au sein de l’administration pénitentiaire israélienne n’a pensé à en informer la famille, qui a immédiatement entrepris des démarches fiévreuses pour savoir où elle se trouvait. L’avocate de la famille, Hiba Masalha, a contacté le conseiller juridique de l’administration pénitentiaire, mais n’a pas obtenu de réponse. Finalement, on lui a dit à Damon que Khalida avait été transférée à Neve Tirza. Aucune autre information n’a été communiquée.

Pour autant que l’on sache, il n’y a pas d’autres prisonniers de sécurité à Neve Tirza. Ses détenus criminels pourraient représenter un danger pour une prisonnière de sécurité palestinienne comme Khalida, mais elle a été immédiatement placée en isolement. Personne n’a expliqué à son avocat les raisons de son isolement ni sa durée. Pour une femme de plus de 60 ans en mauvaise santé, il s’agit en effet de conditions inhumaines.

Le 20 août, l’association palestinienne Addameer de soutien aux prisonniers, a envoyé une lettre urgente aux chefs de toutes les missions diplomatiques à Ramallah et à Jérusalem, décrivant le sort de cette femme connue dans le monde entier comme une prisonnière d’opinion.

La semaine dernière, le directeur de la prison a informé Khalida qu’elle avait droit à une promenade quotidienne de 45 minutes dans la cour de la prison, seule. Depuis, elle n’est sortie que deux fois pour des promenades encore plus courtes que celles d’un chien. Mais ce privilège lui a été retiré cette semaine. Masalha lui a rendu visite et Khalida lui a dit qu’elle n’avait ni brosse à dents, ni dentifrice, ni brosse à cheveux, ni aucune sorte de pantoufles. Ghassan s’inquiète de ce qui se passera si elle s’évanouit à cause du diabète et d’autres maladies dont elle souffre, car les gardiens ne répondent pas à ses appels.

Haaretz a envoyé cette semaine les questions suivantes à l’administration pénitentiaire : Pourquoi Jarrar a-t-elle été transférée à Neve Tirza ? Pourquoi a-t-elle été placée en isolement total ? Pourquoi la permission de faire des promenades quotidiennes a-t-elle été annulée ? Pourquoi ne lui a-t-on pas fourni les produits de première nécessité ?

La réponse à toutes ces questions a été la suivante : « L’IPS [Service pénitentiaire israélien] fonctionne conformément à la loi, sous le contrôle strict de nombreux fonctionnaires de surveillance. Chaque prisonnier et détenu a le droit de déposer des plaintes de la manière prévue et leurs allégations seront examinées ».

Entre-temps, Ghassan Jarrar est très inquiet du sort de sa femme, comme devrait l’être tout défenseur des droits humains en Israël et ailleurs. Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, une soixantaine de détenus palestiniens sont déjà morts ou ont été tués dans les prisons israéliennes depuis le début de la guerre, soit bien plus que le total des 20 années d’existence de la tristement célèbre prison militaire de Guantanamo.

Cette semaine, Khalida n’avait qu’une seule demande à faire à son avocat : veiller à ce qu’elle puisse respirer. « Il n’y a pas d’air, je suffoque », a-t-elle déclaré à Masalha cette semaine, d’une voix étranglée.

NdT

*Khalida Jarrar (1963) est une des 3 député·es du Bloc Abu Ali Mustapha (FPLP ) au Conseil Législatif Palestinien (le parlement de Ramallah) depuis 2006. Arrêtée à plusieurs reprises depuis 1989, elle a purgé des peines de prison en 2015-2016 et 2017-2019. Féministe, elle a aussi fait partie de la direction d’Addameer, association de soutien aux prisonniers et pour les droits humains. Elle a été interdite de voyages à l’étranger par Israël depuis le début de ce siècle.

Lire Khalida Jarrar est maintenue en isolement depuis 16 jours : Libérez-la maintenant !, par Samidoun, 28/8/2024