La
reconnaissance européenne de la Palestine est un geste creux qui permet à
Israël de s'en tirer à bon compte. Sans sanctions pour mettre fin au massacre à
Gaza, ce n'est pas de la diplomatie, c'est de la complicité.
La
reconnaissance internationale d'un État palestinien récompense Israël, qui
devrait remercier chaque pays qui le fait, car cette reconnaissance sert
d'alternative trompeuse à ce qui doit réellement être fait : imposer des
sanctions.
La
reconnaissance est un substitut erroné aux boycotts et aux mesures punitives
qui devraient être pris à l'encontre d'un pays qui perpétue un génocide. La
reconnaissance est une déclaration creuse que les gouvernements européens
hésitants et faibles utilisent pour montrer à leur opinion publique en colère
qu'ils ne restent pas silencieux.
Reconnaître
un État palestinien, qui n'existe pas et n'existera pas dans un avenir proche,
voire jamais, est un silence honteux. Les habitants de Gaza meurent de faim, et
la réaction de l'Europe est de reconnaître un État palestinien. Cela
sauvera-t-il les Gazaouis affamés ? Israël peut ignorer ces déclarations avec
le soutien des USA.
Eran Wolkowski, Haaretz
On parle
d'un « tsunami » diplomatique en Israël, tout en sachant qu'il n'atteindra pas
les côtes israéliennes tant que la reconnaissance ne s'accompagnera pas d'un
prix à payer pour le génocide.
Le Premier
ministre britannique Keir Starmer, l'un des premiers à reconnaître la Palestine
dans la vague actuelle, après la France, s'est surpassé. Il s'est empressé de
présenter sa décision comme une sanction (conditionnelle), remplissant ainsi
son devoir. Si Israël se comporte bien, a-t-il promis, il retirera son index
accusateur.
De quel
genre de sanction s'agit-il, Monsieur le Premier ministre ? Si, selon vous, la
reconnaissance de la Palestine favorise une solution, pourquoi la présenter
comme une sanction ? Et s'il s'agit d'une mesure punitive, où est-elle ?
C'est ainsi
que les choses se passent lorsque la peur de Donald Trump s'empare de l'Europe
et la paralyse, lorsqu'il est clair que quiconque impose des sanctions à Israël
en paiera le prix. Le monde préfère pour l'instant une fête verbale. Les
sanctions sont bonnes quand il s'agit d'invasions russes, pas israéliennes.
La décision
de Starmer a incité beaucoup d'autres à suivre son exemple, ce qui est présenté
en Israël comme un raz-de-marée diplomatique, un tsunami. Cela n'arrêtera pas
le génocide, qui ne sera pas stoppé sans mesures concrètes de la part de la
communauté internationale. Celles-ci sont d'une urgence insupportable, car les
tueries et la famine intense se poursuivent à Gaza.
La
reconnaissance ne suffira pas non plus à créer un État. Comme l'a dit un jour
la leader des colons Daniella Weiss, après une précédente vague de
reconnaissances : « J'ouvre ma fenêtre et je ne vois pas d'État palestinien ».
Elle n'en verra pas de sitôt.
À court
terme, Israël tire profit de cette vague de reconnaissances, car elle remplace
la sanction qu'il mérite. À long terme, la reconnaissance d'un État imaginaire
pourrait présenter certains avantages, car elle soulève la nécessité de trouver
une solution.
Mais il faut
être d'un optimisme et d'une naïveté démesurés pour croire que la
reconnaissance est encore pertinente. Il n'y a jamais eu de pire moment ;
reconnaître maintenant, c'est comme siffler dans le noir. Les Palestiniens sont
sans dirigeants, et les dirigeants israéliens ont fait tout ce qu'ils pouvaient
pour empêcher la création d'un tel État, et ils ont réussi.
C'est bien
que le 10 Downing Street veuille un État palestinien, mais tant que Jérusalem
ne le veut pas, avec la colonie extrémiste de Yitzhar qui s'emploie à détruire
les biens palestiniens et qui se renforce grâce au soutien aveugle de
Washington à Israël, cela n'arrivera pas.
Alors que la
droite israélienne est au sommet de son pouvoir et que le centre israélien vote
à la Knesset en faveur de l'annexion et contre la création d'un État
palestinien, alors que le Hamas est la plus forte entité politique
palestinienne et que les colons et leurs partisans constituent l'organisation
la plus puissante en Israël, de quel État palestinien parlons-nous ? Où
serait-il ?
Une tempête
dans un verre d'eau. Le monde remplit son devoir tandis qu'Israël détruit et
affame. Le plan de nettoyage ethnique prôné par le gouvernement israélien est
d'abord mis en œuvre à Gaza. On ne peut imaginer pires conditions pour nourrir
des rêves d'État.
Où serait-il
établi ? Dans un tunnel creusé entre Yitzhar et Itamar ? Existe-t-il une force
capable d'évacuer des centaines de milliers de colons ? Laquelle ?
Existe-t-il
un camp politique qui se battrait pour cela ?
Il serait
préférable de prendre d'abord des mesures punitives concrètes pour forcer
Israël à mettre fin à la guerre – l'Europe en a les moyens – puis de mettre à
l'ordre du jour la seule solution qui reste aujourd'hui : une démocratie entre
la Méditerranée et le Jourdain, une personne, une voix. L'apartheid ou la
démocratie. À notre grand effroi, il n'y a plus de troisième voie.
La France
a enfin décidé de reconnaître l’État de Palestine.
Au mois
où les feuilles tombent et où les mensonges fleurissent sur les rives de la
Seine, la France accorde enfin une reconnaissance — timide, tardive, en retard
de sept décennies…
Et la
Grande-Bretagne, celle-là même qui a cédé une terre qui ne lui appartenait pas,
décide à son tour de faire un geste… Mais la résolution 67/19, adoptée par 138
pays à l’Assemblée générale des Nations unies en 2012, avait déjà accordé à la
Palestine le statut d’« État non membre observateur », au même titre que le
Vatican. C’est sur cette base que la Palestine a pu rejoindre des organisations
et traités internationaux, comme la Cour pénale internationale ou encore
l’UNESCO.
D’accord,
vous, les Européens, vous êtes 450 millions. Votre économie pèse 20 000
milliards de dollars. Vous brillez dans les bourses, dominez les marchés… Mais
dites-moi : vos gouvernements peuvent-ils peser, ne serait-ce qu’un kilogramme
de justice ? Une poignée de dignité ? Une reconnaissance avec soixante-dix ans
de retard — voilà donc votre offre ? Vous appelez ça un geste ? Vous ne donnez
rien à la Palestine. Rien. C’est tout ce que vous avez à offrir ? Vraiment ?
Cette
reconnaissance va-t-elle arrêter un char ? Va-t-elle réchauffer le lit froid
d’une mère assassinée ? Ramener un enfant à la vie ? Non.
Oui,
l’Europe aime la Palestine… mais de loin. Comme on aime une cause perdue, un
mythe oriental, un poème de Mahmoud Darwich encadré au mur d’un salon parisien.
Et vous le savez : Israël avalera cette reconnaissance comme il avale la
Cisjordanie — à pleines dents.
Assez de
discours. Le monde n’a pas besoin d’une déclaration de plus. Il a seulement
besoin que vous arrêtiez d’armer le tueur.
Cette
reconnaissance relève de la caricature. Ce dont la Palestine a besoin, c’est
que cette complicité prenne fin. L’ONU condamne Israël chaque jour. Qu’est-ce
que cela a changé ? Gaza meurt de faim, subit le génocide, les crimes, la
misère... Trois couleurs dominent : le gris des ruines, le rouge du sang, et
l’or éclatant du désastre – celui des marchés qui prospèrent sur les décombres.
Inutile de faire d'autres déclarations. Gardez vos gestes "“courageux”.
Jeffrey
Sachs n’est pas un révolutionnaire. C’est un expert, un homme qui dit
simplement la vérité : « Arrêtez de livrer des armes à Israël, et la guerre
cessera ».
La
solution commence par un mot : responsabilité. Celle d’Israël, mais aussi celle
de tous ceux qui le soutiennent. Imposer des sanctions, voilà le minimum. Leur
Premier ministre est accusé ? Alors qu’il soit conduit à La Haye, menotté, et
que les procès commencent — si vous croyez encore à ce mot : paix.
La seule mesure qui ait du sens dans cette région : le désarmement d’Israël.
Mais que
peut faire l’Europe face aux grandes puissances qui dictent leur loi et
imposent leur volonté ? L’administration Trump n’a même pas pris la peine de
masquer son impérialisme : « Nous ferons ce que nous voulons, vous ne valez
rien », a-t-elle proclamé.
Tout cela n’est que la conséquence logique d’un choix : celui du monde
occidental, qui a préféré l’unipolarité à la justice.
Ne
perdons pas notre temps aujourd’hui à accabler Abou Mazen ( Président de l’[In]autorité
palestinienne)… Inutile de tirer sur un corbillard : l’Histoire finira par le
juger.
Et de grâce, cessez de hurler « Où sont les Arabes ? » — cette question n’a
plus de sens. Une question stupide.
Les
Arabes, mon ami, ont disparu...
Il ne reste que toi, moi, et une poignée de croyants, de rêveurs, que l’on peut
compter sur les doigts d’une main.
Ils ont disparu, comme disparaissent les espèces anciennes. Alors ne demande
plus où ils sont.
Tout cela
est arrivé parce que le monde occidental a décidé de se diriger vers un empire
unique, qui ne lui ressemble pas et ne le respecte pas. L’Europe aurait pu
empêcher cette guerre ou en atténuer la violence... mais elle a choisi de
tomber amoureuse !
L’Europe
ressemble à une vieille dame, coiffée d’un chapeau de plumes de paon colorées,
qui croit que l’Amérique l’aime... Elle est aveuglée par son amour pour
l’Amérique. Depuis la fin des années 90, l’Europe n’a pas adopté de politique
étrangère indépendante, si ce n’est une politique d’hostilité envers la
Russie... La Russie est pour elle un cauchemar soviétique, alors qu’elle aurait
dû être un partenaire commercial, mais elle a décidé d’être la maîtresse
malheureuse de Washington.
Ursula
von der Leyen, porte-parole officielle de l’empire américain au sein de la
Commission européenne, est une femme ridicule ! Vous savez, bien sûr, que ce
sont les responsables américains qui dirigent l’Europe, Mais vous continuez à
faire semblant de croire que Bruxelles est la capitale européenne.
Vous savez pourtant que c’est Washington qui
commande…
Et malgré
tout, vous souriez en agitant fièrement le drapeau européen.
Il n’y a
pas de sécurité pour l’Ukraine, ni pour l’Europe, ni même pour les rêves de vos
enfants, dans cette aventure américaine insensée à laquelle vous avez adhéré et
dont vous êtes devenus les chefs.
Vous êtes
complices d’un million de morts. Oui, vous avez sciemment participé à cette
hécatombe en Ukraine.
Vous n’avez semé que la mort. Et qu’est-ce qui a changé ? Rien.
Revenons
à la position américaine. Trump, fidèle à lui-même, menace : « L’Amérique
entrera en Ukraine pour en finir. »
Et Poutine, lui aussi fidèle à lui-même, éclate de rire : « Laissez-le
parler... Il fait toujours le contraire de ce qu’il annonce. »
En
Palestine, la situation est très claire, Mike Huckabee dit qu’il n’y a pas de
solution possible en Palestine ! !
Les USA
ont abandonné leur politique au Moyen-Orient et l’ont confiée à Benjamin
Netanyahou... C’est le lobby israélien qui domine la politique américaine. Une
blague !
En 1996,
au plus fort des pourparlers de paix, alors que les Israéliens et les
Palestiniens étaient assis dans les salles de négociation, se serraient la main
à Madrid, négociaient à Oslo et plaçaient les drapeaux palestiniens aux côtés
des drapeaux des Nations unies, et alors que Yasser Arafat modifiait le pacte
dans l’espoir d’un État, Netanyahou et ses conseillers sionistes américains
préparaient un plan pour remplacer la solution à deux États par une « solution
par la force » : encercler la Syrie, frapper l’Irak et étouffer les
Palestiniens. Et frapper toute alliance qui se formerait pour soutenir la
Palestine, y compris le Hezbollah et le Hamas. Ils ont appelé cette solution «
A Clean Break » (Une rupture totale), car ils avaient décidé de rompre définitivement
et d’imposer leur réalité.
Sur la
base de ce document, les USA ont mené sept guerres en cinq ans. Le général
Wesley Clark exécutait les instructions du bureau politique israélien. Vous
pouvez écouter le général Wesley Clark sur Internet, il parle de ce sujet. Il
était le commandant en chef de l’OTAN en 1999... Ce sont les guerres de
Netanyahou, soit dit en passant : éliminer les restes des alliés soviétiques,
démanteler le système de chaque État, de chaque alliance et organisation
hostile à Israël, et semer le chaos dans la région.
Et chaque
fois qu’une guerre éclatait, Netanyahou esquissait ce même sourire — celui de
l’homme qui allume une cigarette au premier signe de dépression. Depuis trente
ans, il répète inlassablement sa vision : il n’y aura qu’un seul État, Israël.
« et toute voix contraire sera écrasée —
pas par nous directement, mais par nos amis américains ». disait -il.
Voilà, en général, la politique des USA au Moyen-Orient, encore aujourd’hui.
Cette
politique n’a pas commencé avec Trump, ni avec Biden, et elle n’a pas été
inventée par Clinton, Bush ou Obama. C’est le jeu ennuyeux de la politique
américaine : si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous, et si vous
êtes contre nous, attendez que votre régime s’effondre de l’intérieur. N’est-ce
pas là le quotidien de la politique américaine ? Depuis la Seconde Guerre
mondiale, les USA n’ont cessé d’intervenir directement dans les affaires des
autres, sous le couvert d’un discours fallacieux sur la démocratie. Entre 1945
et 1989, ils ont provoqué soixante-dix changements de régime. Ils ont accusé
les Soviétiques de vouloir conquérir le monde, puis ils ont utilisé ce prétexte
pour conquérir le monde eux-mêmes...
Notre
destin est déjà tracé, consigné noir sur blanc pour les cent prochaines
années... Mais nous avons cette manie de les surprendre, de saboter leurs plans
les plus funestes. Ils croyaient que Gaza plierait en un mois. Ils avaient
creusé nos tombes, dressé les tentes au Sinaï et redessiné les cartes de la
région.
Quelle
illusion grotesque ! Ils croyaient que Gaza n’était qu’un détail gênant à
balayer en quelques semaines. Mais chaque massacre y a enfanté un nouveau
missile : du Qassam au Yassin, puis au Badr-3 ; de l’Ayyash 250 au R160,
jusqu’à l’Al-Quds et l’Asif al-Ghadab.
Quelle
impuissance ! Avez-vous oublié que Gaza défie même les lois de la physique ?
Tout ce qui est lancé contre elle… finit par rebondir.
Ils ont parié sur la colonisation de la Cisjordanie — et ont gagné ce pari.
Ils ont cru qu’une victoire militaire signerait la fin du conflit. Mais Gaza le
leur rappelle à chaque instant : ce n’est pas une bataille, c’est une
existence.
Quelle
victoire peut-on revendiquer, quand la stabilité d’une armée dépend d’une boîte
de Prozac ? Un État qui ne tient debout que sous antidépresseurs n’est pas un
État : c’est un patient.
Ce n’est pas un conseil, mais un avertissement — froid, clair — venu d’un
ennemi qui ne vous aime pas… mais ne souhaite même pas votre mort. Il vous dit
simplement : rentrez chez vous.
Plus vous
étendez les frontières du Grand Israël, plus vous courez vers le mur du néant.
Car plus vous approchez de ce rêve impérial, plus il se vide de son sens.
Vous avez peut-être remporté quelques batailles, mais vous gaspillez
l’essentiel : le temps.
Et l’Histoire, elle, n’oublie jamais l’arrogance.
Plus vous
vous étendez, plus vous devenez vulnérables. Plus vous avancez, plus vous vous
épuisez. Regardez Ben Gvir : un ministre de pacotille, vociférant comme un
simple d’esprit — « Envoyez des bombes, pas de l’aide à Gaza ! »
Il croit qu’on écrit l’Histoire en criant. Il pense que les missiles remplacent
la mémoire.
Mais la
guerre ne se gagne pas seulement sur le terrain. Elle se gagne — ou se perd —
dans les livres, dans les consciences, dans la trace que vous laissez.
Et
l’Histoire, mes ennemis, ne se dicte pas au mégaphone. Elle se souvient. Et
elle vous classera — vous, vos bombes, vos bouffons — dans la marge rouge de la
honte éternelle.
Dites-moi
comment ? Dites-moi, pour l’amour de Dieu, comment un État peut-il prétendre à
la victoire quand il a déjà perdu l’histoire ?
Car un jour — bientôt — tout le monde lira qu’Israël fut un État fasciste, un
régime d’apartheid qui a rasé des villes, anéanti des peuples, fait tomber des
gouvernements pour survivre… puis s’est écroulé, étouffé par sa propre haine.
Et cette
histoire, ce n’est pas Tel-Aviv qui l’écrit. C’est Gaza.
Gaza l’écrit avec ses roquettes, avec son sang, avec une volonté que ni les
bombes ni les tanks ne peuvent briser.
Vous la
lirez dans quelques années. Et vos enfants, eux, la liront dans leurs manuels
scolaires.
Et ce jour-là, ils vous regarderont… et ils auront honte.
Ceci n’est pas un
article, mais une déclaration rédigée à la hâte, imprégnée de l’esprit d’une
époque révolutionnaire… C’est la déclaration finale avant l’action. Avant
l’affrontement, avant que les mots ne se transforment en actes. Ce texte n’a
pas sa place dans les salons de l’élite, ni à Baabda* non plus.
Il parle d’un homme, de quarante-et-un ans de détention injuste, d’un procès
injuste, d’une condamnation injuste dans un lieu injuste.
Cet article parle
d’un homme qui aurait dû être libre depuis longtemps… d’un homme nommé Georges Ibrahim Abdallah, et quiconque ignore ce nom
devrait remettre en question son engagement.
En France, on lit Amélie
Nothomb, on verse des larmes sur Hiroshima, on organise des expositions
artistiques sur les souffrances des autres, et on signe des pétitions naïves
pour des tortues en voie de disparition. Mais si vous leur parlez d’un
prisonnier politique dont la peine a dépassé quatre décennies… ils vous
regardent comme si vous troubliez l’ordre public – et la morale publique aussi.
Ils vous regardent avec incrédulité, ou pire : avec indifférence. Peut-être ne
vous croient-ils pas… mais peu importe.
La France, qui a
fait la révolution, tremble devant un homme révolté qui dit “non”.
La France ressemble à ce vieux militant qui a tout perdu, qui s’éloigne de tous
ceux qui l’approchent, parce qu’ils lui rappellent des jours qu’il ne supporte
plus dans son cœur…
Quarante années
pendant lesquelles Georges n’a jamais
courbé l’échine, répétant chaque jour “non”.
La France considère ça comme une menace terroriste. Dire “non” au colonialisme,
c’est une menace sécuritaire. Honte à un État qui punit pour un seul mot.
Le Prix Nobel de
la paix est devenu une récompense pour ceux qui excellent dans la destruction
de la vie. Tous ceux qui ont serré la main des assassins ont été récompensés. Sauf
les hommes libres comme Georges . Juste parce qu’ils ont dit “non”. Même Trump…
oui, Trump veut aussi un Nobel. N’a-t-il pas nourri la guerre de Gaza avec
toutes sortes de bombes et de missiles aveugles ? N’a-t-il pas expérimenté
toutes les armes de destruction massive ? N’a-t-il pas jeté des Tomahawk comme
on jette un plat pourri à la poubelle ? Des dizaines de missiles largués, alors
qu’il riait. Trump et ses semblables ont l’habitude de lancer des bombes comme
on raconte des blagues… Il rit, passe la main sur sa touffe oxygénée… Avant
lui, Obama, le vendeur d’espoir mensonger, a signé des centaines de raids : oui,
Obama, président lauréat du Nobel de la paix.
Rien ne révèle
mieux l’hypocrisie morale du monde que l’attribution du Nobel à ceux qui
imposent la violence. Netanyahou ? Ahmed al-Charaa ? Deux bouchers
professionnels, glorifiés pour le carnage qu’ils ont causé. Je vais vous dire
ce qui arrivera : ne soyez pas surpris s’ils sont nominés, voire récompensés.
Pourquoi pas ?
Imaginez-les souriant sous une bannière “Pour la paix”, une colombe blanche - égorgée,
bien sûr - au-dessus de leurs têtes…
Son plumage blanc imbibé de sang épais, coagulé. Elle se débat avec ses ailes
brisées, les yeux retournés, son âme s’échappant de son cou tordu, vomissant
son sang… la blessure ouverte saigne, un flot de sang coule, épais, comme s’il
sortait d’un cœur encore battant découpé vivant… Imaginez.
Mais qui se soucie
de la colombe ? Tout le monde applaudit les puissants… et les idiots aussi.
Revenons à Georg ,
notre héros qui a refusé de se soumettre.
Le dernier des prisonniers dans l’arène de l’honneur international – de Guevara
à Mandela, à Mumia Abu-Jamal… Tous les combattants ont connu la prison, ont
sacrifié des décennies, leur jeunesse, ont été arrachés à leurs familles, n’ont
pas vu leurs enfants grandir. Mais Georges a fait de la prison sa patrie.
Il a vécu en cellule, l’a transformée en bastion de résistance. Il a vu les
générations naître et mourir derrière les barreaux, et lui, il est resté.
Trois générations sont passées, Georges est toujours là, analysant notre
situation misérable… et il ne s’est jamais incliné.
Quand Georges Ibrahim
Abdallah a été arrêté, les partis communistes brandissaient encore la faucille
et le marteau. Puis le Mur de Berlin est tombé, emportant avec lui bien des
illusions, et la gauche européenne s’est tournée vers la modernisation. Mais Georges,
lui, est resté dans sa cellule, le poing levé.
La gauche mondiale
s’est réinventée sous des termes plus présentables : gauche des droits de
l’homme, gauche écologique, gauche oéngéisée… Elle a cherché à adoucir la bête
au lieu de l’abattre.
L’Irak est tombé, la seconde Intifada s’est essoufflée, les Brigades des
Martyrs d’Al-Aqsa ont fané… mais Georges est toujours dans sa cellule, seul,
sans compte sur les réseaux sociaux. Mais qui a dit qu’il en avait besoin ?
Le printemps arabe
a explosé puis s’est effondré comme un cadavre…
La gauche s’est perdue entre soutien aux peuples et peur du chaos. Elle s’est
tue face aux massacres, prétendant la neutralité…
Quarante ans où tout a changé… sauf Georges.
N’importe où dans
le monde, Georges aurait été élu président. Mais au Liban, le président du
palais n’a même pas accueilli sa famille.
Son Excellence la Honte est trop occupée par ses propres intérêts… trop occupé
à organiser des festivals d’été.
Georges sortira de
prison, oui, mais il ne sortira pas de la ligne de mire.
La cellule se ferme peut-être, mais le sniper est toujours en place. Et l’Israélien
n’a pas abandonné sa requête : “interdiction de libération”.
Pendant 23 ans,
Israël a fait pression sur la France pour le maintenir incarcéré.
L’indécence israélienne bombarde Beyrouth et Damas, perpètre un génocide à
Gaza, puis exige de Paris de maintenir en prison celui qui s’oppose à ces
crimes.
Georg , comme Basil al-Araj, Zakaria Zubeidi, Nasser Abu Hamid, Samir Kuntar, Abou
Ali Mustafa… qu’ils sortent ou non des prisons, ils restent dans le viseur.
Mais à toi, ennemi
occupant, regarde-moi bien et écoute.
Cette voix ne t’apporte aucune paix. Cette voix t’annonce la prophétie de ta
propre destruction.
Lis-la comme on lit une sentence, et lis-la attentivement :
“Nous ne sommes
pas vaincus lorsque nous triomphons, nous triomphons même lorsque nous sommes
martyrisés”.
Toi, l’ennemi,
veux-tu que je te le répète dans une autre langue ?
Pas besoin de crier. Écoute, simplement :
Dans notre pays, nous ne choisissons pas nos fins.
Nous ne mourons pas de vieillesse ni de maladie.
Nous ne mourons pas dans nos lits…
Nous mourons sur vos listes d’assassinats.
Nous mourons parce que nous avons dit “non” à un moment interdit.
Demandez à Israël
pourquoi il craint un homme de plus de soixante-dix ans ?
La réponse est simple : parce que son existence vivante et libre redéfinit qui
nous sommes… et qui ils sont.
Le militant Georges,
icône de l’amour révolutionnaire…
C’est le bien-aimé que nous avons attendu et qui n’est jamais venu – parce
qu’il n’a jamais quitté sa cellule.
Sais-tu, Georges,
que les femmes du pays sont fascinées par toi ?
Elles rêvent d’un homme qui te ressemble.
Nous ne cherchons plus un prince sur un cheval blanc ; les femmes du pays te
cherchent toi, toi qui marches avec le poids des années d’emprisonnement, avec
la noblesse de celui qui n’a jamais trahi la cause.
Toi, Georges, le fiancé
qui porte un keffieh et un bracelet de fer, avec un cœur de feu courageux, un
cœur qui ne s’apaise jamais.
Dis-nous, Georges,
quel est ton charme ?
Toi qui ne possèdes que ta liberté et ta dignité jamais humiliée.
Les femmes t’envoient leurs cœurs sur les réseaux sociaux, te demandent un
regard, une étreinte, ou une fleur cueillie de ta cellule… N’oublie pas de nous
rapporter ces fleurs, s’il te plaît.
Elles ne veulent
ni bague ni collier.
Elles veulent juste un mot de toi.
Tout en toi vaut plus que l’or : ton nom, ton silence, ta posture.
Quel est ce
mystère qui t’a permis de traverser le temps, alors que tout le temps s’est
courbé ?
Quelle sérénité en toi a troublé le vacarme ?
Quelle force t’a fait tenir ?
Tout en toi semble simple, mais tout en toi nous frappe.
Tout en toi nous accuse – accuse la France, accuse les Arabes, accuse la
gauche.
Y a-t-il encore
quelqu’un parmi vous qui écoute ?
Georges n’a pas besoin du Nobel.
Il est lui-même un prix.
Georges est hors du temps, il blesse chaque époque, il fait face à un présent
arabe massacré.
Il est notre héros
qui ne sera jamais vaincu, car il n’appartient pas à la logique de la défaite.
Il ne marchande pas.
Non, Georges Ibrahim
Abdallah ne peut pas être compris.
Face à lui on ne peut que ressentir de la honte
NdT
*Baabda :
localité de la banlieue sud de Beyrouth, où est situé le palais présidentiel
Ça s’appelle Elnet, acronyme de European Leadership Network, à ne pas confondre avec ELN, acronyme de l’autre European Leadership Network, un think tank « respectable » créé en 2011 et basé à Londres. Elnet n’a rien de respectable : c’est une machine de guerre israélo-yankee créée en 2007 après la deuxième Intifada pour intoxiquer les opinions occidentales avec la plus pure hasbara [propagande] sioniste. Cœur de cible : les parlementaires nationaux des pays de l’UE et européens. Après le 7 octobre 2023, Elnet a organisé 20 voyages en Israël de 300 parlementaires européens et britanniques. Mais Elnet a aussi diversifié ses opérations, organisant des voyages en Terre promise de militaires, d’industriels et de grands intellectuels, notamment Bernard-Henri Lévy et Michel Onfray, sans oublier l’inénarrable Helvético-Catalan, Manuel Carlos Valls i Galfetti, ainsi que des voyages de décideurs israéliens en Europe. Parmi les parlementaires, on ratisse large, des conservateurs aux écologistes, en passant par les libéraux et les sociaux-démocrates, et des Lituaniens aux Portugais en passant par les Hongrois, Roumains, Français, Allemands, Italiens etc.. Ci-dessous des documents sur cette entreprise d’achat (à bas prix) de consciences. -Ayman El Hakim
Elnet, un agent d’influence pro-Israël au cœur du Parlement français
Depuis 2017, ce lobby a envoyé, tout frais payés, une centaine de parlementaires en Israël. Son PDG revendique avoir fait « plus que [sa] part » dans le soutien de « l’immense majorité » de l’Assemblée nationale et du Sénat à l’égard de l’État hébreu depuis le 7-Octobre.
Sur les photos, ils posent en souriant devant le Mur des lamentations, l’air concentré dans une salle de réunion du ministère des affaires étrangères israélien, ou la mine grave lors d’une visite d’un kibboutz attaqué par le Hamas le 7-Octobre… Au fil des années, ces images de députés et de sénateurs français sont venues par dizaines abonder le site Internet d’Elnet – pour « European Leadership Network » –, une association bien connue de la plupart des parlementaires qui reçoivent régulièrement ses mails les invitant à des voyages en Israël.
Sur le papier, ces séjours, intégralement financés par Elnet – il faut compter 4 000 euros pour quatre jours, hôtel et trajet en avion compris –, ont de quoi attirer les élus : ils proposent des rencontres « de haut niveau » avec des intellectuels, des ambassadeurs ou des officiers de Tsahal, mais aussi des visites de la Knesset, du mémorial de Yad Vashem ou de bases militaires à la frontière palestinienne...
« Par votre présence, vous contribuerez au renforcement de la relation stratégique bilatérale entre deux pays […] qui partagent les mêmes valeurs [et] ont les mêmes ennemis », écrivait ainsi l’organisme, à l’été 2021, dans un mail envoyé à trente-quatre parlementaires macronistes, Les Républicains (LR), centristes et socialistes, à la veille de leur départ vers l’État hébreu. Un voyage durant lequel ils ont pu rencontrer un ex-numéro 2 du Mossad pour évoquer les enjeux sécuritaires du pays, ou Benyamin Nétanyahou, alors chef de l’opposition, qui a résumé en un mot la recette du « miracle israélien » : le « capitalisme ».
En mars 2023, quinze députés LR se rendaient encore à Jérusalem pour, entre autres, écouter un commandant de police leur présenter le dispositif de vidéosurveillance avec reconnaissance faciale de la vieille ville, et regarder avec lui la vidéo d’un attentat commis quelques semaines plus tôt par des Palestiniens. Deux mois auparavant, alors que les manifestations se multipliaient contre la très controversée réforme de la justice de Nétanyahou, c’était au tour de députés macronistes d’écouter un député du Likoud leur assurer que le gouvernement ne porterait en aucun cas atteinte aux libertés fondamentales…
Après le 7-Octobre, Elnet a renforcé son action. Huit jours seulement après les massacres commis par le Hamas, l’organisation envoyait dix députés LR et Renaissance – ainsi que Manuel Valls, récemment nommé ministre des outre-mer – visiter la base militaire de Shurah, au sud de Tel-Aviv, où reposaient les corps de 300 victimes non encore identifiées, rencontrer des familles d’otages et s’entretenir avec des survivants à l’hôpital Ichilov. « Alors que l’attention médiatique se tourne vers les images de destructions à Gaza, il est encore plus critique pour les décideurs européens de voir la réalité sur le terrain du point de vue israélien pour contribuer à maintenir le soutien nécessaire de la part des alliés européens clés », commentait Elnet après le déplacement.
En janvier 2024, alors que le nombre de morts à Gaza frôlait les 25 000, une délégation de 22 sénateurs et sénatrices, dont Francis Szpiner, Loïc Hervé ou Françoise Gatel, ministre des gouvernements Barnier et Bayrou, publiaient aussi une tribune à leur retour de leur voyage Elnet : « Ce voyage a renforcé notre attachement à la société israélienne et notre conviction profonde qu’Israël [...] est à l'avant-garde d'une guerre de la civilisation contre la barbarie », écrivaient-ils.
Un long travail d’influence
Créée en 2010, la branche française d’Elnet – qui dispose également d’antennes en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie – a pris ses quartiers à quelques mètres de l’Assemblée nationale, rue Saint-Dominique. Un endroit stratégique pour l’ONG qui déclare être financée « à 100 % » par des contributions privées (voir en annexes) et affiche pour ambition de « renforcer le dialogue diplomatique, politique et stratégique entre la France et Israël ».
Derrière cet objectif, Elnet cache difficilement son tropisme en faveur du gouvernement d’extrême droite emmené par Nétanyahou. Plus encore depuis le début de la guerre à Gaza que plusieurs organisations internationales, à l’instar d’Amnesty International, qualifient désormais de « génocide ». « C’est un lobby qui a pignon sur rue », résume le sénateur socialiste Rachid Temal, auteur d’un rapport publié en juillet sur les influences étrangères, qui souligne que « l’association, comme tous les autres lobbys, a le droit de faire de l’influence dès lors que c’est déclaré ».
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Une régularisation très tardive à la HATVP
Malgré la loi Sapin de 2016 sur la lutte contre la corruption qui oblige les représentants d’intérêts à s’inscrire comme tels sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), il aura pourtant fallu huit ans à Elnet pour s’enregistrer auprès de l’instance.
Une incongruité qui n’avait d’ailleurs pas échappé à la sénatrice UDI Nathalie Goulet qui, lors des discussions sur les influences étrangères au Palais du Luxembourg cet été, avait noté que « certains organismes qui invitent des parlementaires en voyage de façon régulière […] ne figurent pas sur la liste de ces lobbies, Elnet pour ne pas le nommer ».
Questionnée le 21 novembre par Mediapart sur les raisons pour lesquelles elle ne s’était pas encore déclarée auprès de la HATVP, l’association a répondu : « Nous n’estimions pas relever de la catégorie de représentant d’intérêts. Afin de nous assurer que nous étions bien en conformité avec la loi, nous avons rencontré l’HATVP et nous sommes convenus avec ses responsables qu’il nous fallait nous déclarer comme tel. C’est donc en cours. » Également contactée sur ce point, la HATVP a indiqué qu’elle ne « pouvait pas [nous] en dire plus ». Comme un heureux hasard, Elnet a finalement fait son apparition dans le registre... cinq jours après notre sollicitation.
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Le 23 septembre, dans une interview au média en ligne Qualita, une chaîne destinée aux Français ayant immigré en Israël, le président d’Elnet-France, Arié Bensemhoun, se félicitait ouvertement de l’influence de son organisation sur le microcosme politique français.
« Je reste relativement optimiste sur la capacité de changer les paramètres du discours diplomatique, disait-il. D’un côté, il y a la diplomatie officielle, et de l’autre côté, il y a la diplomatie parlementaire. Je rappelle que l’immense majorité du parlement [français] soutient Israël […] dans son combat contre le Hamas et le Hezbollah, et c’est le résultat de décennies de travail qui a été fait par les uns, par les autres, nous y avons fait plus que notre part. »
De fait, depuis 2017, les débats sur le conflit israélo-palestinien ont peu à peu changé de ton dans une Assemblée nationale qui affichait jusque-là une ligne plutôt bienveillante à l’égard de la cause palestinienne, à l’unisson avec le Quai d’Orsay. Entre le vote, en 2019, d’une résolution visant à condamner tout discours « antisioniste » au motif qu’il serait automatiquement antisémite, le réquisitoire, en plein hémicycle, contre l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri en 2022, la démission du président du groupe France-Palestine, privé de parole lors d’un débat sur « l’apartheid » en Israël, et le « soutien inconditionnel » à l’État hébreu décrété par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet en 2023, c’est peu dire que l’ambiance a changé.
De là à y voir la main d’Elnet ? L’association n’a en tout cas pas chômé pour peser sur les représentations des parlementaires français ces dernières années. Interrogée par Mediapart, l’ONG indique « ne pas tenir les comptes », mais à en croire les déclarations officielles des députés et sénateurs – tenus de rendre publique « toute acceptation d’une invitation à un voyage émanant d’une personne morale ou physique dont ils ont bénéficié à raison de leur mandat » –, 55 voyages ont été organisés pour des députés et 46 pour des sénateurs depuis 2017.
À ces chiffres, s’ajoutent les allers-retours effectués mais non déclarés : en tout, une centaine de parlementaires sont ainsi partis en Israël avec Elnet devenue, de loin, la première organisation à faire de l’influence via des voyages de parlementaires.
Des aficionados dans la macronie et chez LR
Certains parlementaires sont même devenus des habitués d’Elnet. Côté macronistes, la députée Renaissance des Français d’Israël, Caroline Yadan, mais aussi sa collègue des Hauts-de-Seine Constance Le Grip ou encore le ministre des affaires européennes Benjamin Haddad ont fait plusieurs allers-retours. Fervents défenseurs du « droit d’Israël à se défendre » depuis le 7-Octobre, tous appartiennent au groupe d’amitié France-Israël et assument une forme de prosélytisme pro-israélien dans les rangs du camp présidentiel.
C’est également le cas de l’ex-présidente du groupe d’amitié France-Israël (de 2019 à 2023), aujourd’hui ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, qui fut l’une des toutes premières à profiter des voyages Elnet. En juillet 2018, juste après son entrée au Palais-Bourbon, la jeune députée des Yvelines faisait ainsi partie d’une délégation Elnet de trente et un parlementaires reçus pour une discussion qualifiée de « constructive » avec Benyamin Nétanyahou.
“C’est un honneur de faire partie de la délégation d’Elnet”
L’ex-député LR Pierre-Henri Dumont
Depuis, celle qui juge cette association « utile pour lutter contre le fléau de l’antisémitisme, ce d’autant plus dans ce moment où il refait surface », est repartie au moins deux fois avec Elnet. Dernier voyage en date, le 7 octobre 2024, pour les commémorations des attaques meurtrières du Hamas, en compagnie de ses collègues Caroline Yadan et Sylvain Maillard. Depuis les lieux du massacre du festival Nova, ils en ont profité pour défendre une position alignée sur celle du ministère des affaires étrangères sur l’envoi des armes en Israël.
À droite encore, Elnet trouve plusieurs autres soutiens, tels le vice-président (UDI) du Sénat Loïc Hervé, Meyer Habib, « ami personnel » de Nétanyahou, mais aussi les élus LR Michèle Tabarot, Roger Karoutchi, Karl Olive – aujourd’hui proche d’Emmanuel Macron – ou Pierre-Henri Dumont. L’ancien président de la commission des affaires internationales de l’Assemblée – qui a perdu son siège en 2024 – n’a jamais hésité à se faire l’ambassadeur de l’organisation : « C’est un honneur de faire partie de la délégation d’Elnet », assurait-il récemment dans un message calibré, dûment relayé sur les réseaux sociaux par l’organisation.
A contrario, nombre de députés ne goûtent guère les sollicitations insistantes d’Elnet. Le député macroniste Ludovic Mendès rapporte avoir été approché par le PDG d’Elnet-France il y a deux ans, lors d’un dîner du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Mais « pas question d’aller où que ce soit avec un organisme financé par on ne sait qui et qui promeut une ligne religieuse ou politique, assure-t-il à Mediapart. Quand je vais en Israël, je veux par ailleurs pouvoir me rendre où je veux, y compris du côté palestinien ». Une ancienne députée proche de Gabriel Attal raconte également avoir refusé les propositions de l’ONG : « J’ai une éthique », dit-elle.
Dans les rangs socialistes, l’ex-députée Valérie Rabault et le député Jérôme Guedj, tous deux membres du groupe France-Israël à l’Assemblée, ont eux aussi décidé de ne pas répondre aux sollicitations d’Elnet, par peur des potentielles « ingérences ». Le député Liot (Liberté, indépendants, outre-mer et territoires), ancien vice-président du Palais-Bourbon chargé des questions de déontologies, David Habib a, quant à lui, décidé de jouer cartes sur table : il a effectivement réalisé un voyage avec Elnet, mais il a payé tous les frais de sa poche.
“C’est un peu comme les voyages en URSS dans les années 1930”
Christophe Marion, député macroniste
Reste enfin les participants qui acceptent les voyages mais disent ne « pas être dupes » sur ses objectifs. « Elnet fait du soft power et n’est clairement pas là pour porter un message critique sur Israël. Mais ces voyages restent intéressants », estime le macroniste Mounir Belhamiti, membre de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, qui s’est rendu une fois en Israël au moment de la loi de programmation militaire, mais a refusé d’y retourner après le 7-Octobre.
Une position partagée par son collègue Christophe Marion, qui s’est rendu deux fois en Israël avec Elnet : « C’est un peu comme les voyages en URSS dans les années 1930, sourit-il, même si cela permet de mieux appréhender la situation complexe dans la région. Je n’ai pas de problème à y aller du moment qu’on ne me demande pas de porter des positions ensuite. » Pour autant, l’élu reconnaît qu’il se poserait probablement davantage de questions si l’organisation lui proposait de repartir aujourd’hui.
La cible de « l’extrême gauche »
Se définissant comme un « think tank du dialogue stratégique entre la France et Israël », Elnet assure se contenter de promouvoir « la démocratie, la liberté, la justice et la paix » de manière « indépendante » et « apolitique ».
De politique, Arié Bensemhoun, le président d’Elnet-France, ne parle pourtant que de cela. Que ce soit sur Radio J où il tient une chronique régulière, ou sur CNews, il est loin de porter un regard « apolitique » sur le conflit au Proche-Orient.
Ainsi, au lendemain de la décision des juges de la Cour pénale internationale (CPI) de délivrer un mandat d’arrêt international contre le premier ministre israélien, il écrit sur X : « Les accusations portées […] ne reposent sur rien, aucune preuve, si ce n’est les allégations mensongères des ONG à la solde des islamistes et des terroristes du Hamas et de l’autorité palestinienne […]. Comme autrefois devant les nazis, les nations se sont couchées devant les islamistes qui veulent détruire nos sociétés libres et démocratiques. »
Mi-septembre, alors que l’Unicef comptabilisait plus de 43 000 morts dont plus de 14 100 enfants dans la bande de Gaza, Arié Bensemhoun expliquait aussi, sur Radio J, que « les Palestiniens civils que l’on nous dit innocents ne sont pas tous innocents. Personne ne peut imaginer que les nazis aient pu faire tout ce qu’ils ont fait sans que tout ou partie du peuple ait été complice. C’est la même chose pour les Palestiniens de Gaza », affirmait celui qui, depuis un an, dénonce « les ONG vendues au Hamas ».
En France, il s’attaque aussi aux « islamistes », « extrémistes de gauche » et autres « wokistes ». « L’extrême gauche » reste en effet la cible privilégiée de l’ancien président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) de Toulouse (Haute-Garonne), à commencer par La France insoumise (LFI) et son « obsession anti-juive » qu’Arié Bensemhoun étrille à longueur d’éditos. Il y a quelques jours, c’est Dominique de Villepin qui en faisait les frais, comme en témoigne ce texte publié sur le site d’Elnet, après des déclarations de l’ancien premier ministre.
Le 16 octobre, le patron d’Elnet-France se permettait aussi d’envoyer une lettre ouverte à la présidente de l’Assemblée nationale pour réclamer « solennellement » à Yaël Braun-Pivet de « prononcer des sanctions disciplinaires » à l’encontre du vice-président du Groupe d’amitié France-Israël, Aymeric Caron.
L’Insoumis jouerait selon lui « un rôle cynique et prépondérant dans la légitimation de la haine des Juifs dans notre pays » pour avoir relayé des vidéos « non sourcées » des massacres à Gaza ou comparé l’armée israélienne au « monstre nazi ». D’après nos informations, Yaël Braun-Pivet a opposé une fin de non-recevoir au dirigeant d’Elnet. Son entourage a toutefois refusé de nous faire lire le courrier.
Le 21 mars 2025 à 11 h., le quotidien Le Monde publie la tribune suivante
Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme !
À l’initiative du collectif Nous vivrons, un collectif de plus de 200 personnalités, parmi lesquelles Elisabeth Badinder, Aurore Bergé et François Hollande, souligne, dans une tribune au « Monde », la montée d’un antisionisme qui cache un antisémitisme actif.
« Sionistes, fascistes, c’est vous les terroristes ! », c’est ce que l’on entend depuis des mois dans toutes les manifestations dites « propalestiniennes ». L’antisionisme est à la mode. Le déroulé est simple : le sionisme est un colonialisme qu’il faut éliminer. Cette simplification de l’histoire ne dit rien de l’histoire du peuple juif, d’une émancipation qui arrive trop tard, des pogroms qui tuent, d’une Shoah qui extermine. Inscrire le sionisme sur le terrain décolonial est un biais historique permettant de se considérer du « bon côté de l’histoire ». Cela parle de tout, sauf du projet sioniste visant à l’autodétermination et à l’émancipation du peuple juif.
Partant de cette lecture, tout y passe : l’anti-impérialisme, l’antifascisme, l’anticapitalisme. Et, surtout, beaucoup de complotisme, mais sans jamais se revendiquer de l’antisémitisme. Comme le disait, dans les années 1970, le philosophe Vladimir Jankélévitch [1903-1985], « l’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort ». Nous en sommes là.
Depuis le 8 octobre 2023, nous assistons à un relativisme des massacres du 7 octobre 2023 et à une condamnation du sionisme. En résumé, si les juifs n’étaient pas là, tout cela ne serait pas arrivé. C’est ainsi que le « sale sioniste » a remplacé le « sale juif ». On ne s’attaque plus au peuple « déicide » mais au peuple « génocidaire ».
On ne reproche plus aux juifs de vouloir contrôler le monde mais aux sionistes de vouloir contrôler les terres. Ces terres qui font la taille de la Bretagne et qui rassemblent plus de la moitié des juifs du monde dans le seul Etat juif de la planète. « Si vous le voulez, ce ne sera plus un rêve », disait Theodor Herzl [1860-1904], père du sionisme moderne, à la fin du XIXe siècle. Le sionisme, c’est un idéal d’émancipation, un ancrage durable, un barrage à la haine, un rempart à l’extermination. Le sionisme, c’est ce qui devait permettre aux juifs de décider de l’avenir de leurs enfants.
Selon une étude de l’IFOP publiée le 3 mars, le sionisme vaut à ces enfants juifs que 37 % de leurs camarades d’école « refusent de nouer certaines relations amicales ou sentimentales avec eux en raison de leur soutien à Israël ». La mécanique est rodée. Les juifs sont des sionistes, les sionistes sont des fascistes, les fascistes sont des génocidaires.
Tout juif soutenant le sionisme devient coupable, tout juif attaché à Israël est condamné. L’antisionisme essentialise. L’antisionisme déshumanise. L’antisionisme assigne les juifs de la diaspora à prendre position sur la politique du gouvernement israélien. A quel titre ? Sachant, par ailleurs, que seuls les juifs antisionistes auraient le droit au soutien des nouveaux antiracistes. Les autres sont non seulement responsables des violences dont ils font l’objet, mais ils en sont comptables. Parce qu’ils sont du « mauvais côté de l’histoire ».
L’antisionisme est du révisionnisme. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote la résolution 181 visant à la création d’un Etat juif. Le 14 mai 1948, David Ben Gourion [1886-1973] proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël. Quatre-vingts ans après, du parvis de Columbia à celui de Sciences Po, des réseaux sociaux à l’Assemblée nationale, la légitimité de l’Etat d’Israël est non seulement remise en cause mais de nouveaux plans de partage sont suggérés. Sans consulter les concernés. On parle d’un foyer binational dans le meilleur des cas. Plus souvent d’une Palestine « from the river to the sea » (« de la rivière à la mer »), rayant le foyer juif de la carte. Pourquoi une cause en effacerait-elle une autre ? Nous sommes pour la coexistence de deux Etats démocratiques. Ni antisionisme ni suprémacisme, nous reconnaissons les mêmes droits à tous les peuples.
Le 7-Octobre a bouleversé nos certitudes. Il a changé la vie des Français juifs : 57 % des actes racistes touchent 0,6 % de la population française. On ne doit plus pouvoir être antisémite impunément. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, un tiers des actes antisémites recensés en 2024 étaient motivés par la cause palestinienne. Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme, c’est à la République de protéger les juifs en intégrant dans sa loi l’antisionisme comme nouvelle forme d’antisémitisme. Il ne s’agit pas ici de museler la critique légitime de la politique d’un gouvernement israélien auquel le sionisme survivra, mais de condamner l’antisionisme qui frappe, l’antisionisme qui viole, l’antisionisme qui discrimine, l’antisionisme qui humilie.
C’est, comme l’écrivait Martin Luther King [1929-1968] dans sa lettre à un ami antisioniste, en 1967, cet « antisionisme qui est de la discrimination envers les juifs parce qu’ils sont juifs. En un mot, c’est de l’antisémitisme » qui ne doit plus être toléré et qui doit être puni par la loi. Avant que les antisémites ne fassent la loi, parce que la République ne leur appartient pas.
Premiers signataires : Sarah Aizenman, présidente du collectif Nous vivrons ; Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France ; Gabriel Attal, ancien premier ministre ; Elisabeth Badinter, philosophe ; Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ; Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre ; Michaël Delafosse, maire (Parti socialiste) de Montpellier ; Christian Estrosi, maire (Horizons) de Nice ; Jérôme Guedj, député (PS) ; Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe ; Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris ; François Hollande, ancien président de la République ; David Lisnard, maire (Les Républicains) de Cannes ; Mathias Ott, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT ; Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi ; Laurence Rossignol, sénatrice (PS) ; Anne Sinclair, journaliste ; Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ; Manuel Valls, ministre d’Etat, ministre des outre-mer ; Caroline Yadan, députée (Renaissance).
Le 25 mars à 11 h 40, Le Monde ajoute ceci au bas du texte :
Nous sommes donc allés sur le site des initiateurs du texte pour vérifier s’ils avaient eux aussi supprimé le passage en rouge ci-dessus. Le 1er avril, il y figurait toujours et continuera sans doute à y figurer pendant longtemps. Ce « détail » appelle quelques commentaires. Les voici.
La citation attribuée à Martin Luther King Jr., selon laquelle l’antisionisme ne serait qu’antisémitisme, est une pure invention vieille de 26 ans, qui ressurgit régulièrement un peu partout. Plusieurs recherches poussées ont établi de manière indiscutable qu’il s’agit d’un faux pur et simple : King n’a jamais écrit de « Lettre à un ami antisioniste » et n’a même jamais évoqué sous quelque forme que ce soit le sionisme et/ou l’antisionisme. Nous avions publié des textes démontrant cette supercherie il y a 21 ans sur un site ouèbe aujourd’hui disparu. Devant la réapparition de cette Arlésienne sioniste, il nous semble nécessaire de republier ces textes, corrigés et actualisés par nos soins.
« Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts ! » (slogan zapatiste repris par la jeunesse de Kabylie en 2001 et de Sidi Bouzid en Tunisie en 2010)
Ayman El Hakim, Collectif Qui vivra verra, 2/4/2025
Un homme politique marocain souligne publiquement que la démarche de Macron impose à l’Espagne d’adopter “une position plus claire et essentiellement opérationnelle”.
Mohamed VI avec le président français Emmanuel Macron à Rabat. Photo EFE
Il était prévisible, mais le mouvement a commencé à se manifester de toute évidence. Pour s’imposer, sans demi-mesure ni euphémisme. À peine deux semaines après la visite d’Emmanuel Macron à Rabat, méritant tous les honneurs et agrémentée d’accords d’une valeur de 10 milliards d’euros, le régime marocain offre en public les premiers témoignages exigeant de nouvelles concessions de la part de l’Espagne et l’avertissant qu’elle est à la traîne.
La thèse défendue dans les officines de Rabat est que le virage copernicien opéré par Pedro Sánchez en mars 2022 a vite et mal vieilli. Il est dépassé par les événements et manifestement insuffisant au regard de la nouvelle position du président français, ardent défenseur depuis juillet non seulement des « trois pages » du plan marocain d’autonomie pour le Sahara, mais aussi de la souveraineté marocaine sur l’ancienne colonie espagnole, dont l’Espagne reste la puissance administrante de jure.
« Il ne fait aucun doute que le soutien exprimé par Sánchez dans sa lettre à Mohamed VI le 14 mars 2022 était à l’époque un pas courageux et considérable, mais dans le contexte actuel, il ne suffit pas que l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, la plus crédible et la plus réaliste pour la résolution de la question du Sahara », déclare Mohamed Benabdelkader, ancien ministre de la Justice (2019-2021, dans le gouvernement El Otmani II) et dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires, une organisation sœur du PSOE et incluse dans l’Internationale socialiste* avec le soutien exprès de la rue Ferraz [siège du PSOE, NdT], dans une interview accordée au média officiel marocain Rue20.com
Cette affirmation n’est pas isolée au sein de l’establishment alaouite, même si, jusqu’à présent, on avait évité de la formuler aussi clairement en public. Pour Benabdelkader, « la nouvelle perspective qui s’ouvre au niveau régional et mondial nécessitera certainement l’adoption d’une position plus claire et essentiellement opérationnelle ». Un avertissement direct à Sánchez, lancé par un parti d’opposition mais qui pratique une loyauté absolue envers le makhzen, qui pourrait être un avant-goût de nouvelles exigences et concessions.
Sanctions commerciales
La principale serait de suivre les traces de l’Elysée et de proclamer la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. C’est l’intention du Maroc, qui a célébré un prétendu erratum publié dans le BOE [Journal officiel de l’État espagnol, NdT] l’année dernière comme un signe qu'on était sur la bonne voie. En février, El Independiente a rapporté que le gouvernement espagnol avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara dans le cadre d’un appel d’offres pour la rénovation de l’école espagnole d’El Ayoun, accompagné d’une série de documents l’identifiant comme un territoire marocain. L’information a provoqué des versions contradictoires entre les ministères de l’Education et de la Culture, respectivement aux mains du PSOE et de Sumar. Finalement, le département d’Ernest Urtasun [ministre de la Culture, NdT] a refusé de rectifier le document, affirmant qu’elle s’était produite des mois auparavant, lorsque le socialiste Miquel Iceta dirigeait le ministère.
L’un des leviers que le Maroc utilisera pour imposer de nouvelles concessions est l’atout commercial, en élargissant et en attisant le différend entre les entreprises espagnoles et françaises. Lors de la tournée de Macron, le Maroc a récompensé la nouvelle direction prise par la France avec des contrats de milliards après deux années de crise déclenchée par l’espionnage du président français et d’une bonne partie de son cabinet par les services marocains utilisant le logiciel israélien Pegasus. Le gros lot est revenu à la société française Alstom avec la fourniture de 18 trains pour la future ligne ferroviaire à grande vitesse Kénitra-Marrakech, qui, pour 1,8 milliard d’euros, était en concurrence avec les sociétés espagnoles CAF et Talgo, la société coréenne Hyundai Rotem et la société chinoise China Railway Rolling Stock Corp.
« Quelle que soit la lecture en Espagne du nouveau rapprochement de la France avec le Maroc, il est clair que les médias de notre pays voisin ibérique, en soulignant l’ampleur des projets signés entre la France et le Maroc lors de cette visite, et en insistant sur l’engagement de Paris à accompagner Rabat dans la défense de son initiative d’autonomie, auront compris deux choses importantes », argumente l’homme politique marocain. La première est que le « partenariat d’exception renforcé » entre la France et le Maroc est un signal d’alarme pour l’Espagne qui a besoin d’une stratégie plus compétitive et coordonnée sur le marché marocain. La seconde est que le président français, en plaçant la barre plus haut, a montré l’exemple que la nouvelle dynamique de la question du Sahara marocain nécessite non seulement des mots, mais des gestes, et appelle à des actions concrètes en plus des belles déclarations ». Cette semaine, l’ambassadeur de France à Rabat s’est rendu pour la première fois dans les territoires occupés du Sahara, accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et d’une promesse d’ouverture de consulat, le prix habituel exigé par la diplomatie alaouite.
La carte du Maroc, avant et après «Pour la France le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine» Le ministère français des Affaires étrangères a modifié la carte du Maroc sur son site internet pour inclure le territoire du Sahara occidental dans la cartographie du pays maghrébin, profitant du voyage de Macron à Rabat.
Débloquer la cession de l’espace aérien La stratégie du Maroc consiste également à avancer sur certains dossiers qui n’ont pas été satisfaits depuis la lettre de Sánchez à Mohammed VI en mars 2022. Parmi eux, la cession de l’espace aérien du Sahara occidental, actuellement contrôlé depuis les îles Canaries. Dans le jargon aéronautique, FIR est une région d’information de vol où est assuré un service d’information de vol et d’alerte (ALRS). L’OACI [Organisation de l’aviation civile internationale] délègue le contrôle opérationnel d’une FIR donnée à un pays, en l’occurrence, celle qui couvre les îles Canaries et le Sahara occidental relève de l’Espagne.
Le groupe de travail mis en place par le Maroc et l’Espagne depuis le virage copernicien du gouvernement espagnol dans le conflit du Sahara et le début de la « nouvelle ère » des relations hispano-marocaines se penche sur la question du transfert de la gestion, qui - s’il est réalisé - constituerait une violation du droit international. Le partenaire de la coalition s’oppose ouvertement à cette mesure. « Nous rejetons la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental. Nous rejetons également la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales et l’espace aérien », ont déclaré des sources de Sumar à notre journal il y a plusieurs mois. D’autres mesures qui auraient conduit à la reconnaissance du statut marocain du territoire, comme l’installation d’un centre de l’Institut Cervantes, ont été suspendues**.
Ces nouvelles exigences de Rabat, exprimées par un politicien socialiste, interviennent au milieu de l’impasse dans laquelle se trouvent les bureaux de douane de Ceuta et Melilla, complètement bloqués du côté marocain et avec le sentiment qu’ils ne seront pas ouverts parce que, pour les autorités marocaines, cela signifierait reconnaître les frontières terrestres avec l’Espagne, ce qu’elles nient avec insistance.
Le PSOE omet le Maroc dans son document cadre du Congrès Dans ce contexte de concurrence entre la France et l’Espagne pour obtenir les faveurs du Maroc, l’absence de toute mention du Maroc et du conflit du Sahara dans le document cadre du PSOE pour son congrès qui se tiendra à la fin du mois à Séville est frappante. Le document se targue que « le PSOE a ramené l’Espagne au premier plan de la politique internationale et a porté notre prestige et notre influence à des niveaux sans précédent dans l’histoire récente de notre pays », mais omet toute référence au Maroc. Lors du Congrès de 2021, la rue Ferraz avait cependant décrit le Maroc comme un « partenaire clé sur la rive sud de la Méditerranée », donnant un avant-goût des actions qui allaient suivre dans les mois suivants. « Nous devons continuer à renforcer ces liens et ces intérêts, ce qui nous permettra de surmonter certaines difficultés. C’est pourquoi, au cours des prochaines années, nous progresserons dans le partenariat stratégique bilatéral à long terme que les gouvernements socialistes ont toujours promu ; d’autre part, et comme elle l’a fait depuis son entrée en fonction, l’Espagne continuera à défendre en Europe le caractère stratégique que ce pays a pour l’Espagne et pour l’Europe », promettait le document.
L’Espagne et la France, par leurs actions diplomatiques de ces dernières années, ont été prises dans la rivalité entre le Maroc et l’Algérie. « L’Algérie partage avec le Maroc la tendance à considérer ses interlocuteurs en fonction de leur position sur la question. Au fil des ans, alors que le Maroc a abandonné l’option du référendum, Alger s’est accroché au principe de l’autodétermination, rendant impossible toute négociation de sortie de crise », note Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb et membre du comité de rédaction du magazine français en ligne Orient XXI. « En conséquence, le conflit du Sahara occidental s’est figé, ce qui est préjudiciable, d’une part, aux Sahraouis et, d’autre part, à l’ensemble du Maghreb, dans la mesure où cela empêche l’intégration de la région. L’Algérie perçoit désormais la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui accroît la tension et éloigne un peu plus la solution à la question du Sahara occidental », conclut-elle.
NdT *Le Front Polisario fait partie de l’Internationale socialiste en tant que membre consultatif.
** L’Institut Cervantes, qui dépend du ministère espagnol des Affaires étrangères, est dirigé par le poète grenadin Luis García Montero, militant historique d’Izquierda Unida (Gauche Unie), parti qui participe à la coalition gouvernementale de Pedro Sánchez à travers la plateforme Sumar de la vice-présidente du gouvernement Yolanda Díaz. En voyage au Maroc en mars dernier, il a déclaré : « Lors de ce voyage, la possibilité » d’ouvrir une annexe de Cervantes à El Aaiún n’a pas été envisagée. L’Institut Cervantes compte actuellement six centres actifs au Maroc : Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech et Fès. Le projet d’en ouvrir un à El Ayoun avait suscité les critiques du Front Polisario et de l’eurodéputé Manu Pineda. Selon des sources espagnoles, 12 000 habitants d’El Ayoun parlent l’espagnol. D’autre part, une décision d’ouvrir une annexe de l’Institut à Tindouf en Algérie pour enseigner l’espagnol à des réfugiés sahraouis, prise en 2019, ne s’est jamais concrétisée. L’Institut est présent à Alger et Oran.
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