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21/11/2024

FRANCISCO CARRION
Le Maroc utilise le changement de position de la France comme monnaie d’échange pour exiger de nouvelles concessions de la part de l’Espagne


Un homme politique marocain souligne publiquement que la démarche de Macron impose à l’Espagne d’adopter “une position plus claire et essentiellement opérationnelle”.

Francisco Carrión, El Independiente, 15/11/2024
Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Mohamed VI avec le président français Emmanuel Macron à Rabat. Photo EFE

Il était prévisible, mais le mouvement a commencé à se manifester de toute évidence. Pour s’imposer, sans demi-mesure ni euphémisme. À peine deux semaines après la visite d’Emmanuel Macron à Rabat, méritant tous les honneurs et agrémentée d’accords d’une valeur de 10 milliards d’euros, le régime marocain offre en public les premiers témoignages exigeant de nouvelles concessions de la part de l’Espagne et l’avertissant qu’elle est à la traîne.

La thèse défendue dans les officines de Rabat est que le virage copernicien opéré par Pedro Sánchez en mars 2022 a vite et mal vieilli. Il est dépassé par les événements et manifestement insuffisant au regard de la nouvelle position du président français, ardent défenseur depuis juillet non seulement des « trois pages » du plan marocain d’autonomie pour le Sahara, mais aussi de la souveraineté marocaine sur l’ancienne colonie espagnole, dont l’Espagne reste la puissance administrante de jure.

« Il ne fait aucun doute que le soutien exprimé par Sánchez dans sa lettre à Mohamed VI le 14 mars 2022 était à l’époque un pas courageux et considérable, mais dans le contexte actuel, il ne suffit pas que  l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, la plus crédible et la plus réaliste pour la résolution de la question du Sahara », déclare Mohamed Benabdelkader, ancien ministre de la Justice (2019-2021, dans le gouvernement El Otmani II) et dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires, une organisation sœur du PSOE et incluse dans l’Internationale socialiste* avec le soutien exprès de la rue Ferraz [siège du PSOE, NdT], dans une interview accordée au média officiel marocain Rue20.com

Cette affirmation n’est pas isolée au sein de l’establishment alaouite, même si, jusqu’à présent, on avait évité de la formuler aussi clairement en public. Pour Benabdelkader, « la nouvelle perspective qui s’ouvre au niveau régional et mondial nécessitera certainement l’adoption d’une position plus claire et essentiellement opérationnelle ». Un avertissement direct à Sánchez, lancé par un parti d’opposition mais qui pratique une loyauté absolue envers le makhzen, qui pourrait être un avant-goût de nouvelles exigences et concessions.


Sanctions commerciales

La principale serait de suivre les traces de l’Elysée et de proclamer la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. C’est l’intention du Maroc, qui a célébré un prétendu erratum publié dans le BOE [Journal officiel de l’État espagnol, NdT] l’année dernière comme un signe qu'on était sur la bonne voie. En février, El Independiente a rapporté que le gouvernement espagnol avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara dans le cadre d’un appel d’offres pour la rénovation de l’école espagnole d’El Ayoun, accompagné d’une série de documents l’identifiant comme un territoire marocain. L’information a provoqué des versions contradictoires entre les ministères de l’Education et de la Culture, respectivement aux mains du PSOE et de Sumar. Finalement, le département d’Ernest Urtasun [ministre de la Culture, NdT] a refusé de rectifier le document, affirmant qu’elle s’était produite des mois auparavant, lorsque le socialiste Miquel Iceta dirigeait le ministère.

L’un des leviers que le Maroc utilisera pour imposer de nouvelles concessions est l’atout commercial, en élargissant et en attisant le différend entre les entreprises espagnoles et françaises. Lors de la tournée de Macron, le Maroc a récompensé la nouvelle direction prise par la France avec des contrats de milliards après deux années de crise déclenchée par l’espionnage du président français et d’une bonne partie de son cabinet par les services marocains utilisant le logiciel israélien Pegasus. Le gros lot est revenu à la société française Alstom avec la fourniture de 18 trains pour la future ligne ferroviaire à grande vitesse Kénitra-Marrakech, qui, pour 1,8 milliard d’euros, était en concurrence avec les sociétés espagnoles CAF et Talgo, la société coréenne Hyundai Rotem et la société chinoise China Railway Rolling Stock Corp.

« Quelle que soit la lecture en Espagne du nouveau rapprochement de la France avec le Maroc, il est clair que les médias de notre pays voisin ibérique, en soulignant l’ampleur des projets signés entre la France et le Maroc lors de cette visite, et en insistant sur l’engagement de Paris à accompagner Rabat dans la défense de son initiative d’autonomie, auront compris deux choses importantes », argumente l’homme politique marocain. La première est que le « partenariat d’exception renforcé » entre la France et le Maroc est un signal d’alarme pour l’Espagne qui a besoin d’une stratégie plus compétitive et coordonnée sur le marché marocain. La seconde est que le président français, en plaçant la barre plus haut, a montré l’exemple que la nouvelle dynamique de la question du Sahara marocain nécessite non seulement des mots, mais des gestes, et appelle à des actions concrètes en plus des belles déclarations ». Cette semaine, l’ambassadeur de France à Rabat s’est rendu pour la première fois dans les territoires occupés du Sahara, accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et d’une promesse d’ouverture de consulat, le prix habituel exigé par la diplomatie alaouite.

La carte du Maroc, avant et après
«Pour la France le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine»
Le ministère français des Affaires étrangères a modifié la carte du Maroc sur son site internet pour inclure le territoire du Sahara occidental dans la cartographie du pays maghrébin, profitant du voyage de Macron à Rabat.

Débloquer la cession de l’espace aérien
La stratégie du Maroc consiste également à avancer sur certains dossiers qui n’ont pas été satisfaits depuis la lettre de Sánchez à Mohammed VI en mars 2022. Parmi eux, la cession de l’espace aérien du Sahara occidental, actuellement contrôlé depuis les îles Canaries. Dans le jargon aéronautique, FIR est une région d’information de vol où est assuré un service d’information de vol et d’alerte (ALRS). L’OACI [Organisation de l’aviation civile internationale] délègue le contrôle opérationnel d’une FIR donnée à un pays, en l’occurrence, celle qui couvre les îles Canaries et le Sahara occidental relève de l’Espagne.

Le groupe de travail mis en place par le Maroc et l’Espagne depuis le virage copernicien du gouvernement espagnol dans le conflit du Sahara et le début de la « nouvelle ère » des relations hispano-marocaines se penche sur la question du transfert de la gestion, qui - s’il est réalisé - constituerait une violation du droit international. Le partenaire de la coalition s’oppose ouvertement à cette mesure. « Nous rejetons la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental. Nous rejetons également la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales et l’espace aérien », ont déclaré des sources de Sumar à notre journal il y a plusieurs mois. D’autres mesures qui auraient conduit à la reconnaissance du statut marocain du territoire, comme l’installation d’un centre de l’Institut Cervantes, ont été suspendues**.

Ces nouvelles exigences de Rabat, exprimées par un politicien socialiste, interviennent au milieu de l’impasse dans laquelle se trouvent les bureaux de douane de Ceuta et Melilla, complètement bloqués du côté marocain et avec le sentiment qu’ils ne seront pas ouverts parce que, pour les autorités marocaines, cela signifierait reconnaître les frontières terrestres avec l’Espagne, ce qu’elles nient avec insistance.

Le PSOE omet le Maroc dans son document cadre du Congrès

Dans ce contexte de concurrence entre la France et l’Espagne pour obtenir les faveurs du Maroc, l’absence de toute mention du Maroc et du conflit du Sahara dans le document cadre du PSOE pour son congrès qui se tiendra à la fin du mois à Séville est frappante. Le document se targue que « le PSOE a ramené l’Espagne au premier plan de la politique internationale et a porté notre prestige et notre influence à des niveaux sans précédent dans l’histoire récente de notre pays », mais omet toute référence au Maroc.
Lors du Congrès de 2021, la rue Ferraz avait cependant décrit le Maroc comme un « partenaire clé sur la rive sud de la Méditerranée », donnant un avant-goût des actions qui allaient suivre dans les mois suivants. « Nous devons continuer à renforcer ces liens et ces intérêts, ce qui nous permettra de surmonter certaines difficultés. C’est pourquoi, au cours des prochaines années, nous progresserons dans le partenariat stratégique bilatéral à long terme que les gouvernements socialistes ont toujours promu ; d’autre part, et comme elle l’a fait depuis son entrée en fonction, l’Espagne continuera à défendre en Europe le caractère stratégique que ce pays a pour l’Espagne et pour l’Europe », promettait le document.

L’Espagne et la France, par leurs actions diplomatiques de ces dernières années, ont été prises dans la rivalité entre le Maroc et l’Algérie. « L’Algérie partage avec le Maroc la tendance à considérer ses interlocuteurs en fonction de leur position sur la question. Au fil des ans, alors que le Maroc a abandonné l’option du référendum, Alger s’est accroché au principe de l’autodétermination, rendant impossible toute négociation de sortie de crise », note Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb et membre du comité de rédaction du magazine français en ligne Orient XXI. « En conséquence, le conflit du Sahara occidental s’est figé, ce qui est préjudiciable, d’une part, aux Sahraouis et, d’autre part, à l’ensemble du Maghreb, dans la mesure où cela empêche l’intégration de la région. L’Algérie perçoit désormais la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui accroît la tension et éloigne un peu plus la solution à la question du Sahara occidental », conclut-elle.

NdT
*Le Front Polisario fait  partie de l’Internationale socialiste en tant que membre consultatif.

** L’Institut Cervantes, qui dépend du ministère espagnol des Affaires étrangères, est dirigé par le poète grenadin Luis García Montero, militant historique d’Izquierda Unida (Gauche Unie), parti qui participe à la coalition gouvernementale de Pedro Sánchez à travers la plateforme Sumar de la vice-présidente du gouvernement Yolanda Díaz. En voyage au Maroc en mars dernier, il a déclaré : « Lors de ce voyage, la possibilité » d’ouvrir une annexe de Cervantes à El Aaiún n’a pas été envisagée.
L’Institut Cervantes compte actuellement six centres actifs au Maroc : Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech et Fès. Le projet d’en ouvrir un à El Ayoun avait suscité les critiques du Front Polisario et de l’eurodéputé Manu Pineda. Selon des sources espagnoles, 12 000 habitants d’El Ayoun parlent l’espagnol. D’autre part, une décision d’ouvrir une annexe de l’Institut à Tindouf en Algérie pour enseigner l’espagnol à des réfugiés sahraouis, prise en 2019, ne s’est jamais concrétisée. L’Institut est présent à Alger et Oran.
 

Pedro Sánchez devra faire encore un effort pour mériter une Koumiya


02/09/2024

En France, des réfugiés gazaouis soumis à l’arbitraire

La justice française face au dilemme de l’expulsion des Palestiniens

Malgré des décisions préfectorales d’éloignement, les juges se voient dans l’impossibilité de valider ces demandes en raison de la situation sur place. La rétention de certains étrangers est prolongée, alors que ce système ne doit s’appliquer qu’à ceux dont l’expulsion est imminente.

Christophe Ayad et Julia Pascual, Le Monde, 30/8/2024

Il est le sixième à se présenter devant le juge des libertés et de la détention, mercredi 28 août. Dans cette annexe du tribunal judiciaire qui jouxte le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le juge se prononce tous les jours sur la prolongation des rétentions d’étrangers demandée par l’administration. A quelques encablures de là, des avions décollent en continu des pistes de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.


Le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le 6 mai 2019. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

A priori, les personnes placées en rétention ont vocation à être expulsées dans un délai maximum de quatre-vingt-dix jours. Mais Issa (les personnes citées par leur prénom sont anonymisées) n’a pour ainsi dire aucune chance de l’être. Et pour cause : il est originaire de Gaza. « Il y a une absence totale de perspective d’éloignement », est venu plaider ce jour-là son avocat, Samy Djemaoun, alors que le droit prévoit qu’un étranger ne peut être retenu « que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». « Il y a, à Gaza, une situation de violence aveugle, il n’y a pas un mètre carré qui n’est pas bombardé, donc, aller à Gaza, c’est aller se tuer, a encore plaidé Me Djemaoun. Et la Palestine n’a pas le contrôle de ses frontières extérieures, donc demander un laissez-passer consulaire à la Palestine est vain. »

C’est pourtant ce qu’a fait le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui a placé Issa en rétention en août et sollicité les autorités palestiniennes en vue de son éloignement – alors que la France ne reconnaît pas l’Etat palestinien. L’homme de 34 ans, père de deux enfants français et conjoint d’une Française, est arrivé dans l’Hexagone en 2010. Il a fait l’objet d’une condamnation en juin 2022 à quatre mois de prison avec sursis et à une interdiction du territoire de cinq ans pour avoir fait entrer deux Syriens illégalement en France. Son nom apparaît aussi – sans qu’il ait été condamné – dans des affaires de vols, de violences, de dégradation de biens privés ou encore d’escroquerie. Aux yeux des autorités françaises, il constitue une « menace à l’ordre public ».

« Aberration »

Mercredi, en fin de journée, le juge a finalement décidé sa remise en liberté, pour un vice de procédure. Ils sont plusieurs, comme lui, à avoir été placés en rétention. Au total, depuis le début de l’année et d’après les données compilées par Le Monde auprès de plusieurs associations intervenant en CRA, près d’une vingtaine de ressortissants palestiniens ont été placés en rétention. Selon le ministère de l’intérieur, à ce jour, trois sont toujours retenus. A chaque fois, la France a entrepris des démarches auprès des autorités consulaires palestiniennes en vue de leur identification et de leur éloignement. Aucune des personnes n’a pourtant été reconduite en Palestine.

Certaines ont en revanche été renvoyées vers un Etat duquel elles bénéficiaient de la nationalité, à l’image de la militante palestinienne d’extrême gauche Mariam Abudaqa, qui devait participer à diverses conférences sur le conflit israélo-palestinien et qui a été expulsée vers l’Egypte en novembre 2023. Certains Palestiniens ont aussi été éloignés vers un autre Etat européen où ils bénéficiaient d’un titre de séjour ou avaient une demande d’asile en cours. D’autres encore ont fini par être libérés. Pour Claire Bloch, de la Cimade, une association d’aide aux migrants, « c’est une aberration que des juges prolongent des rétentions alors qu’il n’y a pas d’éloignement possible vers la Palestine. Et s’il y en avait, ce serait en violation de l’article 3 de la CEDH [Convention européenne des droits de l’homme], qui interdit la torture ».

Dans une décision du 16 juin, un juge de Bordeaux a pourtant prolongé la rétention d’un Gazaoui au motif principal que « les autorités consulaires de Palestine et d’Israël ont été saisies ». Ce dernier se trouve toujours en rétention à ce jour. Dans une autre décision du 17 juillet, rendue cette fois par un juge de Lille, c’est au motif qu’une « demande de laissez-passer consulaire a été faite auprès de la mission de Palestine en France », bien que restée sans réponse, que la rétention d’un Palestinien a été prolongée de trente jours.

Selon une source au ministère de l’intérieur, « il n’y a pas d’interdiction a priori de procéder à un éloignement vers un quelconque pays, même s’il peut y avoir des impossibilités techniques ou diplomatiques ». Cette source avance en outre que certaines personnes se prévalant de la nationalité palestinienne sont en réalité originaires d’un autre pays.

« Risque de traitements inhumains »

« Les personnes placées en rétention sont en priorité des étrangers qui représentent une menace à l’ordre public », ajoute-t-on place Beauvau. Cela se traduit notamment par des condamnations pénales comportant des interdictions du territoire. Un élément que l’administration n’hésite pas à plaider devant le juge des libertés et de la détention. « La rétention ne doit pas être un moyen de régulation de la sécurité, estime, de son côté, Claire Bloch. C’est un détournement du droit des étrangers à des fins de répression. »

Jeudi 29 août, Me Djemaoun est allé au tribunal défendre un autre Palestinien, Youssef, retenu depuis le 9 août au Mesnil-Amelot. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé de son expulsion après des condamnations, notamment une pour recel de vol de téléphone portable en récidive assortie d’une interdiction du territoire français. Le tribunal administratif de Montreuil avait annulé, le 23 août, l’arrêté de fixation du pays de renvoi au motif que son expulsion vers la Palestine l’exposerait à « un risque de traitements inhumains ou dégradants », en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Un juge de Meaux a pourtant rejeté sa demande de remise en liberté. Décision dont il a fait appel. « Le préfet, nonobstant l’annulation du pays de renvoi, a demandé au Maroc de l’accueillir. Pourquoi le Maroc ? On ne sait pas, ironise Me Djemaoun devant le juge. S’il n’y a pas de départ possible, qu’est-ce que fait mon client en rétention ? », poursuit-il. L’avocat de la préfecture est bien en peine de fournir une réponse sur le choix du Maroc, avec lequel Youssef n’a aucun lien. Ce 29 août, le juge décidera finalement son maintien en rétention au motif que la préfecture a lancé des « diligences » – sans réponse pour le moment – en vue de l’expulser vers le Maroc.

Pendant sa rétention administrative au Mesnil-Amelot, Youssef, qui séjournait en France depuis 2003, a présenté une demande d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides l’a rejetée car il ne s’est pas présenté le jour de l’entretien prévu – il était malade et avait prévenu de son indisponibilité. Il compte faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile.

30/08/2024

SAMY DJEMAOUN
L'expulsion d'un Gazaoui vers la Palestine annulée par la justice administrative française

 Samy Djemaoun, avocat, 23/8/2024

 On pourrait se croire dans un cauchemar, mais c'est bien une réalité française.

Mon client, ressortissant palestinien né à Gaza a été placé, le vendredi 9 août 2024, en centre de rétention administrative par la préfecture de la Seine-Saint-Denis [1].

Le même jour, le préfet avait fixé le pays de destination vers lequel il sera éloigné : l’État de Palestine, donc. Le tribunal administratif de Montreuil avait fixé une audience au 23 août 2024 à 9h30 pour l’arrêté fixant le pays de destination.

 La préfecture avait sollicité « le consul de Palestine » pour obtenir un laissez-passer consulaire afin de pouvoir l’éloigner rapidement vers la Palestine.

Le samedi 17 août 2024, la Cour d’appel de Paris avait estimé, à rebours de la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les perspectives d’éloignement en première prolongation. Rappelons que la rétention administrative n’a pour but que l’éloignement, de sorte que si l’éloignement est impossible, la rétention administrative est injustifiée. La Cour d'appel a ensuite indiqué, en substance, que seul le juge administratif était compétent s’agissant du pays de destination.

 Aujourd'hui, le cabinet obtient devant le tribunal administratif de Montreuil l'annulation de cet arrêté en tant qu'il n’exclut pas la Palestine comme pays de renvoi :

On retiendra donc que la France n'hésite pas à prendre attache avec un État qu'elle ne reconnaît pas comme tel – et qui n'a, au demeurant, pas le contrôle de ses frontières – afin qu'un de ses ressortissants soit exposé à un risque de mort imminente.

La phrase de Badinter n’a jamais été aussi à-propos : « lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style, elle est la patrie de la déclaration des droits de l’homme, aller plus loin relève de la cécité historique. »

14/07/2024

FADWA ISLAH
Après l’Algérie, le Maroc : nouvelles révélations sur les liens de Jordan Bardella avec le Maghreb


Fadwa Islah, Jeune Afrique, 28/6/2024

Après avoir enquêté sur les origines algériennes du président du Rassemblement national, Jeune Afrique est parti sur les traces de son grand-père paternel, à Casablanca. Révélations exclusives à la clé.
Si le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, ne s’est jamais privé de mettre en avant ses origines italiennes, notamment pour illustrer le modèle d’assimilation qu’il défend politiquement, il a toujours fait l’impasse sur les liens de sa famille avec le Maghreb.

     
    Titre de séjour
D’abord, ceux de son arrière-grand-père Mohand Séghir Mada, travailleur immigré algérien arrivé de Kabylie en France dans les années 1930 [lire ici]. Mais aussi ceux de son grand-père paternel, Guerrino Bardella. Celui-ci a d’abord été marié à Réjane Mada, issue de la branche algérienne de la famille, et le couple a donné naissance, en 1968, à Olivier Bardella, le père du potentiel futur Premier ministre français [cet article a été publié avant le premier tour des élections, NdE]. Par la suite, le couple a divorcé et Guerrino s’est installé au Maroc, où il a épousé en secondes noces une Marocaine, prénommée Hakima.
Si la date exacte du mariage n’est pas connue, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il remonte à plusieurs années – le dernier titre de séjour au Maroc de Guerrino Italo Bardella obtenu au motif du « regroupement familial », selon les informations auxquelles Jeune Afrique a eu accès, ayant été délivré en 2016 pour une durée de dix ans. Ce qui signifie qu’il ne s’agissait pas de son premier titre de séjour au Maroc, mais d’un renouvellement.

Conversion à l’islam

Avec sa nouvelle femme, ce retraité, âgé de 80 ans depuis le 1er avril 2024, coule des jours heureux à Casablanca, dans le quartier Bourgogne. Son mariage avec Hakima implique qu’il s’est converti à l’islam, conformément à la loi en vigueur au Maroc qui stipule qu’une citoyenne ne peut pas épouser un étranger de confession non musulmane si celui-ci ne s’est pas converti au préalable officiellement devant un adoul (autorité juridique religieuse) et plusieurs témoins.
Connu comme menuisier-ébéniste, exerçant notamment dans les milieux d’expatriés et dans la bourgeoisie marocaine, Guerrino Bardella est enregistré au royaume en tant que ressortissant italien. Il a longtemps eu ses habitudes au restaurant du Cercle italien « Chez Massimo », boulevard Bir Anzarane, au Maarif, comme nombre de ses compatriotes vivant dans la capitale économique du Maroc.

Avenir meilleur

Né en 1944 à Alvito, en province de Frosinone dans le Latium italien, issu d’une famille de quatre enfants – il a une sœur, Giovanna, et deux frères : Honoré Roger et Silvio Ascenzo, tous trois décédés –, ce fils de maçon est arrivé en France, à Montreuil, en 1960, en quête d’un avenir meilleur. En 1963, il épouse Réjane Mada, fille de Mohand Séghir Mada.
On ne sait pas grand-chose des relations de Jordan Bardella avec ce grand-père converti à l’islam et installé au Maroc. Encore moins de son rapport à ses origines algériennes, le président du RN ne les ayant jamais évoquées publiquement.

25/06/2024

Origines algériennes de Jordan Bardella : enquête sur un tabou

Farid Alilat, Jeune Afrique, 24/6/2024 

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L’arrière-grand-père de Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, était un travailleur immigré algérien. Il s’est installé en France, dans la région lyonnaise, au début des années 1930. Nous avons enquêté sur cet aïeul dans son village en Kabylie ainsi qu’à Paris.

Jordan Bardella à Villepinte le 19 juin 2024. © Daniel Dorko / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Jordan Bardella à Villepinte le 19 juin 2024. © Daniel Dorko / Hans Lucas via AFP

Des origines algériennes de son arrière-grand-père, Jordan Bardella, président du Rassemblement national et possible futur Premier ministre, ne parle jamais. Dans la famille Bardella, le sujet est occulté. Au sein de l’ex-Front national de Marine Le Pen, la question est un tabou. Et pourtant, Mohand Séghir Mada, l’arrière-grand-père de M. Bardella, est bien originaire de Kabylie, en Algérie.

Jeune Afrique est parti sur les traces de cet aïeul et de sa famille, dans son village natal de Guendouz, chef-lieu de la commune d’Aït Rzine, dans la wilaya (département) de Bejaïa*. Nous sommes dans les années 1920. L’Algérie est alors « française » et, dans cette petite bourgade accrochée aux montagnes qui font face à la vallée de la Soummam, la population survit en cultivant de maigres champs d’oliviers et en élevant des chèvres et des moutons. Ici comme ailleurs en Kabylie, la misère est partout. À l’époque, Albert Camus, écrivain et futur prix Nobel de littérature, en sera tellement touché qu’il consacre à ce sujet une série de reportages qui paraîtront en 1939 dans le journal Alger Républicain sous le titre « Misère de Kabylie ».

Ici, il n’y a pas d’usines, pas de fermes coloniales, pas de manufactures pour fournir du travail et ne pas mourir de faim. C’est d’ailleurs cette misère et cette faim qui ont poussé des centaines de milliers de Kabyles à émigrer en France depuis le début du XXe siècle pour travailler dans les usines et les mines métropolitaines. Au village de Guendouz, la famille Mada tire le diable par la queue. Le dénuement est tel que Tahar Mada et ses deux fils Bachir, l’aîné, et Mohand Séghir, le cadet, sont obligés de vendre leurs champs d’oliviers ou d’en hypothéquer certains.

Guendouz, dans la wilaya (département) de Bejaïa, le village natal de Mohand Séghir Mada.
Guendouz, dans la wilaya (département) de Bejaïa, le village natal de Mohand Séghir Mada

30/05/2024

JEAN-LUC MÉLENCHON
Le moment du drapeau palestinien

Jean-Luc Mélenchon, 29/5/2024

C’est d’abord une image. C’est si peu de chose qu’un bout d’étoffe ! Sébastien Delogu, député insoumis de Marseille, est debout, sa grande taille déployée, il tient le drapeau palestinien. C’est un geste symbolique, bien sûr. Mais les symboles portent toujours une force singulière, englobante, surplombante. L’immense hémicycle est soudain tout entier absorbé dans ces pauvres centimètres carrés colorés. 


Alors le cadre explose. Le génocide hurle sa détresse. Les insoumis sont debout et crient leur soutien à la résistance. Rien ne les représente mieux à cet instant que cet homme, l’un des leurs, eux-mêmes en grand, dans ces minutes précieuses. Alma Dufour a dit les mots dans sa question au ministre, Sébastien a montré le chemin. Les vociférations haineuses éclatent sur les bancs de droite jusqu’aux confins de l’extrême droite de l’hémicycle. C’est le monde tel qu’il est, la France comme elle est, pris un instant sous la lumière crue du symbole éclairant les profondeurs de chacun.

 

Yaël Braun-Pivet, à l’Assemblée nationale, le 10 octobre 2023

Et puis il y a le visage convulsé de haine de la présidente de l’Assemblée. Elle explose de rage, les yeux exorbités, vociférant. Quelque chose est débondé chez elle. Bien sûr, elle est indigne de sa fonction. Aux yeux du monde, la présidente de l’Assemblée française, déjà vue en treillis militaire à Tel Aviv, se montre en pleine crise de nerfs devant le drapeau palestinien. Devant ce qu’elle ne supporte pas elle ne sait pas réagir autrement qu’à l’extrême : frapper au maximum de ses forces et de son pouvoir, sans retenue ni mesure. Elle aura sanctionné davantage de députés en trois ans que tous ses prédécesseurs depuis le début de la cinquième République. Elle ressort le fouet.

Elle invente des règles pour couvrir sa violence. Seul le drapeau français aurait sa place dans l’assemblée, dit-elle. Comme si on ne se souvenait pas du drapeau ukrainien installé dans l’hémicycle du Sénat, ni de son président, monsieur Larcher, qui s’en vantait « en signe de solidarité ». Comme si tous ces gens n’étaient pas déjà venus dans l’hémicycle avec des pins Israël. Sa réaction n’est donc pas une réaction normale, conforme au règlement. Alors est-ce juste une haine partisane, à la Meyer Habib ? Je ne crois pas. Je crois que, littéralement, elle ne veut pas voir ce drapeau. À cause de ce qu’il signifie à cet instant où il est brandi, seul et désarmé. Ce drapeau montre tant de choses invisibles sans lui. Il donne à voir les visages du génocide. Ceux que l’on a vus dans ces vidéos venues de la scène de crime. Et cette présidente redevient un être humain terrorisé par les conséquences de ses propres actes. Elle ne veut pas le voir. Sa réaction, c’est comme si elle s’était vue soudain dans un miroir, installée sur un tas de cadavres, dans la boue des camps de réfugiés.

Ce n’est pas le drapeau qu’elle voit. C’est elle-même, en complice d’un crime. Elle s’est vue dans le camp du mal absolu. Celui dont, pour les générations à venir, elle restera l’image de la complicité la plus veule. Elle est la France indigne qui regarde ailleurs quand le génocide est sous ses yeux. C’est pourquoi elle ne se contrôle plus, comme le montrent les images. Car c’est bien un génocide, dit le drapeau !

Netanyahu a bombardé soixante fois depuis que la cour de justice internationale lui a demandé d’arrêter immédiatement tout action militaire à Rafah. Il va encore bombarder. Encore et encore. Ce n’est pas un incident de guerre. C’est délibéré. Des meurtres nécessaires à ses yeux pour pouvoir se réapproprier et coloniser chaque mètre de terrain. Ni incident, ni hasard. Un génocide planifié méthodiquement. Et mené de façon à prouver que rien ni personne ne peut rien contre ses auteurs.

C’est ce qu’avait annoncé Meyer Habib, quand il répétait l’air radieux dans l’hémicycle à l’énoncé de la liste des crimes de son ami très cher Netanyahu qu’égrenait le député insoumis Léaument : « Et ce n’est pas fini ! Ce n’est pas fini ! ». La honte et le déshonneur marchent à ses côtés. Ce n’est pas fini. Netanyahu va encore tuer et tuer. Il a fait de son pays le paria des nations pour des millions d’êtres humains sans a priori. Il fait de tous ceux qui ont un pouvoir d’agir, et qui ne font rien, ses complices connus de tous. Il suffit de les nommer et de les montrer du doigt, sans en faire davantage, pour qu’on les voit comme ils sont, avec le visage de l’inhumanité au-delà de la frontière du mal.

Madame la Présidente est la complice de Netanyahu. Il aura suffi d’un drapeau brandi pour que cela se sache d’un bout à l’autre du pays et de l’Europe. Juste un bout d’étoffe tenu à bout de bras. Il se passe un génocide et elle trouve que brandir le drapeau des victimes pour le dénoncer doit être puni par la sanction la plus sévère. Elle est le mauvais côté de l’histoire.

Au fil des semaines, le Palestinien est devenu la figure de l’opprimé quel qu’il soit. Du méprisé par les puissants, de celui dont l’humanité est niée au point qu’on puisse trouver acceptable de l’éliminer. Au fil des semaines et du génocide, ce drapeau, après celui de Nelson Mandela au temps de l’apartheid, est devenu un message universel de fraternité humaine. Maintenue contre vents et marées, contre l’insulte et les brimades, contre les convocations, les gardes à vue et les interdictions.


Voici Delogu debout et sur ses épaules tous ceux qu’on ne verrait pas sans ses grands bras qui tiennent ce drapeau en hauteur au-dessus de la mêlée. Comme un oiseau sorti de cage qui vole au vent libre. Merci Sébastien.
 

Note de Tlaxcala
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