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08/05/2024

JOSE LUIS CARRETERO MIRAMAR
Neuf hypothèses sur Gaza, vue d’Occident

José Luis Carretero Miramar, Kaosenlared, 7/5/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le génocide en cours dans la bande de Gaza est le premier grand anéantissement d’un peuple à être entièrement télévisé. Depuis la rive opposée de la Méditerranée, nous pouvons voir les panaches de fumée qui s’élèvent des bombardements et nos smartphones sont remplis d’images atroces du massacre et de la mutilation des enfants de Gaza.

Si les philosophes de l’après-guerre, dans les années heureuses du modèle social européen, se demandaient ce qui poussait les citoyens allemands à assister passivement à l’émergence des stalags et des camps de concentration hitlériens, l’intelligentsia occidentale devrait aujourd’hui se demander pourquoi personne ne fait rien contre ce qui se passe à Gaza. Et nous disons bien agir, et non pas faire des déclarations ou promettre des mesures futures qui ne seront jamais mises en œuvre.

Je propose neuf hypothèses sur la manière dont l’Occident (et l’Espagne) considère Gaza et la Palestine. Sur l’aveuglement radical et l’immoralité génocidaire de notre génération et de notre époque.

Première hypothèse : Gaza est notre miroir

Gaza est l’image de l’Occident que l’Occident refuse de regarder. L’image la plus vraie de notre civilisation usée et orgueilleuse. Gaza est l’Occident, comme l’est la traite des esclaves africains qui a inondé l’Atlantique pendant les siècles de l’émergence des empires européens. Gaza, c’est l’Occident parce que c’est l’image la plus claire de ce qu’a été la relation de l’Occident avec le reste des peuples du monde depuis la conquête des Amériques et l’extension du colonialisme et de l’impérialisme. Gaza, c’est le massacre, le racisme, la dévastation sociale et culturelle. Le cadeau de l’Occident au monde. Mais mieux vaut ne pas le dire. Continuons à faire la fête.

Deuxième hypothèse : La solution n’est pas d’exiger le respect du droit international

Le droit international est un exemple paradigmatique de l’universalisme et du contenu prétendument humanitaire de la culture occidentale. Raison, droit, démocratie. Mais sans armes. La déesse Raison est le fondement du Droit, en tant qu’œuvre du pouvoir démocratique des peuples. Une belle légende.

Le droit international ne tend à être respecté que s’il confirme les intérêts pécuniaires et financiers des colonialistes et impérialistes occidentaux. Sinon, c’est de la poésie et rien d’autre. Le respect du droit suppose une force coercitive ayant le pouvoir de contraindre celui qui le viole. Et les organismes internationaux qui parrainent le droit international ont été intentionnellement conçus pour empêcher l’existence d’une telle force, si l’on veut contraindre l’Occident ou ses proches alliés à se conformer au droit. Arrêtons les mélodies abrutissantes et les légendes pastorales : il n’y a pas de droit international opérationnel pour défendre les faibles et les opprimés par l’Occident.

Troisième hypothèse : Delenda est democratia

La démocratie est morte. Dans certains pays européens, il est interdit de déployer un drapeau palestinien en public. Des militants pro-palestiniens ont été arrêtés et criminalisés dans la plupart des pays d’Europe et aux USA. Les juifs qui montrent leur horreur face au génocide de Gaza sont accusés d’antisémitisme. Les écrivaines palestiniennes sont exclues des manifestations culturelles et les congrès de solidarité avec le peuple gazaoui sont interdits. Dans les médias, tout représentant israélien est autorisé à s’exprimer, même s’il appartient à l’aile d’ultra-droite qui soutient Netanyahou, mais jamais quiconque a quelque chose à voir avec l’une ou l’autre des factions de la résistance palestinienne.

Parler des colonies a toujours été gênant en Occident. La plèbe occidentale, celle qui lutte pour joindre les deux bouts, a une tendance naturelle à se sentir proche des peuples non civilisés que nous avons dévastés et anéantis. Le peuple palestinien continuera d’attendre son père Las Casas. Personne ne se présentera devant les tribunaux pour défendre ces indigènes de la Méditerranée orientale. Et si quelqu’un le fait dans la rue, il risque d’être traité en ennemi de notre droit pénal et taxé d’antisémitisme par ceux qui identifient le judaïsme et le gouvernement de l’ultra-droite la plus radicale.

Quatrième hypothèse : Le racisme est consubstantiel à la domination occidentale

Le racisme est un produit de l’expansion mondiale de l’Occident, fondée sur la traite transatlantique des esclaves pendant des siècles. Dans les textes romains ou grecs classiques, la couleur de la peau n’est pas mentionnée comme marqueur du statut social. On ne parlait pas de “races”. La race est née avec l’esclavage et les colonies. Il fallait identifier les esclaves comme des sous-hommes, comme une “race” différente, pour pouvoir les soumettre sans complexe en parlant de christianisme, d’humanisme ou de libéralisme.

C’est le racisme qui explique que les Ukrainiens sont nos frères, pour lesquels nous serions prêts à succomber dans une guerre nucléaire, et que les Palestiniens sont des basanés qui suscitent chez nous la méfiance et une certaine peur. Le peuple palestinien est un peuple sémite (c’est drôle, non ?), plus foncé, musulman. L’Occident frémit devant les cris sur Youtube d’une jeune fille anglo-saxonne qui a perdu son chien dans un accident, mais ne bronche pas devant le massacre d’enfants à Gaza. Il y a une raison à cela. Et elle s’appelle le racisme.

Cinquième hypothèse : Le génocide est consubstantiel à la domination occidentale

Les Amérindiens, les habitants du Congo belge, les descendants de ceux qui vivaient à Tenochtitlán ou dans les Caraïbes à l’arrivée des Européens le savent. Le génocide est le grand cadeau de l’Occident au monde. Il est pratiqué avec passion et un dévouement inébranlable depuis plus de cinq cents ans.

La domination occidentale a été maintenue depuis lors par une somme variable de meurtres de masse, d’acculturation et de spoliation des survivants. Si le droit international avait un tant soit peu de réalité, sa première tâche serait de calculer les réparations dues pour l’esclavage et le génocide qui ont construit l’Amérique d’aujourd’hui et l’Afrique que nous connaissons. Nous pensions que cela appartenait au passé, jusqu’à ce que nous voyions les bombes à fragmentation commencer à tomber sur la population civile de Gaza.

Sixième hypothèse : Les Palestiniens sont les Juifs de notre génération

Nous, Occidentaux, aimons nous voir avec indulgence, comme des êtres éclairés et démocratiques, animés par l’humanisme de nos philosophes et de nos prêtres. Si vous nous posez la question, nous dirons que nous aurions défendu les Juifs, si nous avions vécu dans l’Allemagne nazie, que nous nous serions engagés contre l’esclavage et que nous aurions dénoncé, même au péril de notre vie, les fours crématoires d’Hitler.

Et pourtant, nous y sommes. Nous regardons l’extrême droite israélienne commettre un génocide sous notre nez éclairé et sophistiqué. Et nous permettons à ceux qui, même en tant que Juifs, s’opposent à l’horreur de ce grand camp de concentration appelé Gaza, d’être accusés d’antisémitisme. Le peuple palestinien a été abandonné par nos politiciens, nos diplomates, nos intellectuels, nos artistes. Seule une partie indispensable de la classe ouvrière et de la jeunesse s’obstine à descendre dans la rue, au risque d’être arrêtée, expulsée de l’université, taxée d’“antisémitisme”. Les nazis n’appelaient pas les juifs et les opposants des “dissidents”, ils les appelaient des “terroristes”, comme l’Occident appelle les Palestiniens qui ne se laissent pas tuer avec résignation.

Septième hypothèse : Ceux qui dirigent le monde sont les nazis de notre époque

La moitié des dirigeants occidentaux applaudissent le meurtre de masse de Netanyahou. L’autre moitié pleure de fausses larmes tout en continuant à faire des affaires avec les génocidaires. Les bébés de Gaza sont les dommages collatéraux de l’impérialisme. Pour ceux qui rédigent les communications publiques des dirigeants éclairés de nos gouvernements, le peuple palestinien est sacrifiable, une “race inférieure” inutile au processus d’accumulation du capital. Certains dirigeants nationaux-socialistes aimaient la musique classique. Il y a des politiciens, des journalistes et des hommes d’affaires européens et usaméricains qui lisent Kant et Zygmund Bauman avant de rencontrer les délégués de Netanyahou.

Huitième hypothèse : Nous devons faire quelque chose

Exiger le respect du droit international de ceux qui l’incarnent aujourd’hui n’est pas une proposition sérieuse. Faire appel à la bonne conscience de l’Occident et à la stature éthique de nos gouvernants n’est pas une proposition sérieuse. La seule proposition sérieuse est de faire quelque chose, comme ceux qui manifestent dans les rues, ceux qui occupent les universités ou ceux qui refusent d’acheminer dans les ports le matériel de guerre destiné à Gaza. Faire quelque chose, comme les Palestiniens qui résistent du mieux qu’ils peuvent, avec dignité et courage. Écrivez, criez, faites la grève. Et comme me l’a dit un militant palestinien il y a quelque temps, la meilleure chose que nous puissions faire pour eux est de pousser au changement ici, en Occident, dans nos pays, afin que le boucher Netanyahou ne trouve plus d’accolades solidaires lorsqu’il se rend en Europe ou aux USA.

Neuvième hypothèse : Cest le moment

Le moment de s’opposer à l’holocauste hitlérien était en 1940. Et de nombreux Espagnols l’ont fait, même les armes à la main, bien que nos gouvernements aient voulu nous le cacher pendant près d’un siècle. De nombreux Espagnols ont combattu dans la Résistance française, sont morts à Mauthausen, ont combattu en Afrique contre l’armée nazie. C’est maintenant qu’il faut s’opposer au génocide de Gaza. Par exemple, le samedi 11 mai. Ce jour-là, une manifestation de solidarité avec la lutte du peuple palestinien aura lieu à Madrid. Elle débutera à 11h30 sur la Plaza de Legazpi. Vous trouverez certainement de nombreuses autres manifestations et activités là où vous vivez ou travaillez.

Rencontrons-nous là-bas.

05/01/2023

JAVIER SANCHEZ SALCEDO
Tesh Sidi : “On ne peut pas romantiser la pauvreté”

Javier Sánchez Salcedo, Mundo Negro, 29-12-2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Javier Sánchez Salcedo est un reporter, photographe et documentariste espagnol. Au cours des 20 années où il a travaillé pour la maison d'édition Mundo Negro des Missionnaires Comboniens, il a réalisé des documentaires dans différents pays d'Afrique et d'Amérique latine, ainsi que des reportages et des photographies pour d'autres reportages. Il est l'auteur du livre Irreversibles .

« Je suis née dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf (Algérie) en 1994. Je suis venue en Espagne quand j'avais sept ans. Je suis ingénieure informatique et je travaille dans le monde du big data dans le secteur bancaire. J'ai créé et coordonne la plateforme numérique SaharawisToday ».

Tesh Sidi, informaticienne et activiste

J'aimerais que tu me parles de ton  enfance.

Je suis née dans les années 1990, à une époque très difficile pour les réfugiés sahraouis qui venaient de s'installer définitivement dans les camps. Il n'y avait rien, pas de lait pour les enfants et pas d'eau à la maison. Les mères ont échangé leurs enfants pour pouvoir les allaiter. Quand mon frère jumeau et moi sommes nés, nous avons failli mourir. En fait, nous avons tous eu des problèmes de santé. Ma mère, qui était anémiée, n'avait aucune ressource. Nous étions plusieurs frères et sœurs et elle n'avait pas d'autre choix que de me laisser avec ma grand-mère. J'étais avec elle de l'âge de quatre à sept ans en Mauritanie.

Tu te souviens bien de ce que tu as vécu pendant ces années ?

Je dis toujours que nous, les Sahraouis, sommes nés plus vieux. En raison des circonstances, nous sommes amenés à résister et tu ne peux pas te plaindre. La société et le contexte vous obligent à mûrir et à grandir rapidement. Oui, j'ai des souvenirs de cette époque avec ma grand-mère. J'étais une bédouine qui ne savait qu'élever et traire des chèvres et je n'ai jamais été avec des enfants. Ces années-là, j'ai vécu avec des adultes et des animaux. Quand je n'avais que six ans, je savais comment faire les choses d'une femme plus âgée. À sept ans, je suis retourné dans les camps de Tindouf, en Algérie, avec mon frère jumeau, ma mère, mon père et six autres frères et sœurs. Ce fut un choc identitaire, j'ai dû apprendre à les aimer, car ces liens fraternels n'avaient pas été construits auparavant.

Cela n'a pas dû être facile.

En Mauritanie, je vivais en dehors des systèmes d'éducation et de santé. Je ne savais ni lire ni écrire. J'ai eu des pensées et j'ai fait le travail d'une adulte. Quand on m'a envoyée à l'école, j'ai dû me rendre compte que j'étais un enfant, que j'avais une famille et que je vivais en société. Je ne peux pas romancer mon histoire et dire que j'ai eu une enfance heureuse. C'est celle que j'ai eue, l'enfance de tout enfant en conflit. On ne peut pas romantiser la pauvreté. Je n'ai pas mangé de yaourt ni goûté de chocolat avant de venir en Espagne, et je n'avais pas non plus accès à quelque chose d'aussi élémentaire que la viande. Maintenant, je vois que mes neveux et nièces ont cela dans le camp, mais ils vont subir d'autres problèmes : problèmes d'identité, exil, conflits armés... Ils ne seront pas exempts de tout cela. La vie dans les camps ne peut pas être romantisée.

Tesh Sidi le jour de l'entretien. Photo : Javier Sánchez Salcedo

Pourquoi es-tu venue en Espagne ?

Je suis arrivée quand j'avais presque huit ans dans une famille d'accueil à Alicante. Si arriver dans les camps en Mauritanie était un changement de monde, venir ici était un changement de planète, de galaxie et de tout. J'avais peur des bâtiments car je ne comprenais pas qu'ils puissent être si hauts. Dans les camps, les petites maisons en adobe sont à ta ta taille, accessibles à ta taille ou à celle d'un adulte, mais je suis arrivée et j'ai trouvé des immeubles très hauts, des gens qui se pressent, du bruit, des feux de signalisation, tout pour « allez, allez »... et surtout, l'impression que tout le monde me reprochait quelque chose : « Assieds-toi correctement », « Mange comme ça »... Je n'étais pas habituée à tant de demandes sociales, à vivre dans un protocole permanent. Dans les camps, les parents ne vous dirigent pas tellement parce que vous “êtes” un adulte, et quand vous venez ici, vous avez déjà une façon de penser construite. Je suis venue pendant cinq étés et je suis restée dans ma famille d'accueil de l'âge de 12 à 18 ans. Ma mère espagnole avait l'idée de m'éduquer, mais je lui ai dit que j'étais déjà éduquée, et que ce n'était pas un acte de rébellion, mais une maturité précoce forcée par la situation. Ma famille espagnole a fait de son mieux avec moi, mais pas de la meilleure façon. J'ai eu une adolescence très difficile.

Tu as eu l'impression de ne pas t’ intégrer ?

Les personnes qui ont émigré souffrent d'une très grande crise d'identité, car elles ne sont ni d'ici ni de là-bas. Le besoin de s'intégrer dans les deux endroits peut vous jouer de très mauvais tours. J'ai passé dix ans à rejeter le fait d'être sahraouie et les malheurs qui m'étaient arrivés dans ma vie.

Tu l'as caché ?

Exactement. J'ai dit aux gens que j'étais d'Alicante et c'est tout. Mais quand j'ai commencé à lire de la littérature avec des références africaines, y compris sahraouies, je me suis rendue compte que j'avais hérité des pensées coloniales, et il est arrivé un moment, à l'âge de 18 ans, où j'ai compris que je n'étais pas à ma place. Dans mon foyer espagnol, j'ai ressenti de nombreuses exigences sociales et culturelles, et j'ai dû être constamment reconnaissante pour ce qui m'était donné, parce que je « venais d'un camp de réfugiés », ce qui m'a beaucoup affecté et a été ressenti comme un rabaissement. D'autre part, j'avais ma famille sahraouie, conservatrice, musulmane, l'une des rares à avoir laissé ses filles étudier en Occident dès leur plus jeune âge. J'étais consciente de la peur de ma mère que je ne sois pas musulmane, ni culturellement sahraouie, cette peur de ce que les gens diraient. J'ai ressenti des pressions ici et là, et j'ai décidé de me détacher, de commencer à travailler et à étudier par moi-même, pour retrouver ma dignité et ma liberté en tant que personne. J'ai rompu les relations avec ma famille biologique et ma famille d'accueil, mais j'étais libre de commencer à me construire une identité.

As-tu traversé ce processus seule ?

Jusqu'à ce que j'entre dans le militantisme, je n'avais aucun point de référence. J'ai commencé à travailler comme serveuse, dans des magasins... J'ai étudié l'ingénierie informatique au moment de la crise, et j'avais des amis qui m'ont aidé à payer l'université. J'ai fini mes études et je suis venue à Madrid. C'était le boom informatique et j'ai trouvé un emploi facilement. J'ai contracté un prêt pour faire un master en big data et intelligence artificielle. Pour moi, il n'y a pas de choses impossibles si vous faites un effort et travaillez dur. Les gens me disent que j'ai bien réussi, mais je mangeais du riz blanc à l'université, comme je mangeais dans le camp, car je n'avais souvent pas les moyens d'acheter de la viande ou du shampoing. 

Tesh Sidi le jour de l'entretien. Photo : Javier Sánchez Salcedo

 Comment es-tu entrée dans le militantisme ?

Lorsque j'ai terminé mon master et que j'ai trouvé un bon emploi, en avril 2020, la guerre au Sahara occidental a explosé. Je ne connaissais rien au conflit ni à ses causes, mais j'ai commencé à aller aux manifestations et un fort besoin est né en moi à la fois d'aider le peuple sahraoui et de retrouver mon identité. Et quand j'ai vu que la cause sahraouie stagnait en termes de communication, j'ai décidé d'aider grâce à mes connaissances en matière de big data et de traitement des données dans les réseaux sociaux. J'ai pris la présidence de l'association sahraouie à Madrid, nous avons fait beaucoup de choses et beaucoup de jeunes Sahraouis de la diaspora ont commencé à s'organiser. J'ai commencé à devenir une personne très exposée, à donner des conférences, des politiciens m'appelaient... Il me semblait que la cause était devenue quelque chose de très humanitaire mais pas très politique, et j'ai commencé à approcher des organisations politiques, les médias, j'ai commencé à emmener des journalistes et des politiciens dans les camps... Tout ce processus s'est matérialisé dans SaharawisToday, une plateforme de communication numérique que j'ai créée avec ma camarade Itziar.

Qu’est-ce qu’on peut trouver dans SaharawisToday ?

Nous avons fait une analyse de ce qui ne va pas avec la cause sahraouie et nous avons vu que nous-mêmes, les Sahraouis, devions être ceux qui communiquent, que ce ne soient pas les journalistes ou les anthropologues qui parlent toujours du peuple sahraoui. Dans SaharawisToday, nous parlons de la migration, de la lutte contre le racisme institutionnel dont nous souffrons, nous femmes sahraouies, qui sommes souvent réduites au silence, de la responsabilité de l'Espagne envers ses anciennes colonies ou de la responsabilité de la population de s'informer sur le passé de son pays. Nous contextualisons pour expliquer la relation du Sahara avec ce qui se passe à Ceuta et Melilla, avec les eaux des îles Canaries ou pourquoi le Maroc bloque et fait chanter l'Espagne... Nous sommes 11 personnes, des Sahraouis de là-bas, d'ici et de France. Nous publions en français, arabe, anglais et espagnol, et offrons un forum d'opinion pour le peuple sahraoui, dans toute sa diversité. Il y a de la place pour tout sauf pour le fascisme et le machisme. Nous avons toujours été un peuple de transmission orale, mais nous devons mettre notre histoire par écrit. On y trouve des articles, des vidéos, des reportages en direct, des résumés de politique internationale, des analyses... Nous rassemblons tous les événements de la cause sahraouie dans le monde et informons sur les moyens de se rendre dans les camps.

Pour conclure, tu crois qu'il y aura un référendum ?

Une forte pression politique est nécessaire. Je pense que le peuple sahraoui doit occuper des postes de pouvoir. De nombreuses personnes qui ont émigré ont tendance à étudier les sciences sociales et à se consacrer au domaine des ONG ou de la coopération internationale en raison de ce besoin de "sauver" que nous avons. Mais il n'y a rien de mal à être dans la banque ou la politique. Il faut être là où les décisions sont prises pour pouvoir changer les choses. Dans la banque où je travaille, ils savent que je suis une Sahraouie et un activiste. Les Sahraouis doivent essayer d'être des présidents de communauté dans leurs immeubles, des membres du parlement, et des référents partout où ils travaillent. Je pense que le référendum sera compliqué dans les années à venir. Tant que nous n'aurons pas un président de gouvernement sahraoui ou migrant, les choses ne changeront pas. Cela prendra du temps, mais nous ne devons pas être frustrés. Nous devons être optimistes.   

Une amie est allée au Sahara occidental, dans les territoires occupés par le Maroc, et m'a ramené du sable de là-bas. C'est choquant, et ça m’enchante de le voir dans toutes les générations de Sahraouis : nous sommes capables de nous battre pour quelque chose que nous n'avons jamais vu et où, probablement, parce que je suis une activiste, je ne pourrai jamais mettre les pieds.

 


13/05/2021

Appel urgent pour la fin de la répression brutale du Maroc au Sahara occidental

Contramutis, 13/5/2021
Traduit par Fausto Giudice
  • La Délégation sahraouie en Espagne demande qu'il soit exigé du Maroc d'arrêter la répression brutale et la campagne d'arrestations arbitraires contre les civils sahraouis.
  •  Elle regrette le « silence choquant » des partis politiques et des institutions européennes, des organisations internationales et demande à l'Espagne de s'impliquer par « responsabilité légale, politique et morale ».
  • Depuis la violation du cessez-le-feu par le Maroc et la déclaration sahraouie de l'état de guerre dans les zones occupées, une vengeance de l'armée marocaine contre la population civile sahraouie a commencé.

 

Abdulah Arabi, délégué sahraoui en Espagne

La Délégation sahraouie en Espagne a lancé un appel urgent au gouvernement espagnol pour qu’il exige du gouvernement marocain la fin de la répression brutale et de la campagne d'arrestations arbitraires contre les civils sahraouis au Sahara Occidental occupé, et regrette le « silence choquant » des partis politiques et des institutions européennes et des organismes internationaux.

La représentation du Front Polisario affirme que depuis la violation du cessez-le-feu par le Maroc et la déclaration par les Sahraouis de l'état de guerre en légitime défense, « dans les zones occupées, une vengeance de l'armée marocaine d'occupation contre le peuple sahraoui sans défense a commencé, générant une situation de terreur et d'angoisse, marquée par le déploiement massif d'unités de l'armée marocaine d'occupation, des raids sur les maisons et la persécution des militants ».

L'un des derniers actes de répression a eu lieu au domicile des sœurs Sultana et Luaara Khaya, qui sont assignées à résidence depuis le 19 novembre 2020 pour leurs manifestations publiques et pacifiques contre l'occupation marocaine. Après des attaques et des raids répétés sur leur maison pendant ces 5 mois, le 12 mai « elles ont été attaquées et torturées avec des bâtons et des tuyaux métalliques par des soldats en civil ».

La délégation sahraouie demande aux organisations des droits humains d'intervenir immédiatement et d'exiger du Maroc « qu'il mette fin à cette vague d'agression et garantisse ainsi la protection de la population sahraouie et le respect du droit international humanitaire ». Elle appelle à des mesures concrètes pour que le Maroc respecte ses engagements internationaux, mesures qui, affirme-t-elle, « devraient être promues par l'État espagnol dans le cadre de sa responsabilité juridique, politique et morale au Sahara occidental ».

La représentation sahraouie attire l'attention sur le silence des organisations internationales, des partis politiques et des institutions européennes et dit qu' « il ne peut être admis que l'Union européenne, une institution qui défend les droits humains et la légalité internationale, devienne l'avocat d'un régime célèbre pour ses attaques contre la Déclaration universelle des droits de l'homme ».

Au cas des sœurs Khaya s'ajoutent les enlèvements du président de l'organisation de défense des droits de l'homme CODESA, Babozid Lbaihi et des militants Salek Baber et Khalid Boufraioua, torturés et abandonnés aux abords de la ville de Boujdour ; les arrestations et mauvais traitements de Hassanna Abba, membre du bureau exécutif de la Ligue pour la protection des prisonniers sahraouis dans les prisons marocaines (LPPS), et de Lahcen Dalil, membre de l'Instance sahraouie contre l'occupation marocaine (ISACOM). Et les agressions et menaces subies par Hmad Hamad, vice-président de l'organisation de défense des droits de l'homme CODAPSO et membre de l'ISACOM.

05/05/2021

Élections de Madrid: victoire par KO de Díaz Ayuso

 Iñigo Sáenz de Ugarte, ElDiario.es, 5/5/2021

Traduit par Rosa Llorens

  • Il n’y avait pas que les bars : les Madrilènes ne supportent plus la pandémie et Ayuso leur a donné ce qu’ils voulaient.
  • Díaz Ayuso balaie la gauche, Pablo Iglesias et la lutte contre la pandémie par une victoire écrasante dans un lieu qui était déjà un terrain favorable pour la droite.

Isabel Díaz Ayuso montre son bulletin avant de voter. Photo
Chema Moya / EFE


On lui a posé la question pendant la campagne et elle a dû répondre : « Je suis toujours célibataire. Apparemment, la marché est vide ». Laissons de côté l’obsession de certains journalistes qui veulent savoir si les femmes politiques sont mariées ou célibataires, si elles ont des enfants ou non, si elles portent des talons ou des chaussures plates : il ne fait pas de doute que le marché de fiancés politiques d’Isabel Díaz Ayuso s’est accru de façon exponentielle en deux ans, passant de 30 à 65 sièges ; de 22,2 % des votes à 44,7 %. Sa victoire a été si éclatante que le PP n’a pas attendu longtemps pour s’en féliciter. Les principaux dirigeants du parti se sont montrés au balcon de la rue de Génova [siège du parti] pour célébrer ce triomphe, alors qu’on n’avait dépouillé que 52 % des bulletins. Il n’y avait aucune place pour le doute, et il fallait savourer la victoire avant le début du couvre-feu à 23 heures. Il y a quelques jours, le Conseil de la Santé avait levé les restrictions dans la zone de Madrid où se trouve le siège du PP, bien que le taux d’incidence n’ait pas baissé. Rien, pas même la pandémie, ne pouvait empêcher la fête.

Ce fut la victoire dans les urnes de ceux qui veulent considérer la pandémie comme terminée. Ceux qui n’en peuvent plus et qui croient, à tort ou à raison, qu’il doit y avoir une façon de continuer à lutter contre elle et, en même temps, faire que la vie retrouve la normalité. Ceux qui ne supportent plus couvre-feux et horaires limités. Ceux qui veulent qu’on leur rende la vie tout de suite, quoi qu’il en coûte. Ayuso leur a donné cette opportunité et ils l’ont saisie de toutes leurs forces.

Dans d’autres pays européens, il y a une forte contestation contre les mesures restrictives des gouvernements. Elle est minoritaire, mais elle entraîne des manifestations fournies qu’on n’a pas vues en Espagne. Les conservateurs britanniques, français et allemands ont appuyé ces mesures – avec quelques discussions internes – parce qu’ils pensent qu’il n’y a pas d’alternative. Mais c’est à Madrid que cet état d’esprit de vouloir mettre fin à tout cela a propulsé un Gouvernement autonome et sa présidente.

Le leader d’ultra-droite italien Matteo Salvini s’est empressé de féliciter Díaz Ayuso sur Twitter en mettant une photo d’elle. Essentiellement, parce qu’elle a réussi ce que lui avait tenté et qui n’avait pas marché.