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23/11/2025

Armes de volonté : le Hamas et le Jihad islamique face au plan de Trump pour Gaza

Jeremy Scahill & Jawa Ahmad, Drop Site News, 23/11/2025

Traduit par Tlaxcala

ملخص المقال باللغة العربية في نهاية الوثيقة

Resumen del artículo en español al final del documento

L’ONU vient d’apposer un sceau de légitimité sur le plan colonial du président Donald Trump pour Gaza. Dans ce reportage exclusif de Drop Site, des dirigeants de la résistance palestinienne évaluent l’état actuel de la guerre.

Introduction

Israël poursuit le siège de Gaza malgré le « cessez-le-feu » officiellement entré en vigueur le 10 octobre. Jour après jour, les forces israéliennes attaquent les Palestiniens dans l’enclave, tuant plus de 340 personnes depuis que Donald Trump a présenté son plan de « paix » comme un accomplissement monumental ouvrant une nouvelle ère. La majorité des morts sont des femmes et des enfants.

Durant la semaine écoulée, les forces israéliennes — qui occupent toujours plus de 50 % du territoire de Gaza — ont avancé encore davantage au-delà de la « ligne jaune ». Israël menace de reprendre son siège total si le Hamas ne désarme pas et ne se rend pas. L’État israélien refuse par ailleurs d’autoriser l’entrée des quantités de nourriture, de médicaments et de produits essentiels convenues dans l’accord.

Le 17 novembre, dans un geste sans précédent, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé le plan néocolonial de Trump pour Gaza, incluant le déploiement d’une force internationale qui n’opérerait pas sous commandement onusien, mais sous la direction d’un conseil privé contrôlé par Trump. Selon ce dernier, cette force serait chargée de désarmer la résistance palestinienne et de démilitariser Gaza, afin de priver le peuple palestinien de son droit à l’autodéfense.

Dans le cadre de la série de Drop Site consacrée à la résistance palestinienne depuis le 7 octobre, des responsables de haut rang du Hamas et du Jihad islamique analysent le chemin qui a mené à la situation actuelle. Nous avons mené une série d’entretiens en personne avec ces dirigeants, qui y décrivent les événements ayant précédé l’accord de cessez-le-feu d’octobre, leur position sur le désarmement et sur le plan Trump, ainsi que leur vision de la lutte actuelle pour la libération nationale palestinienne.

Ce rapport de Jeremy Scahill et Jawa Ahmad est long et détaillé, mais nous pensons qu'il vaut vraiment la peine d'être lu.

L’incapacité de la plupart des médias occidentaux à relayer la perspective de la résistance palestinienne constitue une faute professionnelle et nuit profondément à la compréhension du public.


Des membres des Brigades Al-Qassam du Hamas près de la rue Bagdad, dans la ville de Gaza, le 5 novembre 2025. Photo Hamza Z. H. Qraiqea / Anadolu via Getty Images.

 La frappe de Doha

Peu après 15h46, heure de Doha, le 9 septembre, Osama Hamdan — un dirigeant de haut rang du Hamas — reçut l’appel d’un journaliste lui demandant s’il avait entendu parler d’une explosion qui venait de secouer la capitale qatarie. Hamdan se trouvait alors à une réunion, à l’autre bout de la ville, loin des bureaux du mouvement islamique de résistance, situés dans le quartier huppé de Legtaifiya, rue Wadi Rawdan. Il n’avait entendu aucun bruit.

« Il y a eu une explosion à Doha », se souvient-il que le journaliste lui a dit. « Je crois que vos gens ont été ciblés. »
Hamdan commença à appeler d’autres responsables du Hamas. « Personne ne répondait. Tous les téléphones étaient hors service », se remémore-t-il. « Au bout de cinq minutes environ, un des frères est venu me voir et m’a dit : “Il y a eu une frappe aérienne contre le bureau.” »

La tentative d’assassinat à Doha et le récit d’Osama Hamdan

Alors qu’il se rendait sur les lieux, Hamdan apprit par les médias que des responsables israéliens confirmaient une série de frappes visant à assassiner plusieurs dirigeants de haut rang du Hamas.
L’armée israélienne déclara que les membres de la direction visés « dirigeaient depuis des années les activités terroristes », qu’ils avaient « planifié et supervisé le massacre du 7 octobre » et « dirigeaient la guerre contre Israël ».

Selon Israël, la frappe avait pour objectif d’assassiner le chef du Hamas à Gaza, le Dr Khalil Al-Hayya. « Nous attendons de voir les résultats », déclara un responsable israélien.

Au moment des frappes, Benyamin Netanyahou participait à un événement organisé par l’ambassade usaméricaine à Jérusalem.
Il s’en vanta immédiatement : « Au début de la guerre, j’ai promis qu’Israël atteindrait ceux qui ont perpétré cette horreur. Aujourd’hui, c’est fait. »

Ces frappes israéliennes représentaient une escalade spectaculaire, d’autant qu’elles furent menées sur le territoire du Qatar, pays allié des USA, qui abrite le CENTCOM, l’un des principaux centres névralgiques militaires USaméricains au Moyen-Orient.

Les bureaux du Hamas à Doha avaient été établis en 2011 à la demande directe du gouvernement usaméricain, précisément afin de maintenir une voie de communication diplomatique ouverte avec le mouvement. Le Qatar, avec l’Égypte, joue depuis longtemps un rôle crucial de médiateur dans les conflits et négociations régionales.

Pour Hamdan, l’objectif israélien était clair : « C’était un message politique évident : Netanyahou ne voulait ni cessez-le-feu ni solution.
Il voulait éliminer la délégation qui négociait. En frappant au Qatar, il a montré qu’il ne respectait même pas ceux qui cherchent à obtenir un accord. »


Fumée s’élevant après les explosions survenues dans la capitale qatarie Doha, le 9 septembre 2025. Photo Jacqueline Penney / AFPTV / AFP via Getty Images.

Désinformation et bilan humain

Quelques minutes après les frappes, les réseaux sociaux furent inondés de comptes pro-israéliens affirmant que : Khalil Al-Hayya avait été tué, ainsi que Khaled Mechaal et Zaher Jabbarin.

Netanyahou se félicita publiquement de frappes visant « les chefs terroristes du Hamas ».

Mais Hamdan découvrit rapidement qu’aucun dirigeant majeur n’avait été tué. « Ils ont concentré les frappes sur l’endroit où ils pensaient que la réunion se tenait », explique-t-il. « Mais ils ont échoué. »

En réalité, les frappes tuèrent Hammam Al-Hayya, fils du Dr Khalil Al-Hayya, son secrétaire personnel, trois assistants et gardes du corps ainsi qu’un officier de sécurité qatari.

L’armée israélienne tira entre 10 et 12 missiles sur le complexe, détruisant les bureaux administratifs et l’appartement de la famille Al-Hayya. L’épouse du dirigeant, sa belle-fille et ses petits-enfants furent blessés.

Hamdan dut annoncer lui-même la mort de son fils à Al-Hayya. Ce dernier, qui avait déjà perdu un autre fils — Osama — tué dans une frappe israélienne en 2014, a perdu de nombreux membres de sa famille dans le génocide en cours.

Dans une déclaration publique empreinte de dignité, Al-Hayya affirma ensuite : « La douleur de perdre mon fils, mon compagnon, le directeur de mon bureau et les jeunes autour de moi, c’est une douleur immense. Nous ne sommes pas faits de fer ou de pierre. Nous pleurons nos martyrs, nos familles, nos frères. Mais ce que je vois chaque jour — les tueries, la tyrannie, les assassinats, la destruction à Gaza — me fait oublier ma douleur personnelle. Parce que je sens qu’ils sont tous comme mes propres enfants. »

Une frappe motivée par les négociations

Bien qu’Israël justifie publiquement la frappe de Doha au nom du 7 octobre, la réalité était toute autre : Il s’agissait d’éliminer l’équipe de négociation du Hamas au moment exact où elle examinait une nouvelle proposition usaméricaine.

Dans les jours précédant les frappes, l’administration Trump avait transmis au Hamas, via les médiateurs qataris, un texte présenté comme une nouvelle initiative de cessez-le-feu.
Ce document exigeait notamment la remise immédiate de tous les captifs israéliens — vivants et morts — détenus à Gaza.

Du point de vue du Hamas, cette “offre” ressemblait à un piège : elle était vague, elle n’engageait pas clairement Israël à mettre fin au génocide, elle ne garantissait aucune levée du siège ou retrait militaire.

Le Hamas se souvenait aussi qu’en mai, Trump avait renié une promesse similaire faite lors d’un échange visant à libérer le soldat usaméricano-israélien Edan Alexander.

Funérailles à Doha

Les funérailles furent organisées dès le lendemain, dans la capitale qatarie. Elles rassemblèrent une foule nombreuse : diplomates, responsables politiques, membres de la diaspora palestinienne, journalistes, et figures du mouvement national.

Le cercueil du fils de Khalil Al-Hayya — Hammam — fut porté en tête du cortège, suivi de ceux des quatre membres du Hamas tués dans la frappe, ainsi que celui de l’officier de police qatari. Les dirigeants du Hamas, visiblement éprouvés, prononcèrent des discours de deuil et de résilience.
Ils insistèrent sur le fait que l’attaque ne briserait pas la volonté palestinienne de poursuivre les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre — malgré l’évidence que l’objectif israélien était précisément d’éliminer la délégation chargée de négocier.


Funérailles à Doha du fils de Khalil Al-Hayya, de quatre membres du Hamas et d’un officier qatari tués lors de la frappe israélienne. Photo Diwan de l’Émirat du Qatar / Anadolu via Getty Images

Le Hamas avait accepté un accord avant les frappes israéliennes

Le 18 août — soit trois semaines avant la tentative d’assassinat de Doha — les factions palestiniennes avaient déjà accepté un accord de cessez-le-feu élaboré par les USA et Israël.

Cet accord, appelé “cadre Witkoff”, du nom de l’émissaire spécial usaméricain Steve Witkoff, comportait 13 points. Il incluait :

  • un cessez-le-feu de 60 jours,
  • la reprise de l’aide humanitaire,
  • la libération de la moitié des captifs israéliens, vivants ou morts,
  • la possibilité de prolonger la trêve pendant que les négociations se poursuivaient.

Pour les dirigeants palestiniens, il s’agissait d’un compromis difficile, mais acceptable, afin de stopper l’hécatombe à Gaza. Mohammad Al-Hindi, chef de la délégation du Jihad islamique, raconte : « Trump pensait que le Hamas ne remettrait jamais vingt captifs d’un seul coup. Nous avons consulté toutes les factions et décidé d’accepter l’accord Witkoff. »

Des concessions palestiniennes majeures

Dans l’accord du 18 août, les Palestiniens avaient accepté :

  • la libération immédiate de huit captifs le premier jour,
  • l’absence de calendrier clair pour le retrait israélien du corridor de Philadelphie,
  • une zone tampon israélienne plus profonde que ce qu’ils avaient exigé,
  • la possibilité d’un accord même sans garantie que la guerre cesserait complètement.

Selon un haut responsable qatari, le Hamas avait accepté 98 % de ce que les USA et Israël réclamaient.

Pourtant…

Israël ne répondit jamais. Les USA firent porter la faute au Hamas

Lorsque les Palestiniens annoncèrent qu’ils acceptaient l’accord, Israël ne donna aucune réponse officielle.

Au lieu de cela :

  • les responsables usaméricains déclarèrent que le Hamas bloquait les négociations,
  • l’armée israélienne accéléra les bombardements,
  • Israël annonça une nouvelle offensive terrestre imminente,
  • les médias israéliens affirmèrent que les Palestiniens « refusaient la paix ».

Al-Hindi : « Ils ont donné à Israël une excuse pour intensifier les frappes et prétendre que nous refusions un accord — alors que nous l’avions accepté. »

20/08/2024

NAGHAM ZBEEDAT
“Le retour du martyre” : Yahya Ayyash, “l’Ingénieur”, redevient “tendance”, alors que le Hamas menace d’autres attaques suicides

Célèbre pour avoir introduit les attaques suicides dans le conflit israélo-palestinien, Yahya Ayyash, tué par Israël en 1996, fait l’objet d’un regain d’attention après une tentative d’attentat à Tel-Aviv.

Nagham Zbeedat, Haaretz, 20/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

À la suite d’une tentative d’attentat-suicide à Tel-Aviv dimanche soir, un nom a commencé à gagner du terrain sur les plateformes de médias sociaux arabes, en particulier sur X : Yahya Ayyash. Connu sous le nom de « l’ingénieur », Yahya Ayyash était une figure clé du Hamas et l’un des cerveaux de la vague d’attaques-suicides en Israël dans les années 1990, jusqu’à son assassinat.

La police israélienne et le Shin Bet ont annoncé lundi qu’un engin explosif qui a explosé dans le sud-est de Tel-Aviv dimanche soir était une tentative d’attentat terroriste. L’attaquant, qui portait les explosifs sur lui, a été tué dans l’explosion, tandis qu’un passant a été modérément blessé et transporté à l’hôpital.


Yahya Ayyash. Photo : Reuters

Le Hamas et le Djihad islamique ont revendiqué l’explosion, déclarant qu’ils renouvelleraient les attentats suicides en Israël « tant que les massacres perpétrés par l’occupant et la politique d’assassinats ciblés persisteront ».


Le lieu de l’explosion à Tel Aviv dimanche. Photo Moti Milrod

Un quart de siècle après sa mort, le nom de Yahya Ayyash refait surface dans les discussions en ligne en langue arabe, de nombreux utilisateurs établissant des parallèles entre l’attentat de Tel-Aviv et ce qu’ils considèrent comme l’héritage de Yahya Ayyash, symbole militant de la résistance à l’occupation israélienne.

Qui était Yahya Ayyash ?

Yahya Ayyash était né le 6 mars 1966 à Rafat, près de Naplouse. Après avoir obtenu d’excellents résultats au lycée, il a poursuivi des études d’ingénieur à l’université de Birzeit, où il a obtenu une licence en génie électrique en 1988. Début 1992, Ayyash rejoint les Brigades Ezzedine Al Qassem, la branche militaire du Hamas, où il se spécialise dans la création d’explosifs à partir de matériaux disponibles localement. Il est tristement célèbre pour avoir introduit la tactique des attaques suicides dans le conflit israélo-palestinien.

Ayyash s’est rapidement imposé comme l’un des principaux artificiers du Hamas, ce qui lui a valu le surnom d’« ingénieur ». Les attentats qu’il a organisés ont causé la mort de plus de 70 Israéliens.


L’épave d’un bus israélien à Tel Aviv après un attentat suicide, octobre 1994. Photo : Jerome Delay/Associated Press

Le 5 janvier 1996, après une vaste chasse à l’homme, Ayyash est tué par le service de sécurité Shin Bet. L’agence a réussi à infiltrer le Hamas et à compromettre l’un des associés d’Ayyash, qui lui a remis un téléphone portable piégé avec des explosifs. Une fois qu’il a été confirmé qu’Ayyash utilisait le téléphone, le Shin Bet l’a fait exploser, le tuant sur le coup.


Le cercueil de Yahya Ayyash est transporté dans une mosquée pour les funérailles, 1996.Photo : Jim Hollander/Reuters

Le Hamas lui-même a commémoré Ayyash en donnant son nom à l’une de ses roquettes à plus longue portée, lancée pour la première fois en direction de l’aéroport international d’Eilat en 2021. Le Hamas a ciblé Israël en utilisant le missile Ayyash 250 à plusieurs reprises au cours de la guerre de Gaza. Une roquette tirée depuis la ville de Jénine, en Cisjordanie, en juin 2023, a été revendiquée par une faction du Hamas se faisant appeler le bataillon Al-Ayyash. L’Autorité palestinienne a également commémoré Ayyash en donnant son nom à une rue de Ramallah.

Ayyash est vivant

Le regain d’intérêt pour Ayyash met en évidence l’influence de ses tactiques et de son idéologie dans certaines parties du monde arabe, où il est souvent considéré comme un martyr et un héros.
Adham Abu Selmiya, écrivain et militant palestinien, a partagé sur X une image d’un bus détruit, référence aux attentats suicides de Yahya Ayyash, à côté d’un panneau de signalisation indiquant « Tel Aviv » avec le slogan en anglais et en hébreu : « Nous arrivons ». En légende de l’image, Abu Selmiya a déclaré : « Il n’est que juste que nous affichions ce sourire “suffisant” à l’égard de Netanyahou ». Il a ajouté : « Maintenant, les piliers de son entité tremblent devant le retour tonitruant de l’ère des opérations martyres dans les territoires occupés ».


"Ton temps reviendra, Ayyash" : image dans un message X d’Adham Abu Selmiya, écrivain et militant palestinien

L’écrivain égypto-palestinien Yousef Al-Damouky a écrit: « Il reviendra de l’endroit où vous pensiez l’avoir tué », faisant référence à l’assassinat de Yahya Ayyash. Al-Damouky a ajouté : « Il rira longtemps pendant que vous paniquerez. Yahya vous dira avec sa sagesse éternelle : tous ceux que vous assassinez ne meurent pas ».

Des images de Yahya Ayyash se répandent sur Internet, accompagnées d’une légende en vogue déclarant : « Ayyash est vivant, ne croyez pas qu’il est mort ». Beaucoup partagent également une citation attribuée à Ayyash : « Les Juifs peuvent déraciner mon corps de Palestine, mais je veux planter quelque chose dans le peuple qu’ils ne pourront pas éradiquer ».

 

 

12/05/2023

AMIRA HASS
Chaque attaque sur Gaza entraîne son lot de “dommages collatéraux” et de dégâts absurdes

Amira Hass, Haaretz, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les termes comme “dommages collatéraux” et “proportionnalité” ne tiennent pas compte des civils dont les vies ont été prises dans le dernier cycle inutile de douleur et de souffrance. Lorsque la logique qui sous-tend les attaques est si incompréhensible, les mots manquent.

L’hôpital Shifa dans la ville de Gaza, mercredi. Photo : AHMED ZAKOT/Reuters

Pour cette femme de 87 ans, malade dans sa maison de Khan Younis, les 75 dernières années se sont réduites à un seul moment, qui remonte à avril ou mai 1948. Csest à ce moment-là qu’elle et sa famille ont fui leur maison de Jaffa après qu’elle avait été bombardée par les miliciens de l’Irgoun et de la Haganah, qui existaient avant la création de l’État. Ils pensaient rentrer chez eux au bout de deux ou trois jours, une semaine ou deux tout au plus.

Mardi, elle a surpris sa famille en se réveillant d’un coma de deux jours. Ses enfants ont compris, à travers ses marmonnements, qu’à son réveil, elle se croyait redevenue celle qu’elle était à l’âge de 12 ans, une fille dont le monde avait été bouleversé en l’espace de quelques heures.

« Cela n’a rien à voir avec les récents attentats. Je ne pense pas qu’elle sache qu’il y a une nouvelle guerre », m’a dit sa petite-fille. « C’est courant. Même lorsque nos aînés perdent la mémoire, ils se souviennent d’eux-mêmes pendant la Nakba. Alors je me suis dit que peut-être, quand je serai vieille et atteinte d’Alzheimer, je ne me souviendrai de rien d’autre que de cette terrible guerre en 2008, quand j’avais 12 ans ».

Nous avons ici tout ce qu’il faut pour faire une remarque factuelle sur la Nakba en cours. Non pas une remarque conflictuelle, argumentative ou narrative, mais un simple fait : la Nakba, un désastre de dépossession et d’expulsion, n’a pas cessé un seul instant depuis que nous avons transformé le peuple palestinien en une nation de réfugiés. Et les Palestiniens - comme c’est irritant - refusent de s’adapter ou de se rendre à cette réalité. C’est le point de départ nécessaire pour comprendre les facettes politiques, militaires et sociales de la situation israélo-palestinienne.

 

Des garçons palestiniens dans une maison détruite par les frappes des FDI à Gaza, mercredi. Photo : MOHAMMED SALEM/Reuters

Mais les oncles de ma jeune interlocutrice sont préoccupés par un problème plus prosaïque. Leur mère a un rendez-vous pour une dialyse, mais ils ont peur de la conduire à l’hôpital. Que se passe-t-il si les FDI reçoivent l’image d’une voiture depuis l’un de leurs drones en vol stationnaire au-dessus de Gaza et que le commandant en charge décide que toute personne conduisant à cette heure-ci doit être un lanceur de roquettes et qu’un missile doit donc être tiré sur elle ?

Un militant du Hamas qui n’était  pas membre de l’aile militaire de l’organisation m’a dit un jour avec fierté : « Pendant la première Intifada, nous avons jeté des pierres - mais maintenant, nous avons des roquettes ». Pour notre part, nous, Israéliens, avions le mortier artisanal Davidka, et aujourd’hui nous avons le genre de bombes et d’avions militaires que la censure militaire nous interdirait de nommer. Chaque camp se vante du développement et de l’efficacité de ses armes, mais les organisations palestiniennes vivent dans un déni constant alors que l’écart entre leur arsenal et celui d’Israël ne cesse de se creuser.

« Je m’apprêtais à dormir. Soudain, j’ai ressenti des ondes de choc. Comme un tremblement de terre. Ce n’est qu’ensuite que le son a suivi », raconte la petite-fille, que je connais depuis qu’elle est enfant, à propos des bombardements de mardi matin. « J’ai pensé que, comme toujours, les Juifs bombardaient des zones ouvertes, des bases vides du Djihad ou du Hamas ». Elle a utilisé un terme blessant pour moi, qui est couramment utilisé par les Palestiniens, ne ressentant pas le besoin de remplacer “les Juifs” par “l’armée” par égard pour moi.

« Dans les cas précédents, nos organisations de résistance ont tiré sur Israël et savaient qu’aucun Israélien ne serait tué », a-t-elle poursuivi. « L’armée a bombardé et savait qu’aucun Palestinien ne serait tué », a-t-elle ajouté. « Chacun répondait à l’autre et nous pouvions revenir à la normale ».

 

Un homme marche parmi les ruines d’un bâtiment à Gaza, mercredi. Photo : IBRAHEEM ABU MUSTAFA/Reuters

C’est pourquoi le choc a été si grand cette fois-ci. « Quinze minutes seulement après le bombardement, nous avons commencé à entendre des informations faisant état de femmes et d’enfants tués. Mon amie et sa famille vivent dans le même immeuble que la famille du commandant du Jihad islamique, Tareq Izzeldeen. Ils se trouvaient dans l’appartement lorsque la maison a été bombardée, mais heureusement ils n’ont pas été blessés. Par contre, tout leur appartement est en ruine. Il est complètement détruit. Mon amie a quitté l’appartement et a vu des cadavres dans les escaliers ».

Ses propos rappellent l’inimaginable résilience des Palestiniens. « Nous sommes des héros malgré nous », m’ont dit mes amis de Gaza en 2008, 2012, 2014, 2021 et à de nombreuses occasions entre-temps, lors d’invasions militaires et d’attaques qui n’ont pas reçu le titre de “guerre”. Pourtant, à chaque guerre, cet “héroïsme à contrecœur” devient plus difficile.

Je discutais avec cette jeune amie mercredi en début d’après-midi, alors que les lance-roquettes du Djihad islamique étaient encore silencieux et que les alarmes de missiles n’avaient pas encore interrompu les émissions de la radio israélienne. « Tout le monde s’attend à ce que le Djihad réagisse », dit-elle. « La vue des enfants assassinés par Israël a choqué tout le monde ».

Je lui ai demandé, comme si elle était une experte du Djihad islamique ou une stratège militaire, pourquoi elle pensait qu’ils ne réagissaient pas. « Maintenir les Israéliens dans la peur est aussi une arme », a-t-elle expliqué. « Le problème, c’est que nous avons également peur. L’attente est parfois plus difficile que le moment même de l’attentat. Je pense aussi que le Jihad islamique doit réagir. Mais je ne souhaite pas une nouvelle guerre ».

 Des secouristes au travail à Gaza, mercredi. Photo : MOHAMMED SALEM/Reuters

C’est un témoignage de première main des contradictions internes dans le cœur de chacun. Je n’ai pas remarqué si elle a dit que le Hamas devait également réagir. En tant que parti au pouvoir, il a des considérations différentes de celles de la petite organisation militaire [le Djihad islamique, NdT]. Le Hamas n’aime pas la comparaison, mais il est passé par des étapes similaires à celles que son rival, le mouvement Fatah, a traversées au cours de la deuxième Intifada. Le Hamas ressent également la contradiction et la tension entre un mouvement de libération et un gouvernement au pouvoir avec des fonctionnaires et la responsabilité de payer les salaires et d’entretenir les écoles.

Une autre amie de la jeune femme à qui je parlais a survécu au cancer, après de nombreux traitements et un amour inébranlable pour la vie. Un rendez-vous a été fixé pour elle mercredi, dans un hôpital de Jérusalem. Il a été coordonné après de nombreux efforts et après que l’Autorité palestinienne a garanti la prise en charge des coûts du traitement. Mais les points d’entrée en Israël étaient fermés. « Combien d’autres patients qui devaient voyager pour recevoir un traitement vital n’ont pas pu le faire ? », s’est demandé mon amie.

La procureure générale d’Israël, Gali Baharav-Miara, qui a approuvé l’assassinat des hauts responsables du Jihad islamique et de leurs familles, a dû penser à des termes tels que “dommages collatéraux” et “proportionnalité” Mais ces dommages collatéraux et proportionnels sont les civils dont les vies ont été prises, et les nombreux autres cycles de douleur et de souffrance. Tous ceux qui ont été blessés et traumatisés à vie ; tous ceux qui auront besoin de traitements contre le stress et l’anxiété et contre le diabète qui pourrait se développer en raison de leur inquiétude et de leur peur ; tous ceux qui souffriront de dépression, d’apathie, d’une perte de jours d’école et même de mois sans éducation ; tous les traitements médicaux qui ont été reportés ou annulés. Et tout cela sans parler de l’immense dévastation matérielle.

L’écriture est un acte humain qui combine la logique et l’apprentissage, l’expérience et la créativité pour transmettre un message clair et éclairant. Mais il est difficile de faire appel à la créativité, encore et encore, pour décrire la destruction. Il est difficile de décrire la logique qui sous-tend chaque série d’obus, de bombardements, de tirs et de meurtres.

Que cette logique soit dictée par des considérations politiques et organisationnelles momentanées, des plans militaires à long terme ou des considérations nationales et patriotiques, lorsque la logique est si illogique, les mots manquent.

 

 

05/05/2023

GIDEON LEVY
Le Shin Bet et l’administration pénitentiaire israélienne voulaient que Khader Adnan meure

 Gideon Levy, Haaretz, 5/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

S’il y a quelqu’un en Israël et dans les territoires qu’il occupe qui correspond à la définition du combattant de la liberté, c’est bien Khader Adnan, qui est mort mardi soir dans une prison israélienne.


Il s’est battu pour sa liberté et était prêt à sacrifier sa vie pour elle, comme très peu sont prêts à le faire. Il s’est battu contre une tyrannie malfaisante et vindicative qui, pendant des années, l’a jeté en prison à plusieurs reprises, sans procès, dans l’espoir de briser son esprit. Il s’est battu pour son droit fondamental à vivre en liberté.

Adnan était un prisonnier politique, quelle que soit la définition qu’on lui donne. Personne ne l’a jamais accusé de terrorisme et lorsqu’il a finalement été inculpé pour quelque chose (et ce pour quoi il était en prison au moment de sa mort), c’était pour des délits relativement mineurs - appartenance à une organisation illégale et incitation à la violence, ce qui incluait de se rendre au domicile des personnes en deuil et d’encourager les grèves de la faim. Pour cela, il a été maintenu en prison jusqu’à la fin de son procès.

S’il ne s’agit pas d’une détention politique, qu’est-ce que c’est ?

Alexei Navalny a été placé 10 fois en détention administrative par le régime despotique russe, tandis qu’Adnan a été placé 12 fois en détention administrative par l’État démocratique d’Israël. Les deux hommes étaient des opposants au régime. S’il avait été russe, birman, irlandais ou iranien, Adnan aurait été considéré comme un honorable combattant de la liberté, même par les Israéliens. Étant Palestinien, il était considéré comme un terroriste.

Les 86 derniers jours d’Adnan ont été des jours d’abus, qui lui ont causé une souffrance indescriptible. Mais ce furent aussi des jours de disgrâce pour Israël, pour son discours public, ses médias et le mouvement de protestation [contre la réforme judiciaire]. Qui avait entendu parler de sa grève de la faim ? Qui en a parlé ? Qui s’en est soucié ? Il souffrira, il mourra, nous sommes au milieu d’un combat pour notre démocratie.

La mort d’un combattant de la liberté a reçu moins d’attention que celle d’un chien errant. Et lorsque Adnan a finalement rendu son dernier souffle - nous en avions assez de lui et de sa guerre pour la liberté - la seule chose qui nous intéressait était la réaction du Djihad islamique. Personne n’a parlé de ses motivations, de la justesse de sa cause, du déshonneur que représente la détention administrative d’un millier de personnes, ni de la manière dont il est mort. Personne ne s’est demandé si sa mort aurait pu et dû être évitée, ce qui aurait permis d’éviter une nouvelle série de combats dans le sud.

Cette fois, la responsabilité du barrage de roquettes incombe au Shin Bet et à l’administration pénitentiaire israélienne, qui ont délibérément empêché qu’Adnan soit sauvé.

Ils voulaient qu’il meure ; sinon, ils l’auraient hospitalisé, comme ils l’ont fait lors de ses précédentes grèves. Adnan ne voulait pas mourir. Ils voulaient qu’il meure pour qu’on les craigne. Ils voulaient qu’il meure parce qu’ils voyaient que personne en Israël ne se souciait plus, ni de sa vie, ni de sa mort.

Ils l’ont laissé mourir en sachant pertinemment que sa mort entraînerait une nouvelle vague de violence, et même dans ce cas, ils n’ont pas bougé le petit doigt. Au milieu de toutes les protestations, de la suffisance infinie des protestataires et de leur indifférence à l’égard de l’occupation qui en découle, on peut faire presque n’importe quoi aux Palestiniens. Silence, on est en train de protester.

J’ai suivi les arrestations d’Adnan. J’ai rencontré son père, sa femme et sa sœur chez lui, à Arraba, lors de sa première grève de la faim. Je l’ai rencontré à l’arrière d’une pharmacie à Naplouse, après son avant-dernière grève de la faim. C’était un homme brisé après 54 jours de faim, mais il était déterminé à ne pas se rendre, même s’il exagérait son importance pour la lutte palestinienne : « Israël m’a transformé en symbole - j’ai réussi à montrer son visage hideux ».

Adnan s’exprimait dans un hébreu coloré qui comprenait beaucoup de “avec l’aide de Dieu” et de “béni soit Dieu”. Lorsqu’il a mentionné à son intervieweur qu’il espérait revoir ses enfants avec l’aide de Dieu, celui-ci lui a répondu : “Dieu est occupé en ce moment en Syrie”.

Les geôliers d’Adnan mangeaient du chawarma et des pizzas dans sa chambre d’hôpital lors de sa précédente grève de la faim, ce qui lui a causé d’immenses souffrances. Combien de poids avait-il perdu ? « Ne me demandez pas combien j’ai perdu, mais combien ma dignité a augmenté », a-t-il répondu.

Aujourd’hui, il est mort dans la dignité. Il est dommage que davantage d’Israéliens ne l’aient pas honoré comme il le méritait.