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03/08/2023

RAÚL ROMERO
Mexique : les trois guerres contre Ayotzinapa

Raúl Romero, La Jornada, 3/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis leur origine, il y a plus de 100 ans, les écoles normales rurales et leurs diplômés ont incarné un projet éducatif critique, d’en bas, en accord avec les besoins des peuples appauvris et opprimés. Dans l’esprit révolutionnaire, agrarien et socialiste de l’époque, les écoles normales rurales ont servi à former des enseignants qui boivent de l’atole, mangent des tortillas au chili et vivent avec le peuple, comme une communauté ñuu savi l’aurait demandé au général Lázaro Cárdenas il y a plusieurs décennies, selon Luis Hernández Navarro dans son merveilleux livre La pintura en la pared. Una ventana a las escuelas normales y a los normalistas rurales.

Le caractère critique de la formation des étudiants des écoles normales rurales, leur tradition organisationnelle, ainsi que leur origine populaire - essentiellement des enfants de paysans et d’indigènes - ont donné naissance à des générations d’enseignants qui luttent pour la défense de l’éducation publique, critique et scientifique, pour l’amélioration de leurs conditions de travail, pour des syndicats démocratiques, pour des projets pédagogiques critiques.

La tradition organisationnelle des normaliens, leur formation à la pensée critique et leur défense permanente de l’éducation publique et gratuite leur ont valu une menace constante de la part de l’État mexicain, qui a non seulement tenté de faire disparaître les écoles avec leurs dortoirs et leurs cantines, mais qui a également persécuté, criminalisé et réprimé leurs étudiants et leurs diplômés. En s’attaquant aux écoles normales et à leurs étudiants, l’État ne s’attaque pas seulement à un projet éducatif de grande valeur, il s’attaque aussi à la semence de lutte et de liberté que représentent de nombreux enseignants, maillons essentiels des processus d’organisation de la base et des nombreuses expériences de lutte dans tout le pays. C’est ce qui a motivé Gustavo Díaz Ordaz lorsqu’en 1969, il a porté un coup brutal en fermant 14 écoles normales rurales.

Que ce soit en les étouffant économiquement, en les réprimant directement, en espionnant et en infiltrant leurs organisations, l’État mexicain a mené une guerre contre-insurrectionnelle contre les normales rurales et leurs étudiants. Dans son objectif, l’État a non seulement cherché à éviter ou à effacer de l’histoire un long passé d’expériences révolutionnaires, mais aussi à empêcher cette tradition d’organisation et de réflexion critique de continuer à être présente dans le pays.

Luis García/ Mexico

À l’ère néolibérale, la guerre contre-insurrectionnelle de l’État contre les écoles normales et leurs étudiants a été complétée par la guerre du marché contre le secteur public en général et contre l’enseignement public gratuit en particulier. Pendant des décennies, les écoles normales et leurs étudiants ont non seulement subi la répression et la stigmatisation, mais ils ont également été confrontés à des problèmes économiques plus graves. Alors que les normaliens se sont battus et se battent encore pour obtenir plus de ressources et de places dans leurs écoles, pour des emplois dignes et bien rémunérés, ils ont dû faire face au discours de criminalisation qui a fait passer leurs écoles pour des écoles du diable et des nids de communistes à des groupes violents liés à la criminalité organisée.

Au Guerrero, en particulier pour les étudiants de l’école normale rurale Raúl Isidro Burgos, la guerre contre-insurrectionnelle et néolibérale contre le normalisme a revêtu une caractéristique également observable dans d’autres parties du pays : les conflits pour le contrôle territorial entre les entreprises du crime organisé avec leurs bras politiques et leurs forces armées légales et illégales. Grâce au Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI), nous savons aujourd’hui que les événements tragiques du 26 septembre 2014 ont impliqué la participation coordonnée des forces armées du crime organisé et des forces armées et autorités de l’État mexicain. À Ayotzinapa, nous avons vu et vécu le degré de symbiose entre l’État et le crime organisé, une association qui a fonctionné pendant le crime, qui a fonctionné pour le maintenir dans l’impunité, et qui a touché les présidences et les polices municipales, les gouverneurs et les polices d’État, l’armée, le Cisen [Centre de la Recherche et de la Sécurité Nationale, agence de rensoignements], la marine, l’état-major présidentiel et la présidence de la République. Ce narco-État du passé est toujours d’actualité, dans la mesure où il nous empêche d’accéder à la vérité et à la justice. L’État mexicain, par l’intermédiaire de certaines personnes et institutions, continue de garantir l’impunité de ce réseau criminel complexe et gigantesque.

Nous ne savons pas si l’État et son armée obéissent ou ont obéi au crime organisé, ou si le crime organisé est au service de l’État et de son armée. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui permettra de lever les doutes et d’éclaircir le crime d’Ayotzinapa et bien d’autres qui se sont produits et se produisent encore. Pour l’heure, deux choses sont certaines : c’est dans cette symbiose entre l’État et son armée, d’une part, et le crime organisé, d’autre part, que réside la responsabilité du crime d’Ayotzinapa. Il y a des noms et des prénoms de responsables, certes, mais il y a aussi une responsabilité structurelle, institutionnelle et qui traverse les sexennats présidentiels. La deuxième certitude, plus grave, est que, près de neuf ans après cette nuit tragique, 43 étudiants normaliens sont toujours portés disparus.

 

México Despierta / Mexico Wakes Up
Elmer Sosa
Mexico, 2015

 

16/04/2023

Le fugitif de l’affaire Ayotzinapa interviewé par un magazine israélien : accusé de dissimulation, Tomás Zerón dénonce les persécutions politiques du gouvernement mexicain

National Security Archive (Archives de la sécurité nationale), 14/4/2023
Document établi par Kate Doyle et Claire Dorfman

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Fondées en 1985 par des journalistes et des universitaires usaméricains pour lutter contre la montée du secret gouvernemental, les National Security Archive combinent un éventail unique de fonctions : centre de journalisme d’investigation, institut de recherche sur les affaires internationales, bibliothèque et archives de documents usaméricains déclassifiés (“la plus grande collection non gouvernementale au monde” selon le Los Angeles Times), principal utilisateur à but non lucratif de la loi usaméricaine sur la liberté de l’information, cabinet juridique d’intérêt public défendant et élargissant l’accès du public aux informations gouvernementales, défenseur mondial du gouvernement ouvert, et indexeur et éditeur d’anciens secrets.

 

Washington, D.C., 14 avril 2023 - La tournée de réhabilitation de Tomás Zerón a commencé.


Cette semaine, le magazine israélien Sheva Yamim (7 Jours) a publié une interview extraordinaire et exclusive de l’ancien fonctionnaire mexicain accusé d’avoir orchestré la dissimulation de l’une des violations des droits humains les plus tristement célèbres du pays. Dans l’article, Zerón, l’ancien enquêteur principal sur les disparitions des étudiants d’Ayotzinapa en 2014, parle de son enfance, de sa carrière dans les forces de l’ordre au Mexique et de sa vie actuelle à Tel Aviv, révélant des détails qui n’ont jamais été publiés dans un média mexicain.

Il fournit également un compte rendu intéressé de son rôle dans la direction de l’enquête sur l’affaire Ayotzinapa - l’enlèvement et la disparition de 43 étudiants le 26 septembre 2014 - qui a choqué le Mexique par son audace, par l’incapacité du gouvernement à résoudre l’affaire et par des preuves indiquant qu’il faisait obstruction à sa propre enquête.

Lorsque les garçons ont disparu, Zerón dirigeait l’Agence des enquêtes criminelles (AIC), considérée comme le FBI mexicain. Aujourd’hui, il est accusé de multiples crimes liés à l’enquête sur l’affaire Ayotzinapa, notamment d’obstruction à la justice et de torture de suspects. Interpol a lancé une notice rouge à son encontre et le gouvernement mexicain du président Andrés Manuel López Obrador le considère comme un fugitif.


Notice rouge dInterpol concernant Tomás Zerón de Lucio, qui est actuellement en fuite en Israël et fait lobjet dune demande dextradition du Mexique, où il doit répondre daccusations liées à son rôle dans létouffement de lenquête sur le massacre dAyotzinapa.

Dans l’entretien qu’il a accordé à Sheva Yamim, supplément du week-end de l’un des plus grands quotidiens israéliens, Yediot Ahronoth, Zerón affirme catégoriquement qu’il est innocent. Il continue d’insister sur l’exactitude de ses découvertes en 2014 et 2015 - découvertes qui ont servi de base à l’explication largement discréditée de la “vérité historique” pour les attaques contre les étudiants. Il considère les accusations portées contre lui comme une campagne de persécution politique menée par le président du Mexique.

Au-delà de ce que l’article nous apprend sur la vie et les hauts faits de Tomás Zerón, son interview par le magazine israélien - accompagnée d’une belle photographie - est un coup de maître en matière de relations publiques. Il semble également qu’il s’agisse de sa tentative la plus forte pour se débarrasser des problèmes judiciaires auxquels il est confronté dans son pays d’origine.

L’article commence par la description d’une rencontre improbable à Tel Aviv entre Zerón et un émissaire du président Lopez Obrador, Alejandro Encinas, le sous-secrétaire aux droits humains du Mexique et l’homme qui a supervisé les nouveaux efforts du gouvernement pour résoudre l’affaire Ayotzinapa depuis décembre 2018.

À l’insu d’Encinas, la réunion a été secrètement enregistrée.

« Vers dix heures du matin du 16 février [2022], une équipe de trois experts du renseignement et de la surveillance secrète est arrivée au “Greco Ozari”, un restaurant grec renommé du nord de Tel-Aviv... Ils se sont assis à côté de l’une des tables, ont commandé quelque chose à manger et à boire, mais ont surtout cherché le meilleur endroit dans le restaurant où ils pourraient installer les caméras et les microphones. »

L’article ne révèle pas qui a ordonné l’enregistrement.

Une fois assis dans le restaurant, comme l’a précédemment rapporté le New York Times, Encinas a tenté de minimiser les accusations portées contre Zeron et de le convaincre d’aider à résoudre l’affaire, assurant Zerón que ni lui [Encinas] ni le président Lopez Obrador ne voulaient qu’il aille en prison. Encinas a presque supplié Zerón de lui fournir des informations sur ce qui était arrivé aux étudiants, en lui promettant le soutien du président. Dans l’interview accordée à Sheva Yamim, Zerón se moque de la tentative maladroite d’Encinas : « Il devait être très naïf, ou peut-être désespéré, s’il pensait pouvoir me convaincre, avec ces promesses et ces mots, de retourner dans un endroit (le Mexique) où une campagne de persécution politique, entièrement basée sur des mensonges, est menée contre moi. »

Cette rencontre a peut-être anéanti toute chance qu’Israël renvoie Zerón au Mexique. Bien que López Obrador ait froissé des diplomates en critiquant publiquement Israël pour ne pas avoir renvoyé Zerón, l’article montre clairement que ce sont les propres mots d’Encinas lors de la conversation enregistrée secrètement qui sont les plus préjudiciables à la requête du Mexique. Comme le dit un haut fonctionnaire israélien dans Sheva Yamim, ces commentaires pourraient être “le dernier clou dans le cercueil” de la demande d’extradition.

Dans l’entretien, Zerón, 60 ans, raconte qu’il a grandi dans une famille de la classe moyenne à Mexico, qu’il est l’un des quatre fils d’un père comptable et d’une mère femme au foyer.

« Je ne suis jamais allé dans une école privée », dit-il. » J’ai toujours fréquenté des écoles publiques ». Enfant, il rêvait d’une carrière militaire, mais après le lycée, sous la pression de sa famille, il a continué à étudier l’administration des affaires à l’université. Il a ensuite obtenu une maîtrise en droit, bien qu’il n’ait jamais été agréé en tant qu’avocat. Il a commencé sa carrière dans les affaires - Zerón a été l’importateur qui a introduit au Mexique la marque de mode française Lacoste, par exemple - mais la récession au Mexique a fini par avoir raison de lui ».

L’article décrit comment, à la suite de la perte de son entreprise, Zerón « s’est retrouvé à travailler pour la police fédérale mexicaine » en 2007, travaillant « principalement dans le domaine économique ». Parce qu’il « ne s’entendait pas avec le secrétaire à la sécurité publique » - Genaro García Luna, qui a été condamné en février 2023 par un tribunal fédéral usaméricain pour trafic de drogue et corruption - il a été licencié, selon l’article. (En revanche, des journalistes mexicains ont décrit Zerón comme un “disciple” de García Luna et ont rapporté qu’il avait été licencié pour mauvaise planification lors d’une violente confrontation avec des criminels armés à Cananea, Sonora, en 2007).

« C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à travailler pour la police de l’État de Mexico... C’est là qu’il a fait connaissance avec le monde du renseignement. “J’ai dit à la personne qui m’a recruté que je ne connaissais rien au renseignement”, raconte Zerón. Il m’a répondu : “Pas de problème, tu apprendras” ».

Il devait être un excellent élève. Bien que sa réputation en matière de collecte de renseignements, d’espionnage et de surveillance audio et vidéo clandestine ne soit pas mentionnée dans l’article du magazine israélien, les journalistes mexicains font état depuis des années du penchant de Zerón pour la collecte secrète d’informations sur ses amis comme sur ses ennemis. Dans une enquête publiée en 2020 dans le magazine d’information Emeequis, par exemple, des sources du système judiciaire fédéral ont déclaré que Zerón avait appris « le pouvoir de l’objectif caché » lorsqu’il travaillait pour l’État de México, et a conservé un disque dur contenant « des centaines d’heures d’enregistrements secrets entre Tomás Zerón et des hauts fonctionnaires des administrations Felipe Calderón et Enrique Peña Nieto, capturés dans des situations compromettantes », y compris « des pots-de-vin, des paiements pour des faveurs louches » et « des mises à jour sur des affaires qui ont été résolues de sorte que des innocents sont allés en prison... ».

Selon Sheva Yamim, c’est au cours de son apprentissage dans le domaine du renseignement que Zerón a découvert Israël pour la première fois.

« Dans le cadre de sa formation, il s’est rendu en Israël en 2008 et y a suivi un cours de deux semaines sur la guerre et le renseignement. À son retour au Mexique, il s’est avéré être un agent de renseignement efficace, et ses responsabilités se sont accrues. Lorsque le gouverneur de l’État, Enrique Peña Nieto, a été élu président du Mexique, Zerón a rejoint la capitale avec lui et a été nommé chef de l’AIC, une nouvelle agence gouvernementale chargée de l’application de la loi, définie comme le "FBI mexicain" ».

Au Mexique, Zerón est peut-être surtout connu pour son lien avec l’achat du célèbre logiciel espion israélien Pegasus, qui a été utilisé par deux gouvernements successifs pour espionner non seulement des criminels, mais aussi des journalistes, des avocats, des militants des droits humains et même des défenseurs de la santé publique. Sheva Yamim rapporte :

« Zerón a été très impressionné par les technologies qu’il a vues lors de sa formation en Israël et dans les enceintes fermées de la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine à Mexico, et il voulait que les services répressifs mexicains subissent une révolution technologique. À l’époque où il occupait un poste de haut niveau dans les services de renseignement et de répression mexicains, une série de contrats ont été signés avec des sociétés de renseignement israéliennes pour l’achat de systèmes de surveillance et de piratage destinés aux services de renseignement et de répression mexicains, notamment le système Pegasus de la société NSO pour la pénétration des réseaux téléphoniques. La signature de Zerón figure sur au moins un des contrats avec NSO. Ces systèmes ont été très utiles dans la guerre contre les cartels de la drogue, mais ils ont également été utilisés, selon les rapports de divers journalistes internationaux, pour surveiller les militants des droits humains, les personnalités de l’opposition politique et même les parents éplorés des jeunes disparus d’Ayotzinapa. »

Le magazine ne s’attarde pas sur l’utilisation abusive du logiciel espion par le Mexique pour cibler les citoyens, mais transmet le récit de Zerón sur son importance pour “attraper les criminels”, y compris, bien sûr, El Chapo.

Dans le magazine israélien, la biographie de Zerón évolue en douceur, passant d’un travail dans le “domaine économique” pour la police à un rôle central dans la capture du célèbre baron de la drogue et chef du cartel de Sinaloa, Joaquín “El Chapo” Guzmán Loera. L’article décrit Zerón comme une “rockstar du système judiciaire mexicain” après la capture d’El Chapo. « Je me souviens de la date à laquelle nous l’avons capturé - le 22 février 2014 », dit Zerón, qui a personnellement informé le président du Mexique de la bonne nouvelle. »

Le récit du début de la carrière de Zerón ne mentionne pas certaines des affaires désastreuses auxquelles il a été associé, notamment l’étrange affaire “Paulette”, lorsqu’il était directeur de la section des enquêtes et des analyses du bureau du procureur de l’État et qu’il a coordonné les efforts de renseignement liés à la disparition d’une enfant handicapée de quatre ans, Paulette Gebara Farah, de son domicile en 2010. Malgré les recherches intensives et très médiatisées menées par les enquêteurs dans l’appartement de la famille, le corps en décomposition de l’enfant a été retrouvé enveloppé dans des draps sous son lit, neuf jours après sa disparition. La décision du procureur général de l’État de déclarer que la mort de Paulette était un accident a suscité l’indignation et la suspicion.

Zerón raconte à Sheva Yamim son expérience dans la supervision de l’enquête sur l’affaire Ayotzinapa. Sa version suit fidèlement le récit que lui et le procureur général de l’époque, Jesús Murillo Karam, ont fait lors d’une conférence de presse à Mexico le 27 janvier 2015, lorsqu’ils ont annoncé la “verdad histórica” (vérité historique) sur l’affaire. Selon leur récit, les 43 étudiants ont été sortis des bus à Iguala par des policiers corrompus travaillant avec un groupe criminel local, les Guerreros Unidos. Les policiers les ont remis à des membres du gang, qui les ont emmenés dans une décharge à ciel ouvert dans la ville voisine de Cocula, où ils les ont tués par balles. Ils ont transporté les corps en bas d’une montagne d’ordures de 40 mètres et les ont brûlés dans un gigantesque feu de joie jusqu’à ce que leurs restes soient réduits à des fragments d’os et à des cendres avant d’être jetés dans la rivière San Juan.

L’article n’aborde pas les nombreuses questions sur la “vérité historique” soulevées par les familles des 43 étudiants et ne mentionne même pas les conclusions du groupe de cinq experts indépendants (GIEI) suggérant que Zerón pourrait avoir placé des preuves sur le site de la rivière San Juan, le témoignage de l’expert en incendie José Torero, qui a prouvé qu’un feu de joie de la nature décrite n’aurait pas pu incinérer 43 corps en une nuit, ou la contradiction posée par la découverte, en 2020, de restes d’étudiants à plus d’un kilomètre du dépotoir.

Interrogé sur les accusations selon lesquelles il aurait torturé des détenus pour les forcer à dire ce qu’il voulait entendre, Zerón nie avoir torturé qui que ce soit, malgré une vidéo dans laquelle on l’entend menacer de jeter un détenu du haut d’un hélicoptère, et une autre vidéo dans laquelle il dit à un autre qu’il le tuerait s’il lui disait des “mamadas” (conneries). « Lors de notre entretien, M. Zerón a déclaré que ces propos avaient été tenus dans le feu de l’action : “Vous parlez à ce meurtrier méprisable, vous comprenez ce qu’il a fait et avec quel sang-froid il a massacré ces pauvres étudiants, et vous explosez” ».

Pour Tomás Zerón, la décision d’accorder une interview à Sheva Yamim - pour parler de certains aspects de son passé, de sa vie personnelle et de sa carrière - était un exercice calculé de relations publiques. Il est probable que Zerón se soit senti à l’aise pour parler avec un journaliste israélien qui ne connaissait pas bien le Mexique et qui aurait peut-être été moins enclin à le presser sur certains détails de son passé. (Plusieurs erreurs dans l’article témoignent d’un manque de connaissance du Mexique. Par exemple, l’article fait référence à l’élection présidentielle de 2018, que « Peña Nieto a perdue en grande partie à cause de l’assassinat des étudiants ». Il n’y a pas de réélection au Mexique et Peña Nieto n’était donc pas candidat en 2018).

Ce n’est pas la première fois que Tomás Zerón tente de diffuser un message pour redorer son blason. Le 3 juin 2020, moins de trois mois après son inculpation au Mexique, un article a été publié sur Yahoo ! Finance vantant les mérites de Tomás Zerón en tant que courageux agent de la force publique injustement pris pour cible par un gouvernement corrompu. Intitulé « Tomás Zerón de Lucio (TZL) : Le héros persécuté du Mexique », l’article était une tentative maladroite de mobiliser le soutien en faveur de l’ancien enquêteur en fuite, avec des fautes d’orthographe, un langage maladroit qui n’a manifestement pas été écrit par un anglophone de naissance, et qui est présenté comme provenant d’Accesswire, une société de relations publiques qui place des contenus sur des sites ouèbe et auprès d’organismes de presse.

Les relations publiques et les équipes juridiques de Zerón se sont nettement améliorées au cours des années écoulées. Son profil dans Sheva Yamim n’est pas très différent, dans certains détails, de celui décrit dans Yahoo ! Finance, mais le nouvel article est plus long, bien écrit et comporte de bien meilleures photos.

Aujourd’hui, selon Sheva Yamim, Zerón est partenaire d’un restaurant mexicain à Tel Aviv. Il aime les longues promenades, les visites de sites historiques et la musique. « Je fais beaucoup de sport ici et je dors bien », explique-t-il. Après des années de travail intensif, j’ai maintenant du temps pour moi... ».

« Ma vie en Israël est aujourd’hui consacrée à la réflexion sur le sens de la vie, à la pensée et à l’apprentissage... En Israël, j’ai appris que certaines des bonnes choses de notre vie sont celles qui nous sont données gratuitement : la liberté, la sécurité, la nature, la santé et la véritable amitié. »

Tomás Zerón ne pourra peut-être jamais retourner au Mexique en raison de l’inculpation pénale qui pèse toujours sur lui. Mais il semble, d’après cet article, qu’il ait trouvé un nouveau foyer en Israël.

L’article publié dans le Sheva Yamim de Yediot Aharonot comporte deux titres : Ronen Bergman et Itay Ilnai. Bergman a contribué à l’élaboration d’un rapport détaillé sur la réunion secrètement enregistrée qui a eu lieu en février 2022 entre Alejandro Encinas et Tomás Zerón à Tel-Aviv, dont il a parlé dans un article publié en octobre dernier dans le New York Times. Ilnai a interviewé Zerón pour l’article de Sheva Yamim et a rendu compte de la conversation.

Afin de permettre la lecture et l’analyse de l’article, les Archives de la sécurité nationale ont fait traduire l’article en anglais à partir de l’original hébreu. La traduction reflète le texte original publié dans Sheva Yamim. Afin de préserver l’intégrité de l’article, les Archives de la sécurité nationale n’ont pas signalé ou corrigé les erreurs dans l’article traduit. Toutefois, par souci de clarté, il convient de noter que le journaliste de 7 Jours  a interviewé Zerón en anglais, puis a traduit l’entretien en hébreu pour le publier. Les National Security Archive ont ensuite traduit l’article hébreu en anglais et l’ont distribué à des journalistes et à des organisations au Mexique, dont certains ont par la suite traduit des parties de l’article en espagnol pour leurs lecteurs. [Voir La Jornada du 15 avril]

Plus important encore, l’analyse mexicaine et usaméricaine de l’article du Yediot Aharonot n’aurait pas été possible sans les efforts du traducteur Emmanuel Auerbach-Baidini, qui mérite toute notre reconnaissance pour sa traduction fidèle et complète du texte hébreu original.

25/09/2022

HAARETZ
Des parents des 43 disparus d’Ayotzinapa demandent à Israël d'extrader un ancien fonctionnaire recherché, et l'ambassade d’Israël à Mexico est “vandalisée” (plutôt décorée)

 Haaretz, 22/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des parents des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa et des sympathisants ont manifesté devant l'ambassade d'Israël à Mexico pour demander l'extradition de l'ancien directeur de l’ACI (Agence d’enquêtes criminelles, le “FBI mexicain”, 2013-2018), Tomás Zerón ; l’ambassadeur d'Israël : « Écrire 'mort à Israël' sur les murs de l'ambassade n'a rien à voir avec l'affaire ».

Les proches de 43 étudiants mexicains qui ont été enlevés et tués en 2014 ont manifesté mercredi devant l'ambassade d'Israël au Mexique, demandant l'extradition d'un ancien enquêteur recherché dans le cadre de cette affaire. Pendant la manifestation, des dizaines de manifestants masqués ont vandalisé l'ambassade d'Israël avec des slogans graffités, dont “mort à Israël”.

Des centaines de manifestants se sont rassemblés devant l'ambassade d'Israël à Mexico, certains portant des photos des étudiants disparus, d'autres peignant des graffitis sur les murs de l'ambassade. Les familles des 43 étudiants, qui ont disparu de force après avoir été arrêtés par la police municipale il y a huit ans, exigent qu'Israël extrade l'ancien enquêteur Tom160s Zerón, accusé d'avoir manipulé l'enquête sur l'enlèvement des étudiants.

Tomás Zerón en 2015. Foto Tomas Bravo—Reuters

Recherché pour torture et falsification de preuves, Zerón était l'un des cerveaux de la version des événements soutenue par l'État, présentée en 2015 et rejetée par les proches des victimes et des experts indépendants. Zerón vit en Israël depuis trois ans et a officiellement demandé l'asile en 2021. Malgré de multiples demandes du Mexique, Israël refuse toujours de le remettre à la justice.