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15/10/2024

REINALDO SPITALETTA
Qui se soucie que des Palestiniens soient tués ?

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 15/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Qu'est-ce que cela peut nous faire, même si nous assistons à un « génocide en temps réel », que des hordes de soldats, qui en plus se prennent en selfies devant les villes et les villages qu'ils rasent, tuent des Palestiniens. Peu importent leurs coups de canons, leurs bombardements, leurs snipers. Tout ça semble aller pour le mieux, car ce sont les bâtiments, les rues, les hôpitaux, les écoles, les habitants de Gaza qui tombent sous le feu sacro-saint du « peuple élu », de la « fureur de Yahvé », ou peut-être, également en temps réel, de deux héros de mauvais augure qui font couler le sang par tous leurs pores : Joe Biden et Benjamin Netanyahou.

Que nous importe qu'une jeune fille décharnée, transpercée par toutes les angoisses, crie sur le caméraman qui filme tout ce malheur d'un peuple, si cela n'intéresse personne. Et, à la longue, qui se soucie, par exemple, qu'un Palestinien arbitrairement emprisonné par des soldats israéliens soit déshabillé, dégradé, forcé de se tourner face contre terre et qu'on lui verse un liquide sur les fesses. Ensuite, ils lâchent un énorme chien qui, excité par l'odeur d'une substance qui l'excite démesurément, viole la victime sans défense.

Ceux d'entre nous qui ont vu le documentaire Gaza, réalisé par Al Jazeera, pourraient rester sans voix, même si, dis-je, ces barbaries ne semblent importer à personne, malgré toute l'infamie qui y est montrée, malgré cette sauvagerie qui a toutes les teintes, les contours et les essences d'un génocide. On pourrait dire, pourquoi pas, que les souffrances anciennes du peuple palestinien, qui remontent au moins à 1948, n'intéressent aujourd'hui, selon l'insensibilité de cette atrocité qu'on appelle « l'Occident », ni les cours et tribunaux internationaux, ni personne d'autre.

Qui s'émouvra, par exemple, lorsque des petits cons d'Israéliens enregistrent une série de singeries sur Tik Tok pour se moquer des enfants palestiniens qui, au milieu de grimaces moqueuses, s'enduiraient de sauce ou d'encre rouge, autrement dit simuleraient des blessures pour poser devant les caméras. Ou ce que font les soldats israéliens, avec des gestes satisfaits, en rasant des cuisines, des salons, des vitrines, des maisons civiles, puis en posant avec toute la « grâce » du « mannequinat » devant leurs photographes portraitistes propagandistes.

Ce terrible documentaire questionne, parmi tant d’infamies de l'armée israélienne, l'utilisation des réseaux sociaux sur lesquels les militaires partagent des photos et des vidéos de leurs actions sans cœur à Gaza. Bien qu’on le sache déjà, Gaza montre comment les USA, l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres pays occidentaux soutiennent la boucherie israélienne. Mais, comme on le sait, aucun organisme de défense des « droits humains » ni aucun tribunal international ne les condamnera.

Le documentaire est déchirant, provocateur, voire larmoyant, et, pourquoi pas, on peut même lancer des filsdeputes bruyants contre les meurtriers en uniforme, mais, pour en revenir à notre mépris traditionnel pour ce qui arrive aux autres, on s'en moque. C'est du moins ce que semble comprendre Susan Abulhawa, écrivaine et journaliste palestinienne : « Les Palestiniens savent qu'ils ont été abandonnés, que le monde qui parle de droits de l'homme et de droit international ment, que ces concepts sont destinés aux Blancs ou aux Occidentaux, que l'obligation de rendre des comptes n'est pas destinée à obliger les oppresseurs à rendre des comptes, qu'ils ont en fait été jetés comme des ordures ».

Et oui, cet « Occident » civilisé, celui qui, au cours des deux seules guerres mondiales, a causé un nombre de morts sans précédent dans l'histoire, celui qui a depuis longtemps démoli l'édifice de la raison pour ériger des monuments à la barbarie, regarde avec complaisance la destruction de Gaza, la brutalité à l'encontre des Palestiniens. Ah, et pas seulement : il les promeut. C'est comme si le mot d'ordre était d'anéantir ce peuple. De les exterminer. Le documentaire d'Al Jazeera, qui rend également hommage aux journalistes morts, témoigne de la manière terrifiante dont un peuple, une culture, est en train d’être dévasté.

Il permet aussi de déceler certaines sophistications dans le génocide. L'intelligence artificielle au service de la destruction. Grâce à un système appelé « Where's Daddy », des personnes sont suivies à la trace, un niveau de menace leur est attribué et leur domicile est ciblé avec une grande précision. Des familles entières ont ainsi été annihilées.

Quoi qu'il en soit, ce sont des images douloureuses dans ce documentaire, qui constitue un puissant réquisitoire. À quoi cela servira-t-il ? Au moins à dire au monde qu’on ne s’en sortira pas, après tout, avec l'excuse qu’on ne savait rien de ce qui se passait dans ces régions (pour certains très éloignées). Oh oui, des Palestiniens ont été et sont encore tués. Point barre. Ce n'est pas de notre truc. C'est leur affaire.

Autre chose : la plupart des victimes, sur les plus de 41 000 tués par Israël, étaient des femmes et des enfants. Le droit international a été déchiqueté par Israël et ses parrains. Comment faire pour que nous nous en soucions ?

21/09/2024

GIDEON LEVY
L’attaque hollywoodesque contre les bipeurs envoie un message clair : Israël veut une guerre superflue de plus

 Gideon Levy, Haaretz, 19/9/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Nous l’avons maintenant aussi par écrit, en milliers d’exemplaires explosifs : Israël veut une guerre, une grande guerre. Il n’y a pas d’autre moyen de comprendre l’opération de style hollywoodien qui a explosé au Liban que la transmission à l’ennemi d’un message de bipeur déterminé, révélant les véritables intentions d’Israël. Un millier d’explosions et 3 000 blessés sont une invitation à la guerre. Elle viendra.

Kamal Sharaf

Hollywood écrit déjà les scénarios, mais en réalité, contrairement aux films d’action et de science-fiction, il y a un jour après. Quiconque est excité par l’explosion d’un bipeur devrait aller au cinéma, car dans le monde réel, il faut déterminer un objectif clair pour chaque action entreprise. Nous ne sommes pas aux Jeux olympiques de la technologie, avec des médailles pour l’opération la plus étonnante. Nous sommes au milieu de la guerre la plus criminelle et la plus superflue dans laquelle Israël se soit jamais embarqué. Et il s’avère qu’il en veut une autre.

Il est inconcevable qu’après une année de guerre ratée à Gaza, qui n’a atteint aucun objectif et n’a permis à Israël d’obtenir aucun résultat autre que l’assouvissement d’une soif de vengeance, Israël en veuille une autre. Il est inconcevable qu’après avoir payé et continuer à payer un prix aussi fatal à la suite de la guerre à Gaza, Israël souhaite une nouvelle guerre. C’est inimaginable, mais c’est un fait.

Tout comme la guerre à Gaza, les explosions de bipeurs au Liban sont inutiles. Félicitations aux planificateurs et aux exécutants, nous avons conquis Rafah et fait exploser les bipeurs ; chapeau aux Forces de défense israéliennes et au Mossad, et maintenant ?

Les difficultés des habitants du nord se sont-elles améliorées depuis l’autre jour, lorsque les bipeurs ont bourdonné puis explosé ? Israël est-il désormais plus en sécurité ? Le sort des otages s’est-il amélioré ? Le statut d’Israël dans le monde s’est-il amélioré ? La menace iranienne s’est-elle dissipée ? Y a-t-il eu un seul changement positif à la suite de la dernière opération secrète, si ce n’est le gonflement de l’ego de nos responsables de la sécurité ?

Tout comme les glorieux assassinats qui n’ont jamais rien apporté, l’héroïsme des bipeurs n’est rien d’autre qu’un gadget cinématographique. Hormis la bave versée dans les studios de télévision par les personnes qui salivent devant chaque Arabe mort ou blessé, la situation d’Israël le jour d’après est pire qu’elle ne l’était le jour précédant cette opération héroïque, même si, en Israël, on distribue des bonbons.

La guerre dans le nord s’est rapprochée l’autre jour, à une vitesse alarmante. Ce sera la guerre la plus évitable de l’histoire du pays. Elle pourrait également être le plus grand bain de sang de l’histoire du pays. Lorsque le Hezbollah déclare explicitement qu’il cessera de tirer dès qu’un accord de cessez-le-feu sera signé avec le Hamas, et qu’Israël ne veut en aucun cas arrêter la guerre à Gaza, il invite le Hezbollah à l’attaquer. Voilà à quoi ressemble une guerre choisie.

Si la guerre à Gaza a aggravé la situation d’Israël par tous les moyens possibles, la guerre dans le nord causera des dommages mille fois plus importants. Gaza pourrait n’être que le prélude au désastre de la prochaine guerre : les victimes, les destructions, l’hostilité dans le monde entier, l’horreur et la haine qui se perpétuent pendant des générations pourraient créer une situation dans laquelle les batailles horribles et coûteuses dans le quartier de Shuja'iyya, à Gaza, nous manqueraient. Et c’est ce que nous voulons nous infliger, de nos propres mains ?

Mais les choses sont plus simples qu’il n’y paraît. Un cessez-le-feu à Gaza entraînera un cessez-le-feu dans le nord. Nous pourrons alors parler d’un accord. Même s’il n’est pas conclu, une réalité sans guerre dans le nord est préférable pour Israël. Personne ne sait avec certitude à quoi nous ressemblerons après une nouvelle guerre. Combien nous saignerons et combien nous serons battus avant de gagner en apparence. Tout comme il aurait été préférable que la guerre de Gaza n’éclate pas - il s’agissait manifestement d’une guerre choisie -, il serait préférable que la guerre dans le nord n’ait pas lieu.

Il est peut-être encore possible de l’empêcher (ce qui est beaucoup plus douteux après l’explosion des bipeurs). Mais pour cela, Israël doit abandonner la croyance qu’il peut tout résoudre par la force, par les armes, par l’explosion de bipeurs, par les assassinats, par la guerre. Dans ma naïveté, j’ai cru qu’Israël avait appris cette leçon à Gaza. Au lendemain de l’explosion des bipeurs, on peut affirmer avec certitude et tristesse que ce n’est pas le cas. Loin de là.

19/09/2024

FAUSTO GIUDICE
La guerre au corps, au cœur, aux yeux
ou
la destruction de l’humanité par le lithium piraté

Israël, par ses cyberbras armés tentaculaires, le Mossad et l’Unité 8200, a donc inauguré une nouvelle forme de guerre de terreur qu’aucun auteur de science-fiction n’avait imaginée. Première étape : 3000 bipeurs/pagers explosant au même moment dans tout le Liban et en Syrie. Deuxième étape : ces centaines de talkie-walkies explosent à leur tour. Les détenteurs de ces appareils et les personnes proches d’eux ont été déchiquetés, estropiés, aveuglés, brûlés. Une batterie de lithium en surchauffe peut atteindre la température  apocalyptique de mille degrés Fahrenheit (537 °C).

Mettons tout de suite les choses au point : non, le Mossad n’a pas détourné un stock de 5 000 appareils destinés au Hezbollah pour y insérer une charge explosive (les uns disent de 3 grammes, d’autres de 30 grammes). Il s’est contenté de hacker les pagers et de provoquer une surchauffe explosive de leurs batteries. Approchant l’appareil de leurs yeux pour lire le message, les personnes ciblées ont été souvent brûlées au visage, eu les yeux crevés et autres sinistres tragédies.

Pourquoi la fable des charges explosives insérées dans les batteries a-t-elle circulé urbi et orbi ? C’est évident : l’industrie  productrice d’appareils en tous genres fonctionnant avec des batteries au lithium s’est retrouvée en quelques minutes face à la perspective d’une catastrophe planétaire. Si on peut faire sauter un pager ou un talkie-walkie en les piratant, on peut faire sauter tout engin connecté : téléphone, ordinateur, voiture, robot ménager, centrale électrique, bicyclette électrique [on me signale des explosions de vélos dans des garages en Argentine] et...cigarette électronique [comme l'ont fait les Ukrainiens avec des soldats russes] etc. etc. 

Panique chez Gold Apollo, le producteur taïwanais des pagers A924, mais aussi chez tous les autres fabricants, de Foxconn (iPhones) à Elon Musk (Tesla). Gold Apollo n’a rien trouvé de mieux que d’ accuser une pauvre [enfin, moins pauvre que moi] consultante sicilienne installée à Budapest où elle dirige une boîte de consultants (notamment pour l’UNESCO) d’avoir fabriqué sous licence les A924 en question. Ce qui était faux : la dame, Cristiana Arcidiacono-Borsany, originaire de Catane et diplômée de la London School of Economics, a tout au plus servi d’intermédiaire entre le Taïwanais et le sous-traitant, non identifié à ce jour.

Donc, non, le Mossad n’a pas détourné en pleine mer, entre Budapest et Beyrouth, la cargaison d’A924 en route vers le Liban pour piéger 5 000 appareils, les remettre dans leurs emballages, replacer le tout dans le container et l’acheminer vers Beyrouth (et par quel moyen ?). Il a tout simplement procédé à une opération relativement simple de piratage des appareils. Auparavant, il s’était livré à une campagne d’intoxication visant à semer la paranoïa dans les rangs des combattants libanais, en leur faisant croire qu’il avait pris le contrôle de tous leurs téléphones, pour les amener à privilégier les bippeurs/pagers.

Ces actes de guerre visent avant tout à frapper, mutiler, tuer, terroriser, sous la peau, au plus intime des personnes et de leurs proches, parents, compagnons, voisins. Le but est évident : écraser la résistance libanaise et lancer un avertissement sérieux à toutes les composantes de l’Axe de la Résistance, en Iran, en Irak, au Yémen et à tous ceux qui seraient tentés de le rejoindre, du Maroc aux Philippines, en passant par le Pakistan et l’Inde. Quant aux Palestiniens, ils avaient déjà tiré les leçons de leur expérience et cela fait un bon moment que Yahya Sinwar et ses compagnons n’utilisent plus aucun appareil connecté.

Mais les « Orientaux » ne sont pas les seuls à être ciblés dans cette opération de piraterie apocalyptique.  Les « Occidentaux » aussi le sont, et pas seulement les simples pékins comme vous et moi, mais les Grands, les Gros, les Puissants, d’Elon Musk à Jeff Bezos en passant par les Drahi, les Kretinsky et les millionaires sino-taïwanais, la grande famille des accros au lithium. Le message d’Israël est clair : « Si vous ne faites pas ce que nous vous ordonnons de faire, on vous fait sauter ». 

-On les a ramenés à coups de bombes à l'âge de pierre il y a une décennie...
-Et ?
-Maintenant , ils se comportent comme des putains d'hommes des cavernes !
-Étonnant

Curtis LeMay, le général yankee de l'armée de l'air qui avait réduit en cendres les deux tiers des villes japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale et qui fut déçu par le refus de Kennedy de le laisser faire la même chose à Cuba, suggérait dans ses mémoires de 1968, qu'au lieu de négocier avec Hanoï, les USA devraient « les ramener à l'âge de pierre en les bombardant », en détruisant les usines, les ports et les ponts « jusqu'à ce que nous ayons détruit toutes les œuvres de l'homme au Nord-Vietnam ».C’est aujourd’hui le contenu de la menace agitée par les sionihilistes : « Nous ou le chaos ».

Il est donc temps, qui que nous soyons, de réfléchir sérieusement à la manière de nous défaire des engins au lithium et de (re)trouver d’autres moyens de communiquer : certains suggèrent la télépathie, d’autres les signaux de fumée des Sioux. J’opterais pour ma part pour les bons vieux pigeons voyageurs. Toute autre suggestion bienvenue.