Mohammad Tavassoli, Secrétaire général du Mouvement de la liberté d’Iran, 30/4/2023
Original : نامه دبیرکل نهضت آزادی ایران به راشد الغنوشی
Traduit par Tlaxcala
Mohammad Tavassoli-Hojjati (Téhéran, 1938) a succédé en 2017 à Ebrahim Yazdi comme secrétaire général du Mouvement de la liberté de l’Iran*, dont il a été un militant actif depuis sa fondation en 1961. Il a été maire de Téhéran de février 1979 à février 1980.Emprisonné en 1971, en 1983, en 1988 et en 2009.
Cher frère, M. Rachid Al Ghannouchi et ses honorables compagnons du parti Ennahdha
Salutations
La nouvelle de votre arrestation le 17 avril dernier, suite à votre
destitution en tant que président du Parlement tunisien et à la dissolution du
Parlement et du gouvernement par M. Kaïs Sayed, président tunisien, en août
dernier, que les experts ont jugée comme un coup d’État contre Ennahdha, a été
regrettable et m’a rempli d’inquiétude, ainsi que tous ceux qui s’intéressent à
la révolution tunisienne.
Vos explications sur la cause de cette démarche du président tunisien, publiées
dans Al Jazeera, sont remarquables : « Il y a une lutte entre la
démocratie et la dictature pour éliminer par la force les acquis de notre
révolution bénie... Comme en témoignent les juristes, les accusations portées
contre nous sont sans aucun fondement. Mon arrestation et celle d’un certain
nombre d’autres personnes ne résoudront pas le problème de l’augmentation du
coût de la vie. Nous sommes confiants dans le fait que notre peuple adhère aux
principes de la révolution et que le processus démocratique du pays va de l’avant.
Le problème de la Tunisie est la dictature et le coup d’État, et ils ne font qu’aggraver
les problèmes du pays ».
Le Front
de salut national tunisien a également condamné les mesures restrictives de
liberté et exprimé sa solidarité avec tous les prisonniers politiques. Il a
déclaré qu’il poursuivrait sa lutte non-violente jusqu’à l’élimination de la
répression et du coup d’État et le retour à la démocratie.
Téhéran, 1979 - Première banderole (en anglais et farsi) : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis » (Déclaration universelle des droits de l’homme, Article 21). Deuxième banderole (en farsi) : «Vous ne ferez pas taire les voix pour la justice en leur tirant dessus". Photographe anonyme
Vous vous souvenez de du défunt secrétaire général du Mouvement de la
liberté d’Iran, Ebrahim Yazdi, et de la lettre qu’il vous a adressée le 30
octobre 2011. Outre des remarques sur les échecs de la révolution islamique en
Iran, il vous a fait part des dangers qui entravent la révolution tunisienne,
notamment les points suivants :
« Nous combattons et éliminons le dictateur, mais pas le despotisme en
tant que mode de vie... Le résultat est que nous renversons le despote mais que
nous sommes bientôt confrontés à une nouvelle dictature... La démocratie n’est
pas un produit d’importation, mais un processus d’apprentissage dont on peut
faire l’expérience... Pour dépasser les conditions données, nous devons d’abord
accepter que la société humaine est diversifiée et que les pays islamiques,
entre autres la Tunisie, ont toutes les particularités d’une société de transition
avec des opinions diverses. Par conséquent, l’acceptation et le respect total
de la diversité sont nécessaires à cette étape. La deuxième étape est le
processus d’apprentissage de la démocratie et de la tolérance. L’étape suivante
de l’institutionnalisation de la démocratie est la capacité d’adaptation et la
convergence entre les activistes de la scène politique ».
Se souvenir de la lettre écrite il y a une décennie à l’occasion de la
victoire de votre parti aux élections et du processus suivi à cette époque
montre que sans un changement culturel, comme sociétal, et sans renforcement de
la société par la consolidation et le développement de sociétés civiles, la
transition vers la démocratie et une société libre est impossible et peut avoir
pour conséquence - comme vous l’avez vu en Tunisie - le retour à une nouvelle
dictature.
Le Coran et l’expérience humaine- comme l’a montré l’ingénieur Mehdi Bazargan dans 200
ouvrages publiés dans les années qui ont suivi la révolution de 1979 et dans
son dernier livre « L’au-delà et Dieu, objectif du message du Prophète »
- nous enseignent ceci : pour surmonter les obstacles à la liberté et à la
démocratie dans les sociétés islamiques, et pour que les valeurs et les
convictions morales soient réalisées et qu’un terrain pour le développement
démocratique puisse se créer, la séparation de l’institution religieuse de l’État
est nécessaire.
Par conséquent, la stratégie nécessaire pour surmonter les conditions actuelles en Tunisie réside dans le renforcement de la société et de ses institutions civiles et dans la promotion du dialogue entre les élites et les représentants des partis politiques et des groupes sociaux, afin que la compréhension commune des intérêts nationaux dans le contexte culturel et social soit disponible pour la transition vers la liberté, la démocratie et le développement. Nous espérons que le parti Ennahdha et sa base sociale joueront un rôle efficace dans ce processus.
NdT
* Le Mouvement de la liberté d’Iran (MLI, Nahżat-e āzādi-e Irān) est une organisation politique iranienne pro-démocratique fondée en 1961 par Ebrahim Yazdi, Mostafa Chamran, Ali Shariati et Sadegh Qotbzadeh, qui se définissaient comme “musulmans, iraniens, constitutionnalistes et mossadeghistes”. C’est le plus ancien parti encore en activité en Iran.
La création de l’organisation avait été soutenue par Mohammad Mossadegh. Le MLI la souveraineté nationale, la liberté d’activité politique et d’expression, la justice sociale dans le cadre de l’Islam, le respect de la Constitution iranienne, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Charte des Nations unies. Il croit en la séparation de la religion et de l’État, alors que l’activité politique devrait être guidée par des valeurs religieuses. Le MLI se base sur une interprétation modérée de l’islam. Il rejette à la fois la dictature royale et la dictature cléricale au profit du libéralisme politique et économique.
Bien que le groupe ait été interdit par le gouvernement au pouvoir en Iran, il continue d’exister. L’organisation accepte de respecter la Constitution de la République islamique d’Iran, bien qu’elle ait été rejetée par le bureau du Conseil des gardiens des juristes islamiques. Depuis 1980, elle n’a été autorisée à se présenter à aucune élection, à l’exception des élections municipales de 2003, pour lesquelles le Conseil des gardiens n’a pas vérifié les candidatures. Elle n’a pas non plus été autorisée à devenir membre de la Maison des partis iraniens.