Gideon Levy, Haaretz, 12/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Note du traducteur : quand l’auteur
parle d’occupation, il désigne celle des territoires palestiniens (Cisjordanie,
Gaza, Jérusalem-Est) initiée pendant la Guerre des Six Jours de juin 1967 (sans
oublier les hauteurs du Golan syrien), mais pas la Palestine de 1948 appelée
Israël, qui n’a pas de frontières officielles et est donc le seul pays
“élastique” au monde. Encore une fois, répétons-le, la seule solution est un seul État démocratique de la mer au Jourdain, fondé sur le principe “Une personne, une voix”.
Jeudi
dernier dans la soirée, en un seul instant, tout a fusionné en une seule image.
Un homme armé a commencé à tirer sur les passants de la rue Dizengoff à
Tel-Aviv, alors que les derniers manifestants de la journée contre le coup d’État
judiciaire se dispersaient pour rentrer chez eux. Les premiers rapports étaient
confus, comme à l’accoutumée : s’agissait-il d’une attaque terroriste, d’un
incident criminel ou peut-être d’une tentative d’assassinat politique ? Pendant
un moment, la protestation contre le gouvernement a été liée à l’occupation.
Des manifestants brandissent des
drapeaux israéliens et palestiniens lors d’une manifestation à Tel Aviv contre
la réforme judiciaire du gouvernement, la semaine dernière. Photo : Fadi Amun
La situation
s’est rapidement éclaircie. L’attentat n’avait rien à voir avec la
manifestation, mais il n’est plus possible de continuer à occulter le lien : l’occupation
est à l’origine de la plupart des maux contre lesquels les Israéliens
manifestent aujourd’hui, même s’ils ne veulent pas l’admettre. Elle est à l’origine
de tous les maux. Sans elle, Israël serait un meilleur endroit ; sans elle, de
nombreuses forces de destruction ne seraient pas aussi puissantes. C’est
pourquoi il est temps d’admettre que l’occupation et les colonies ont vaincu l’État
d’Israël. Elles ont gagné, et l’État s’effondre sous elles. Ce qui a commencé
avec la guerre des six jours de juin 1967 et le seder de la Pâque d’avril 1968
au Park Hotel d’Hébron* a atteint le cœur même du pays, s’y est installé, l’a
rongé de l’intérieur et l’a fait pourrir. Le processus a pris plus de temps que
prévu, mais il se déroule maintenant sous nos yeux blasés à une vitesse
alarmante. Le sort en est jeté. Il est dommage que les protestataires et les manifestants
n’en voient pas l’origine.
Il n’a
jamais été juste de tout relier à l’occupation. Ceux qui l’ont fait ont choisi
la facilité. Israël est confronté à une foule d’autres défis et maux qui n’ont
rien à voir avec elle. Mais l’occupation éclipse tout. Sa malédiction pèse
également sur le coup d’État judiciaire. La plupart des forces qui motivent le
coup d’État ont germé dans les serres des colons ou de leurs champions et
complices. S’il n’y a pas d’occupation, il n’y a pas de colonies - et s’il n’y a
pas de colonies, il n’y a pas de Bezalel Smotrich, pas d’Itamar Ben-Gvir et pas
de Simcha Rothman. C’est aussi simple que cela. S’il n’y a pas d’occupation, il
n’y a pas autant de porteurs de kippa dans toutes les sphères du pouvoir. S’il
n’y a pas de désir d’annexion et d’avidité pour les territoires, il n’y a pas
de Yariv Levin. S’il n’y avait pas d’occupation, il y aurait toujours du
racisme, mais moins. Peut-être même que Benjamin Netanyahou aurait été
différent. Toute la politique israélienne aurait été différente si le maintien
de l’occupation n’était pas devenu son principal objectif.
L’occupation
a donné naissance à la nouvelle figure générique de l’Israélien : un tyran qui
n’a de comptes à rendre à personne. Agressif, généralement ignorant. Il ne
respecte pas la loi et l’ordre, ni le monde. Tout est permis, y compris le
mensonge, au nom de la terre d’Israël. La corruption est également née là,
entre la vallée de Dotan [Sahl Arraba] et les collines du sud d’Hébron
[janub jabal alkhalil]. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas de voleurs et d’assassins
avant le Conseil des colonies de Yesha, mais le pourrissement judiciaire, la
tromperie comme norme, le vol comme politiquement correct et, bien sûr, la
violence comme phénomène légitime et même vénéré - tout cela a prospéré dans l’occupation.
Si c’est permis là-bas, pourquoi pas ici ? Ceux qui ont été formés à brûler et
à tirer à Huwara comme option première et préférée n’abandonneront pas
facilement cette idée à quelques kilomètres à l’ouest. Je le répète : l’occupation
n’est pas responsable de tout, mais elle l’est bien plus qu’Israël ne l’admet.
Il est très triste que la majorité du camp protestataire ne l’ait pas encore
reconnu.